Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 février 2018, 16-17.966, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... a été engagée en qualité d'agent de service en contrat à durée déterminée par l'association La Croisée des ans du 17 au 30 juin 2010 afin de pourvoir au remplacement d'une personne en congé maladie ; qu'après deux contrats de remplacement conclus du 8 au 29 juillet 2010 puis du 1er au 29 août 2010, elle a été à nouveau sollicitée en avril 2011 et a conclu entre le 26 avril 2011 et le 27 février 2014, 104 contrats à durée déterminée ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification du contrat conclu le 24 avril 2011 en un contrat à durée indéterminée ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l'accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; qu'il résulte du deuxième, qu'un contrat à durée déterminée peut être conclu pour le remplacement d'un salarié en cas d'absence ou de suspension du contrat de travail ;

Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 26 janvier 2012 (CJUE, 26 janv. 2012, Bianca A... c/Land [...], a dit pour droit : "La clause 5, point 1, sous a), de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens que le besoin temporaire en personnel de remplacement, prévu par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal peut, en principe, constituer une raison objective au sens de ladite clause. Le seul fait qu'un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l'embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n'implique pas l'absence d'une raison objective au sens de la clause 5, point 1, sous a), dudit accord-cadre ni l'existence d'un abus au sens de cette clause. Toutefois, lors de l'appréciation de la question de savoir si le renouvellement des contrats ou des relations de travail à durée déterminée est justifié par une telle raison objective, les autorités des États membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclus dans le passé avec le même employeur" ;

Attendu que la Cour de justice a précisé, dans les motifs de cette décision, que dans une administration disposant d'un effectif important, il est inévitable que des remplacements temporaires soient fréquemment nécessaires en raison, notamment, de l'indisponibilité d'employés bénéficiant de congés de maladie, de congés de maternité ou de congés parentaux ou autres, que le remplacement temporaire de salariés dans ces circonstances est susceptible de constituer une raison objective au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l'accord-cadre CDD, justifiant tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats en fonction de la survenance des besoins, sous réserve du respect des exigences fixées par l'accord-cadre CDD à cet égard (§ 31), que cette conclusion s'impose d'autant plus lorsque la réglementation nationale justifiant le renouvellement de contrats à durée déterminée en cas de remplacement temporaire poursuit également des objectifs reconnus comme étant des objectifs légitimes de politique sociale (§32), que des mesures visant à protéger la grossesse et la maternité ainsi qu'à permettre aux hommes et aux femmes de concilier leurs obligations professionnelles et familiales poursuivent des objectifs légitimes de politique sociale (§ 33) ;

Attendu qu'il en résulte que le seul fait pour l'employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;

Attendu que pour prononcer la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, l'arrêt, après avoir énoncé qu'en application des dispositions de l'article L. 1243-3, alinéa 3, du code du travail, la mise en oeuvre de contrats à durée déterminée successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, retient qu'une entreprise telle que l'association La Croisée des ans qui dispose d'un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles, que dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois années constituent un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l'association La Croisée des ans, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a procédé à la requalification sollicitée même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l'absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée) ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs insuffisants pour caractériser, au regard de la nature des emplois successifs occupés par la salariée et de la structure des effectifs de l'association, que ces contrats avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'association, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif critiqués par le deuxième et le troisième moyens en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute l'employeur de sa demande reconventionnelle, l'arrêt rendu le 4 avril 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour l'association La Croisée des ans

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné l'association La Croisée des Ans à payer à madame Y... la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée déterminée,

Aux propres motifs qu'en application des dispositions de l'article L. 1242-3, alinéa 3 du code du travail, la mise en oeuvre de contrats à durée déterminée successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; qu'une entreprise telle que l'association La Croisée des Ans qui dispose d'un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles ; que, dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par Mme Y... pendant trois années constituent un équivalent à temps plein pour faire face à un besoin structurel de l'association La Croisée des Ans, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a procédé à la requalification sollicitée par Mme Y... même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l'absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée
), sachant que l'association ne démontre pas comme elle le soutient que Mme Y... ait eu des emplois parallèles dans d'autres entreprises ; que le jugement sera donc confirmé sur la requalification (arrêt attaqué, p. 4),

Et aux motifs éventuellement adoptés que mademoiselle Nadia Y... a effectué 104 contrats à durée déterminée conclu sur la période du 26.04.2011 au 27.02.2014 en qualité d'agent de service (
) ; que le conseil de prud'hommes considérant la multiplicité des contrats et leurs durées correspondant à l'activité normale et permanente de l'entreprise, requalifie l'ensemble des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 26.04.2011 (jugement, pp. 3-4)

Alors que le seul fait pour un employeur d'être obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l'embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée, n'implique pas l'absence d'une raison objective de recourir à des contrats à durée déterminée successifs ; que, pour requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, l'arrêt attaqué retient que, bien que formellement réguliers, ces contrats servaient pour assurer des remplacements au sein de l'association qui étaient prévisibles et systématiques ; qu'en statuant ainsi, cependant que le recours récurrent, par l'association La Croisée des Ans, à des remplacements temporaires n'induisait pas, en soi, l'absence de raison objective de recourir à des contrats à durée déterminée successifs avec une même salariée, la cour d'appel a violé les articles L. 1242-1, L. 1242-2 et L. 1245-1 du code du travail, et la clause 5 de l'accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné l'association La Croisée des Ans à payer à madame Y... la somme de 10 295,44 euros à titre de rappels de salaires correspondant aux périodes intercalaires non travaillées du 26 avril 2011 au 27 février 2014, et celle de 1 029,54 euros au titre des congés payés afférents ;

Aux propres motifs que qu'une entreprise telle que l'association La Croisée des Ans qui dispose d'un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles ; que, dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par Mme Y... pendant trois années constituent un équivalent à temps plein pour faire face à un besoin structurel de l'association La Croisée des Ans, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a procédé à la requalification sollicitée par Mme Y... même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l'absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée
), sachant que l'association ne démontre pas comme elle le soutient que Mme Y... ait eu des emplois parallèles dans d'autres entreprises ; que le jugement sera donc confirmé sur la requalification (
) ; que le rappel des salaires accordé pour la somme de 10 295,44 euros (et 1 029,54 euros au titre des congés payés) selon un calcul détaillé par Mme Y... dans ses écritures sera confirmé (arrêt attaqué, pp. 4-5),

Et aux motifs éventuellement adoptés que mademoiselle Nadia Y... s'est toujours tenue à la disposition de l'association La Croisée des Ans pendant 4 ans ; que la succession de 104 contrats à durée déterminée en justifie et qu'elle est fondée à solliciter un rappel de salaire au titre des périodes intercalaires non travaillées ; que le conseil de prud'hommes condamne l'association La Croisée des Ans à verser à mademoiselle Nadia Y... les sommes de 10 295,44 euros à titre de rappel de salaires correspondant aux périodes intercalaires non travaillées du 26.04.2011 au 27.02.2014 et de 1 029,54 euros au titre des congés payés afférents (jugement, p. 4)

Alors que le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail ; que, pour condamner l'association La Croisée des Ans à verser à madame Y... un rappel de salaires au titre des périodes intercalaires non travaillées, l'arrêt attaqué retient que la salariée s'est toujours tenue à la disposition de l'employeur pendant quatre ans, comme en témoigne la succession des contrats à durée déterminée sur cette période ; qu'en statuant ainsi, sans constater que madame Y... justifiait avoir été mise dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle travaillait pour l'association La Croisée des Ans et s'être ainsi trouvée dans l'obligation de se tenir en permanence à la disposition de celle-ci, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1245-1 et L. 3121-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné l'association La Croisée des Ans à payer à madame Y... les sommes de 3 000 euros à titre d'indemnité de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée déterminée, 10 295,44 euros à titre de rappels de salaires correspondant aux périodes intercalaires non travaillées du 26 avril 2011 au 27 février 2014, 1 029,54 euros au titre des congés payés afférents, 9 100 euros à titre d'indemnité de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 910 euros à titre d'indemnité de licenciement conformément à l'article R. 1234-2 du code du travail, 3 034 euros à titre d'indemnité de préavis et 303,40 euros au titre des congés payés afférents,

Aux propres motifs que le salaire de Mme Y... est de 1 517 euros prime de précarité comprise ; que l'indemnité de requalification fixée en application de l'article L. 1245-2 du code du travail d'un montant de 3 000,00 euros correspondant à environ deux mois de salaire sera confirmée, la demande de 6 861,52 euros étant trop importante eu égard au temps de travail de Mme Y... au sein de l'association ; que l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L. 1235-3 a été allouée par le conseil des prud'hommes à hauteur de 9 100 euros, ce qui correspond au minimum des six derniers mois de salaires ; que cette disposition sera confirmée ; que les autres indemnités de préavis accordées à hauteur de 3 034 euros en application de l'article L. 1234-1 du code du travail outre 303,40 euros pour les congés payés et 910 euros pour l'indemnité prévue par l'article R. 1234-2 du code du travail (arrêt attaqué, p. 5),

Et aux motifs éventuellement adoptés que, eu égard à la multiplicité des contrats à durée déterminée et à l'ensemble de la période de recours à ces contrats, le conseil de prud'hommes condamne l'association La Croisée des Ans à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité de requalification (
) ; que mademoiselle Nadia Y... a subi une situation de précarité professionnelle depuis le 26 avril 2011 et que depuis le 28 février 2014 elle n'a pas retrouvé d'emploi ; que le conseil de prud'hommes condamne l'association La Croisée des Ans à verser la somme de 9 100 euros au titre de l'indemnité de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (
) ; que, vu l'ancienneté de mademoiselle Nadia Y... au moment de la rupture du contrat de travail, vu le salaire moyen retenu pour le calcul de l'indemnité de licenciement : 1 517 euros/mois, le conseil de prud'hommes condamne l'association La Croisée des Ans à verser la somme de 910 euros au titre de l'indemnité de licenciement conformément à l'article R. 1234-2 du code du travail (
) ; que, vu l'ancienneté de mademoiselle Nadia Y... au moment de la rupture du contrat de travail, vu le salaire moyen retenu pour le calcul de l'indemnité de licenciement : 1 517 euros/mois, le conseil de prud'hommes condamne l'association La Croisée des Ans à verser la somme de 3 034 euros au titre de l'indemnité de préavis et 303,40 euros au titre des congés payés y afférents conformément à l'article L. 1234-1, alinéa 3 du code du travail (jugement, pp. 4-5) ;

Alors que l'indemnité de précarité étant destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, son montant n'entre pas dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé ; qu'en indiquant retenir un salaire de 1 517 euros « prime de précarité comprise » pour le calcul de l'indemnité de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée déterminée, du rappel de salaire au titre des périodes intercalaires non travaillées, de l'indemnité de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article R. 1234-2 du code du travail et de l'indemnité de préavis, la cour d'appel a violé ce texte, de même que les articles L. 1243-8, L. 1245-2, L. 1234-9 et L. 1234-5 du code du travail, et l'article 1134 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2018:SO00250
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