Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 février 2018, 16-27.909, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 17 octobre 2016), qu'après avoir été omise, en 1994 et 2013, du tableau de l'ordre des avocats au barreau de Bayonne, Mme Y... a, en février 2015, sollicité sa réinscription ; que, par délibération du 13 mai suivant, le conseil de l'ordre dudit barreau (le conseil de l'ordre) a rejeté cette demande ; que Mme Y..., après s'être désistée de son recours devant la cour d'appel, a présenté, en février 2016, une nouvelle demande d'inscription, laquelle a été déclarée irrecevable par délibération du 13 avril 2016 ; que Mme Y... a formé un recours contre cette décision sur le fondement de l'article 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le conseil de l'ordre fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à la délibération du 13 mai 2015, de déclarer recevable le recours formé par Mme Y... contre la délibération du 13 avril 2016, d'infirmer cette décision et d'ordonner sa réinscription au tableau, alors, selon le moyen :

1°/ que les décisions du conseil de l'ordre des avocats statuant sur les demandes d'inscription ou d'omission au tableau ont l'autorité de la chose jugée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble les articles 17 et 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

2°/ qu'à considérer même que les décisions du conseil de l'ordre des avocats n'aient pas l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 480 du code de procédure civile et de l'article 1351 du code civil devenu l'article 1355, en toute hypothèse, l'autorité qui s'attache à la chose décidée par un ordre professionnel s'oppose à ce que le même requérant saisisse à nouveau le conseil de l'ordre d'une même requête fondée sur les mêmes circonstances ; qu'en prétextant, en l'espèce, de ce que les décisions d'une juridiction ordinale n'étaient pas revêtues de l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 1351 du code civil pour décider que le conseil de l'ordre avait l'obligation d'examiner le bien-fondé de la nouvelle demande d'inscription de Mme Y... après avoir rejeté comme mal fondée une précédente requête tendant aux mêmes fins et articulée sur les mêmes moyens, la cour d'appel a de toute façon méconnu le principe de l'autorité de la chose décidée, ensemble les articles 17 et 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Mais attendu que la décision du conseil de l'ordre, qui refuse une réinscription au tableau, ne constitue pas une décision juridictionnelle, de sorte qu'elle n'a pas l'autorité de la chose jugée ; qu'en application de l'article 20 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, la cour d'appel est saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, de l'entière connaissance du litige et doit se prononcer en considération des circonstances de fait qui existent au jour où elle statue ; que c'est donc à bon droit qu'après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de refus de réinscription du 13 mai 2015, la cour d'appel a énoncé que la nouvelle demande de réinscription devait être appréciée au regard de la situation actuelle de Mme Y... ;

Et attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que le conseil de l'ordre ait soutenu que la décision litigieuse était revêtue de l'autorité de la chose décidée ;

D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait et, partant, irrecevable en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu que le conseil de l'ordre fait grief à l'arrêt d'ordonner la réinscription de Mme Y... au tableau, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'en retenant, en l'espèce, que Mme Y... réunissait les conditions pour exercer la profession d'avocat au titre de la voie dérogatoire prévue à l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, sans inviter au préalable les parties à formuler leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'en relevant également d'office le moyen tiré de ce que la réinscription intervenue le 23 octobre 2013 avec effet rétroactif au 5 avril 1994 ôtait tout fondement aux manquements reprochés à Mme Y... pour les années 2007 et 2011, sans solliciter là encore les observations préalables des parties, la cour d'appel a, à nouveau, violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que, subsidiairement, le fait d'avoir fait l'objet de deux inscriptions au tableau de l'ordre des avocats ne constitue pas un cas de dérogation aux conditions d'exercice de cette profession ; qu'en affirmant que, du fait des deux inscriptions obtenues le 5 avril 1994 et le 23 octobre 2013, Mme Y... réunissait les conditions pour exercer la profession d'avocat au bénéfice de la voie dérogatoire prévue à l'article 98 du décret n° 91-1137 du 27 novembre 1991, la cour d'appel a violé l'article 98 du décret n° 91-1137 du 27 novembre 1991 ;

4°/ que les juges du fond sont tenus de vérifier par eux-mêmes les faits à l'origine du litige sans pouvoir s'en tenir à de simples allégations non corroborées par un élément de preuve ; qu'en l'espèce, le refus de réinscription de Mme Y... sur le tableau de l'ordre des avocats se fondait, notamment, sur l'usage illégitime de la qualité d'avocat dans plusieurs courriers adressés au Conseil national des barreaux ; qu'en écartant ce grief au seul motif que Mme Y..., qui n'avait pas produit ces courriers, maintenait que ceux-ci relevaient d'une correspondance personnelle entretenue avec le président du Conseil national des barreaux, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile et l'article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;

Mais attendu que, s'agissant d'une procédure orale et l'arrêt ayant été rendu alors que les parties étaient présentes ou représentées à l'audience, les moyens retenus par la cour d'appel sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été soutenus et débattus contradictoirement ; que le moyen, qui est inopérant en ce qu'il critique, en ses deux dernières branches, des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Bayonne aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Bayonne

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir écarté l'autorité de la chose jugée par délibération ordinale du 13 mai 2015, déclaré recevable le recours formé par Mme Y... contre la délibération du Conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Bayonne du 13 avril 2016, infirmé cette décision, et ordonné la réinscription de Mme Y... au tableau de l'Ordre des avocats ;

AUX MOTIFS QU' « il résulte des dispositions de l'article 1351 du code civil que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement, c'est-à-dire d'une décision rendue par un tribunal ; que tel n'est pas le cas de la décision d'une juridiction ordinale quant à un manquement à la déontologie, laquelle n'a pas autorité de chose jugée devant le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, la délibération du Conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Bayonne prise le 13 mai 2015 invoquée, a statué sur la demande d'inscription de Mme Y..., que le Conseil a refusée pour manquements à la déontologie, et contre laquelle celle-ci a formé un recours, mais dont elle s'est désistée, de sorte que la cour d'appel de ce siège ayant par suite constaté son dessaisissement par un arrêt du 1er octobre 2015, seule subsiste la délibération ordinale ; qu'en conséquence, le Conseil de l'Ordre ne pouvait déclarer irrecevable la demande de réinscription de Mme Y... en se fondant sur l'autorité de chose jugée attachée à cette décision du 13 mai 2015 contenue dans les motifs de sa décision développée au soutien de son dispositif, mais devait apprécier cette demande à la date du 13 avril 2016, au seul regard des conditions réglementaires requises, et notamment, par les articles 3, 11 et 17 de la loi du 31 décembre 1991 portant sur l'organisation et l'administration de la profession, et de la situation actuelle de cette dernière » ;

1° ALORS QUE, premièrement, les décisions du conseil de l'ordre des avocats statuant sur les demandes d'inscription ou d'omission au tableau ont l'autorité de la chose jugée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 480 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble les articles 17 et 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

2° ALORS QUE, subsidiairement, à considérer même que les décisions du conseil de l'ordre des avocats n'ait pas l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 480 du Code de procédure civile et de l'article 1351 du Code civil devenu l'article 1355, en toute hypothèse, l'autorité qui s'attache à la chose décidée par un ordre professionnel s'oppose à ce que le même requérant saisisse à nouveau le conseil de l'ordre d'une même requête fondée sur les mêmes circonstances ; qu'en prétextant en l'espèce de ce que les décisions d'une juridiction ordinale n'étaient pas revêtues de l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 1351 du Code civil pour décider que le Conseil de l'Ordre des avocats de Bayonne avait l'obligation d'examiner le bien-fondé de la nouvelle demande d'inscription de Mme Y... après avoir rejeté comme mal fondée une précédente requête tendant aux mêmes fins et articulée sur les mêmes moyens, la cour d'appel a de toute façon méconnu le principe de l'autorité de la chose décidée, ensemble les articles 17 et 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la réinscription de Mme Y... au tableau de l'Ordre des avocats du barreau de Bayonne ;

AUX MOTIFS QUE « Mme Y... a été inscrite à ce barreau la première fois le 5 avril 1994, puis suite à sa demande, omise du tableau, puis encore, réinscrite le 23 octobre 2013 avec effet rétroactif au 5 avril 1994, puis à nouveau omise à sa demande le 20 novembre suivant, car celle-ci n'était pas en capacité dans le mois qui suivait sa réinscription de réunir les conditions d'exercice de la profession par suite de difficultés retardant son projet d'exercice groupé ; que du fait de ces deux inscriptions, il en résulte en tout état de cause, que Mme Y... réunit les conditions pour exercer la profession d'avocat au bénéfice de la voie dérogatoire prévue à l'article 98 du décret du 27 novembre 1991, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté ; que dès lors, il s'agit d'examiner à la date de la demande formée en février 2016 par Mme Y... si ses manquements à la déontologie qui avaient présidé au refus de sa réinscription par la décision ordinale du 13 mai 2015 invoquée, pouvaient être encore retenus, lesquels étaient fondés sur 3 griefs : a) obtention le 5 avril 2007 pendant sa période d'omission, du diplôme de professionnelle qualifiée sous son titre d'avocat, comme ayant été délivré à Me Martine Y..., avocat au barreau de Bayonne ; b) usage au mois d'août 2011 du titre d'avocat pendant sa période d'omission à l'occasion de deux courriers adressés au Conseil national des barreaux ; c) un bail portant sur des locaux non conformes ; qu'or, lors de la délibération du 23 octobre 2013, le Conseil de l'Ordre, constatant que "son dossier était conforme", a décidé, non seulement de "l'inscription de Mme Y... au barreau de Bayonne à la date de la réunion de ce conseil de l'ordre", mais encore, a dit : "qu'il conviendra de l'inscrire à la date de sa première inscription soit le 5 avril 1994", ôtant ainsi tout fondement pour l'avenir à ces manquements à la déontologie reprochés de ce chef à Mme Y... et qui remontent aux années 2007 et 2011; qu'au demeurant, Madame Y... produit un nouveau diplôme de "Professionnelle qualifiée" sans référence à sa qualité d'avocat, rappelant que pour pouvoir prétendre à suivre cette formation, elle avait dû justifier et produire sa prestation de serment et son inscription à l'ordre des avocats en 1994, et que ce n'était qu'à la seule initiative de cette école que ce diplôme avait été délivré le 5 avril 2007, en sa qualité d'avocat, de sorte qu'elle a obtenu sans difficulté aucune, un nouveau diplôme rectifié sans référence à cette qualité qu'elle verse aux débats ; que par ailleurs, elle maintient que les deux courriers invoqués remontant à 2011 étaient des courriers personnels adressés, qui plus est au Président du Conseil National des barreaux dans le cadre d'un échange suivi de correspondance privée ; qu'enfin, s'agissant du bail non conforme, elle a produit un bail professionnel conforme venant à expiration au 30 juin 2016, et verse aux débats, à la demande de la Cour, un nouveau bail en cours ; que ce bail professionnel en cours conclu pour 6 années à effet du 1er juillet 2016 porte sur un local sis [...]                                       d'une superficie d'environ 35 m² comprenant un bureau de 22 m², une salle d'attente séparée et un WC indépendant d'une superficie de 13 m², qui paraît répondre aux normes adaptées à l'exercice de sa profession d'avocat, ce que contrôlera le Conseil de l'Ordre dans l'exercice de ses pouvoirs en ce domaine » ;

1° ALORS QUE les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'en retenant en l'espèce que Mme Y... réunissait les conditions pour exercer la profession d'avocat au titre de la voie dérogatoire prévue à l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, sans inviter au préalable les parties à formuler leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;

2° ALORS QUE les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'en relevant également d'office le moyen tiré de ce que la réinscription intervenue le 23 octobre 2013 avec effet rétroactif au 5 avril 1994 ôtait tout fondement aux manquements reprochés à Mme Y... pour les années 2007 et 2011, sans solliciter là encore les observations préalables des parties, la cour d'appel a à nouveau violé l'article 16 du Code de procédure civile ;

3° ALORS QUE, subsidiairement, le fait d'avoir fait l'objet de deux inscriptions au tableau de l'Ordre des avocats ne constitue pas un cas de dérogation aux conditions d'exercice de cette profession ; qu'en affirmant que, du fait des deux inscriptions obtenues le 5 avril 1994 et le 23 octobre 2013, Mme Y... réunissait les conditions pour exercer la profession d'avocat au bénéfice de la voie dérogatoire prévue à l'article 98 du décret n° 91-1137 du 27 novembre 1991, la cour d'appel a violé l'article 98 du décret n° 91-1137 du 27 novembre 1991 ;

4° ALORS QUE les juges du fond sont tenus de vérifier par eux-mêmes les faits à l'origine du litige sans pouvoir s'en tenir à de simples allégations non corroborées par un élément de preuve ; qu'en l'espèce, le refus de réinscription de Mme Y... sur le tableau de l'Ordre des avocats de Bayonne se fondait notamment sur l'usage illégitime de la qualité d'avocat dans plusieurs courriers adressés au Conseil national des barreaux ; qu'en écartant ce grief au seul motif que Mme Y..., qui n'avait pas produit ces courriers, maintenait que ceux-ci relevaient d'une correspondance personnelle entretenue avec le président du Conseil national des barreaux, la cour d'appel a violé l'article 9 du Code de procédure civile et l'article 1315 devenu l'article 1353 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2018:C100181
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