Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 23 janvier 2018, 17-80.323, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


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M. B... Y... ,


contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 17 novembre 2016, qui, pour provocation publique à la discrimination, la haine, la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, l'a condamné à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;








La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 novembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme C..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller C..., les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général X... ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 24, alinéa 8, 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y... coupable de provocation à la discrimination, à la haine ou la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en l'espèce les personnes de confession musulmane, pour avoir tenu les propos incriminés lors d'une interview accordée au quotidien italien Corriere Della Serra, en tant qu'ils ont été « publiés » sur le territoire national dans ce quotidien ;

"1°) alors que, dans ses conclusions d'appel, M. Y... avait soutenu que, s'agissant d'un journal publié à l'étranger, la responsabilité pénale pesait, selon le droit commun, sur celui qui l'avait introduit et diffusé en France et qu'en l'espèce, aucun élément n'était de nature à établir sa participation personnelle à l'introduction et à la diffusion en France du numéro du Corriere Della Serra contenant les propos incriminés et qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs ;

"2°) alors que, lorsque la publication d'un journal a été faite à l'étranger et que ce journal a ensuite été introduit en France, la responsabilité encourue à raison des délits de presse commis pèse exclusivement sur celui par le fait duquel s'est effectuée l'introduction en France et qu'en l'espèce, n'ayant relevé – et pour cause – aucun élément de nature à établir que M. Y... aurait participé à l'introduction en France du numéro du journal italien Corriere Della Serra dans lequel ses propos incriminés ont été publiés, la cour d'appel ne pouvait légalement déclarer celui-ci coupable de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 24, alinéa 8, 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale, incompétence, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y... coupable de provocation à la discrimination, à la haine ou la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en l'espèce les personnes de confession musulmane, pour avoir tenu les propos incriminés lors d'une interview accordée au quotidien italien Corriere Della Serra , en tant qu'ils ont été diffusés sur le site internet de ce quotidien ;

"1°) alors que la circonstance que des propos susceptibles de recevoir une qualification pénale soient accessibles depuis le territoire français, du fait de leur diffusion sur internet, ne caractérise pas, à elle seule, un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître ; qu'il est encore nécessaire que ce site, ou tout au moins les pages contenant les propos incriminés, ait été à destination du public français : que tel n'est pas le cas en l'espèce où le site du Corriere Della Serrra., en ce compris les pages sur lesquelles figure l'interview d'B... Y..., est un site italien entièrement rédigé en italien, à destination du public italien ; que, dès lors, la cour d'appel aurait dû relever d'office ce moyen d'ordre public et de pur droit tiré de l'incompétence des juridictions françaises ;

"2°) alors qu'en toute hypothèse, à supposer même que le juge français ait été compétent, la cour d'appel ne pouvait légalement déclarer M. Y... coupable du délit reproché à raison de la publication des propos incriminés sur le site internet du Corriere Della Serra , dès lors que n'était constaté – et pour cause – aucun élément de nature à établir qu'il aurait été à l'origine de cette publication ou même qu'il l'ait voulu" ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le premier moyen de cassation et sur le deuxième moyen, en sa seconde branche :

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure qu'à la suite d'une enquête diligentée par le procureur de la République, ce dernier a fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de l'article 24, alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881, M. B... Y... , journaliste et essayiste, pour avoir, au cours d'une interview en français, traduite en italien, accordée, à Paris, le 30 octobre 2014, au quotidien italien Corriere Della Serra , publié sur le territoire national et diffusé sur internet, tenu les propos suivants à M. Stefano A..., journaliste italien, après leur traduction en français à l'initiative du ministère public: " Les musulmans ont leur code civil, c'est le Coran. Ils vivent entre eux, dans les périphéries. Les Français ont été obligés de s'en aller". "Je pense que nous nous dirigeons vers le chaos. Cette situation d'un peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile. Des millions de personnes vivent ici, en France, et ne veulent pas vivre, à la française" ; que les juges du premier degré ont rejeté l'exception de nullité présentée par le prévenu, retenu sa culpabilité et prononcé sur les intérêts civils ; que M. Y... a relevé appel de cette décision, ainsi qu'une des associations constituées partie civile, SOS Racisme-Touche pas à mon pote, quant aux dispositions civiles ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité de M. Y..., sur le fondement de l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881, en qualité d'auteur du délit, l'arrêt attaqué prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans mieux caractériser la participation personnelle de M. Y..., qui la contestait dans ses conclusions, au fait de publication sur le territoire national du quotidien étranger et de sa mise en ligne sur le site de ce quotidien et alors qu'il lui appartenait de rechercher, dans les termes du droit commun, en ayant le pouvoir d'apprécier le mode de participation du prévenu aux faits poursuivis, s'il avait contribué ou s'il savait que les propos litigieux donnés au quotidien italien, étaient aussi destinés à être publiés en France et diffusés sur le site du journal, accessible par le réseau internet, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 novembre 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois janvier deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2018:CR03270
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