Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 14 septembre 2017, 16-23.578, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 juillet 2016) rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 23 octobre 2014, pourvoi n° 13-23.481), que M. X..., alors qu'il pilotait une motocyclette, a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré auprès de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (l'assureur) ; qu'il a assigné ce dernier en indemnisation de ses préjudices ;

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnisation de M. X... au titre de la perte des gains professionnels futurs à la somme de 459 929,52 euros avant déduction de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie, soit un solde disponible de 219 841,75 euros en faveur de M. X..., et de le condamner en outre à lui payer la somme de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors, selon le moyen :

1°/ que l'incidence professionnelle répare la dévalorisation sur le marché du travail, la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap ; qu'elle est donc exclue si la victime n'a purement et simplement pu reprendre aucune activité professionnelle ; qu'en allouant une indemnité de 40 000 euros de ce chef, après avoir retenu que M. X... l'avait réclamée en raison de l'impossibilité de reprendre une activité professionnelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable ;

2°/ que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant à M. X... une somme de 40 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle du fait qu'il n'avait pu reprendre aucune activité professionnelle, après lui avoir alloué pour cette même raison une indemnité au titre des pertes de gains professionnels futurs, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable et du principe de la réparation intégrale du préjudice ;

Mais attendu qu'ayant relevé, d'abord, que si M. X... exerçait avant l'accident une activité de journaliste qui, pour n'être pas permanente, était source régulière de revenus, ensuite, que les troubles comportementaux et cognitifs dont il souffre rendent quasi impossible la reprise de son activité professionnelle antérieure et constituent un obstacle à une reconversion, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a réparé, d'une part, au titre de la perte de gains professionnels futurs, la perte de chance de M. X... de retirer des revenus de l'exercice d'une nouvelle activité, d'autre part, au titre de l'incidence professionnelle, le préjudice résultant de la nécessité où il se trouve en raison de son handicap, de renoncer à l'exercice de sa profession de journaliste ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner au doublement du taux d'intérêt légal sur la somme de 550 559,31 euros à compter du 19 mai 2007 jusqu'au jour de l'arrêt définitif, alors, selon le moyen, que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entraînera par application de l'article 624 du code de procédure civile la cassation du chef de dispositif relatif au doublement des intérêts au taux légal fondé sur le caractère manifestement insuffisant de l'offre au regard de l'offre allouée par la décision définitive ;
Mais attendu que le premier moyen ayant été rejeté, le deuxième moyen, en ce qu'il invoque une cassation par voie de conséquence, est sans objet ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la première branche du premier moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Garantie mutuelle des fonctionnaires aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Garantie mutuelle des fonctionnaires.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnisation de M. X... au titre de la perte des gains professionnels futurs à la somme de 459 929,52 euros avant déduction de la créance de la CPAM, soit un solde disponible de 219 841,75 euros en faveur de M. X..., d'avoir en outre condamné la GMF à payer la somme de 40 000 euros à M. X... au titre de l'incidence professionnelle ;

Aux motifs qu'à la date du bilan orthophonique réalisé le 2 septembre 2008 après un suivi de deux ans, le docteur Y..., neuro-psychiatre, avait noté que M. X... conservait des difficultés de planification et de mémoire et des difficultés de discours ; qu'il avait une disponibilité lexicale insuffisante pour un homme de radio et des capacités exécutives moyennes ; que l'une des composantes de la mémoire de travail restait perturbée et que les ressources attentionnelles ne suffisaient plus pour un bon fonctionnement de cette mémoire ; que des progrès étaient apparus mais il persistait une fatigabilité qui ne lui permettait pas de se mobiliser aussi longtemps qu'il en aurait besoin pour son travail ou pour une activité de formation et que l'évocation en langage restait insuffisante ; que préalablement à la détermination des préjudices, il convenait de rappeler qu'au moment des faits litigieux, M. X..., alors âgé de 41 ans, ne travaillait pas, étant chômeur depuis mars 2004 et qu'auparavant, il était journaliste pour un salaire annuel net de 29 364,11 euros en 2003 et 22 408 euros en 2002 ; que le préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs devait indemniser la victime de la perte de ses revenus à la date de la consolidation consécutivement à l'invalidité permanente qui l'affectait dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable et que le principe de la réparation intégrale n'excluait pas la prise en compte de l'aléa grevant l'avenir professionnel de la victime qui n'avait pas d'emploi au jour de l'accident, son préjudice s'analysant alors en une perte de chance de percevoir des revenus professionnels ; que les pièces versées aux débats sur la situation professionnelle de M. X... permettaient de retenir qu'il avait une formation de journaliste l'ayant conduit à bénéficier de cartes de presse depuis plusieurs années, couvrant le reportage sportif ainsi que divers évènements locaux ; que ces éléments témoignaient de ce que, même si ces activités n'étaient pas forcément permanentes à raison de leur objet et consistaient plutôt en diverses missions revêtant pour certaines un caractère occasionnel, elles manifestaient assez, par leur variété et par les revenus dont il justifiait sur les deux années antérieures à l'accident, une constance quant à l'apport économique en résultant, apport qui serait fixé à la moyenne des revenus des deux dernières années, soit la somme de 25 886,05 euros ; que ces éléments témoignaient, en outre, d'une qualification professionnelle dans le milieu où il avait exercé et d'une faculté d'adaptation permettant à la victime de rebondir professionnellement malgré la perte de son emploi ; que l'existence d'un aléa grevant son avenir professionnel, même sans la survenance d'un accident, ne permettait son indemnisation qu'au titre de la perte de chance de bénéficier d'un emploi similaire à sa situation antérieure, mais que le taux de cette perte de chance serait apprécié en considération des observations précédentes sur les qualités professionnelles et les facultés d'adaptation de M. X... et fixé à 80% ; que sur l'incidence professionnelle, ce poste de préjudice avait pour objet d'indemniser, non la perte de revenus liée à l'invalidité, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme le préjudice lié à la dévalorisation sur le marché du travail, à la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap ; que ces observations justifiaient l'allocation d'une somme de 40 000 euros ;

Alors que 1°) le juge doit viser les pièces qu'il retient au soutien de sa décision ; que la GMF avait invoqué l'absence de preuve permettant de se prononcer tant sur la situation antérieure que postérieure à l'accident de nature à établir sa situation professionnelle (conclusions, p. 9) ; qu'en retenant que la victime n'était pas apte à reprendre une activité professionnelle quelconque du fait de l'accident ou que, sans l'accident et en dépit de sa situation de chômage, elle aurait été apte à rebondir professionnellement, sans viser ni analyser aucune pièce du dossier sur laquelle elle se fondait, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors 2°) que l'incidence professionnelle répare la dévalorisation sur le marché du travail, la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap ; qu'elle est donc exclue si la victime n'a purement et simplement pu reprendre aucune activité professionnelle ; qu'en allouant une indemnité de 40 000 euros de ce chef, après avoir retenu que M. X... l'avait réclamée en raison de l'impossibilité de reprendre une activité professionnelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable ;

Alors 3°) que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant à M. X... une somme de 40 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle du fait qu'il n'avait pu reprendre aucune activité professionnelle, après lui avoir alloué pour cette même raison une indemnité au titre des pertes de grains professionnels futurs, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable et du principe de réparation intégrale du préjudice.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la GMF au doublement du taux d'intérêt légal sur la somme de 550 559,31 euros à compter du 19 mai 2007 jusqu'au jour de l'arrêt définitif ;

Aux motifs que la GMF ne justifiait pas avoir, en application de l'article L. 211-9 du code des assurances, effectué une offre dans le délai de cinq mois suivant la date à laquelle elle a été informée de la consolidation ; que les discussions en cours n'exonèrent pas l'assureur de cette obligation ; que la proposition qu'elle a faite le 20 mars 2009 dans ses conclusions pour 73 700 euros est manifestement insuffisante au regard du préjudice subi ;

Alors que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entrainera par application de l'article 624 du code de procédure civile la cassation du chef de dispositif relatif au doublement des intérêts au taux légal fondé sur le caractère manifestement insuffisant de l'offre au regard de l'offre allouée par la décision définitive.ECLI:FR:CCASS:2017:C201188
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