Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 juillet 2017, 16-85.561, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 16-85.561
- ECLI:FR:CCASS:2017:CR01719
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- M. Guérin (président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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M. Philippe X...,
Mme Evelyne Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 21 juillet 2016, qui, pour prêt illicite de main-d'oeuvre, a condamné le premier, à 40 000 euros d'amende et dix ans d'interdiction de gérer et la seconde, à 5 000 euros d'amende et à dix ans d'interdiction de gérer ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 juin 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour M. X..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3 du code pénal, L. 8241-1, L. 8243-1, L. 8243-2 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le requérant coupable du délit de prêt illicite de main-d'oeuvre au préjudice de la personne morale Gytra Tp et prononcé à son encontre une amende de 5 000 euros, outre une interdiction de gérer pendant dix ans ;
"aux motifs que l'EURL Sogytra, après avoir conclu des marchés de travaux de maçonnerie générale et de gros oeuvre du bâtiment, sous traitait la réalisation de ceux-ci à la SARL Gytra Tp, qui, pour l'essentiel de son activité, n'avait d'autres clients que l'EURL ; que Sogytra fournissait le gros matériel ainsi que l'ensemble des matériaux nécessaires à la réalisation des chantiers ; que M. X..., qui cumulait les fonctions de dirigeant de l'EURL Sogytra et de la SARL Gytra Tp, exerçait son autorité sur les salariés amenés à exécuter les travaux sous-traités ; que bien plus, l'EURL Sogytra a été amenée, quoique ponctuellement, à payer directement les salariés de la SARL Gytra Tp ; qu'il s'évince suffisamment de ces circonstances l'existence d'un prêt de main-d'oeuvre par la SARL Gytra Tp à l'EURL Sogytra ; que ce prêt de main-d'oeuvre, réalisé sous couvert de pseudo contrats de sous-traitance, a eu pour effet de causer un préjudice aux salariés de la SARL Gytra Tp qui, ayant été placée en liquidation judiciaire le 27 juillet 2010, présentait un passif d'un montant de l'ordre de 1 400 000 euros constitué principalement de créances sociales ; que M. X..., qui a instauré une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre, s'est rendu coupable du délit de marchandage qui lui est reproché, non seulement au titre de la période où il assurait la gérance de droit des sociétés dont s'agit mais aussi pour celle comprise à compter du 11 mai 2009, date à laquelle Mme Evelyne Y... est devenue gérante de droit de la SARL Gytra Tp mais où le prévenu a continué de fait à diriger l'entreprise, dès lors que son amie n'avait aucune expérience dans le Btp, qu'elle exerçait une activité professionnelle salariée dans une autre branche d'activité et qu'elle n'avait même pas de bureau au sein de la société ; qu'en acceptant d'être gérante de la SARL Gytra Tp le 11 mai 2009, Mme Evelyne Y... a participé à la commission du délit de marchandage reproché à M. X..., à tout le moins en qualité de complice, par le soutien apporté au prévenu dans ses errements et alors surtout qu'elle a expressément reconnu qu' elle savait que Gytra Tp était entièrement dépendante de Sogytra ; qu'il convient d'entrer en voie de condamnation à son encontre sauf à dire que les faits ont été commis du 11 mai 2009 au 27 juillet 2010 ; que les faits imputés à M. X... sont d'une gravité toute particulière en ce qu'ils sous-tendent la liquidation judiciaire de la société Gytra-Tp ; que dans ces conditions, la peine d'amende prononcée à son encontre est insuffisante ; qu'il doit être condamné au paiement d'une amende de 40 000 euros ; que la participation de Mme Y... apparaît plus secondaire que celle de M. X... ; que la peine d'amende de 5 000 euros prononcée par le tribunal est adaptée et doit être confirmée ; que les premiers juges ont prononcé à l'encontre des prévenus une mesure d'interdiction de gérer pendant une durée de dix ans ;
"1°) alors que le prêt illicite de main-d'oeuvre exige l'établissement préalable d'une sous-traitance fictive ayant pour objet exclusif une fourniture de salariés dans le cadre d'une opération lucrative ; qu'il appartient au juge répressif de caractériser tous les éléments de cette infraction ; qu'en se bornant à affirmer l'existence de « pseudo contrats de sous-traitance » dans les relations entre l'EURL Sogytra et la SARL Gytra sans la moindre analyse des prestations fournies, des conditions d'encadrement des salariés et du mode de rémunération de ces derniers, et sans davantage établir le caractère exclusif d'un prêt illicite de main d'oeuvre, la cour a privé sa décision de toute base légale sur la prévention articulée à l'encontre des prévenus ;
"2°) alors que l'interdiction générale de gérer toute société pendant une durée déterminée n'entre pas dans la classe des peines complémentaires strictement prévues par les articles L.8243-1, L.8234-1 du code du travail ; qu'ainsi, la cour n'a pu légalement ordonner à titre de peine complémentaire, l'interdiction de diriger, administrer, gérer, contrôler, à un titre quelconque, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant une durée de dix années" ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Mme Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3 et 121-3 du code pénal, L. 8241-1, L. 8243-1, L. 8243-2 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la requérante coupable de complicité du délit de prêt illicite de main-d'oeuvre reproché à l'auteur principal au préjudice de la personne morale Gytra Tp et prononcé à son encontre une amende de 5 000 euros, outre une interdiction de gérer pendant dix ans ;
"aux motifs que l'EURL Sogytra, après avoir conclu des marchés de travaux de maçonnerie générale et de gros oeuvre du bâtiment, sous traitait la réalisation de ceux-ci à la SARL Gytra Tp, qui, pour l'essentiel de son activité, n'avait d'autres clients que l'EURL ; que Sogytra fournissait le gros matériel ainsi que l'ensemble des matériaux nécessaires à la réalisation des chantiers ; que M. X..., qui cumulait les fonctions de dirigeant de l'EURL Sogytra et de la SARL Gytra Tp, exerçait son autorité sur les salariés amenés à exécuter les travaux sous-traités ; que bien plus, l'EURL Sogytra a été amenée, quoique ponctuellement, à payer directement les salariés de la SARL Gytra Tp ; qu'il s'évince suffisamment de ces circonstances l'existence d'un prêt de main-d'oeuvre par la SARL Gytra Tp à l'EURL Sogytra ; que ce prêt de main-d'oeuvre, réalisé sous couvert de pseudo contrats de sous-traitance, a eu pour effet de causer un préjudice aux salariés de la SARL Gytra Tp qui, ayant été placée en liquidation judiciaire le 27 juillet 2010, présentait un passif d'un montant de l'ordre de 1 400 000 euros constitué principalement de créances sociales ; que M. X..., qui a instauré une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre, s'est rendu coupable du délit de marchandage qui lui est reproché, non seulement au titre de la période où il assurait la gérance de droit des sociétés dont s'agit mais aussi pour celle comprise à compter du 11 mai 2009, date à laquelle Mme Y... est devenue gérante de droit de la SARL Gytra Tp mais où le prévenu a continué de fait à diriger l'entreprise, dès lors que son amie n'avait aucune expérience dans le Btp, qu'elle exerçait une activité professionnelle salariée dans une autre branche d'activité et qu'elle n'avait même pas de bureau au sein de la société ; qu'en acceptant d'être gérante de la SARL Gytra Tp le 11 mai 2009, Mme Y... a participé à la commission du délit de marchandage reproché à M. X..., à tout le moins en qualité de complice, par le soutien apporté au prévenu dans ses errements et alors surtout qu'elle a expressément reconnu qu' elle savait que Gytra Tp était entièrement dépendante de Sogytra ; qu'il convient d'entrer en voie de condamnation à son encontre sauf à dire que les faits ont été commis du 11 mai 2009 au 27 juillet 2010 ; que les faits imputés à M. X... sont d'une gravité toute particulière en ce qu'ils sous-tendent la liquidation judiciaire de la société Gytra-Tp ; que dans ces conditions, la peine d'amende prononcée à son encontre est insuffisante ; qu'il doit être condamné au paiement d'une amende de 40 000 euros ; que la participation de Mme Y... apparaît plus secondaire que celle de M. X... ; que la peine d'amende de 5 000 euros prononcée par le tribunal est adaptée et doit être confirmée ; que les premiers juges ont prononcé à l'encontre des prévenus une mesure d'interdiction de gérer pendant une durée de dix ans ;
"1°) alors que le prêt illicite de main-d'oeuvre exige l'établissement préalable d'une sous-traitance fictive ayant pour objet exclusif une fourniture de salariés dans le cadre d'une opération lucrative ; qu'il appartient au juge répressif de caractériser tous les éléments de cette infraction ; qu'en se bornant à affirmer l'existence de « pseudo contrats de sous-traitance » dans les relations entre l'EURL Sogytra et la SARL Gytra sans la moindre analyse des prestations fournies, des conditions d'encadrement des salariés et du mode de rémunération de ces derniers, et sans davantage établir le caractère exclusif d'un prêt illicite de main-d'oeuvre, la cour a privé sa décision de toute base légale sur la prévention articulée à l'encontre des prévenus ;
"2°) alors que l'interdiction générale de gérer toute société pendant une durée déterminée n'entre pas dans la classe des peines complémentaires strictement prévues par les articles L.8243-1 L.8234-1 du code du travail ; qu'ainsi, la cour n'a pu légalement ordonner à titre de peine complémentaire, l'interdiction de diriger, administrer, gérer, contrôler, à un titre quelconque, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant une durée de dix années" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'une enquête préliminaire visant les activités des sociétés Gytra, dont M. X... a été le gérant, et Gytra TP, dont M. X... et Mme Y... ont été, successivement, les gérants et dont la liquidation judiciaire avait été ordonnée, respectivement en 2007 et 2010, alors qu'elles laissaient un passif, pour la première, de 579 111 euros, et, pour la seconde, de 1 400 000 euros, sous forme de créances sociales et fiscales, il est apparu que l'Eurl Sogytra, également créée par M. X..., a conclu des marchés de maçonnerie et de gros oeuvre en bâtiment dont elle a sous-traité la réalisation à la société Gytra TP, qui avait pour unique client cette entreprise donneur d'ordres, facturait à perte et ne payait pas les charges sociales ; que M. X... et Mme Y... ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de marchandage et complicité pour avoir, sous couvert de prétendus contrats de sous-traitance, réalisé une opération à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre ayant causé un préjudice aux salariés de la société Gytra TP ; que les premiers juges les ont déclarés coupables de prêt illicite de main d'oeuvre ; que les prévenus ont relevé appel de cette décision, le ministère public formant un appel incident ;
Sur le moyen proposé pour M. X..., pris en sa première branche, et le moyen proposé pour Mme Y..., pris en sa première branche :
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ;
Attendu que l'arrêt attaqué déclare M. X... coupable de prêt illicite de main-d'oeuvre et Mme Y... de complicité de ce délit ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, dans les motifs de la décision, il est énoncé que les éléments constitutifs du délit de marchandage sont réunis contre le premier et ceux de complicité de ce délit à l‘égard de la seconde, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le moyen proposé pour M. X..., pris en sa seconde branche, et le moyen proposé pour Mme Y..., pris en sa seconde branche :
Vu l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu que, selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir énoncé que les éléments constitutifs du délit de marchandage sont réunis contre M. X... et ceux de complicité de ce délit à l‘égard de Mme Y... et déclaré les prévenus coupables de prêt illicite de main-d'oeuvre et de complicité, l‘arrêt les condamne chacun, notamment, à dix ans d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise commerciale ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que cette peine ne figure pas plus au nombre de celles réprimant le délit de prêt illicite de main-d'oeuvre que parmi celles sanctionnant l'infraction de marchandage, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 21 juillet 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juillet deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.