Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 avril 2017, 15-28.640, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu selon l'arrêt attaqué que M. [I], engagé à compter du 5 avril 1988 par la société Nicolaï en qualité de manoeuvre, reconnu inapte au travail, a fait valoir ses droits à la retraite qu'il a obtenue à partir du 1er novembre 2012 ; qu'il a saisi le 17 janvier 2013 la juridiction prud'homale en reconnaissance d'un statut d'ouvrier qualifié position II coefficient 185 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962 c'est à dire occupant jusqu'à dix salariés du 8 octobre 1990, paiement de rappels de salaires en conséquence, et réclamé des dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de formation ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L. 6321-1 du code du travail dans sa rédaction applicable ;

Attendu que pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts du salarié pour non-respect par l'employeur de son obligation de formation, l'arrêt retient que les formations visées par l'article L. 6321-1 du code du travail restent une simple faculté et non une obligation pour l'employeur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi pendant toute la durée de la relation de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [I] de sa demande en dommages-intérêts pour non-respect par l'employeur de son obligation de formation, l'arrêt rendu le 14 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Nicolaï aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Nicolaï à payer à la SCP Waquet, Farge et Hazan la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille dix-sept.MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [I].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [I] de sa demande de requalification au coefficient 185 du niveau II de la convention collective des ouvriers du bâtiment et de demandes consécutives de rappel de salaires et de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QUE pour déterminer la qualification professionnelle d'un salarié, il faut s'attacher aux fonctions exercées à titre principal et que lorsqu'il estime que la classification figurant sur son bulletin de paie ne correspond pas à ses fonctions, il appartient au salarié de rapporter la preuve de sa véritable qualification ; que la convention collective applicable prévoit que dans un but de promotion, un ouvrier quels que soient son niveau ou sa position peut, à titre occasionnel effectuer certaines tâches du niveau ou de la position supérieurs sa promotion devant intervenir dès qu'il effectue les tâches correspondantes d'une façon habituelle ; que M. [I] verse à la procédure 2 photographies le montrant à son travail sur un échafaudage sans que la nature de ses tâches ne puisse être néanmoins déterminée avec exactitude ; que son employeur verse quant à lui un ensemble de vues prises sur différents chantiers à des dates différentes qui montrent toutes M. [I] au travail pelle ou pioche à la main alors que d'autres salariés au même moment effectuent vraisemblablement des travaux de maçonnerie ; que si M. [I] se prévaut d'une attestation par laquelle l'employeur l'autorise à prendre ses congés d'été et qui lui reconnaît à cette occasion la qualité de maçon, cette mention semble avoir été portée par erreur et en tout état de cause ne peut suffire à démontrer qu'il aurait exercé, de manière habituelle, les fonctions de maçon, ce d'autant plus que l'attestation de fin de contrat qui lui a été délivrée le 7 janvier 2013 (et ce avant la saisine prud'homale) fait quant à elle, bien état de sa qualité de manoeuvre ; qu'il ne justifie pas plus de connaissances acquises par formation ou expérience qui auraient pu le rendre apte à l'exécution sur sa simple initiative de travaux ou en fonction de directives générales ; qu'il convient de rappeler que les premiers juges ont tenu compte à juste titre dans leur décision que M. [I] était analphabète et qu'il n'était pas de ce fait en capacité de lire des instructions, des plans et de rédiger des notes, conditions pourtant exigées pour obtenir le niveau d'ouvrier qualifié ; qu'à défaut pour M. [I] de démontrer qu'il a exercé, de manière habituelle, les fonctions de maçon au sein de l'entreprise, c'est donc à bon droit que le Conseil de prud'hommes l'a débouté de sa demande de requalification de son poste et de rappel de salaire afférent ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE les photographies qu'il produit ne justifient pas cette revendication ; qu'un ouvrier qualifié doit être capable de lire des instructions, des plans et rédiger des notes ; que devant le bureau de conciliation, M. [X] [I] a reconnu être analphabète ;

ALORS, D'UNE PART, QUE pour déterminer la catégorie professionnelle d'un salarié, il appartient au juge du fond de rechercher les fonctions qu'il exerce réellement ; qu'en conséquence, la charge de la preuve des fonctions réellement exercées n'incombe spécialement à aucune partie ; qu'en s'abstenant d'effectuer cette recherche et en se bornant à prendre en compte la qualification qu'a bien voulu lui reconnaître l'employeur, aux motifs que le salarié n'établissait pas accomplir les fonctions qu'il invoquait, la Cour d'appel a fait peser la charge de la preuve de celles-ci exclusivement sur le salarié et a méconnu son office ; que ce faisant, elle a violé les dispositions de la convention collective des ouvriers du bâtiment et des articles L.1221-1 du Code du travail et 1315 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE les dispositions des conventions collectives s'imposent aux juges qui ne peuvent en modifier le sens où ajouter des conditions supplémentaires ; qu'il résulte de la convention collective des ouvriers du bâtiment que le coefficient 150 n'est qu'une " position d'accueil"
correspondant à la qualification d'ouvrier débutant, niveau 1 position 1, le plus bas de la grille, laquelle a pourtant été attribuée à M. [I] pendant 25 ans de relation contractuelle ; que selon la même convention collective, le coefficient 185 désigne les ouvriers "professionnels" qui exécutent des "travaux courants", "à partir de directives générales et sous contrôle ponctuel", "ils possèdent les connaissances techniques de base de leur métier", qu'ils peuvent avoir acquis par "expérience" ; qu'en exigeant en sus de M. [I] qu'il soit en mesure de "lire des instructions des plans et de rédiger des notes", et qu'il ait un statut "d'ouvrier qualifié", conditions et termes qui ne figurent nullement dans la définition conventionnelle, pour pouvoir prétendre au coefficient 185, la Cour d'appel a violé les dispositions de la convention collective des ouvriers du bâtiment et des articles L.1221-1 du Code du travail et 1134 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [I] de sa demande en indemnisation du non-respect par son employeur de son obligation de formation ;

AUX MOTIFS QU'il résulte de l'article L.6321-1 du Code du travail et de l'article 12-6 de la convention collective nationale des ouvriers, que l'employeur doit veiller à l'adaptation des salariés à leur poste de travail, qu'il peut leur proposer des formations participant aux développements de leurs compétences et qu'il doit examiner leur situation individuelle au regard de leur évolution de carrière tous les deux ans ; qu'en l'espèce, la SARL Nicolai verse à la procédure une lettre valant attestation de formation professionnelle de l'APAVE selon laquelle M. [I] aurait satisfait le 17 mai 2011 aux tests de connaissance de montage et d'utilisation d'un échafaudage ; que s'il ne résulte effectivement pas de la procédure qu'elle lui ait proposé d'autres actions de formation ou d'alphabétisation, il doit néanmoins être retenu que les formations visées par l'article L.6321-1 du Code du travail restent une simple faculté et non une obligation pour l'employeur ; que s'agissant de l'examen biennal de situation individuelle de chaque salarié prévu par la convention collective, la SARL Nicolai ne justifie effectivement pas avoir examiné les possibilités d'évolution de carrière de M. [I] tous les deux ans et lui en avoir communiqué individuellement les résultats ; qu'il n'est cependant pas démontré que le respect de cette obligation qui ne tend qu'au seul examen de la situation du salarié et non à la mise en place de formations visant au développement des compétences de celui-ci, aurait à elle seule permis l'évolution du poste et donc de la qualification de M. [I] ; que dès lors, le préjudice allégué tenant à l'absence d'évolution de sa qualification au niveau II coefficient 185 ne peut être considéré ni comme certain, ni comme ayant été directement causé par cette omission ;

ALORS QUE le fait de ne faire bénéficier à son salarié que d'une courte formation "sécurité" de deux journées pendant toute la durée de la relation contractuelle, soit pendant 25 années, établit un manquement de l'employeur à son obligation de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi, lequel cause nécessairement un préjudice au salarié qu'il appartient au juge d'évaluer ; qu'en décidant au contraire que l'article L.6321-1 du Code du travail ne comportait aucune obligation à la charge de l'employeur et qu'en outre le salarié ne justifiait d'aucun préjudice, la Cour d'appel a méconnu la portée des dispositions de ce texte, qu'elle a violé.ECLI:FR:CCASS:2017:SO00639
Retourner en haut de la page