Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 mars 2017, 15-87.415, Inédit
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 mars 2017, 15-87.415, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 15-87.415
- ECLI:FR:CCASS:2017:CR00492
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du mardi 28 mars 2017
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 15 octobre 2015- Président
- M. Guérin (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. [X] [T],
- Mme [T] [U], épouse [Y],
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 15 octobre 2015, qui, les a condamnés à 1 000 euros d'amende, dont 500 euros avec sursis, le premier, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée, la seconde, pour complicité, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 février 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;
Sur le pourvoi formé par Mme [Y] :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
Sur le pourvoi formé par M. [T] :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [T] coupable, en qualité d'auteur, du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en qualité d'auteur pour le propos suivant « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des cinquante-sept pays musulmans de la planète où règne la charia », a prononcé sur les peine et sur les intérêts civils ;
"aux motifs propres que les prévenus ont été relaxés définitivement concernant le premier et le dernier paragraphe poursuivis ; que la partie civile a interjeté appel mais ne sollicite l'infirmation de l'analyse des premiers juges qu'en ce qui concerne le dernier passage poursuivi ; qu'il convient d'apprécier si M. [T] et Mme [Y] ont commis une faute fondée sur la prévention de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ouvrant droit à réparation sur ce passage ; que seul le deuxième passage sera examiné sur l'action pénale ; qu'aucune des parties ne remet en question l'analyse des premiers juges concernant le premier passage, ceux-ci ayant estimé que l'auteur des propos portait un jugement de valeur sur la religion, que même si celui-ci était très négatif et choquant, il n'était pas constitutif d'une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des adeptes de cette religion ; (…) que tout auteur d'une oeuvre fictive n'échappe pas aux restrictions prévues par l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'espèce, Mme [Y] se prévaut du caractère onirique de son propos, s'agissant d'une projection fictive dans un futur imaginaire dans lequel l'islam aurait été interdit en France ; qu'il est toutefois difficile dans l'article incriminé, ne s'agissant ni d'un roman de fiction ni de propos tenus par des personnages fictifs, de différencier ce qui relève de la fiction ou de l'expression même de l'auteur ; que la forme littéraire utilisée ne permet pas de déceler la distance dans le récit avec les phrases en cause ; que les propos ne sont pas non plus exprimés sous la forme humoristique ; qu'en conséquence, rien ne permet au lecteur de comprendre que les propos publiés sous forme de projection hypothétique ne reflètent pas la pensée de leur auteur, faute d'avoir expressément exprimé une réelle distance avec ceux-ci ; qu'ainsi, les prévenus ne peuvent se prévaloir du style onirique invoqué pour échapper à leurs responsabilités ; que Mme [Y] ne peut sérieusement affirmer qu'elle ne vise pas, dans le deuxième paragraphe poursuivi, la totalité des musulmans dans la mesure où elle exclut de l'interdiction ceux qui pourraient pratiquer leur culte de façon privée, alors qu'elle invoque la disparition de toute visibilité de l'islam, soit le voile, le Kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées ; que ces manifestations cultuelles ne concernent pas que les musulmans extrémistes mais l'ensemble de la communauté pratiquante ; qu'elle ne peut soutenir dans ses conclusions qu'ils pourraient exercer librement leur religion chez eux tout en reconnaissant qu'ils doivent prier cinq fois par jour ; que les conditions restrictives qu'elle pose aboutissent effectivement à empêcher toute pratique religieuse de l'islam et à interdire aux musulmans de faire état de leur confession ; que ces propos tendent donc, tant par leur sens que par leurs propos, à susciter un sentiment de rejet, d'hostilité à leur égard, d'autant qu'il est effectivement précisé qu'à défaut de se plier à ces contraintes, ils devraient abdiquer l'islam ou quitter le territoire national pour gagner un des cinquante-sept pays musulmans de la planète ; qu'il convient donc de confirmer les premiers juges en ce qu'ils ont constaté que l'infraction était caractérisée en tous ces éléments s'agissant de ce passage ; (…) que sur l'action civile, Mme [Y] précise que dans le dernier passage, qui n'est remis en cause que par la partie civile, elle ne vise pas tous les musulmans mais les extrémistes qui sont minoritaires et que les termes qu'elle utilise excluent tout amalgame avec l'ensemble des musulmans ; que c'est donc vis-à-vis d'une minorité extrémiste qu'elle encourage le recours à la force et seulement si ces derniers faisaient peser des menaces terroristes ; que c'est en effet par des motifs pertinents que les premiers juges ont constaté que si le dernier paragraphe préconisait l'usage de la violence pour réprimer les manifestations contre cette nouvelle législation, il ne faisait toutefois référence qu'à quelques extrémistes, ce qui ne permet pas de considérer que la totalité de la communauté musulmane soit visée ; que les propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; que la cour confirmera donc les premiers juges en ce qu'ils n'ont pas retenu la responsabilités des prévenus s'agissant du dernier paragraphe ;
"et aux motifs adoptés que l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :
- un caractère public, par l'un des moyens énoncés à l'article 23 ;
- une provocation, c'est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d'incitation manifeste ;
- à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n'exige pas un appel explicite à la commission d'un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d'hostilité ou de rejet ;
- à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé,
- et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, étant précisé que pour caractériser ce délit, il n'est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l'infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la, communauté ainsi définie, mais qu'en revanche, il n'y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n'est pas assimilé ;
- un caractère intentionnel, qui se déduit de, la teneur même des propos et de leur contexte ;
qu'en l'espèce, il faut rappeler au préalable que le caractère public des propos poursuivis ne peut être mis en doute, s'agissant d'un article publié sur un site internet accessible au public ;
que sur ce, trois séries de propos sont poursuivies :
1) « Contentons-nous, d'abord, de faire un rêve. Devant la montée du rejet de l'islam dans la population, nos élus ont mis en place une commission d'enquête parlementaire sur la compatibilité entre l'islam et la République, après celle sur le voile intégral dans la rue. Celle-ci a prouvé que l'islam n'était pas une simple religion mais un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression et le droit de ne pas croire...Nos gouvernants, en toute cohérence, ont alors voté une loi interdisant la pratique de l'islam sur notre sol, la vente du coran et l'enseignement de celui-ci, mais ont garanti, bien entendu, la liberté de croire en Dieu, qu'il s'appelle Allah ou pas » ;
qu'il y a lieu de relever à cet égard que ce passage, aux termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane, a pour objet principal la critique de l'islam en tant que religion ; qu'il est en effet considéré par l'auteur de l'article que cette confession est plus qu'une simple religion, mais constitue un système politique d'essence totalitaire ; que l'article émet ici une opinion sur l'islam extrêmement négative, considérant qu'il s'agit d'une confession dangereuse ; qu'or la seule expression de jugements de valeur portés sur une religion, même très négatifs, ne saurait constituer une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des adeptes de cette religion, un tel délit supposant spécifiquement un acte positif d'incitation au rejet, non d'une religion, mais bien d'un groupe de personnes déterminé ; que, de même, lorsque le texte fait état, dans un futur imaginaire, d'une vote d'une loi interdisant la pratique de l'islam, tout en garantissant la liberté de croire, il faut constater que reste uniquement mise en cause la religion en tant que telle ; qu'au regard de ces éléments, le délit poursuivi n'est pas suffisamment établi s'agissant de ce premier passage ;
2) « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète ou règne la charia » ;
que l'auteur du texte développe ici sa thèse relative à l'interdiction de l'islam dans un futur imaginaire, en précisant son propos de manière beaucoup plus détaillée sur le sort réservé aux musulmans ; qu'après avoir indiqué que les musulmans se trouveront dans un pays où l'islam n'aura plus aucune visibilité, le rédacteur souligne que ceux-ci auront le choix d'abdiquer l'islam ou de le pratiquer de manière totalement privée chez eux sans en faire état, sous peine de devoir quitter le territoire national ; que, quant à ce passage, il faut relever les éléments suivants :
- sont visés ici tous les musulmans, soit la totalité du groupe des personnes pratiquant l'islam présents en France, et ce à l'exclusion de toute autre confession ;
- tous les musulmans sont appelés à ne plus pratiquer leur religion, à défaut de quoi ils devront partir ;
qu'il en résulte que, du seul fait d'être toujours de confession musulmane, les personnes concernées seront appelées à quitter la France ; qu'il ne peut être ici retenu que le membre de phrase laissant la possibilité aux personnes en cause de pratiquer le culte « de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état » enlèverait tout caractère discriminatoire ou haineux aux propos, dans la mesure où :
- les conditions si restrictives ainsi posées abolissent de fait la définition même de ce qu'est un musulman, à savoir un adepte de l'islam ;
- les termes retenus ont non seulement pour effet d'empêcher toute pratique religieuse aux musulmans, mais aboutissent aussi à leur interdire de simplement faire état de leur confession ;
- le système en cause s'applique uniquement aux musulmans, et à la totalité des musulmans, mais pas aux autres religions ;
que par là-même, l'auteur incite de manière manifeste et intentionnelle, même dans le contexte d'une fiction politique, à la discrimination et à la haine contre l'ensemble des musulmans, le propos suscitant un sentiment de rejet et d'hostilité à leur égard, puisqu'ils sont tous appelés à partir du fait de leur religion ; qu'aussi l'infraction est caractérisée en tous ses éléments s'agissant de ce passage ;
3) « Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas. C'est terrible, mais il n'y aura pas d'autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi » ;
que, dans ce dernier propos, l'auteur indique que, dans le cadre de la mise en place du dispositif légal, l'armée sera appelée à intervenir et à faire usage d'armes à feu ; qu'il est indubitable que ce paragraphe préconise l'usage de la violence pour réprimer les manifestations attendues, ce qui peut apparaître particulièrement choquant ; que pour autant, le délit en cause suppose que soit visée la totalité de la communauté musulmane ; qu'or, ce passage fait référence aux « quelques extrémistes », ce qui ne permet pas de considérer qu'est visée la totalité de la communauté musulmane ; que ces propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; qu'au final, M. [T] et Mme [Y] seront déclarés coupables pour un seul des propos poursuivis, en leurs qualités respectives d'auteur et de complice ;
"alors que, par une disposition qui n'était critiquée en cause d'appel ni par le ministère public qui n'avait pas interjeté appel ni même par la partie civile qui ne contestait pas les motifs du jugement à cet égard, le tribunal correctionnel avait définitivement relaxé M. [T] concernant les propos contenus dans la première partie du texte litigieux, aux motifs notamment que celle-ci, aux termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane, avait pour objet principal la critique de l'islam en tant que religion, et que la mention, dans un futur imaginaire, du vote d'une loi interdisant la pratique de l'islam, tout en garantissant la liberté de croire, relevait uniquement de la mise en cause d'une religion en tant que telle ; que la deuxième partie du texte litigieux se bornait à décrire les conséquences d'une telle interdiction en déclinant des formes de pratique de cette religion, à savoir le port de certains attributs vestimentaires (voile, kami), la pratique de certaines règles alimentaires (abattage rituel, boucheries halal), les usages onomastiques (les prénoms musulmans), les lieux de culte (mosquées) ; que les deux premières partie du texte litigieux étaient ainsi sémantiquement indivisibles ; qu'en déclarant néanmoins M. [T] coupable du délit de provocation à la discrimination et à la haine à l'égard des musulmans au titre de la deuxième partie du texte qui se contentait de développer les conséquences logiques de l'adoption d'une loi qui interdirait la pratique publique de l'islam, postulat dont l'énonciation avait été définitivement jugée comme n'excédant pas les limites de la liberté d'expression et ne caractérisant pas le délit poursuivi, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [T] coupable, en qualité d'auteur, du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en qualité d'auteur pour le propos suivant « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète où règne la charia », a prononcé sur les peine et sur les intérêts civils ;
"aux motifs propres que tout auteur d'une oeuvre fictive n'échappe pas aux restrictions prévues par l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'espèce, Mme [Y] se prévaut du caractère onirique de son propos, s'agissant d'une projection fictive dans un futur imaginaire dans lequel l'islam aurait été interdit en France ; qu'il est toutefois difficile dans l'article incriminé, ne s'agissant ni d'un roman de fiction ni de propos tenus par des personnages fictifs, de différencier ce qui relève de la fiction ou de l'expression même de l'auteur ; que la forme littéraire utilisée ne permet pas de déceler la distance dans le récit avec les phrases en cause ; que les propos ne sont pas non plus exprimés sous la forme humoristique ; qu'en conséquence, rien ne permet au lecteur de comprendre que les propos publiés sous forme de projection hypothétique ne reflètent pas la pensée de leur auteur, faute d'avoir expressément exprimé une réelle distance avec ceux-ci ; qu'ainsi, les prévenus ne peuvent se prévaloir du style onirique invoqué pour échapper à leurs responsabilités ; que Mme [Y] ne peut sérieusement affirmer qu'elle ne vise pas, dans le deuxième paragraphe poursuivi, la totalité des musulmans dans la mesure où elle exclut de l'interdiction ceux qui pourraient pratiquer leur culte de façon privée, alors qu'elle invoque la disparition de toute visibilité de l'islam, soit le voile, le Kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées ; que ces manifestations cultuelles ne concernent pas que les musulmans extrémistes mais l'ensemble de la communauté pratiquante ; qu'elle ne peut soutenir dans ses conclusions qu'ils pourraient exercer librement leur religion chez eux tout en reconnaissant qu'ils doivent prier cinq fois par jour ; que les conditions restrictives qu'elle pose aboutissent effectivement à empêcher toute pratique religieuse de l'islam et à interdire aux musulmans de faire état de leur confession ; que ces propos tendent donc, tant par leur sens que par leurs propos, à susciter un sentiment de rejet, d'hostilité à leur égard, d'autant qu'il est effectivement précisé qu'à défaut de se plier à ces contraintes, ils devraient abdiquer l'islam ou quitter le territoire national pour gagner un des cinquante-sept pays musulmans de la planète ; qu'il convient donc de confirmer les premiers juges en ce qu'ils ont constaté que l'infraction était caractérisée en tous ces éléments s'agissant de ce passage ; (…) que sur l'action civile, Mme [Y] précise que dans le dernier passage, qui n'est remis en cause que par la partie civile, elle ne vise pas tous les musulmans mais les extrémistes qui sont minoritaires et que les termes qu'elle utilise excluent tout amalgame avec l'ensemble des musulmans ; que c'est donc vis-à-vis d'une minorité extrémiste qu'elle encourage le recours à la force et seulement si ces derniers faisaient peser des menaces terroristes ; que c'est en effet par des motifs pertinents que les premiers juges ont constaté que si le dernier paragraphe préconisait l'usage de la violence pour réprimer les manifestations contre cette nouvelle législation, il ne faisait toutefois référence qu'à quelques extrémistes, ce qui ne permet pas de considérer que la totalité de la communauté musulmane soit visée ; que les propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; que la cour confirmera donc les premiers juges en ce qu'ils n'ont pas retenu la responsabilités des prévenus s'agissant du dernier paragraphe ;
"et aux motifs adoptés que l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :
- un caractère public, par l'un des moyens énoncés à l'article 23 ;
- une provocation, c'est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d'incitation manifeste ;
- à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n'exige pas un appel explicite à la commission d'un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d'hostilité ou de rejet ;
- à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé,
- et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, étant précisé que pour caractériser ce délit, il n'est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l'infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la, communauté ainsi définie, mais qu'en revanche, il n'y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n'est pas assimilé ;
- un caractère intentionnel, qui se déduit de, la teneur même des propos et de leur contexte ;
qu'en l'espèce, il faut rappeler au préalable que le caractère public des propos poursuivis ne peut être mis en doute, s'agissant d'un article publié sur un site internet accessible au public ;
que sur ce, trois séries de propos sont poursuivies :
1) « Contentons-nous, d'abord, de faire un rêve. Devant la montée du rejet de l'islam dans la population, nos élus ont mis en place une commission d'enquête parlementaire sur la compatibilité entre l'islam et la République, après celle sur le voile intégral dans la rue. Celle-ci a prouvé que l'islam n'était pas une simple religion mais un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression et le droit de ne pas croire...Nos gouvernants, en toute cohérence, ont alors voté une loi interdisant la pratique de l'islam sur notre sol, la vente du coran et l'enseignement de celui-ci, mais ont garanti, bien entendu, la liberté de croire en Dieu, qu'il s'appelle Allah ou pas » ;
qu'il y a lieu de relever à cet égard que ce passage, aux termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane, a pour objet principal la critique de l'islam en tant que religion ; qu'il est en effet considéré par l'auteur de l'article que cette confession est plus qu'une simple religion, mais constitue un système politique d'essence totalitaire ; que l'article émet ici une opinion sur l'islam extrêmement négative, considérant qu'il s'agit d'une confession dangereuse ; qu'or la seule expression de jugements de valeur portés sur une religion, même très négatifs, ne saurait constituer une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des adeptes de cette religion, un tel délit supposant spécifiquement un acte positif d'incitation au rejet, non d'une religion, mais bien d'un groupe de personnes déterminé ; que, de même, lorsque le texte fait état, dans un futur imaginaire, d'une vote d'une loi interdisant la pratique de l'islam, tout en garantissant la liberté de croire, il faut constater que reste uniquement mise en cause la religion en tant que telle ; qu'au regard de ces éléments, le délit poursuivi n'est pas suffisamment établi s'agissant de ce premier passage ;
2) « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète ou règne la charia » ;
que l'auteur du texte développe ici sa thèse relative à l'interdiction de l'islam dans un futur imaginaire, en précisant son propos de manière beaucoup plus détaillée sur le sort réservé aux musulmans ; qu'après avoir indiqué que les musulmans se trouveront dans un pays où l'islam n'aura plus aucune visibilité, le rédacteur souligne que ceux-ci auront le choix d'abdiquer l'islam ou de le pratiquer de manière totalement privée chez eux sans en faire état, sous peine de devoir quitter le territoire national ; que, quant à ce passage, il faut relever les éléments suivants :
- sont visés ici tous les musulmans, soit la totalité du groupe des personnes pratiquant l'islam présents en France, et ce à l'exclusion de toute autre confession ;
- tous les musulmans sont appelés à ne plus pratiquer leur religion, à défaut de quoi ils devront partir ;
qu'il en résulte que, du seul fait d'être toujours de confession musulmane, les personnes concernées seront appelées à quitter la France ;qu'il ne peut être ici retenu que le membre de phrase laissant la possibilité aux personnes en cause de pratiquer le culte « de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état » enlèverait tout caractère discriminatoire ou haineux aux propos, dans la mesure où :
- les conditions si restrictives ainsi posées abolissent de fait la définition même de ce qu'est un musulman, à savoir un adepte de l'islam ;
- les termes retenus ont non seulement pour effet d'empêcher toute pratique religieuse aux musulmans, mais aboutissent aussi à leur interdire de simplement faire état de leur confession ;
- le système en cause s'applique uniquement aux musulmans, et à la totalité des musulmans, mais pas aux autres religions ;
que par là-même, l'auteur incite de manière manifeste et intentionnelle, même dans le contexte d'une fiction politique, à la discrimination et à la haine contre l'ensemble des musulmans, le propos suscitant un sentiment de rejet et d'hostilité à leur égard, puisqu'ils sont tous appelés à partir du fait de leur religion ; qu'aussi l'infraction est caractérisée en tous ses éléments s'agissant de ce passage ;
3) « Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas. C'est terrible, mais il n'y aura pas d'autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi » ;
que, dans ce dernier propos, l'auteur indique que, dans le cadre de la mise en place du dispositif légal, l'armée sera appelée à intervenir et à faire usage d'armes à feu ; qu'il est indubitable que ce paragraphe préconise l'usage de la violence pour réprimer les manifestations attendues, ce qui peut apparaître particulièrement choquant ; que pour autant, le délit en cause suppose que soit visée la totalité de la communauté musulmane ; qu'or, ce passage fait référence aux « quelques extrémistes », ce qui ne permet pas de considérer qu'est visée la totalité de la communauté musulmane ; que ces propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; qu'au final, M. [T] et Mme [Y] seront déclarés coupables pour un seul des propos poursuivis, en leurs qualités respectives d'auteur et de complice ;
"1°) alors que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite ; qu'en écartant toute incidence du style onirique du texte et en retenant que rien ne permettait au lecteur de comprendre que les propos publiés sous forme de projection hypothétique ne reflétaient pas la pensée de leur auteur, faute par celui-ci d'avoir expressément exprimé une réelle distance avec ceux-ci, quand un tel mode d'énonciation induisait nécessairement une prise de distance de l'auteur avec les propos tenus sans que celle-ci eût besoin d'être formulée explicitement, en sorte que de tels propos énoncés sous cette forme ne pouvaient être assimilés à une incitation dépourvue d'équivoque à mettre en oeuvre les mesures d'interdiction incriminées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes et principes susvisés ;
"2°) alors que'en toute hypothèse, la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que des propos portant sur une question d'intérêt général ne peuvent être soumis à des restrictions ou des sanctions que si ces mesures sont strictement nécessaires au regard de ces objectifs ; qu'en l'espèce, les propos incriminés, s'inscrivant dans le sillage de l'interdiction déjà effective en droit positif du port du voile intégral dans l'espace public, et imaginant une interdiction générale de la manifestation publique d'une religion analysée comme un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression et le droit de ne pas croire, participaient, fût-ce de manière polémique, d'un débat d'intérêt général ayant déjà donné lieu à des interventions législatives concernant les limites pouvant être opposées à la visibilité et à la pratique publique d'une religion lorsque certaines de ses expressions sont jugées incompatibles avec les principes démocratiques ou la conception française de la laïcité ; que de tels propos, fussent-ils de nature à heurter, choquer ou inquiéter une partie de l'opinion, ne pouvaient être regardés comme excédant ce qui est raisonnablement acceptable dans une société démocratique ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication, le 1er mars 2013, sur le site www.bvoltaire.com d'un texte intitulé "Que faire des musulmans une fois le Coran interdit ?", le ministère public a fait citer directement devant le tribunal correctionnel M. [T], directeur de publication, et Mme[Y], auteur de ce texte, des chefs de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée et complicité pour les passages suivants : "Contentons-nous, d'abord, de faire un rêve. Devant la montée du rejet de l'islam dans la population, nos élus ont mis en place une commission d'enquête parlementaire sur la compatibilité entre l'islam et la République, après celle Sur le voile intégral dans la rue. Celle-ci a prouvé que l'islam n'était pas une simple religion mais un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale. l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression elle droit de ne pas croire ... Nos gouvernants, en toute cohérence, ont alors voté une loi interdisant la pratique de l'islam sur notre sol la vente du coran et l'enseignement de celui-ci, mais ont garanti, bien entendu, la liberté de croire en Dieu, qu'il s'appelle Allah ou pas. Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel. les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées ... Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète où règne la charia [....] Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas. C'est terrible, mais il n'y aura pas d'autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi" ; que M. [T] et Mme [Y] ont été retenus dans les liens de la prévention en raison des passages visant les musulmans et nés musulmans et renvoyés des fins de la poursuite pour le surplus ; qu'ils ont, seuls, relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient qu'en posant des conditions restrictives, destinés à empêcher les musulmans de pratiquer leur religion, à leur interdire de faire état de leur confession et, à défaut de respecter ces contraintes, à obtenir d'eux qu'ils abjurent ou quittent le territoire national, tendent, par leur sens et leur portée, à susciter un sentiment de rejet à leur égard ; que les juges ajoutent que, la forme littéraire utilisée ne permettant pas de déceler la distance entre ce qui est écrit et la pensée de l'auteur, rien ne conduit à comprendre que le texte publié sous forme hypothétique, qui n'échappe pas aux restrictions prévues par l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne reflète pas la pensée de celle qui l'a écrit ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, qui répondaient aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'elle a relevé, à bon droit, que la publication d'un texte visant les musulmans et décrivant la situation, rêvée par l'auteur selon le passage qui le précède, d'un Etat où serait proscrite la pratique publique de leur religion et expulsés du territoire national ceux qui ne respecteraient pas cette prescription, constituait le délit prévu par l'article 24, alinéa 8, devenu l'alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 et que l'exercice de la liberté d'expression, proclamée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, peut être soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l'espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la protection des droits d'autrui ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés :
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2017:CR00492
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. [X] [T],
- Mme [T] [U], épouse [Y],
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 15 octobre 2015, qui, les a condamnés à 1 000 euros d'amende, dont 500 euros avec sursis, le premier, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée, la seconde, pour complicité, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 février 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;
Sur le pourvoi formé par Mme [Y] :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
Sur le pourvoi formé par M. [T] :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [T] coupable, en qualité d'auteur, du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en qualité d'auteur pour le propos suivant « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des cinquante-sept pays musulmans de la planète où règne la charia », a prononcé sur les peine et sur les intérêts civils ;
"aux motifs propres que les prévenus ont été relaxés définitivement concernant le premier et le dernier paragraphe poursuivis ; que la partie civile a interjeté appel mais ne sollicite l'infirmation de l'analyse des premiers juges qu'en ce qui concerne le dernier passage poursuivi ; qu'il convient d'apprécier si M. [T] et Mme [Y] ont commis une faute fondée sur la prévention de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ouvrant droit à réparation sur ce passage ; que seul le deuxième passage sera examiné sur l'action pénale ; qu'aucune des parties ne remet en question l'analyse des premiers juges concernant le premier passage, ceux-ci ayant estimé que l'auteur des propos portait un jugement de valeur sur la religion, que même si celui-ci était très négatif et choquant, il n'était pas constitutif d'une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des adeptes de cette religion ; (…) que tout auteur d'une oeuvre fictive n'échappe pas aux restrictions prévues par l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'espèce, Mme [Y] se prévaut du caractère onirique de son propos, s'agissant d'une projection fictive dans un futur imaginaire dans lequel l'islam aurait été interdit en France ; qu'il est toutefois difficile dans l'article incriminé, ne s'agissant ni d'un roman de fiction ni de propos tenus par des personnages fictifs, de différencier ce qui relève de la fiction ou de l'expression même de l'auteur ; que la forme littéraire utilisée ne permet pas de déceler la distance dans le récit avec les phrases en cause ; que les propos ne sont pas non plus exprimés sous la forme humoristique ; qu'en conséquence, rien ne permet au lecteur de comprendre que les propos publiés sous forme de projection hypothétique ne reflètent pas la pensée de leur auteur, faute d'avoir expressément exprimé une réelle distance avec ceux-ci ; qu'ainsi, les prévenus ne peuvent se prévaloir du style onirique invoqué pour échapper à leurs responsabilités ; que Mme [Y] ne peut sérieusement affirmer qu'elle ne vise pas, dans le deuxième paragraphe poursuivi, la totalité des musulmans dans la mesure où elle exclut de l'interdiction ceux qui pourraient pratiquer leur culte de façon privée, alors qu'elle invoque la disparition de toute visibilité de l'islam, soit le voile, le Kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées ; que ces manifestations cultuelles ne concernent pas que les musulmans extrémistes mais l'ensemble de la communauté pratiquante ; qu'elle ne peut soutenir dans ses conclusions qu'ils pourraient exercer librement leur religion chez eux tout en reconnaissant qu'ils doivent prier cinq fois par jour ; que les conditions restrictives qu'elle pose aboutissent effectivement à empêcher toute pratique religieuse de l'islam et à interdire aux musulmans de faire état de leur confession ; que ces propos tendent donc, tant par leur sens que par leurs propos, à susciter un sentiment de rejet, d'hostilité à leur égard, d'autant qu'il est effectivement précisé qu'à défaut de se plier à ces contraintes, ils devraient abdiquer l'islam ou quitter le territoire national pour gagner un des cinquante-sept pays musulmans de la planète ; qu'il convient donc de confirmer les premiers juges en ce qu'ils ont constaté que l'infraction était caractérisée en tous ces éléments s'agissant de ce passage ; (…) que sur l'action civile, Mme [Y] précise que dans le dernier passage, qui n'est remis en cause que par la partie civile, elle ne vise pas tous les musulmans mais les extrémistes qui sont minoritaires et que les termes qu'elle utilise excluent tout amalgame avec l'ensemble des musulmans ; que c'est donc vis-à-vis d'une minorité extrémiste qu'elle encourage le recours à la force et seulement si ces derniers faisaient peser des menaces terroristes ; que c'est en effet par des motifs pertinents que les premiers juges ont constaté que si le dernier paragraphe préconisait l'usage de la violence pour réprimer les manifestations contre cette nouvelle législation, il ne faisait toutefois référence qu'à quelques extrémistes, ce qui ne permet pas de considérer que la totalité de la communauté musulmane soit visée ; que les propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; que la cour confirmera donc les premiers juges en ce qu'ils n'ont pas retenu la responsabilités des prévenus s'agissant du dernier paragraphe ;
"et aux motifs adoptés que l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :
- un caractère public, par l'un des moyens énoncés à l'article 23 ;
- une provocation, c'est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d'incitation manifeste ;
- à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n'exige pas un appel explicite à la commission d'un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d'hostilité ou de rejet ;
- à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé,
- et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, étant précisé que pour caractériser ce délit, il n'est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l'infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la, communauté ainsi définie, mais qu'en revanche, il n'y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n'est pas assimilé ;
- un caractère intentionnel, qui se déduit de, la teneur même des propos et de leur contexte ;
qu'en l'espèce, il faut rappeler au préalable que le caractère public des propos poursuivis ne peut être mis en doute, s'agissant d'un article publié sur un site internet accessible au public ;
que sur ce, trois séries de propos sont poursuivies :
1) « Contentons-nous, d'abord, de faire un rêve. Devant la montée du rejet de l'islam dans la population, nos élus ont mis en place une commission d'enquête parlementaire sur la compatibilité entre l'islam et la République, après celle sur le voile intégral dans la rue. Celle-ci a prouvé que l'islam n'était pas une simple religion mais un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression et le droit de ne pas croire...Nos gouvernants, en toute cohérence, ont alors voté une loi interdisant la pratique de l'islam sur notre sol, la vente du coran et l'enseignement de celui-ci, mais ont garanti, bien entendu, la liberté de croire en Dieu, qu'il s'appelle Allah ou pas » ;
qu'il y a lieu de relever à cet égard que ce passage, aux termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane, a pour objet principal la critique de l'islam en tant que religion ; qu'il est en effet considéré par l'auteur de l'article que cette confession est plus qu'une simple religion, mais constitue un système politique d'essence totalitaire ; que l'article émet ici une opinion sur l'islam extrêmement négative, considérant qu'il s'agit d'une confession dangereuse ; qu'or la seule expression de jugements de valeur portés sur une religion, même très négatifs, ne saurait constituer une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des adeptes de cette religion, un tel délit supposant spécifiquement un acte positif d'incitation au rejet, non d'une religion, mais bien d'un groupe de personnes déterminé ; que, de même, lorsque le texte fait état, dans un futur imaginaire, d'une vote d'une loi interdisant la pratique de l'islam, tout en garantissant la liberté de croire, il faut constater que reste uniquement mise en cause la religion en tant que telle ; qu'au regard de ces éléments, le délit poursuivi n'est pas suffisamment établi s'agissant de ce premier passage ;
2) « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète ou règne la charia » ;
que l'auteur du texte développe ici sa thèse relative à l'interdiction de l'islam dans un futur imaginaire, en précisant son propos de manière beaucoup plus détaillée sur le sort réservé aux musulmans ; qu'après avoir indiqué que les musulmans se trouveront dans un pays où l'islam n'aura plus aucune visibilité, le rédacteur souligne que ceux-ci auront le choix d'abdiquer l'islam ou de le pratiquer de manière totalement privée chez eux sans en faire état, sous peine de devoir quitter le territoire national ; que, quant à ce passage, il faut relever les éléments suivants :
- sont visés ici tous les musulmans, soit la totalité du groupe des personnes pratiquant l'islam présents en France, et ce à l'exclusion de toute autre confession ;
- tous les musulmans sont appelés à ne plus pratiquer leur religion, à défaut de quoi ils devront partir ;
qu'il en résulte que, du seul fait d'être toujours de confession musulmane, les personnes concernées seront appelées à quitter la France ; qu'il ne peut être ici retenu que le membre de phrase laissant la possibilité aux personnes en cause de pratiquer le culte « de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état » enlèverait tout caractère discriminatoire ou haineux aux propos, dans la mesure où :
- les conditions si restrictives ainsi posées abolissent de fait la définition même de ce qu'est un musulman, à savoir un adepte de l'islam ;
- les termes retenus ont non seulement pour effet d'empêcher toute pratique religieuse aux musulmans, mais aboutissent aussi à leur interdire de simplement faire état de leur confession ;
- le système en cause s'applique uniquement aux musulmans, et à la totalité des musulmans, mais pas aux autres religions ;
que par là-même, l'auteur incite de manière manifeste et intentionnelle, même dans le contexte d'une fiction politique, à la discrimination et à la haine contre l'ensemble des musulmans, le propos suscitant un sentiment de rejet et d'hostilité à leur égard, puisqu'ils sont tous appelés à partir du fait de leur religion ; qu'aussi l'infraction est caractérisée en tous ses éléments s'agissant de ce passage ;
3) « Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas. C'est terrible, mais il n'y aura pas d'autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi » ;
que, dans ce dernier propos, l'auteur indique que, dans le cadre de la mise en place du dispositif légal, l'armée sera appelée à intervenir et à faire usage d'armes à feu ; qu'il est indubitable que ce paragraphe préconise l'usage de la violence pour réprimer les manifestations attendues, ce qui peut apparaître particulièrement choquant ; que pour autant, le délit en cause suppose que soit visée la totalité de la communauté musulmane ; qu'or, ce passage fait référence aux « quelques extrémistes », ce qui ne permet pas de considérer qu'est visée la totalité de la communauté musulmane ; que ces propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; qu'au final, M. [T] et Mme [Y] seront déclarés coupables pour un seul des propos poursuivis, en leurs qualités respectives d'auteur et de complice ;
"alors que, par une disposition qui n'était critiquée en cause d'appel ni par le ministère public qui n'avait pas interjeté appel ni même par la partie civile qui ne contestait pas les motifs du jugement à cet égard, le tribunal correctionnel avait définitivement relaxé M. [T] concernant les propos contenus dans la première partie du texte litigieux, aux motifs notamment que celle-ci, aux termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane, avait pour objet principal la critique de l'islam en tant que religion, et que la mention, dans un futur imaginaire, du vote d'une loi interdisant la pratique de l'islam, tout en garantissant la liberté de croire, relevait uniquement de la mise en cause d'une religion en tant que telle ; que la deuxième partie du texte litigieux se bornait à décrire les conséquences d'une telle interdiction en déclinant des formes de pratique de cette religion, à savoir le port de certains attributs vestimentaires (voile, kami), la pratique de certaines règles alimentaires (abattage rituel, boucheries halal), les usages onomastiques (les prénoms musulmans), les lieux de culte (mosquées) ; que les deux premières partie du texte litigieux étaient ainsi sémantiquement indivisibles ; qu'en déclarant néanmoins M. [T] coupable du délit de provocation à la discrimination et à la haine à l'égard des musulmans au titre de la deuxième partie du texte qui se contentait de développer les conséquences logiques de l'adoption d'une loi qui interdirait la pratique publique de l'islam, postulat dont l'énonciation avait été définitivement jugée comme n'excédant pas les limites de la liberté d'expression et ne caractérisant pas le délit poursuivi, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [T] coupable, en qualité d'auteur, du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en qualité d'auteur pour le propos suivant « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète où règne la charia », a prononcé sur les peine et sur les intérêts civils ;
"aux motifs propres que tout auteur d'une oeuvre fictive n'échappe pas aux restrictions prévues par l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'espèce, Mme [Y] se prévaut du caractère onirique de son propos, s'agissant d'une projection fictive dans un futur imaginaire dans lequel l'islam aurait été interdit en France ; qu'il est toutefois difficile dans l'article incriminé, ne s'agissant ni d'un roman de fiction ni de propos tenus par des personnages fictifs, de différencier ce qui relève de la fiction ou de l'expression même de l'auteur ; que la forme littéraire utilisée ne permet pas de déceler la distance dans le récit avec les phrases en cause ; que les propos ne sont pas non plus exprimés sous la forme humoristique ; qu'en conséquence, rien ne permet au lecteur de comprendre que les propos publiés sous forme de projection hypothétique ne reflètent pas la pensée de leur auteur, faute d'avoir expressément exprimé une réelle distance avec ceux-ci ; qu'ainsi, les prévenus ne peuvent se prévaloir du style onirique invoqué pour échapper à leurs responsabilités ; que Mme [Y] ne peut sérieusement affirmer qu'elle ne vise pas, dans le deuxième paragraphe poursuivi, la totalité des musulmans dans la mesure où elle exclut de l'interdiction ceux qui pourraient pratiquer leur culte de façon privée, alors qu'elle invoque la disparition de toute visibilité de l'islam, soit le voile, le Kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées ; que ces manifestations cultuelles ne concernent pas que les musulmans extrémistes mais l'ensemble de la communauté pratiquante ; qu'elle ne peut soutenir dans ses conclusions qu'ils pourraient exercer librement leur religion chez eux tout en reconnaissant qu'ils doivent prier cinq fois par jour ; que les conditions restrictives qu'elle pose aboutissent effectivement à empêcher toute pratique religieuse de l'islam et à interdire aux musulmans de faire état de leur confession ; que ces propos tendent donc, tant par leur sens que par leurs propos, à susciter un sentiment de rejet, d'hostilité à leur égard, d'autant qu'il est effectivement précisé qu'à défaut de se plier à ces contraintes, ils devraient abdiquer l'islam ou quitter le territoire national pour gagner un des cinquante-sept pays musulmans de la planète ; qu'il convient donc de confirmer les premiers juges en ce qu'ils ont constaté que l'infraction était caractérisée en tous ces éléments s'agissant de ce passage ; (…) que sur l'action civile, Mme [Y] précise que dans le dernier passage, qui n'est remis en cause que par la partie civile, elle ne vise pas tous les musulmans mais les extrémistes qui sont minoritaires et que les termes qu'elle utilise excluent tout amalgame avec l'ensemble des musulmans ; que c'est donc vis-à-vis d'une minorité extrémiste qu'elle encourage le recours à la force et seulement si ces derniers faisaient peser des menaces terroristes ; que c'est en effet par des motifs pertinents que les premiers juges ont constaté que si le dernier paragraphe préconisait l'usage de la violence pour réprimer les manifestations contre cette nouvelle législation, il ne faisait toutefois référence qu'à quelques extrémistes, ce qui ne permet pas de considérer que la totalité de la communauté musulmane soit visée ; que les propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; que la cour confirmera donc les premiers juges en ce qu'ils n'ont pas retenu la responsabilités des prévenus s'agissant du dernier paragraphe ;
"et aux motifs adoptés que l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :
- un caractère public, par l'un des moyens énoncés à l'article 23 ;
- une provocation, c'est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d'incitation manifeste ;
- à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n'exige pas un appel explicite à la commission d'un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d'hostilité ou de rejet ;
- à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé,
- et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, étant précisé que pour caractériser ce délit, il n'est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l'infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la, communauté ainsi définie, mais qu'en revanche, il n'y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n'est pas assimilé ;
- un caractère intentionnel, qui se déduit de, la teneur même des propos et de leur contexte ;
qu'en l'espèce, il faut rappeler au préalable que le caractère public des propos poursuivis ne peut être mis en doute, s'agissant d'un article publié sur un site internet accessible au public ;
que sur ce, trois séries de propos sont poursuivies :
1) « Contentons-nous, d'abord, de faire un rêve. Devant la montée du rejet de l'islam dans la population, nos élus ont mis en place une commission d'enquête parlementaire sur la compatibilité entre l'islam et la République, après celle sur le voile intégral dans la rue. Celle-ci a prouvé que l'islam n'était pas une simple religion mais un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression et le droit de ne pas croire...Nos gouvernants, en toute cohérence, ont alors voté une loi interdisant la pratique de l'islam sur notre sol, la vente du coran et l'enseignement de celui-ci, mais ont garanti, bien entendu, la liberté de croire en Dieu, qu'il s'appelle Allah ou pas » ;
qu'il y a lieu de relever à cet égard que ce passage, aux termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane, a pour objet principal la critique de l'islam en tant que religion ; qu'il est en effet considéré par l'auteur de l'article que cette confession est plus qu'une simple religion, mais constitue un système politique d'essence totalitaire ; que l'article émet ici une opinion sur l'islam extrêmement négative, considérant qu'il s'agit d'une confession dangereuse ; qu'or la seule expression de jugements de valeur portés sur une religion, même très négatifs, ne saurait constituer une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des adeptes de cette religion, un tel délit supposant spécifiquement un acte positif d'incitation au rejet, non d'une religion, mais bien d'un groupe de personnes déterminé ; que, de même, lorsque le texte fait état, dans un futur imaginaire, d'une vote d'une loi interdisant la pratique de l'islam, tout en garantissant la liberté de croire, il faut constater que reste uniquement mise en cause la religion en tant que telle ; qu'au regard de ces éléments, le délit poursuivi n'est pas suffisamment établi s'agissant de ce premier passage ;
2) « Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète ou règne la charia » ;
que l'auteur du texte développe ici sa thèse relative à l'interdiction de l'islam dans un futur imaginaire, en précisant son propos de manière beaucoup plus détaillée sur le sort réservé aux musulmans ; qu'après avoir indiqué que les musulmans se trouveront dans un pays où l'islam n'aura plus aucune visibilité, le rédacteur souligne que ceux-ci auront le choix d'abdiquer l'islam ou de le pratiquer de manière totalement privée chez eux sans en faire état, sous peine de devoir quitter le territoire national ; que, quant à ce passage, il faut relever les éléments suivants :
- sont visés ici tous les musulmans, soit la totalité du groupe des personnes pratiquant l'islam présents en France, et ce à l'exclusion de toute autre confession ;
- tous les musulmans sont appelés à ne plus pratiquer leur religion, à défaut de quoi ils devront partir ;
qu'il en résulte que, du seul fait d'être toujours de confession musulmane, les personnes concernées seront appelées à quitter la France ;qu'il ne peut être ici retenu que le membre de phrase laissant la possibilité aux personnes en cause de pratiquer le culte « de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état » enlèverait tout caractère discriminatoire ou haineux aux propos, dans la mesure où :
- les conditions si restrictives ainsi posées abolissent de fait la définition même de ce qu'est un musulman, à savoir un adepte de l'islam ;
- les termes retenus ont non seulement pour effet d'empêcher toute pratique religieuse aux musulmans, mais aboutissent aussi à leur interdire de simplement faire état de leur confession ;
- le système en cause s'applique uniquement aux musulmans, et à la totalité des musulmans, mais pas aux autres religions ;
que par là-même, l'auteur incite de manière manifeste et intentionnelle, même dans le contexte d'une fiction politique, à la discrimination et à la haine contre l'ensemble des musulmans, le propos suscitant un sentiment de rejet et d'hostilité à leur égard, puisqu'ils sont tous appelés à partir du fait de leur religion ; qu'aussi l'infraction est caractérisée en tous ses éléments s'agissant de ce passage ;
3) « Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas. C'est terrible, mais il n'y aura pas d'autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi » ;
que, dans ce dernier propos, l'auteur indique que, dans le cadre de la mise en place du dispositif légal, l'armée sera appelée à intervenir et à faire usage d'armes à feu ; qu'il est indubitable que ce paragraphe préconise l'usage de la violence pour réprimer les manifestations attendues, ce qui peut apparaître particulièrement choquant ; que pour autant, le délit en cause suppose que soit visée la totalité de la communauté musulmane ; qu'or, ce passage fait référence aux « quelques extrémistes », ce qui ne permet pas de considérer qu'est visée la totalité de la communauté musulmane ; que ces propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l'infraction poursuivie ; qu'au final, M. [T] et Mme [Y] seront déclarés coupables pour un seul des propos poursuivis, en leurs qualités respectives d'auteur et de complice ;
"1°) alors que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite ; qu'en écartant toute incidence du style onirique du texte et en retenant que rien ne permettait au lecteur de comprendre que les propos publiés sous forme de projection hypothétique ne reflétaient pas la pensée de leur auteur, faute par celui-ci d'avoir expressément exprimé une réelle distance avec ceux-ci, quand un tel mode d'énonciation induisait nécessairement une prise de distance de l'auteur avec les propos tenus sans que celle-ci eût besoin d'être formulée explicitement, en sorte que de tels propos énoncés sous cette forme ne pouvaient être assimilés à une incitation dépourvue d'équivoque à mettre en oeuvre les mesures d'interdiction incriminées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes et principes susvisés ;
"2°) alors que'en toute hypothèse, la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que des propos portant sur une question d'intérêt général ne peuvent être soumis à des restrictions ou des sanctions que si ces mesures sont strictement nécessaires au regard de ces objectifs ; qu'en l'espèce, les propos incriminés, s'inscrivant dans le sillage de l'interdiction déjà effective en droit positif du port du voile intégral dans l'espace public, et imaginant une interdiction générale de la manifestation publique d'une religion analysée comme un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression et le droit de ne pas croire, participaient, fût-ce de manière polémique, d'un débat d'intérêt général ayant déjà donné lieu à des interventions législatives concernant les limites pouvant être opposées à la visibilité et à la pratique publique d'une religion lorsque certaines de ses expressions sont jugées incompatibles avec les principes démocratiques ou la conception française de la laïcité ; que de tels propos, fussent-ils de nature à heurter, choquer ou inquiéter une partie de l'opinion, ne pouvaient être regardés comme excédant ce qui est raisonnablement acceptable dans une société démocratique ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication, le 1er mars 2013, sur le site www.bvoltaire.com d'un texte intitulé "Que faire des musulmans une fois le Coran interdit ?", le ministère public a fait citer directement devant le tribunal correctionnel M. [T], directeur de publication, et Mme[Y], auteur de ce texte, des chefs de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée et complicité pour les passages suivants : "Contentons-nous, d'abord, de faire un rêve. Devant la montée du rejet de l'islam dans la population, nos élus ont mis en place une commission d'enquête parlementaire sur la compatibilité entre l'islam et la République, après celle Sur le voile intégral dans la rue. Celle-ci a prouvé que l'islam n'était pas une simple religion mais un système politique d'essence totalitaire mettant en danger la démocratie, la cohésion nationale. l'égalité hommes-femmes, la liberté d'expression elle droit de ne pas croire ... Nos gouvernants, en toute cohérence, ont alors voté une loi interdisant la pratique de l'islam sur notre sol la vente du coran et l'enseignement de celui-ci, mais ont garanti, bien entendu, la liberté de croire en Dieu, qu'il s'appelle Allah ou pas. Les musulmans, qu'ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kami, l'abattage rituel. les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées ... Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète où règne la charia [....] Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas. C'est terrible, mais il n'y aura pas d'autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi" ; que M. [T] et Mme [Y] ont été retenus dans les liens de la prévention en raison des passages visant les musulmans et nés musulmans et renvoyés des fins de la poursuite pour le surplus ; qu'ils ont, seuls, relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient qu'en posant des conditions restrictives, destinés à empêcher les musulmans de pratiquer leur religion, à leur interdire de faire état de leur confession et, à défaut de respecter ces contraintes, à obtenir d'eux qu'ils abjurent ou quittent le territoire national, tendent, par leur sens et leur portée, à susciter un sentiment de rejet à leur égard ; que les juges ajoutent que, la forme littéraire utilisée ne permettant pas de déceler la distance entre ce qui est écrit et la pensée de l'auteur, rien ne conduit à comprendre que le texte publié sous forme hypothétique, qui n'échappe pas aux restrictions prévues par l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne reflète pas la pensée de celle qui l'a écrit ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, qui répondaient aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'elle a relevé, à bon droit, que la publication d'un texte visant les musulmans et décrivant la situation, rêvée par l'auteur selon le passage qui le précède, d'un Etat où serait proscrite la pratique publique de leur religion et expulsés du territoire national ceux qui ne respecteraient pas cette prescription, constituait le délit prévu par l'article 24, alinéa 8, devenu l'alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 et que l'exercice de la liberté d'expression, proclamée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, peut être soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l'espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la protection des droits d'autrui ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés :
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.