Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 15 mars 2017, 15-20.115, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le contrat d'agence commerciale ayant lié la société Terres réfractaires du Boulonnais (la société TRB) à M. [Q] étant arrivé à son terme, celui-ci a assigné la mandante en paiement de diverses sommes et d'une indemnité de rupture ;

Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens réunis :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article L. 134-12 du code de commerce ;

Attendu que pour rejeter la demande d'indemnité de cessation de contrat formée par M. [Q], l'arrêt, après avoir constaté que celui-ci avait saisi, dans le délai d'un an à compter de cette cessation, la commission de conciliation des litiges individuels et collectifs du travail de Pise d'une demande fondée sur la réparation des préjudices résultant de la résiliation du contrat, retient qu'en France, les demandes présentées devant le conseil de prud'hommes, qui sont fondées sur l'existence d'un prétendu contrat de travail, ne valent pas notification d'une réclamation au titre d'une indemnité de rupture d'un contrat d'agence commerciale et qu'il en est de même de la saisine de la commission de conciliation de la juridiction du travail italienne, de sorte que M. [Q] est déchu de son droit à indemnité ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors que la notification prévue à l'article L. 134-12, alinéa 2, du code de commerce, qui doit manifester l'intention non équivoque de l'agent de faire valoir ses droits à réparation, n'est soumise à aucun formalisme particulier, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'acte de saisine de la juridiction italienne du travail invoqué par M. [Q] au titre de cette notification ne contenait pas une telle manifestation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande d'indemnité de cessation de contrat de M. [Q], statue sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu le 16 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne la société Terres réfractaires du Boulonnais aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. [Q] la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille dix-sept.MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [Q]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure EN CE QU'il a débouté M. [Q] de sa demande de payement de l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce ;

AUX MOTIFS QUE « l'article L. 134-12 du code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf, ajoute l'article L. 134-13, faute grave de l'agent commercial ou cessation du contrat résultant de son initiative, à moins que celle-ci ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ; qu'en toute hypothèse, l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; que M. [Q] demande 487 599,77 euros au titre de cette indemnité ; que TRB fait valoir en premier lieu que M. [Q] est déchu de son droit à solliciter cette indemnité pour ne pas avoir notifié dans le délai d'un an qu'il entendait faire valoir ses droits ; que la lettre du 25 septembre n'est pas une lettre de résiliation du contrat puisque le mandant se contente de rappeler que le contrat d'agence vient à échéance le 31 décembre 2005, demande à M. [Q] s'il entend poursuivre cette relation qui compte tenu des difficultés rencontrées serait à définir strictement et dont le renouvellement est subordonné à la résolution des litiges opposant TRB aux sociétés BSM et Raco Refrattari qui sont débitrices, ensemble, de près de 300 000 euros ; que M. [Q] ne l'a d'ailleurs pas considéré comme une lettre de rupture puisqu'il confirmait dans sa réponse son intérêt à poursuivre la collaboration ; que les relations contractuelles ayant été interrompues au plus tard le 31 décembre 2005, la demande devait être présentée avant le 31 décembre 2006 ; que M. [Q] expose qu'il a saisi dès le 14 juin 2006 la commission de conciliation des litiges individuels et collectifs du travail à Pise d'une demande fondée sur le défaut de payement des commissions, la résiliation irrégulière du contrat et en réparation des préjudices en résultant ; qu'en France, les demandes présentées devant le conseil des prud'hommes fondées sur l'existence d'un prétendu contrat de travail ne valent pas notification d'une réclamation au titre d'une indemnité compensatrice de rupture d'un contrat d'agent commercial ; qu'il en est de même de la saisine de la commission de conciliation de la juridiction du travail italienne ; que par la suite, M. [Q] a saisi le tribunal de Pise, section du travail, le 28 avril 2008, d'une requête en payement de factures et sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de rupture n'a été présentée que le 21 mai 2011 ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il dit M. [Q] déchu de son droit de solliciter une indemnité compensatrice ; » (arrêt, pp. 44-5) ;

AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « il résulte de l'article L. 134-12 du code de commerce que sauf faute grave, l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; que cette indemnité vise à compenser la perte de commissions liées à l'exploitation d'une clientèle appartenant à autrui ; que selon le 2ème alinéa de l'article L. 134-12 du code de commerce, l'agent commercial perd le droit à l'indemnité compensatrice due en cas de cessation de ses relations avec le mandant s'il n'a pas notifié à ce dernier, dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits le point de départ du délai de déchéance correspond à la date de la cessation effective des relations contractuelles ; que la cessation du contrat d'agent commercial ouvre droit à l'indemnité prévue à l'article précité qu'il s'agisse d'un contrat à durée déterminée ou indéterminée ; que monsieur [Z] [Q] qui ne justifie pas d'une réclamation dans l'année suivant la cessation du contrat du 2 janvier 1996 est déchu de son droit à indemnité compensatrice sera débouté de sa demande à ce titre » (jugement, p. 7) ;

ALORS QUE l'agent commercial est déchu de son droit à réparation du préjudice tiré de la cessation du contrat d'agent commercial, s'il n'a pas notifié à son mandant, dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, son intention de faire valoir ses droits ; qu'il y a notification lorsque l'agent a manifesté son intention de faire valoir ses droits, peu importe la forme de la notification ; qu'en s'attachant à la qualification procédurale de la notification invoquée par M. [Q] – en l'espèce la saisine d'une juridiction italienne du travail – quand seul devait être pris en compte le contenu de l'acte de saisine, les juges du fond ont violé l'article L. 134-12 du code de commerce.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure EN CE QU'il a débouté M. [Q] de sa demande de payement de commissions au titre des contrats conclus avec les sociétés Raco reffrati et BSM ;

AUX MOTIFS QUE « M. [Q] demande 12 168,39 euros ai titre des commissions sur les factures BSM et 2231,97 au titre des commissions sur les factures Raco refratti ; qu'il est constant que ces factures n'ont pas été honorées par ces sociétés qui sont en litige avec TRB ; que M. [Q] soutient que le défaut de payement a été causé par faute de TRB dont il ne saurait porter la responsabilité ; que quoi qu'il en soit de ce point, le contrat d'agence prévoit en son article 5 : « Aucune commission n'est due lorsque la vente n'a pas été réalisée pour une raison quelconque ou a été annulée à quelque moment que ce soit et pour quelque cause que ce soit. De même aucune commission n'est due sur la partie impayée des factures émises. » ; qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté ce chef de demande » (arrêt, pp. 5 & 6) ;

ALORS QUE, premièrement, M. [Q] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'article 5 du contrat relatif au payement de la commission de l'agent en cas de non-payement par le client de la facture devait être interprété par rapprochement avec les dispositions de l'article 4 du contrat imposant au mandant une bonne exécution des commandes, de sorte à priver d'effet l'article 5 du contrat lorsque les obligations prévues par l'article 4 de celui-ci n'ont pas été correctement exécutées ; qu'en opposant l'article 5 du contrat à la demande de payement de commissions sans procéder à son rapprochement avec l'article 4 du contrat, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;

ALORS QUE, deuxièmement, le payement de la commission de l'agent commercial et la bonne exécution du contrat conclu grâce à lui sont des obligations essentielles pour le mandant ; qu'une clause écartant le droit à payement de la commission dans l'hypothèse où le client n'a pas payé la facture doit être réputée non-écrite comme contrevenant à cette obligation essentielle du mandant, lorsque le non-payement de la facture est dû à la faute de ce dernier ; qu'en opposant à M. [Q] l'article 5 du contrat au motif du non-payement des factures Raco refratti et BSM, sans rechercher si dans l'hypothèse de non-payement des factures suite à une faute de la société TRB, l'article 5 ne devait pas être réputé non-écrit, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure EN CE QU'il a condamné la société TRB à payer à M. [Q] la somme de 43 231 euros au titre des commissions pour l'année 2006 en application d'un taux de commission de 5 % ;

AUX MOTIFS QUE « M. [Q] sollicite payement des sommes qu'il aurait dû percevoir au titre des commissions pour l'année 2006 en invoquant l'article L. 134-7 du code de commerce qui dispose que pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence ; que la société TRB affirme qu'au départ de M. [Q] il n'y avait pas d'opération en cours ; que celui-ci invoque le grand livre journal communiqué par TRB ; que celle-ci fait observer que ce grand livre concerne l'ensemble des clients étrangers et que M. [Q] n'établit pas la réalité des commandes passées grâce à son activité ; que toutefois, l'examen du grand libre journal révèle que seule la société clairement identifiée comme italienne, Ilva laminati piani SpA (basée à Tarente) a généré en 2006 un chiffre d'affaires de 864 620 euros, souvent pour des montants mensuels identiques de sorte que l'on peut en déduire qu'il s'agit de commandes en renouvellement ; que les factures acquittées par cette société doivent être considérées comme découlant de l'activité de l'agent commercial qui aurait dû percevoir une commission de 5 %, de sorte qu'une somme de 43 231 euros lui est due à ce titre ; » (arrêt, p. 5) ;

ALORS QUE l'article 5 alinéa 1 du contrat d'agent commercial dispose « TRB versera à l'agent au titre du présent contrat une commission égale à 10 % du prix nu départ usine, hors taxe et déduction faite de tous rabais et escomptes, des produits figurant à l'annexe A vendus par TRB auprès des sites sidérurgiques de Tarente (ILVA) et Cornigliano, et correspondant à une commande transmise par lui pendant la durée du présent contrat » ; qu'en faisant application d'un taux de commission de 5 %, quand par une stipulation claire et précise du contrat fixait ce taux à 10 %, les juges du fond ont dénaturé l'article 5 alinéa 1 du contrat d'agent commercial, en violation de l'article 1134 du code civil.

QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure EN CE QU'il a débouté M. [Q] de sa demande de payement de commissions au titre des contrats conclus avec la société RSI ;

AUX MOTIFS QUE « M. [Q] sollicite payement des sommes qu'il aurait dû percevoir au titre des commissions pour l'année 2006 en invoquant l'article L. 134-7 du code de commerce qui dispose que pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence ; que la société TRB affirme qu'au départ de M. [Q] il n'y avait pas d'opération en cours ; que celui-ci invoque le grand livre journal communiqué par TRB ; que celle-ci fait observer que ce grand livre concerne l'ensemble des clients étrangers et que M. [Q] n'établit pas la réalité des commandes passées grâce à son activité ; que toutefois, l'examen du grand libre journal révèle que seule la société clairement identifiée comme italienne, Ilva laminati piani SpA (basée à Tarente) a généré en 2006 un chiffre d'affaires de 864 620 euros, souvent pour des montants mensuels identiques de sorte que l'on peut en déduire qu'il s'agit de commandes en renouvellement ; que les factures acquittées par cette société doivent être considérées comme découlant de l'activité de l'agent commercial qui aurait dû percevoir une commission de 5 %, de sorte qu'une somme de 43 231 euros lui est due à ce titre ; » (arrêt, p. 5) ;

ALORS QUE le juge doit examiner, même de manière sommaire, les documents invoqués au soutien d'une prétention ; qu'en écartant la demande de payement au motif que l'examen du grand livre permettait d'identifier la seule société Ilva laminati SpA comme société italienne, sans examiner la pièce produite par monsieur [Q] sous le numéro 17, les juges du fond ont violé l'article 455 du code de procédure civile.

CINQUIÈME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure EN CE QU'il a débouté M. [Q] de sa demande de réparation du préjudice tiré de la non-affiliation au régime de retraite de l'ENASARCO ;

AUX MOTIFS QUE « M. [Q] expose que la loi italienne prévoit que tout agent commercial exerçant son activité sur le territoire italien doit être inscrit à l'ENASARCO ; que le contrat affirme en son article 7 être soumis à la loi française qui ne prévoit aucune obligation d'inscription des agents commerciaux auprès d'un organisme social à la charge de l'employeur ; que l'appelant soutient son inscription auprès de cet organisme était obligatoire avant 2003 dans la mesure où TRB avait, par son intermédiaire, une dépendance en Italie et dans tous les cas à partir du 1er janvier 2004 puisque cette obligation s'est imposée même aux mandants étrangers n'ayant ni siège ni dépendance en Italie ; qu'on ne peut soutenir que le mandatement d'un agent commercial dans un pays confère au mandant une « dépendance » dans ce pays de sorte qu'en toute hypothèse, M. [Q] ne démontre pas que l'absence d'inscription à l'organisme soit fautive, ce d'autant moins que le contrat ne le prévoyait pas et que, régi par la loi française, il ne l'imposait pas ; que cette question prend toute son importance pour la période 2004/2005 ; que M. [Q] invoque un règlement de l'Union européenne du 29 avril 2004 qui que la personne exerçant dans un État-membre une activité salariée ou non est soumise à la législation de cet État-membre ; que toutefois la circulaire du 27 décembre 2010 précise que les nouveaux règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale notamment celui cité ci-dessus ne sont applicables en France que depuis le 1er mai 2010 ; qu'il convient donc en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ce chef de demande » (arrêt, p. 6) ;

ALORS QUE, premièrement, lors de l'application de la loi d'un pays déterminé, il peut être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ; que M. [Q] faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'il convenait de faire application comme loi de police de la loi italienne en tant qu'elle imposait l'affiliation au régime de l'ENASARCO ; qu'en opposant le choix de la loi française opéré par les parties sans s'interroger sur l'applicabilité de la loi italienne comme loi de police, les juges du fond ont violé l'article 7 para. 1 de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;

ALORS QUE, deuxièmement, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en se fondant sur la circulaire du 27 décembre 2010 pour décider que le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale n'était pas applicable, les juges du fond ont fait application d'un texte sans valeur normative, violant ainsi l'article 12 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, troisièmement, et à tout le moins, en se fondant sur la circulaire du 27 décembre 2010 pour décider que le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale n'était pas applicable, les juges du fond ont violé l'article 91 du règlement (CE) n° 883/2004 par refus d'application.ECLI:FR:CCASS:2017:CO00347
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