Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 décembre 2016, 15-17.568 15-17.569 15-17.570 15-17.571 15-17.572 15-17.573 15-18.004 15-18.005 15-18.006 15-18.007 15-18.008 15-18.009, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Vu leur connexité, joint les pourvois n° F 15-17. 568, H 15-17. 569, G 15-17. 570, J 15-17. 571, K 15-17. 572, M 15-17. 573, E 15-18. 004, F 15-18. 005, H 15-18. 006, G 15-18. 007, J 15-18. 008 et K 15-18. 009 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 26 février 2015), rendus sur renvoi après cassation (Soc., 23 janvier 2013, pourvois n° 11-12. 323 à 11-12. 328), que M. X... et cinq autres salariés de la Société d'exploitation des eaux et thermes d'Enghien-les-Bains, qui exploite le casino d'Enghien-les-Bains et est régie par la convention collective nationale des casinos du 29 mars 2002, étaient employés en qualité de membres du comité de direction des machines à sous avec la qualification de cadre niveau VI ; que leur contrat de travail précisait qu'ils ont la qualité de cadre autonome et comportait une clause de forfait en jours ; que les salariés ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification de leur statut de cadre autonome en celui de cadre intégré, et la condamnation en conséquence de l'employeur à leur payer des rappels d'heures supplémentaires ; que M. Y... a été licencié en cours de procédure ;

Sur le moyen unique des pourvois de l'employeur :

Attendu que l'employeur fait grief aux arrêts de dire que les conventions de forfait de MM. X..., Z..., A..., Y..., B... et C... sont dépourvues d'effet et de requalifier les contrats de travail des salariés en contrat de cadre intégré, alors, selon le moyen :

1°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en affirmant que les plannings des salariés étaient « contraignants » et imposaient leur présence à des horaires prédéterminés tout en relevant par ailleurs que les heures réellement travaillées par ces derniers n'étaient pas celles indiquées sur ces plannings, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour établir que les salariés eux-mêmes établissaient leur plannings prévisionnels, qu'ils avaient la faculté de les modifier à tout moment sans autorisation de sorte que ces plannings n'avaient aucun caractère contraignant et ne compromettaient pas leur autonomie, l'employeur versait aux débats des plannings prévisionnels établis par les salariés eux-mêmes, des courriels par lesquels les salariés informaient la direction des plannings prévisionnels et des changements d'horaires, de nombreuses attestations aux termes desquelles des salariés indiquaient gérer eux-mêmes leur temps de travail et avoir la possibilité de modifier les plannings ; qu'en jugeant, pour dire que les salariés ne bénéficiaient pas de l'autonomie nécessaire pour être soumis au statut de cadre autonome, qu'ils étaient soumis à un planning contraignant imposant leur présence au sein de l'entreprise à des horaires prédéterminés, sans viser ni analyser aucune de ces pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les juges ne peuvent statuer par voie de simples affirmations sans donner à leur constatations des précisions de faits suffisantes ni indiquer l'origine de leurs constatations ; qu'en affirmant que les salariés étaient soumis à des instructions définissant en détail l'organisation et la gestion de la salle et étaient tenus de déjeuner sur place, sans dire d'où elle tirait de telles constatations, au demeurant fermement contestées par l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que l'autonomie dans l'organisation du temps de travail d'un salarié s'apprécie au regard de l'ensemble des fonctions réellement exercées par ce dernier ; qu'en l'espèce, la Société d'exploitation des eaux et thermes d'Enghien-les-Bains faisait valoir, preuves à l'appui, qu'outre leur activité réglementaire au sein de la salle des machines à sous, pour laquelle des plannings purement prévisionnels et indicatifs étaient élaborés par leur soins, les salariés accomplissaient de nombreuses autres activités managériales complémentaires en totale autonomie, rendant ainsi impossible la prédétermination de leur temps de travail ; qu'en se bornant, pour dire que la convention de forfait en jours était privée d'effet, à énoncer que les plannings des salariés étaient contraignants, sans s'expliquer sur les éléments soulevés par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-43 et suivants du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés étaient soumis à un planning contraignant imposant leur présence au sein de l'entreprise à des horaires prédéterminés, ce qui est antinomique avec la notion de cadre autonome, en a exactement déduit que l'employeur ne pouvait recourir à une convention de forfait en jours et qu'il y avait lieu de leur appliquer le droit commun de la durée du travail, lequel suppose un décompte des heures supplémentaires sur la base des heures de travail réellement effectuées ;

Sur le premier moyen des pourvois des salariés, ci-après annexé :

Attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments produits tant par le salarié que par l'employeur que la cour d'appel, sans encourir les griefs du moyen, a évalué le nombre d'heures supplémentaires effectuées par les salariés et fixé en conséquence les créances salariales s'y rapportant ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, propre à M. Y... :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Premier moyen commun aux pourvois n° F 15-17. 568 à M 15-17. 573 produit par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour MM. X..., Z..., A..., Y..., B... et C...

IL EST FAIT GRIEF aux arrêts attaqués de n'avoir, après avoir accueilli les demandes des exposants tendant à la requalification de leur contrat de cadre au forfait-jours en contrat de cadre intégré, que partiellement fait droit aux demandes de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés y afférant formulées par MM. X..., Z..., A..., B... et C..., et d'avoir débouté M. Y... de la sienne ;

AUX MOTIFS QUE, sur le requalification du statut de cadre forfait-jours en cadre intégré, l'article L. 3121-43 du code du travail, l'existence d'un planning imposant la présence d'un cadre au sein de l'entreprise est antinomique avec la notion même de cadre autonome ; qu'au quotidien, les horaires du salarié sont prédéterminés en ce qu'ils dépendent d'un planning collectif mensuel daté et signé par le directeur des machines à sous ; qu'en pratique, la liberté du salarié dans la fixation de son temps de travail est limitée, comme le révèle un mail du directeur des machines à sous envoyé aux MCD MAS : « Vous devez être présents dans le casino pendant vos horaires de planning sauf cas exceptionnel validé par un supérieur hiérarchique. Les pauses repas, même non dé-badgées, doivent être prises. Le fait de ne pas en user à toute fin de quitter son shift avant la fin prévue par votre planning est définitivement proscrit » ; que le salarié était donc soumis à un planning contraignant imposant sa présence au sein de l'entreprise à des horaires prédéterminés ; que dès lors, la convention de forfait se trouve privée d'effet et il y a lieu d'appliquer le droit commun de la durée du travail ; que, sur les heures supplémentaires, le salarié réclame le paiement des heures supplémentaires sur la base du planning établi par l'employeur ; qu'il indique ainsi qu'à raison de 10 heures par jour sur une période de 218 jours, il faut compter 2 180 heures, soit, au regard des 1 600 heures annualisées d'un cadre intégré, 518 heures supplémentaires par an ; que l'employeur fait valoir que le planning n'est que prévisionnel et que le décompte des heures supplémentaires doit être fait au regard des heures réellement travaillées ; qu'il verse au débat les relevés faits sur la base du badgeage et fait valoir qu'en regard de cet élément, le salarié n'a pas fait les heures qu'il allègue ; que le salarié se borne à invoquer un horaire théorique sur la base du planning et ne produit aucun autre élément permettant d'étayer sa demande ni susceptible de mettre en doute le relevé de sa présence effective établie par l'employeur à partir du badgeage ; que les tableaux produits par la SEETE permettent ainsi d'établir les heures de présence du salarié sur le site ; que sans qu'une mesure d'instruction soit nécessaire, le relevé produit par l'employeur et non utilement contredit constitue la base des horaires réellement accomplis par le salarié ; qu'il convient d'en déduire l'heure de pause-déjeuner quotidienne ;

ET QUE ce relevé met en évidence :

que MM. X..., Z..., A..., B... et C... ont effectué, après déduction de l'heure journalière de pause-déjeuner, au titre des heures supplémentaires excédant les 1 607 heures annualisées :

- M. X... : 245, 4 heures du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, 34 heures du 1er juin 2006 au 31 mai 2007 ; en conséquence, sa demande doit être accueillie à hauteur de 823 €, outre 472, 75 € au titre des congés payés ; en conséquence, sa demande doit être accueillie à hauteur de 8 230 €, outre 472, 75 € au titre des congés payés ;
- M. Z... : 234, 3 heures du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, aucune sur la période postérieure ; en conséquence, sa demande doit être accueillie à hauteur de 6 642, 40 €, outre 664, 24 € au titre des congés payés ;
- M. A... : 122 heures du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, 8, 3 heures du 1er juin 2006 au 31 mai 2007, 46, 2 heures du 1er juin 2011 au 31 mai 2012 ; en conséquence, sa demande doit être accueillie à hauteur de 4 879, 69 €, outre 487, 96 € au titre des congés payés ;
- M. B... : 502, 3 heures du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, 254, 1 heures du 1er juin 2006 au 31 mai 2007, 241, 2 heures du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, 18 heures du 1er juin 2009 au 31 mai 2010, 29, 1 heures du 1er juin 2010 au 31 mai 2011, 106, 5 heures du 1er juin 2011 au 31 mai 2012, et aucune du 1er juin 2012 au 31 mai 2013 ; en conséquence, sa demande doit être accueillie à hauteur de 36 896, 65 €, outre 3 689, 66 € au titre des congés payés ;
- M. C... : 30, 5 heures du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, 51, 5 heures du 1er juin 2007 au 31 mai 2009, 51, 3 heures du 1er juin 2012 au 31 mai 2013 ; en conséquence, sa demande doit être accueillie à hauteur de 4 727, 56 €, outre 472, 75 € au titre des congés payés ;

que les heures de présence effectuées par M. Y... après déduction de la pause déjeuner d'une heure quotidienne n'excèdent jamais les 1 607 heures annualisées auxquelles sont soumis les cadres ; qu'il doit être débouté de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires ;

1) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en retenant que les salariés n'étaient pas fondés à réclamer le paiement d'heures supplémentaires sur la base du planning établi par l'employeur car l'horaire établi sur la base de ce planning n'était que « prévisionnel » et « théorique », quand, pour dire la convention de forfait privée d'effet, elle avait retenu que, « au quotidien », les horaires des salariés « dépend [ai] ent d'un planning collectif mensuel » et qu'un mail du directeur des machines à sous envoyé aux MCD MAS leur imposait d'être présents dans le casino pendant leurs « horaires de planning, sauf cas exceptionnel validé par un supérieur hiérarchique » et qu'elle en avait déduit que les salariés étaient soumis à « un planning contraignant imposant [leur] présence au sein de l'entreprise », la cour d'appel s'est contredite et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE, ce faisant, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a en tout état de cause violé les articles 1134 du code civil et L. 3171-4 du code du travail ;

3) ALORS en toute hypothèse QU'en cas de litige relatif aux heures supplémentaires, la preuve des heures de travail réellement effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; qu'il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande et l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que la cour d'appel a relevé que le planning collectif mensuel déterminait, au quotidien, les horaires de travail des MCD MAS, lesquels avaient l'obligation, selon les consignes du directeur, d'être présents dans le casino pendant les « horaires de planning » et que les salariés étaient donc soumis à un planning contraignant imposant leur présence au sein de l'entreprise à des horaires prédéterminés ; qu'en considérant cependant que lesdits plannings ne constituaient pas un élément de nature à étayer les demandes des salariés et permettant à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

4) ALORS au surplus QU'il appartient à l'employeur d'établir le décompte des heures de travail accomplies chaque mois par chacun des salariés ; qu'en l'espèce, les salariés réclamaient une provision sur les heures supplémentaires effectuées depuis le début de leur collaboration comme MCD MAS et dans la limite de la prescription (21 mai 2003 pour MM. Z... et Y..., 21 juillet 2003 pour M. C... et 1er mai 2004 pour MM. X..., A... et B...) ; qu'en refusant de reconnaître l'accomplissement de toute heure supplémentaire avant le 1er juin 2005, date à partir de laquelle la SEETE produisait les relevés journaliers établissant, selon la cour d'appel, les heures réelles de présence des salariés, et en permettant ainsi à l'employeur de refuser de fournir les éléments nécessaires au décompte de leurs horaires de travail avant une date librement fixée par lui-même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3171-1 et suivants du code du travail ;

5) ALORS enfin QUE si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ; que les salariés contestaient la fiabilité des relevés de présence établis par l'employeur sur la base du système d'enregistrement par badgeage, en faisant valoir que ce système ne permettait pas un décompte exact du temps de travail car des collaborateurs de l'entreprise avaient pour tâche de pratiquer une régulation et un écrêtage des horaires, consistant à modifier les heures d'entrée et de sortie enregistrées ; qu'ils citaient et reprenaient à leur compte les conclusions déposées par M. D..., délégué syndical, devant le conseil de prud'hommes, contestant la fiabilité du système de badgeage et revendiquant la mise en place d'un procédé fiable et infalsifiable d'enregistrement des temps de présence (conclusions X..., p. 17 à 20) et qu'ils demandaient à la cour d'appel d'enjoindre à l'employeur de produire un état exhaustif du temps de travail certifié fiable et infalsifiable comportant les heures précises d'entrée et de sortie, expurgé de toute régularisation a posteriori et écrêtage du système de badgeage (p. 23) ; qu'en se bornant à affirmer que les salariés ne produisaient aucun élément susceptible de mettre en doute les relevés de présence établis par l'employeur à partir du badgeage et que ces relevés n'étaient pas utilement contredits, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur n'avait pas mis en place une intervention humaine a posteriori sur les données recueillies par le système de badgeage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail.

Second moyen produit au pourvoi n° J 15-17. 571 par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour M. Y...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué n° 13/ 00957 d'avoir dit que le licenciement de M. Y... était fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'avoir débouté de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE, en tant que cadre, M. Y... avait notamment pour mission de veiller à la sincérité des jeux et à la régularité de leur fonctionnement et porter alors une attention particulière au personnel qu'il encadrait et aux clients présents dans la salle de jeux ; qu'il est cependant constant que le salarié a adopté, le 5 octobre 2012, un comportement inadapté à ses obligations contractuelles, délaissant la surveillance de la salle de jeux pour se consacrer exclusivement à une cliente ; que M. Y... avait fait l'objet d'un rappel à l'ordre en 2012 pour manquement à la réglementation des jeux, le rappel à l'ordre mentionnant expressément que tout nouveau manquement l'exposerait à une sanction disciplinaire ; que son attitude doit également être appréciée à la lumière de sa participation, en 2009, à la formation " Cap 2009- Les Clés d'un Accueil Professionnel " qui rappelait, entre autres, l'importance pour les MCD MAS d'adopter un comportement et une attitude exemplaires, de la remise d'un livret Manag'Attitudes attirant l'attention sur les éléments constitutifs du " cercle de l'exemplarité ", et de l'existence d'une note de service depuis fin 2010 interdisant la bise entre collaborateurs et/ ou cadres dans l'espace client ; que ces éléments avérés, objectifs, exacts et sérieux constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.

ALORS QUE M. Y... faisait valoir qu'il était dans une situation particulière car il souffrait depuis une dizaine d'années d'un syndrome dépressif nécessitant un traitement quotidien, qu'il avait fait une tentative de suicide en mai 2011, que l'employeur connaissait cette fragilité et qu'il aurait dû la prendre en considération ; qu'en omettant d'examiner, comme elle y était invitée, si l'employeur n'aurait pas dû tenir compte, avant de prononcer un licenciement, de la vulnérabilité du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail ensemble l'article 1134 du code civil.

Moyen unique produit aux pourvois n° E 15-18. 004 à K 15-18. 009 par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la Société d'exploitation des eaux et thermes (SEETE) d'Enghien-les-Bains

Relatif à l'ensemble des salariés défendeurs au pourvoi

IL EST FAIT GRIEF aux arrêts attaqués d'AVOIR dit que les conventions de forfait de M. B..., A..., C..., Z... et X... étaient dépourvus d'effet et requalifié les contrats de travail des salariés en contrat de cadre intégré, d'AVOIR condamné la SEETE à verser la somme de 36 896, 65 € à titre de rappel d'heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2012, outre la somme de 3 689, 66 € au titre des congés payés afférents à Monsieur Fabrice B..., la somme de 4 879, 69 € à titre de rappel d'heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2012, outre la somme de 487, 96 € au titre des congés payés afférents à M. Mathieu A..., la somme de 4 727, 56 € à titre de rappel d'heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2013, outre la somme de 472, 75 € au titre des congés payés afférents à M. C..., la somme de 6 642, 40 € à titre de rappel d'heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, outre la somme de 666, 24 € au titre des congés payés afférents à M. Z..., la somme de 8 230 € à titre de rappel d'heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 4 décembre 2010, outre la somme de 823 € au titre des congés payés afférents à M. X..., d'AVOIR condamné l'employeur à payer à chacun de ses salariés la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la requalification du statut de cadre au forfait jours en cadre intégré
L'article L. 3121-43 du Code du travail dispose que " peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 : 1 º les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ; 2 º les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ".
En application de ce texte l'existence d'un planning imposant la présence d'un cadre autonome au sein de l'entreprise est antinomique avec la notion même de cadre autonome. Lorsqu'il apparaît qu'un salarié ayant le statut de cadre au forfait jours ne relève pas, dans les faits, d'une des catégories énoncées à l'article L. 3121-43, il y a lieu de lui appliquer le droit commun de la durée du travail, la convention de forfait étant privée d'effet.
M. B... était soumis à une convention de forfait sur l'année en jours régulière notamment en ce qu'elle a fait l'objet d'un écrit, qu'elle a été acceptée par le salarié et qu'elle a été autorisée par un accord d'entreprise relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail qui vise en particulier la catégorie des MCD MAS.
Mais au quotidien, les horaires du salarié sont prédéterminés en ce qu'ils dépendent d'un planning collectif mensuel daté et signé par le directeur des machines à sous.
En pratique, la liberté du salarié dans la fixation de son temps de travail est limitée comme le révèle un mail du directeur des machines à sous envoyé aux MCD MAS : " vous devez être présents dans le casino pendant vos horaires de planning sauf cas exceptionnel validé par un supérieur hiérarchique " ; " les pauses repas, même non dé-badgées, doivent être prises. Le fait de ne pas en user à toute fin de quitter son shift avant la fin prévue par votre planning est définitivement proscrit ".
Le salarié est également soumis à des instructions définissant en détail l'organisation et la gestion de la salle et est tenu de déjeuner sur place.
La SEETE explique que ces plannings sont la conséquence du respect de la réglementation des jeux de casinos selon laquelle les MCD MAS sont seuls habilités à s'occuper de l'exploitation des jeux et à donner des ordres aux personnels des salles des machines à sous, et que l'exercice de leurs missions réglementaires, auxquelles s'ajoutent la réalisation de missions annexes complémentaires leur confèrent un niveau élevé de responsabilité et une nécessaire autonomie dans l'organisation de leur temps de travail.
Cependant, de telles contraintes réglementaires limitant l'autonomie du salarié dans l'organisation de son temps de travail auraient dû conduire à l'application d'un statut de cadre intégré et non de cadre autonome.
Le salarié était donc soumis à un planning contraignant imposant sa présence au sein de l'entreprise à des horaires prédéterminés, ce qui est antinomique avec la notion de cadre autonome. Dès lors, la convention de forfait se trouve privée d'effet et il y a lieu de lui appliquer le droit commun de la durée du travail.
Sur les heures supplémentaires
L'article L. 3171-4 du Code du travail dispose que " en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ".
Le salarié réclame le paiement des heures supplémentaires sur la base du planning établi par l'employeur, ainsi il indique qu'à raison de 10 heures par jour sur une période de 218 jours, il faut compter 2180 heures et qu'au regard des 1600 heures annualisées d'un cadre intégré, il y a 518 heures supplémentaires par an ;
L'employeur s'oppose à cette demande et fait valoir que le planning n'est que prévisionnel et que le décompte des heures supplémentaires doit être fait au regard des heures réellement travaillées. Il verse au débat les relevés faits sur la base du badgeage et soutient qu'en regard de cet élément, le salarié n'a pas pu faire les heures qu'il allègue.
La cour relève que le salarié, M. B..., se borne à invoquer un horaire théorique sur la base du planning et ne produit aucun autre élément permettant d'étayer sa demande ni susceptible de mettre en doute le relevé de sa présence effective établie par l'employeur à partir du badgeage du salarié. Les tableaux produits par la SEETE permettent ainsi d'établir les heures de présence de M. B... sur le site.
En conséquence, sans qu'une mesure d'instruction ne soit nécessaire, la cour estime que le relevé produit par l'employeur et non utilement contredit constitue la base des horaires réellement accomplis par M. B... et qu'il convient effectivement d'en déduire l'heure de pause déjeuner quotidienne.
Ce relevé met en évidence que sur la période allant du 1er juin 2005 au 31 mai 2013, M. B... a effectué, après déduction de l'heure journalière de pause déjeuner, au titre des heures excédant les 1607 heures annualisées :

[motifs spécifiques à l'arrêt rendu en faveur de M. B... :-502, 3 heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2006,
-254, 1 heures supplémentaires du 1er juin 2006 au 31 mai 2007,
-241, 2 heures supplémentaires du 1er juin 2007 au 31 mai 2008,
-18 heures supplémentaires du 1er juin 2009 au 31 mai 2010,
-29, 1 heures supplémentaires du 1er juin 2010 au 31 mai 2011,
-106, 5 heures supplémentaires du 1er juin 2011 au 31 mai 2012,
- aucune sur la période du 1er juin 2012 au 31 mai 2013
En conséquence, la demande de M. B... doit être accueillie à hauteur de 36. 896, 65 euros, outre la somme de 3. 689, 66 € au titre des congés payés dûs sur ces heures]
[motifs spécifiques à l'arrêt rendu en faveur de M. A... :-122 heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2006,
-8, 3 heures supplémentaires du 1er juin 2006 au 31 mai 2007,
-46, 2 heures supplémentaires du 1er juin 2011 au 31 mai 2012.
En conséquence, la demande de M. A... doit être accueillie à hauteur de 4. 879, 69 euros, outre la somme de 487, 96 € au titre des congés payés dûs sur ces heures.]
[motifs spécifiques à l'arrêt rendu en faveur de M. C... :-30, 5 heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2006,
-51, 5 heures supplémentaires du 1er juin 2008 au 31 mai 2009,
-51, 3 heures supplémentaires du 1er juin 2012 au 31 mai 2013.
En conséquence, la demande de M. C... doit être accueillie à hauteur de 4. 727, 56 euros, outre la somme de 472, 75 € au titre des congés payés dûs sur ces heures.
[motifs spécifiques à l'arrêt rendu en faveur de M. Z... : 234, 3 heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, aucune sur la période postérieure.
En conséquence, la demande de M. Z... doit être accueillie à hauteur de 6. 642, 40 euros, outre la somme de 664, 24 € au titre des congés payés dûs sur ces heures.
[motifs spécifiques à l'arrêt rendu en faveur de M. X... :-245, 4 heures supplémentaires du 1er juin 2005 au 31 mai 2006,
-34 heures supplémentaires du 1er juin 2006 au 31 mai 2007.
En conséquence, la demande de M. X... doit être accueillie à hauteur de 8. 230 euros, outre la somme de 823 € au titre des congés payés dûs sur ces heures.
(Motifs communs à tous les salariés)
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Au regard de la situation respective des parties, la demande formée par M. B... au titre des frais irrépétibles sera accueillie à hauteur de 1 500 Euros et celle formée par la société sera rejetée. Aucune des parties ne triomphe sur la totalité de ses prétentions, en conséquence, il convient prévoir que chacune gardera à sa charge les frais exposés par elle au titre des dépens » ;

1°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en affirmant que les plannings des salariés étaient « contraignants » et imposaient leur présence à des horaires prédéterminés tout en relevant par ailleurs que les heures réellement travaillées par ces derniers n'étaient pas celles indiquées sur ces plannings, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour établir que les salariés eux-mêmes établissaient leur plannings prévisionnels, qu'ils avaient la faculté de les modifier à tout moment sans autorisation de sorte que ces plannings n'avaient aucun caractère contraignant et ne compromettaient pas leur autonomie, l'employeur versait aux débats des plannings prévisionnels établis par les salariés eux mêmes (production n° 9), des courriels par lesquels les salariés informaient la direction des plannings prévisionnels et des changements d'horaires (productions n° 8 et 10), de nombreuses attestations aux termes desquelles des salariés indiquaient gérer eux-mêmes leur temps de travail et avoir la possibilité de modifier les plannings (production n° 7) ; qu'en jugeant, pour dire que les salariés ne bénéficiaient pas de l'autonomie nécessaire pour être soumis au statut de cadre autonome, qu'ils étaient soumis à un planning contraignant imposant leur présence au sein de l'entreprise à des horaires prédéterminés, sans viser ni analyser aucune de ces pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE les juges ne peuvent statuer par voie de simples affirmations sans donner à leur constatations des précisions de faits suffisantes ni indiquer l'origine de leurs constatations ; qu'en affirmant que les salariés étaient soumis à des instructions définissant en détail l'organisation et la gestion de la salle et étaient tenus de déjeuner sur place, sans dire d'où elle tirait de telles constatations, au demeurant fermement contestées par l'employeur (productions n° 7 et 11), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS enfin QUE l'autonomie dans l'organisation du temps de travail d'un salarié s'apprécie au regard de l'ensemble des fonctions réellement exercées par ce dernier ; qu'en l'espèce, la société SEETE faisait valoir, preuves à l'appui, qu'outre leur activité réglementaire au sein de la salle des machines à sous, pour laquelle des plannings purement prévisionnels et indicatifs étaient élaborés par leur soins, les salariés accomplissaient de nombreuses autres activités managériales complémentaires en totale autonomie (productions n° 12 à 16), rendant ainsi impossible la prédétermination de leur temps de travail ; qu'en se bornant, pour dire que la convention de forfait en jours était privée d'effet, à énoncer que les plannings des salariés étaient contraignants, sans s'expliquer sur les éléments soulevés par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-43 et suivants du code du travail ;

ECLI:FR:CCASS:2016:SO02231
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