Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 décembre 2016, 15-26.072, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 septembre 2015), que M. X... a été victime, le 7 mars 2009, à l'âge de 21 ans, d'un accident de la circulation à la suite duquel il a dû être amputé des membres inférieurs ; qu'après avoir obtenu en référé la désignation d'un expert qui a évalué à 85 % le taux du déficit fonctionnel permanent (DFP) dont il reste atteint, il a assigné la société Assurance mutuelle des motards (l'assureur) afin d'être indemnisé, en application du contrat qu'il avait souscrit auprès d'elle, des conséquences dommageables de l'accident ; que les parties se sont opposées sur le point de savoir si l'assureur était fondé à déduire la pension d'invalidité versée à la victime de l'indemnité garantie au titre de l'indemnisation du DFP ;

Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à son assuré, M. X..., la somme de 68 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, en refusant ainsi de déduire de cette indemnisation contractuelle le montant servi à la victime par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la pension d'invalidité, alors, selon le moyen :

1°/ que la rente d'invalidité indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de pertes de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ; qu'il en résulte qu'en présence de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle, le reliquat éventuel de la rente, laquelle indemnise prioritairement ces deux postes de préjudice patrimoniaux, doit s'imputer sur le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, s'il existe ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé, d'une part, que M. X... percevait, depuis le 1er juin 2010, une pension d'invalidité servie par la caisse primaire d'assurance maladie du Gard et, d'autre part, que le contrat d'assurance stipulait que « les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues par nous ou par tout autre organisme » ; qu'en refusant de déduire cette pension d'invalidité de l'indemnisation mise à la charge de l'assureur, au motif qu'elle ne réparerait pas le même préjudice, sans rechercher si la prestation servie par la caisse primaire d'assurance maladie n'indemnisait pas, ne fût-ce que partiellement, le déficit fonctionnel permanent consécutif à l'accident du 7 mars 2009, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, ensemble l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que le contrat d'assurance stipulait que « les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues par nous ou par tout autre organisme » ; que pour refuser, par principe, de déduire la pension d'invalidité servie à la victime par son organisme social de l'indemnisation mise à la charge de l'assureur, la cour d'appel a relevé que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs n'auraient pas vocation à s'appliquer ; qu'en statuant ainsi par un motif dénué de pertinence et par conséquent inopérant, alors qu'il lui appartenait de déterminer la nature de la pension d'invalidité servie à l'aune des articles L. 341-1 et suivants du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que l'absence d'arrêté de liquidation concédant une pension d'invalidité de façon définitive ne saurait faire obstacle au principe même de l'imputation de ladite pension sur le déficit fonctionnel permanent subi par la victime ; que, pour refuser de déduire la pension d'invalidité servie à la victime par son organisme social, la cour d'appel a relevé que « qui plus est (la) pension d'invalidité est à caractère temporaire comme n'ayant pas fait l'objet d'un arrêté de liquidation la concédant de façon définitive » ; qu'en statuant ainsi, par un motif dénué de pertinence et par conséquent inopérant, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'aux termes du contrat seul le poste du déficit fonctionnel permanent, défini comme étant " les séquelles dont reste atteinte une victime suite aux blessures consécutives à un accident ", est garanti à l'exclusion de tout poste relatif aux pertes de gains professionnels ou à l'incidence professionnelle, et que " les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues pour nous ou par tout autre organisme ", c'est sans avoir à procéder à la recherche inopérante dont fait état la première branche du moyen que la cour d'appel a décidé que l'assureur, qui avait la charge de cette preuve, ne démontrait pas que la pension d'invalidité servie par la caisse primaire d'assurance maladie à M. X... réparait le même poste de préjudice que l'indemnité contractuelle relative au déficit fonctionnel permanent ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche et est inopérant en la troisième qui critique des motifs surabondants, n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Assurance mutuelle des motards aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Assurance mutuelle des motards


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Assurance mutuelle des motards à payer à son assuré, M. X..., victime d'un accident de motocyclette survenu le 7 mars 2009, la somme de 68 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent, refusant ainsi de déduire – conformément aux dispositions du contrat d'assurance conclu entre les parties-de cette indemnisation contractuelle le montant servi à la victime par la CPAM au titre de la pension d'invalidité ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur l'imputation de la pension d'invalidité versée par la CPAM sur le montant de cette indemnité :

Il est constant qu'à compter du 1er juin 2010, M. Florian X... s'est vu attribuer par la CPAM du Gard, à titre temporaire, une pension d'invalidité, en application notamment des articles L. 341-1 et L. 341-4 du code de la sécurité sociale, tenant son « état d'invalidité réduisant des 2/ 3 au moins [sa] capacité de travail ou de gain justifiant [son] classement dans la catégorie 3 ».

La cour observe que le litige lié à l'imputation éventuelle de cette pension d'invalidité sur le poste du déficit fonctionnel permanent doit être examiné à l'aune des dispositions contractuelles liant les parties et non pas du droit commun de la réparation des préjudices d'une victime.

Selon l'article 27 du contrat relatif aux dispositions communes applicables en l'espèce, « les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues par nous [l'assureur] ou tout autre organisme ».

Contestant en cela la décision des premiers juges, la société Assurance mutuelle des motards entend faire juger que la pension civile d'invalidité versée à la victime par l'organisme social a vocation à indemniser d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et qu'en l'absence de telles pertes ou d'incidence professionnelle, cette pension indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

Toutefois, en l'espèce, seul le poste du déficit fonctionnel permanent est garanti par le contrat liant les parties et en aucune manière, les postes relatifs aux pertes de gains professionnels ou à l'incidence professionnelle.

De même, toujours en application des clauses du contrat, cette incapacité permanente partielle est définie comme étant les « séquelles dont reste atteinte une victime suite aux blessures consécutives à un accident » (page 6 du contrat).

Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont :

* d'une part, rappelé qu'en application des dispositions de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité versée par la sécurité sociale indemnise un préjudice financier et professionnel alors que l'incapacité permanente partielle ou déficit fonctionnel permanent indemnise les séquelles personnelles physiologiques et psychologiques de l'accident corporel ;

* d'autre part, retenu que dans les limites de ce contrat, il n'y avait pas lieu de se référer aux modalités du recours subrogatoire des tiers payeurs tels que ressortant de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985.

Dans ces conditions, la société Assurance mutuelle des motards ne démontre pas que l'indemnité contractuelle, relative au déficit fonctionnel permanent, ainsi garantie au profit de M. Florian X... répare un même préjudice que celui ayant justifié l'octroi par la CPAM d'une pension d'invalidité, qui plus est à caractère temporaire comme n'ayant pas fait l'objet d'un arrêté de liquidation la concédant de façon définitive.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a rejeté la prétention de la société Assurance mutuelle des motards tendant à l'imputation de la pension temporaire d'invalidité perçue par M. Florian X... sur l'indemnité garantie au titre du déficit fonctionnel permanent » ;

AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Aux termes des conditions générales du contrat d'assurance moto, les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues par nous ou par tout autre organisme.

Sur cette base, la société ASSURANCE MUTUELLE DES MOTARDS prétend déduire la pension d'invalidité versée par la CPAM de l'indemnité due au titre du déficit fonctionnel permanent.

Le lexique applicable à l'ensemble des garanties du contrat définit " l'incapacité permanente partielle IPP " comme " les séquelles dont reste atteinte une victime suite aux blessures consécutives è l'accident ". Cette IPP est dénommée " Déficit fonctionnel permanent " aux conditions particulières.

Or, le poste de préjudice " Déficit fonctionnel permanent " peut être défini plus précisément comme celui qui indemnise, pour la période postérieure à la date de consolidation, les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

L'article L. 341-1 du Code de la sécurité sociale dispose que " l'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'iI présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme. "

Il ressort très clairement de ce texte que la pension d'invalidité versée par la sécurité sociale indemnise un préjudice financier et professionnel alors que l'incapacité permanente partielle ou déficit fonctionnel permanent indemnise les séquelles personnelles physiologiques et psychologiques de l'accident corporel.

La société ASSURANCE MUTUELLE DES MOTARDS ne saurait prétendre déduire la pension d'invalidité de l'indemnité due au titre du déficit fonctionnel permanent au prétexte que le contrat n'indemnise aucun autre poste de préjudice que ce dernier, dénaturant ainsi les termes clairs des conditions générales.

En effet, il n'y a pas lieu de se référer alors que le contrat ne le fait pas aux modalités du recours subrogatoire des tiers payeurs tels que ressortant de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985.

En outre et dans le cadre de ce recours des organismes sociaux, à la différence de la rente accident de travail, de l'allocation temporaire d'Invalidité ou de la pension militaire d'invalidité, la pension d'invalidité telle que définie plus haut, prestation de nature exclusivement professionnelle et non mixte ne saurait être déduite que du poste de " perte de gains professionnels futurs " puis accessoirement de l'Incidence professionnelle " et non du préjudice à caractère personnel que constitue le DFP.

Dès lors, en application des dispositions contractuelles, la pension d'invalidité qui indemnise un préjudice professionnel ne venant pas réparer le même poste de préjudice que l'indemnité contractuelle due au titre du déficit fonctionnel permanent, laquelle vient réparer un préjudice personnel constitué des séquelles physiologiques et psychologiques de la victime, ne saurait être déduite du capital devant être versé par l'assureur » ;

1) ALORS QUE la rente d'invalidité indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de pertes de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ; qu'il en résulte qu'en présence de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle, le reliquat éventuel de la rente, laquelle indemnise prioritairement ces deux postes de préjudice patrimoniaux, doit s'imputer sur le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, s'il existe ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé, d'une part, que Monsieur X... percevait, depuis le 1er juin 2010, une pension d'invalidité servie par la CPAM du Gard et, d'autre part, que le contrat d'assurance stipulait que « les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues par nous ou par tout autre organisme » (contrat, p. 21) ; qu'en refusant de déduire cette pension d'invalidité de l'indemnisation mise à la charge de l'Assurance mutuelle, au motif qu'elle ne réparerait pas le même préjudice, sans rechercher si la prestation servie par la CPAM n'indemnisait pas, ne fût-ce que partiellement, le déficit fonctionnel permanent consécutif à l'accident du 7 mars 2009, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, ensemble l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale ;

2) ALORS QUE le contrat d'assurance stipulait que « les indemnités garanties ne peuvent se cumuler au profit du bénéficiaire avec d'autres indemnités qui, réparant les mêmes postes de préjudices, lui sont dues par nous ou par tout autre organisme » (contrat, p. 21) ; que pour refuser, par principe, de déduire la pension d'invalidité servie à la victime par son organisme social de l'indemnisation mise à la charge de l'Assurance mutuelle, la cour d'appel a relevé que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs n'auraient pas vocation à s'appliquer ; qu'en statuant ainsi par un motif dénué de pertinence et par conséquent inopérant, alors qu'il lui appartenait de déterminer la nature de la pension d'invalidité servie à l'aune des articles L. 341-1 et suivants du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale ;

3) ALORS QUE l'absence d'arrêté de liquidation concédant une pension d'invalidité de façon définitive ne saurait faire obstacle au principe même de l'imputation de ladite pension sur le déficit fonctionnel permanent subi par la victime ; que pour refuser de déduire la pension d'invalidité servie à la victime par son organisme social la cour d'appel a relevé que « qui plus est (la) pension d'invalidité est à caractère temporaire comme n'ayant pas fait l'objet d'un arrêté de liquidation la concédant de façon définitive » (arrêt, p. 9 § 1) ; qu'en statuant ainsi par un motif dénué de pertinence et par conséquent inopérant, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale.ECLI:FR:CCASS:2016:C201766
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