Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 décembre 2016, 15-17.007 15-17.008 15-17.009 15-17.010 15-17.011 15-17.012 15-17.013 15-17.014 15-17.015 15-17.016, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° W 15-17. 007, X 15-17. 008, Y 15-17. 009, Z 15-17. 010, A 15-17. 011, B 15-17. 012, C 15-17. 013, D 15-17. 014, E 15-17. 015 et F 15-17. 016 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués statuant en référé, que M. X... et neuf autres salariés de la société Kuehne + Nagel Road occupant des emplois de chef de quai et de conducteur poids lourds, ont saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale afin notamment d'obtenir la prise en charge des frais d'entretien de leur tenue de travail ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1135, devenu l'article 1194 du code civil, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;

Attendu que pour dire qu'il n'y avait pas lieu à référé, les arrêts, après avoir constaté que le port d'une tenue était imposé par le règlement intérieur, retiennent que la tenue imposée aux salariés ne présente aucun caractère particulier autre que la couleur et le sigle de la société, qu'elle ne se distingue pas autrement des vêtements de ville que les salariés auraient portés en l'absence de clause contraire du règlement intérieur, et dont il a retardé la vétusté, et par conséquent le renouvellement en utilisant une tenue de travail plusieurs heures par jour, que les salariés ne s'expliquent pas sur les modalités de fréquence et d'entretien dont ils poursuivent la prise en charge et ne communiquent aucun élément de nature à révéler l'existence d'une prise en charge à caractère spécial que l'employeur serait tenu d'assumer à la place du salarié ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait constaté que le port d'une tenue de travail était obligatoire pour les salariés et qu'il ressortait que ce port était inhérent à leur emploi, de sorte que son entretien devait être pris en charge par l'employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déboutent les salariés de leurs demandes au titre de l'indemnisation des frais d'entretien, les arrêts rendus le 23 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Kuehne + Nagel Road aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Kuehne + Nagel Road à verser aux demandeurs la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits, aux pourvois n° s W 15-17. 007 à F 15-17. 016, par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour les demandeurs

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR confirmé les ordonnances du juge des référés en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes en paiement d'une indemnité du temps d'habillage et de déshabillage formées par les salariés et, par conséquent, de les AVOIR débouté de leur demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et condamné aux dépens d'appel.

AUX MOTIFS QUE selon l'article L. 3121-3 du code du travail, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage fait l'objet de contreparties ; que ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, par des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage er le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, ces deux conditions étant cumulatives ; qu'en l'espèce, la première condition est remplie, le port d'une tenue de travail étant imposé par le règlement intérieur ; que celle-ci est composée d'un tee-shirt, d'un sweat-shirt et d'une polaire portant tous le signe de l'entreprise, d'un pantalon et de chaussures de sécurité ; qu'ensuite, la réalisation de l'habillage et du déshabillage sur le lieu de travail doit résulter de contraintes inhérentes au poste occupé (résultant, par exemple, de tâches insalubres ou salissantes) ou d'instructions expresses de l'employeur, et non du choix individuel du salarié de ne pas afficher son appartenance à l'entreprise sur le trajet du domicile au lieu du travail ; qu'en l'espèce, un jeu de conclusions unique a été déposé à l'audience du 8 janvier 2015 par les douze salariés qui ont relevé appel d'ordonnances de référé similaires ; qu'il est soutenu, sans analyse des tâches confiées à ces salariés qui occupent des postes différents, que « les fonctions des salariés sont pour partie salissantes » ; qu'aucune conclusion ne peut être tirée à cet égard de l'existence de vestiaires, qui résulte d'une obligation réglementaire (article R. 4228-2 et s. du code du travail) ; que selon l'article R. 4228-8 du code du travail, des douches sont mises à la disposition des travailleurs dans les établissements où sont réalisés certains travaux insalubres et salissants dont la liste est établie par arrêté ministériel ; que l'installation de douches dans l'établissement d'Andrézieux-Bouthéon n'implique pas que tous les salariés de cette agence, et a fortiori les douze appelants, effectuent de tels travaux ; que pour ce qui le concerne, (le salarié) ne précise pas laquelle ou lesquelles de ces tâches imposaient, occasionnellement ou quotidiennement, la prise d'une douche sur le site ; que les photos communiquées par la Sas Kuehne + Nagel Road démontrent que les marchandises transportées sont emballées, étant d'ailleurs observé que les tâches de manutention n'ont pour (le salarié) qu'un caractère résiduel ; qu'il existe une contestation sérieuse sur le point de savoir si l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés par (le salarié) dans l'entreprise ou sur le lieu de travail ; qu'il n'y a donc pas lieu à référé.

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE le salarié soutient qu'il est équipé d'une tenue de travail obligatoire, comme il l'est écrit dans le règlement intérieur et qu'il dispose d'un vestiaire dans l'entreprise ; qu'il met en avant un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 19/ 11/ 2012 n° S1310877 qui condamne la société ALLOIN (employeur précédent) à verser à Monsieur Jean Paul Y..., chef de quai à l'agence d'Epone une somme annuelle de 36 euros pour frais d'entretien et à régler 5 minutes par jour pour temps d'habillage et de déshabillage ; qu'en réponse, la Sas Kuehne + Nagel Road conteste les domaines de compétences de la formation de référé définis par l'article R. 1455-5 du code du travail qui stipule : « Dans tous les cas d'urgence la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse » ; qu'elle souligne que les demandes formulées par le salarié correspondent à des rappels de salaire et de frais sur une période allant du mois de décembre 2008 au mois de décembre 2013, ces demandes n'ayant jamais été évoquées avant la saisine, l'employeur en conteste donc l'urgence ; que l'article R. 1455-5 du code du travail précise le domaine de compétence de la formation de référé ; qu'il existe dans les faits plusieurs contestations sur les prestations demandées et sur la durée de la prescription et que le demandeur formule des demandes à titre principal et à titre subsidiaire, ce qui montre une incertitude de sa part ; qu'en conséquence, le conseil de prud'hommes, en formation de référé, considère que les prétentions supposent un examen au fond du litige.

1°/ ALORS QUE selon l'article L. 3121-3 du code du travail, les contreparties au temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage sont subordonnées à la réalisation cumulative des deux conditions qu'il édicte ; que pour déduire l'existence d'une prétendue contestation sérieuse du chef de M. X... et Aimain, après avoir relevé que le port d'une tenue de travail et de chaussures de sécurité était imposé par le règlement intérieur, la cour d'appel a retenu que l'existence de vestiaires et l'installation de douches dans l'établissement n'implique pas que tous les salariés de l'agence effectuent de travaux insalubres et salissants, que ces deux salariés ne précisent pas laquelle ou lesquelles de ces tâches imposaient, occasionnellement ou quotidiennement, la prise d'une douche sur le site et que les photos communiquées par l'employeur démontrent que les marchandises transportées sont emballées ; qu'en statuant ainsi, cependant que les contrats de travail de ces deux salariés, lesquels occupaient les fonctions d'agent de quai, prévoyaient, ainsi qu'il a été rappelé par la cour d'appel, que ces derniers devaient notamment ranger et nettoyer le quai et ses abords et réaliser les opérations de chargement et de déchargement des navettes, ce dont il résultait que ces salariés exécutaient incontestablement des travaux salissants nécessitant en outre le port de chaussures de sécurité et, par conséquent, que l'habillage et le déshabillage devait être réalisé dans l'entreprise ou sur le lieu de travail pour des raisons d'hygiène et de sécurité, la cour d'appel a violé les articles L. 3121-3 et R. 1455-5 à R. 1455-7 du code du travail.

2°/ ALORS QUE selon l'article L. 3121-3 du code du travail, les contreparties au temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage sont subordonnées à la réalisation cumulative des deux conditions qu'il édicte ; que pour déduire l'existence d'une prétendue contestation sérieuse du chef de M. Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F... et G..., après avoir relevé que le port d'une tenue de travail et de chaussures de sécurité était imposé par le règlement intérieur, la cour d'appel a retenu que l'existence de vestiaires et l'installation de douches dans l'établissement n'implique pas que tous les salariés de l'agence effectuent de travaux insalubres et salissants, que ces huit salariés ne précisent pas laquelle ou lesquelles de ces tâches imposaient, occasionnellement ou quotidiennement, la prise d'une douche sur le site et que les photos communiquées par l'employeur démontrent que les marchandises transportées sont emballées ; qu'en statuant ainsi, cependant que ces huit salariés, lesquels occupaient les fonctions de conducteur de véhicule poids lourd, réalisaient, ainsi qu'il est prévu par l'annexe I à la convention collective nationale du 21 décembre 1950 relatif à la nomenclature et définition des emplois des ouvriers, les opérations de chargement du véhicule et assuraient l'arrimage et la préservation des marchandises transportées, ce dont il résultait que ces salariés exécutaient incontestablement des travaux salissants nécessitant en outre le port de chaussures de sécurité et, par conséquent, que l'habillage et le déshabillage devait être réalisé dans l'entreprise ou sur le lieu de travail pour des raisons d'hygiène et de sécurité, la cour d'appel a violé les articles L. 3121-3 et R. 1455-5 à R. 1455-7 du code du travail.

ET ALORS en toute hypothèse QU'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les vêtements que les salariés étaient tenus de porter étaient constitués d'un tee-shirt et d'un sweat-shirt et d'une polaire marqués du sigle de l'entreprise ainsi que de chaussures de sécurité ; que les salariés soutenaient que le port de ces vêtements hors du lieu de travail, démontrant leur appartenance à l'entreprise, portait atteinte à leur vie privée en sorte qu'ils ne pouvaient être contraints de les revêtir hors de l'entreprise ; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-3 et R. 1455-5 à R. 1455-7 du code du travail

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR confirmé les ordonnances du juge des référés en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes en paiement d'une prime d'entretien des vêtements de travail formées par les salariés et, par conséquent, de les AVOIR débouté de leur demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et condamné aux dépens d'appel.

AUX MOTIFS QUE les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l'employeur ; que selon l'article 1er de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, les frais professionnels s'entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions ; qu'il en résulte que dans les entreprises où le port d'un vêtement de travail est obligatoire et inhérent à l'emploi, l'employeur doit assumer la charge de l'entretien de cette tenue chaque fois que la fréquence ou la difficulté de son nettoyage représente une dépense supplémentaire que le salarié n'a pas à supporter ; qu'en l'espèce, la tenue de travail imposée (au salarié) ne présente aucun caractère particulier autre que sa couleur et le sigle de la société ; qu'elle ne se distingue pas autrement des vêtements de ville que le salarié aurait portés en l'absence de clause contraire du règlement intérieur, et dont il retardé la vétusté, et par conséquent le renouvellement, en utilisant une tenue de travail plusieurs heures par jour ; que l'appelant, qui ne s'explique pas sur les modalités et la fréquence de l'entretien dont il poursuit la prise en charge par la Sas Kuehne + Nagel Road ne communique aucun élément de nature à relever l'existence d'une charge à caractère spécial que la société intimée serait tenue d'assumer à la place du salarié, selon les modalités définies par elle ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu à référé.

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES visés au premier moyen.

ALORS QU'il résulte des dispositions combinées des articles 1135 du code civil et L. 1221-1 du code du travail que les frais qu'un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être supportés par ce dernier ; que la cour d'appel qui a relevé que le port d'une tenue de travail était obligatoire pour les salariés et inhérent à leur emploi devait en déduire que l'employeur était tenu de prendre en charge leur entretien et, dans la mesure où l'existence de la dépense de l'entretien était certaine, fixer le montant de ces frais ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1135 du code civil et L. 1221-1 du code du travail, ensemble les articles R. 1455-5 à R. 1455-7 de ce même code.

ECLI:FR:CCASS:2016:SO02245
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