Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 octobre 2016, 15-23.230 15-26.147, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 15-23.230, 15-26.147
- ECLI:FR:CCASS:2016:C101104
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- Mme Batut
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° K 15-23.230 et n° F 15-26.147, qui sont dirigés contre la même décision ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 juin 2015), que M. X..., qui avait confié à Mme Y... (l'avocat) la défense de ses intérêts dans un litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Rhône Alpes (le prêteur), l'a assignée en responsabilité civile professionnelle et indemnisation, lui reprochant d'avoir commis une faute l'ayant empêché de saisir dans les délais requis la cour d'appel de renvoi après cassation ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° F 15-26.147 :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de limiter à 10 000 euros la condamnation de l'avocat à lui payer des dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge doit répondre aux conclusions des parties ; que le demandeur a soutenu, pour en déduire qu'il avait une chance certaine d'obtenir le rejet des prétentions de la CRCAM, que la Cour de cassation ne s'était prononcée qu'au regard des faits constatés par la cour d'appel, ce qui n'interdisait pas à la cour de renvoi de prendre en considération d'autres faits dans l'appréciation du caractère averti de l'emprunteur ; qu'en se bornant à affirmer, pour limiter à la somme de 10 000 euros l'indemnisation du préjudice de M. X..., que l'avocat lui avait fait perdre une chance, même minime, d'obtenir le rejet, ne serait-ce que partiel, des prétentions de la CRCAM, sans répondre aux conclusions de M. X... invoquant la possible prise en considération d'autres faits par la cour de renvoi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que tout jugement doit être motivé ; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue ; qu'en se bornant à affirmer que le préjudice de M. X... résultant de la perte de chance de gagner son procès par la faute de l'avocat sera entièrement indemnisé par l'octroi d'une somme de 10 000 euros, sans évaluer ni l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, ni le pourcentage de chance perdue, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de défaut de réponse à conclusions et d'insuffisance de motivation, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine par la cour d'appel, d'une part, de la valeur et de la portée des éléments de preuve à elle soumis, d'autre part, de l'importance du préjudice résultant d'une perte de chance ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° K 15-23.230 :
Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. X... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que pour déterminer les chances de succès d'une action ou voie de recours qui n'a pas été exercée, le juge doit reconstituer fictivement la discussion qui n'a pas été menée ; qu'en retenant que M. X... avait une chance d'échapper à une condamnation envers la CRCAM à rembourser le prêt qu'elle avait consenti à son auteur, Joseph X..., en invoquant la responsabilité de cet établissement de crédit, sans préciser en vertu de quels motifs la juridiction qui aurait dû être saisie de cette question aurait pu retenir la responsabilité de la banque malgré les deux arrêts par lesquels la cour régulatrice avait censuré deux précédentes décisions ayant retenu une telle responsabilité, en précisant notamment que les faits qui avaient été constatés, étaient exclusifs de toute faute de sa part, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2°/ que seule la perte d'une chance sérieuse peut donner lieu à réparation ; qu'en indemnisant M. X... de la perte « d'une chance même minime » d'obtenir le rejet des prétentions de la CRCAM qui sollicitait sa condamnation à rembourser le prêt souscrit par son auteur, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, qu'ayant rappelé que la Cour de cassation avait censuré les décisions ayant retenu la responsabilité du prêteur malgré des constatations dont il résultait que celui-ci était étranger au montage organisé par M. X... et n'était tenu d'aucun devoir de conseil envers ce dernier, la cour d'appel a pu retenir qu'existait un certain aléa judiciaire de nature à conduire la juridiction de renvoi à une solution différente, justifiant légalement sa décision de ce chef ;
Attendu, ensuite, que toute perte de chance ouvre droit à réparation ; qu'ayant retenu que la faute commise par l'avocat avait fait perdre à M. X... une chance, même minime, de voir écarter les prétentions du prêteur, les juges d'appel ont, à bon droit, admis sa demande d'indemnisation ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette toutes les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° K 15-23.230 par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné Mme Mireille Y... à payer à M. Patrick X... la somme de 10.000 € à titre de dommages intérêts ;
AUX MOTIFS QUE pour soutenir que la perte de chance invoquée est inexistante, Me Mireille Y... renvoie à la motivation de l'arrêt du 12 juillet 2005 aux termes de laquelle la Cour de cassation a jugé que la cour d'appel de Lyon ne pouvait, sans violer l'article 1147 du Code civil, retenir la responsabilité de l'établissement de crédit après des constatations dont il résultait que la Caisse, demeurée étrangère au montage organisé par son client emprunteur, n'était redevable à celui-ci, qui était particulièrement bien informé et en mesure d'apprécier l'opportunité de ses décisions, d'aucun devoir de conseil ; qu'en considération toutefois d'un certain aléa judiciaire, Me Y... a fait perdre à M. X... une chance même minime d'obtenir le rejet ne serait-ce que partiel, des prétentions de la CRCAM ; que la chance perdue ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; que le préjudice résultant de cette perte de chance sera entièrement indemnisée par l'octroi d'une somme de 10.000 € ;
1°) ALORS QUE pour déterminer les chances de succès d'une action ou voie de recours qui n'a pas été exercée, le juge doit reconstituer fictivement la discussion qui n'a pas été menée ; qu'en retenant que M. X... avait une chance d'échapper à une condamnation envers la CRCAM à rembourser le prêt qu'elle avait consenti à son auteur, Joseph X..., en invoquant la responsabilité de cet établissement de crédit, sans préciser en vertu de quels motifs la juridiction qui aurait dû être saisie de cette question aurait pu retenir la responsabilité de la banque malgré les deux arrêts par lesquels la Cour régulatrice avait censuré deux précédentes décisions ayant retenu une telle responsabilité, en précisant notamment que les faits qui avaient été constatés, étaient exclusifs de toute faute de sa part, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
2°) ALORS QUE seule la perte d'une chance sérieuse peut donner lieu à réparation ; qu'en indemnisant M. X... de la perte « d'une chance même minime (arrêt page 5, al. 1er) d'obtenir le rejet des prétentions de la CARCAM qui sollicitait sa condamnation à rembourser le prêt souscrit par son auteur, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil.
Moyen produit au pourvoi n° F 15-26.147 par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. X....
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Me Y... à payer à M. X... la somme de 10 000 € uniquement à titre de dommages-intérêts, Aux motifs qu'en considération d'un certain aléa judiciaire, Me Y... a fait perdre à M. X... une chance, même minime, d'obtenir le rejet, ne serait-ce que partiel, des prétentions de la CRCAM ; que la chance perdue ne peut pas être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; que le préjudice résultant de cette perte de chance sera entièrement indemnisé par l'octroi d'une somme de 10.000 € (arrêt p. 5, § 3 et 4) ;
Alors que, d'une part, le juge doit répondre aux conclusions des parties ; que l'exposant a soutenu (conclusions pp. 17 et 18), pour en déduire qu'il avait une chance certaine d'obtenir le rejet des prétentions de la CRCAM, que la Cour de cassation ne s'était prononcée qu'au regard des faits constatés par la cour d'appel, ce qui n'interdisait pas à la cour de renvoi de prendre en considération d'autres faits dans l'appréciation du caractère averti de l'emprunteur ; qu'en se bornant à affirmer, pour limiter à la somme de 10 000 € l'indemnisation du préjudice de M. X..., que l'avocate lui avait fait perdre une chance, même minime, d'obtenir le rejet, ne serait-ce que partiel, des prétentions de la CRCAM, sans répondre aux conclusions de M. X... invoquant la possible prise en considération d'autres faits par la cour de renvoi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors que, d'autre part, tout jugement doit être motivé ; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue ; qu'en se bornant à affirmer que le préjudice de M. X... résultant de la perte de chance de gagner son procès par la faute de Me Y... sera entièrement indemnisé par l'octroi d'une somme de 10.000 €, sans évaluer ni l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, ni le pourcentage de chance perdue, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision, en violation de l'article 455 du code de procédure civile.