Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 juillet 2016, 16-80.133, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Audience publique du 22 juillet 2016


M. LOUVEL, premier président


Arrêt n° 629 P+B+R+I


Pourvoi n° H 16-80.133




LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

REJET du pourvoi formé par Mme Christine X... née Y..., domiciliée ... Washington DC (Etats-Unis d'Amérique), contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2015 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, qui, pour le délit prévu et réprimé par les articles 432-16 et 432-17 du code pénal, l'a renvoyée devant cette Cour pour y être jugée ;

Le pourvoi a été renvoyé devant l'assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;

Mme Christine X... invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bénabent et Jéhannin ;

Le rapport écrit de Mme Durin-Karsenty, conseiller, et l'avis écrit de M. Cordier, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 1er juillet 2016, où étaient présents : M. Louvel, premier président, Mme Flise, M. Frouin, Mme Mouillard, M. Chauvin, présidents, MM. Castel et Girardet, conseillers faisant fonction de président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, MM. Chollet, Prétot, Finidori, Echappé, Mmes Verdun, Vallée, MM. Nivôse, Poirotte, Mme Orsini et M. Avel, conseillers, M. Cordier, premier avocat général, Mme Morin, directeur de greffe adjoint ;

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, assisté de M. Alexis Mihman, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Bénabent et Jéhannin, l'avis de M. Cordier, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'ordonner son renvoi devant la Cour de justice de la République, du chef d'infraction à l'article 432-16 du code pénal, alors, selon le moyen, que l'infraction prévue à l'article 432-16 du code pénal a pour condition préalable l'existence d'un détournement de fonds ; que le versement de fonds en exécution d'une décision judiciaire ou arbitrale exécutoire, fût-elle erronée ou infondée, ne constitue pas un détournement de fonds ; que seul le constat d'une fraude ayant vicié la décision peut conférer à cette exécution le caractère d'un détournement ; que lorsque des poursuites pénales sont engagées pour déterminer l'existence éventuelle d'une telle fraude, la condition préalable de l'article 432-16 du code pénal ne peut, tant que ces poursuites n'ont pas été jugées ou abandonnées, être retenue par une autre juridiction à peine de risque de contrariété de décisions ; qu'en l'espèce, la commission d'instruction a constaté que des poursuites pénales étaient en cours devant les juridictions de droit commun pour déterminer si la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 et son exécution sont constitutives d'un détournement de fonds ; que pour renvoyer néanmoins Mme X... devant la Cour de justice de la République du chef de négligence par un dépositaire de l'autorité publique dont est résulté un détournement de fonds publics par un tiers, la commission d'instruction s'est bornée à relever le caractère "indu" de l'octroi des condamnations prononcées par le tribunal arbitral ; que ce caractère "indu" de la décision arbitrale ne pouvait pourtant suffire à faire de son exécution un détournement des fonds versés et que l'infraction prévue à l'article 432-16 du code pénal se trouve donc dans la dépendance de la qualification pénale des versements effectués en exécution de la sentence, qualification faisant précisément l'objet de l'instruction en cours ;

Mais attendu que la commission d'instruction, qui était saisie des seuls faits visés à l'article 432-16 du code pénal, sur le fondement duquel Mme X..., membre du Gouvernement, avait été mise en examen, n'était pas tenue d'attendre l'issue de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Paris, dans l'information suivie contre des tiers du chef de détournement de fonds publics, délit visé à l'article 433-4 du code pénal ;

Qu'en effet, d'une part, le délit prévu à l'article 432-16 du code pénal constitue une infraction distincte de celle visée à l'article 433-4 du même code et autonome par rapport à cette dernière ;

Que, d'autre part, la procédure suivie devant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République est indépendante de celles diligentées devant d'autres juridictions pénales ;

D'où il suit que le grief n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et sur les deuxième et troisième moyens, réunis :

Attendu que Mme X... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 432-16 du code pénal ne rend punissable que la négligence dont il "résulte" un détournement ; que l'exigence de ce lien de causalité commande que le constat préalable du détournement porte non seulement sur l'existence d'une fraude mais aussi sur les manoeuvres constitutives de celle-ci, pour permettre d'apprécier si ces manoeuvres résultent ou non d'une négligence du dépositaire de l'autorité publique ; que la commission d'instruction pouvait ainsi d'autant moins renvoyer Mme X... devant la Cour de justice de la République du chef de négligence dont résulte un détournement ;

2°/ que la voie procédurale de l'arbitrage, voie reconnue, organisée et contrôlée par le code de procédure civile, constitue un mode normal de règlement des litiges commerciaux, présentant une légitimité égale à celle de la voie judiciaire ; qu'il en est d'autant plus ainsi qu'elle permet, à la différence de la voie judiciaire, de regrouper plusieurs procédures et de fixer un plafond aux demandes des parties, encadrant par là les risques courus inhérents à toute procédure ; qu'en l'absence de toute circonstance anormale ou suspecte relative à la personnalité des arbitres ou aux modalités de leur désignation, le choix de ce mode de règlement d'un litige ne présente pas d'aléas différents de ceux courus devant une juridiction étatique et ne peut donc, quel qu'en soit le processus, caractériser une négligence de son auteur, dépositaire ou non de l'autorité publique ; qu'en conséquence, à supposer même que le déroulement ultérieur de la procédure arbitrale ait pu aboutir à un détournement de fonds publics, la décision initiale de recourir à l'arbitrage, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle a été prise par le dépositaire de l'autorité publique qui n'a pas participé personnellement à ce détournement, est impropre à caractériser une négligence, cause de ce détournement ;

3°/ que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif des décisions judiciaires et non à leurs motifs ; que si l'article L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire revêt les décisions de cassation rendues en assemblée plénière d'une force obligatoire à l'égard de la juridiction de renvoi sur les points de droit ayant abouti à la cassation, il ne déroge pas à l'article 480 du code de procédure civile et ne confère aucune autorité de la chose jugée aux motifs de ces décisions ; que l'existence d'un "moyen sérieux d'annulation" ne pouvait donc se déduire, comme le fait la décision attaquée, d'une méconnaissance par la sentence arbitrale de "l'autorité de la chose jugée (des) motifs de l'arrêt du 9 octobre 2006" ;

4°/ que la commission d'instruction ne pouvait, sans se contredire, conclure à une négligence de la ministre qui "avait été informée de l'existence d'un moyen sérieux d'annulation", après avoir relevé la "formulation d'avis divergents" des différents juristes consultés, et parfois même du même auteur à quelques jours d'intervalle ;

5°/ que la commission d'instruction ne pouvait, sans se contredire, qualifier de négligence pénalement punissable la décision de la ministre de renoncer à l'exercice d'un recours après avoir énoncé que, compte tenu notamment de l'existence d'une contrepartie à cette renonciation et des avis divergents précités, cette décision constituait "l'expression de la souveraineté du ministre de tutelle", ne pouvant "être appréciée par le juge pénal du point de vue de l'opportunité politique" ;

6°/ que l'infraction prévue à l'article 432-16 du code pénal ne peut être constituée que si le détournement constaté "résulte" de la négligence imputée au dépositaire de l'autorité publique ; que lorsque le détournement procède de l'exécution d'une sentence arbitrale viciée par une fraude, seules les négligences qui sont à l'origine de cette fraude peuvent être punissables ; que la commission d'instruction, qui ne relève aucun lien de causalité entre les négligences imputées à la ministre et le comportement frauduleux d'un des arbitres ayant seul pu conférer à l'exécution de la sentence le caractère d'un détournement, et qui ne constate pas non plus que ce comportement frauduleux aurait été prévisible lors de la décision de compromettre ou décelable lors de celle de ne pas former de recours en annulation, n'a ainsi relevé aucune charge relative à cet élément indispensable à la constitution de l'infraction ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté que Mme X..., en sa qualité de dépositaire de l'autorité publique, avait la disposition de fonds publics, relève des manquements dans leur surveillance qui constituent autant de charges à son encontre d'avoir commis des négligences et retient que ces fautes ont rendu possible le détournement de fonds publics par des tiers ;

Qu'en l'état de ces énonciations, procédant de leur appréciation souveraine des faits, les juges ont justifié leur décision ;

Qu'en effet, la Cour de cassation, à qui il n'appartient pas d'apprécier la valeur des charges dont la commission a retenu l'existence à l'encontre de la personne mise en examen, n'a d'autre pouvoir que de vérifier si la qualification qui leur a été donnée par l'arrêt attaqué, justifie la saisine de la Cour de justice de la République ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt-deux juillet deux mille seize par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour Mme Christine X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

VIOLATION des articles 432-16, 432-17, 433-4 et 121-3 du code pénal, 18 et suivants de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

EN CE QUE l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de Mme Christine X... devant la Cour de justice de la République du chef d'infraction aux articles 432-16 et 432-17 du code pénal ;

AUX MOTIFS QUE "l'information suivie au tribunal de grande instance de Paris pour, notamment, escroquerie en bande organisée, détournement de fonds publics et complicité de ce délit, dans laquelle ont été mis en examen de ces chefs MM. Z..., A..., B..., C..., D... et E..., si elle n'est pas clôturée, a mis en évidence le caractère indu de l'octroi par le tribunal arbitral, dont les sentences ont été rétractées par l'arrêt du 17 février 2015 de la cour d'appel de Paris, d'une somme - évaluée à environ 403 millions d'euros - au bénéfice des liquidateurs du groupe Bernard Z... et des époux Z... (cf. supra, 1.2.1.7 et 1.2.2.2) ; que la réalité du détournement de ces fonds publics, confirmée par les autres éléments du présent dossier, suffit à justifier qu'il soit mis fin à la présente information ; qu'en effet, le délit prévu par l'article 432-16 du code pénal, constitutif, comme le blanchiment, d'une infraction distincte et autonome, suppose seulement que soit constatée l'existence d'un fait punissable de détournement de fonds publics, lequel pourrait même ne pas avoir fait l'objet de poursuites (cf. pour la complicité, Crim., 28 novembre 2006, Bull. n° 294 ; pour le blanchiment, Crim., 20 février 2008, Bull. n° 43 et Crim., 9 avril 2015, n° 14-87.660) ; qu'en outre, le respect d'un délai raisonnable implique qu'il soit, dès à présent, mis fin à une information ouverte depuis le 16 août 2011 ; qu'au demeurant, n'a été formulée aucune demande tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue des autres procédures, pénale et civile, suivies devant les juridictions de droit commun" ;

1°/ ALORS QUE l'infraction prévue à l'article 432-16 du code pénal a pour condition préalable l'existence d'un détournement de fonds ; que le versement de fonds en exécution d'une décision judiciaire ou arbitrale exécutoire, fût-elle erronée ou infondée, ne constitue pas un détournement de fonds ; que seul le constat d'une fraude ayant vicié la décision peut conférer à cette exécution le caractère d'un détournement ; que lorsque des poursuites pénales sont engagées pour déterminer l'existence éventuelle d'une telle fraude, la condition préalable de l'article 432-16 du code pénal ne peut, tant que ces poursuites n'ont pas été jugées ou abandonnées, être retenue par une autre juridiction à peine de risque de contrariété de décisions ; qu'en l'espèce, la commission d'instruction a constaté que des poursuites pénales étaient en cours devant les juridictions de droit commun pour déterminer si la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 et son exécution sont constitutives d'un détournement de fonds ; que pour renvoyer néanmoins l'exposante devant la Cour de justice de la République du chef de négligence par un dépositaire de l'autorité publique dont est résulté un détournement de fonds publics par un tiers, la commission d'instruction s'est bornée à relever le caractère « indu » de l'octroi des condamnations prononcées par le tribunal arbitral ; que ce caractère « indu » de la décision arbitrale ne pouvait pourtant suffire à faire de son exécution un détournement des fonds versés et que l'infraction prévue à l'article 432-16 du code pénal se trouve donc dans la dépendance de la qualification pénale des versements effectués en exécution de la sentence, qualification faisant précisément l'objet de l'instruction en cours ;

2°/ ALORS QUE l'article 432-16 du code pénal ne rend punissable que la négligence dont il "résulte" un détournement ; que l'exigence de ce lien de causalité commande que le constat préalable du détournement porte non seulement sur l'existence d'une fraude mais aussi sur les manoeuvres constitutives de celle-ci, pour permettre d'apprécier si ces manoeuvres résultent ou non d'une négligence du dépositaire de l'autorité publique ; que la commission d'instruction pouvait ainsi d'autant moins renvoyer l'exposante devant la Cour de justice de la République du chef de négligence dont résulte un détournement.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

VIOLATION des articles 432-16, 432-17 et 121-3 du code pénal, 1er de la loi des 16 et 24 août 1790, 18 et suivants de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993, L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire, 480 du code de procédure civile, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale ;

EN CE QUE l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de Mme Christine X... devant la Cour de justice de la République du chef d'infraction aux articles 432-16 et 432-17 du code pénal ;

AUX MOTIFS CONCLUSIFS QU'"il résulte de l'information charges suffisantes contre Mme Christine X... :
- d'avoir, à Paris, en tout cas sur le territoire national, en 2007 et 2008, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dépositaire de l'autorité publique :
- d'une part, en septembre et octobre 2007, décidé de soumettre à l'arbitrage les contentieux opposant le CDR aux liquidateurs des sociétés du groupe Z... et des époux Z..., alors que cette procédure lui avait été déconseillée par des notes répétées de l'APE établies à son intention et, notamment :
- sans vérifier préalablement la possibilité juridique de recourir à l'arbitrage,
- en nommant M. C..., qui ne connaissait pas le dossier et allait atteindre la limite d'âge dans les semaines suivantes, à la tête de l'EPFR,
- sans se livrer à un examen approfondi des éléments du dossier, notamment sans s'informer de la tentative, courant 2004-2005, de parvenir à une médiation et des propositions qui ont alors été faites, des conditions posées le 22 décembre 2005 par le "comité des sages", des prescriptions de l'article 2 de la loi du 28 novembre 1995 et des lettres interprétatives du 17 mars 1999 du ministre de l'économie relatives à la garantie, par l'Etat, des risques non chiffrables et à la contribution financière forfaitaire du Crédit lyonnais,
- sans s'assurer du respect des conditions posées dans ses instructions écrites du 10 octobre 2007 et reprises par le conseil d'administration de l'EPFR,
- sans consulter la direction juridique de son ministère,
- sans encadrer suffisamment l'arbitrage, notamment les demandes d'indemnisation ;
- d'autre part, en juillet 2008, renoncé à l'exercice d'un recours contre la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 alors qu'elle avait été informée de l'existence d'un moyen sérieux d'annulation, et notamment :
- en ayant agi de manière précipitée, dix-neuf jours avant l'expiration du délai de recours,
- en ayant négligé de procéder à une étude suffisante des arguments juridiques susceptibles d'être invoqués au soutien d'une demande d'annulation ; qu'avant de prendre sa décision, elle n'a, en effet :
- pas pris connaissance de toutes les notes de l'APE qui lui étaient destinées, non plus que de l'avis de M. F... qu'elle n'a jamais convié à venir lui exposer son point de vue,
- "pas estimé utile d'aller, en ce qui concerne l'historique, au-delà de la lecture de l'arrêt de l'assemblée plénière", comme elle l'a admis elle-même, tout en indiquant que les motifs avaient été d'une lecture difficile,
- pas cherché à rencontrer Me Soltner, l'avocat du CDR devant l'assemblée plénière, pour qu'il lui expose le contenu des écrits des 17 et 23 juillet 2008, lesquels, selon elle, "n'étaient pas d'une lecture très facile",
- pas consulté le service juridique de son ministère, non plus que, fût-ce officieusement, le Conseil d'Etat ;
- en ayant mis en place un processus décisionnel unilatéral et refermé sur lui-même, tendant seulement à la conforter dans sa "position initiale, qui n'allait pas dans le sens d'un recours", qu'il s'agisse :
- de l'organisation de la réunion unanimiste du 20 juillet 2008 avec M. D... et Me August, et dont ont été écartés les représentants de l'APE et les avocats favorables au recours, Me Soltner et Me Martel,
- des modalités de recueil des avis, dont certains pourraient avoir été demandés, comme le relève le ministère public dans son réquisitoire, "pour contrebalancer les avis précédemment émis, et qui se révélaient pour partie favorables au recours" ;
- et d'avoir, du fait des fautes ci-dessus énumérées, constitutives d'autant de négligences graves, permis que soit détournée par des tiers la somme de 403 millions d'euros, versée par l'EPFR aux liquidateurs des sociétés du groupe Z... et aux époux Z... en exécution des sentences arbitrales des 7 juillet et 27 novembre 2008" ;

1°/ ALORS QUE, POUR CE QUI CONCERNE LE PREMIER GRIEF (décision de soumettre à l'arbitrage les contentieux litigieux), la voie procédurale de l'arbitrage, voie reconnue, organisée et contrôlée par le code de procédure civile, constitue un mode normal de règlement des litiges commerciaux, présentant une légitimité égale à celle de la voie judiciaire ; qu'il en est d'autant plus ainsi qu'elle permet, à la différence de la voie judiciaire, de regrouper plusieurs procédures et de fixer un plafond aux demandes des parties, encadrant par là les risques courus inhérents à toute procédure ; qu'en l'absence de toute circonstance anormale ou suspecte relative à la personnalité des arbitres ou aux modalités de leur désignation, le choix de ce mode de règlement d'un litige ne présente pas d'aléas différents de ceux courus devant une juridiction étatique et ne peut donc, quel qu'en soit le processus, caractériser une négligence de son auteur, dépositaire ou non de l'autorité publique ; qu'en conséquence, à supposer même que le déroulement ultérieur de la procédure arbitrale ait pu aboutir à un détournement de fonds publics, la décision initiale de recourir à l'arbitrage, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle a été prise par le dépositaire de l'autorité publique qui n'a pas participé personnellement à ce détournement, est impropre à caractériser une négligence, cause de ce détournement ;

2°/ ALORS QUE, POUR CE QUI CONCERNE LE SECOND GRIEF (renonciation à l'exercice d'un recours en annulation de la sentence), que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif des décisions judiciaires et non à leurs motifs ; que si l'article L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire revêt les décisions de cassation rendues en assemblée plénière d'une force obligatoire à l'égard de la juridiction de renvoi sur les points de droit ayant abouti à la cassation, il ne déroge pas à l'article 480 du code de procédure civile et ne confère aucune autorité de la chose jugée aux motifs de ces décisions ; que l'existence d'un "moyen sérieux d'annulation" ne pouvait donc se déduire, comme le fait la décision attaquée (pp. 29 et 51), d'une méconnaissance par la sentence arbitrale de "l'autorité de la chose jugée (des) motifs de l'arrêt du 9 octobre 2006" ;

3°/ ALORS QU'EN OUTRE, POUR CE QUI CONCERNE CE MÊME GRIEF, la commission d'instruction ne pouvait, sans se contredire, conclure à une négligence de la ministre qui "avait été informée de l'existence d'un moyen sérieux d'annulation", après avoir relevé la "formulation d'avis divergents" des différents juristes consultés, et parfois même du même auteur à quelques jours d'intervalle (pp. 29, 30 et 50) ;

4°/ ALORS QU'AU SURPLUS, POUR CE QUI CONCERNE TOUJOURS CE MÊME GRIEF, la commission d'instruction ne pouvait, sans se contredire, qualifier de négligence pénalement punissable la décision de la ministre de renoncer à l'exercice d'un recours après avoir énoncé que, compte tenu notamment de l'existence d'une contrepartie à cette renonciation et des avis divergents précités, cette décision constituait "l'expression de la souveraineté du ministre de tutelle", ne pouvant "être appréciée par le juge pénal du point de vue de l'opportunité politique" (p. 51).

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

VIOLATION des articles 432-16, 432-17, 121-3 du code pénal, 18 et suivants de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

EN CE QUE l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de Mme Christine X... devant la Cour de justice de la République du chef d'infraction aux articles 432-16 et 432-17 du code pénal ;

AUX MOTIFS QU'"il résulte de l'information charges suffisantes contre Mme Christine X... [...] d'avoir, du fait des fautes ci-dessus énumérées, constitutives d'autant de négligences graves, permis que soit détournée par des tiers la somme de 403 millions d'euros, versée par l'EPFR aux liquidateurs des sociétés du groupe Z... et aux époux Z... en exécution des sentences arbitrales des 7 juillet et 27 novembre 2008" ;

ALORS QUE l'infraction prévue à l'article 432-16 du code pénal ne peut être constituée que si le détournement constaté "résulte" de la négligence imputée au dépositaire de l'autorité publique ; que lorsque le détournement procède de l'exécution d'une sentence arbitrale viciée par une fraude, seules les négligences qui sont à l'origine de cette fraude peuvent être punissables ; que la commission d'instruction, qui ne relève aucun lien de causalité entre les négligences imputées à la ministre et le comportement frauduleux d'un des arbitres ayant seul pu conférer à l'exécution de la sentence le caractère d'un détournement, et qui ne constate pas non plus que ce comportement frauduleux aurait été prévisible lors de la décision de compromettre ou décelable lors de celle de ne pas former de recours en annulation, n'a ainsi relevé aucune charge relative à cet élément indispensable à la constitution de l'infraction.

ECLI:FR:CCASS:2016:AP90629
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