Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 7 juillet 2016, 15-18.306, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 15-18.306
- ECLI:FR:CCASS:2016:C300822
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- M. Chauvin
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1144 du code civil ;
Attendu que le créancier peut, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 5 février 2015), que la société Resplandy Regina est locataire de locaux, à usage d'hôtel, appartenant à M. X... ; que, le 3 novembre 2010, la commission communale de sécurité a dressé un procès-verbal prescrivant l'exécution de travaux de sécurité incendie, certains, concernant l'ascenseur, déjà énoncés lors d'une précédente visite ; qu'en dépit de plusieurs mises en demeure délivrées en 2009 et 2010, le bailleur a refusé de prendre en charge ces travaux ; que la société Resplandy Regina l'a alors assigné pour voir juger que les travaux lui incombaient et obtenir sa condamnation à en payer le coût ; qu'en cours de procédure, la société Resplandy Regina a obtenu du juge de la mise en état, par ordonnance du 21 mai 2012, la condamnation du bailleur à lui verser une provision de 48 017,69 euros ; que la société preneuse a réalisé les travaux ;
Attendu que, pour rejeter l'ensemble des prétentions de la société Resplandy Regina, l'arrêt retient que les travaux ont été effectués avant même que le bailleur ait payé la provision et que la condamnation à l'avance des frais ne vaut pas autorisation implicite de les faire en l'absence de toute demande d'autorisation ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'allocation au preneur d'une provision en vue de la réalisation de travaux incombant au bailleur vaut nécessairement autorisation de les effectuer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne MM. Pierre et Jean-Pierre X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de MM. Pierre et Jean-Pierre X... et les condamne à payer à la société Resplandy Regina la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Resplandy Regina
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté l'EURL Resplandy Regina de l'ensemble de ses prétentions en remboursement de travaux effectués dès lors qu'ils l'ont été sans autorisation judiciaire préalable ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « l'article 1144 du Code civil dispose : "Le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur. Celui-ci peut être condamné à faire l'avance des sommes nécessaires à cette exécution" ;
Qu'il convient de rappeler – en droit – que cet article est inséré en une section 3 – "De l'obligation de faire ou de ne pas faire" – d'un chapitre 3 sur l'exécution des obligations dont le premier article 1142 du Code civil dispose : "Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur" ;
Que l'article 1144 du Code civil se présente comme un texte d'exception, et donc à interprétation stricte ; qu'il est de principe que des travaux ne peuvent être effectués sauf urgence caractérisée par le preneur à la place du bailleur qu'après refus exprès de les faire et autorisation judiciaire ;
Que si on peut considérer comme acquis et constant que le bailleur refusait d'effectuer les travaux demandés par le preneur, il n'existe à ce jour aucune décision de justice – ni l'ordonnance du juge de la mise en état, ni le jugement de première instance – qui autorisait judiciairement au sens de l'article 1144 du Code civil précité l'exécution des travaux par le preneur ;
Qu'il faut souligner que la condamnation à l'avance des frais de travaux ne vaut pas autorisation implicite de les faire, d'autant qu'aucune décision intervenue ne vise même le texte de l'article 1144 du Code civil et que le preneur ne l'invoque pas d'ailleurs ; qu'il n'a jamais demandé une telle autorisation en ses écritures judiciaires, ce qu'il reconnaît en ses écritures d'appel ;
Qu'aucune circonstance de fait ne justifie d'une quelconque urgence pour effectuer des travaux sans autorisation judiciaire préalable, puisque ceux-ci ont été effectués avant même que le bailleur ait payé la provision allouée par le juge de la mise en état en mai 2012 et près d'un an postérieurement à l'engagement de la procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance en octobre 2011, et alors que la menace de faire lui-même des travaux par le preneur date de 2010 ;
Qu'il résulte pourtant du dossier que l'administration a émis des avis favorables à la poursuite d'exploitation en 2008 et 2010 tout en rappelant les nouvelles obligations de l'établissement depuis un texte général de 2006, et des avis défavorables pour un échéancier de travaux le 15/02/2012, puis rappel le 14/04/2012 et 16/05/2012 ; que par suite encore le Maire a émis le 23/10/2012 un arrêté après procès-verbal du 25/09/2012 une mise en demeure d'exécution de travaux avant le 15/12/2012 en indiquant en l'article 2 de son arrêté : "A défaut d'exécution, des sanctions administratives pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement pourront être adoptées" ;
Que ces faits justifient d'une nécessité de trouver une solution mais l'EURL Resplandy Regina n'invoque pas même et ne justifie pas d'une urgence telle qu'elle n'aurait pas eu le temps de demander une autorisation judiciaire dans l'instance en cours avant d'effectuer les travaux, qui demeureront en conséquence à sa charge » ;
ALORS en premier lieu QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que l'EURL Resplandy Regina faisait valoir à l'appui de ses prétentions « qu'à la date de saisine les travaux ne sont pas effectués. Que toutefois la Commission de sécurité de la ville refusera tout délai au preneur pour effectuer les travaux menaçant de faire fermer l'établissement. Que devant l'attitude dilatoire du preneur qui refusera même dans le cadre de l'action ouverte devant le tribunal de grande instance de prendre des écritures l'EURL Resplandy se verra contrainte de saisir le Juge de la mise en état » (conclusions d'appel de l'exposante, p. 6, dernier §, et p. 7, § 1 et 2), ce dont il ressort que la seule finalité de la saisine du Juge de la mise en état résidait dans l'urgence pour celle-ci d'exécuter les travaux prescrits par la Commission de sécurité ; qu'en retenant néanmoins que l'EURL Resplandy Regina reconnaissait dans ses écritures d'appel ne jamais avoir sollicité l'autorisation d'effectuer les travaux litigieux (arrêt, p. 10, § 1er), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ses conclusions, méconnaissant les exigences de l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS en deuxième lieu QUE le preneur peut obtenir remboursement des travaux réalisés lorsque, outre la mise en demeure du bailleur, il a sollicité une autorisation judiciaire de les exécuter ; que, lorsque le juge condamne le bailleur à verser au preneur une avance des sommes nécessaires à l'exécution d'une obligation, il autorise en réalité celui-ci à réaliser lui-même cette dernière, sans quoi la somme versée n'aurait aucun sens ; qu'en l'espèce, l'ordonnance du Juge de la mise en état du 21 mai 2012 avait décidé qu'il convenait « de condamner Monsieur X... à payer à l'EURL Resplandy Regina la somme de 48.017,69 € à titre de provision » (p. 2, dernier §), ce dont il résulte qu'elle autorisait celle-ci à effectuer – à l'aide de cette somme – les travaux litigieux ; qu'en retenant néanmoins que « la condamnation à l'avance des frais de travaux ne vaut pas autorisation implicite de les faire » (arrêt, p. 10, § 1er), la cour d'appel a violé l'article 1144 du Code civil ;
ALORS en troisième lieu QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que l'EURL Resplandy Regina faisait valoir à l'appui de ses prétentions qu'à « la date de saisine les travaux ne sont pas effectués. Que toutefois la Commission de sécurité de la ville refusera tout délai au preneur pour effectuer les travaux menaçant de faire fermer l'établissement » (conclusions d'appel de l'exposante, p. 6, dernier §, et p. 7, § 1er), ce dont il ressort qu'elle soulignait l'urgence de la situation, les travaux litigieux devant être réalisés sans délai, l'établissement étant sinon menacé de fermeture ; qu'en retenant néanmoins que « l'EURL Resplandy Regina n'invoque pas même […] une urgence telle qu'elle n'aurait pas eu le temps de demander une autorisation judiciaire dans l'instance en cours avant d'effectuer les travaux » (arrêt, p. 10, § 4), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ses conclusions, méconnaissant les exigences de l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS en quatrième lieu QUE, en tout état de cause, l'autorisation judiciaire n'est pas requise en cas d'urgence, sous réserve que le bailleur ait été mis en demeure de les exécuter ; qu'en relevant que « l'administration a émis des avis favorables à la poursuite d'exploitation en 2008 et 2010 tout en rappelant les nouvelles obligations de l'établissement depuis un texte général de 2006, et des avis défavorables pour un échéancier de travaux le 15/02/2012, puis rappel le 14/04/2012 et 16/05/2012 » et « que par suite encore le Maire a émis le 23/10/2012 un arrêté après procès-verbal du 25/09/2012 une mise en demeure d'exécution de travaux avant le 15/12/2012 en indiquant en l'article 2 de son arrêté : "A défaut d'exécution, des sanctions administratives pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement pourront être adoptées" » (arrêt, p. 10, § 3), sans toutefois rechercher si cette mise en demeure d'exécution des travaux avant le 15 décembre 2012, sous peine de fermeture de l'établissement, n'était pas constitutive d'une urgence empêchant l'EURL Resplandy Regina de solliciter une autorisation judiciaire de réaliser elle-même les travaux litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1144 du Code civil ;