Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 juin 2016, 15-20.338, Inédit
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 juin 2016, 15-20.338, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 15-20.338
- ECLI:FR:CCASS:2016:C300755
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du jeudi 23 juin 2016
Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, du 08 avril 2015- Président
- M. Chauvin (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 809 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 8 avril 2015), que la société Saint-Florent du Cap a acquis en 2011 de la société Les Trois Pointes une maison voisine du Domaine de Porticcio ; que, se plaignant de ce que l'alimentation en eau de cette maison avait été coupée en 2013 par l'Association syndicale des propriétaires du Domaine de Porticcio, la société Saint-Florent du Cap l'a assignée en référé, sur le fondement d'un trouble manifestement illicite, en rétablissement de ce branchement ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à référé, l'arrêt retient que la preuve n'est pas rapportée que la maison ait été habitée au moment où la coupure d'eau avait été réalisée et que, par conséquent, personne n'a été privé subitement, sur la base d'une décision unilatérale, d'un élément essentiel à la vie courante ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la coupure unilatérale de l'alimentation en eau d'une maison destinée à l'habitation constitue un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne l'Association syndicale des propriétaires du Domaine de Porticcio aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'Association syndicale des propriétaires du Domaine de Porticcio et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Saint-Florent du Cap ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Saint-Florent du Cap.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le Juge des référés était incompétent pour statuer sur les demandes de la société Saint-Florent du Cap ;
AUX MOTIFS QUE le juge des référés a à juste titre rappelé qu'aux termes de l'article 809 du Code de procédure civile le Président du Tribunal de grande instance peut toujours même en présence d'une contestation sérieuse prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'il ressort de la lecture des motifs de sa décision que celui-ci a entendu se fonder sur cet article, considérant à bon droit que l'examen du bien-fondé de la licéité de la construction et de l'alimentation en eau de la maison cadastrée numéro A2177 relevait de la compétence du juge du fond ; que la critique élevée par l'appelante, tenant à l'absence d'indication du fondement juridique de la décision, n'est donc pas fondée ; que dans ce cadre juridique, le Juge des référés avait à caractériser le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, comme le soutient l'ASL, aucun « dommage imminent » n'est à craindre puisque la coupure d'eau est d'ores et déjà réalisée ; que l'existence d'un trouble est indéniable au vu du constat d'huissier du novembre 2013, qui établit que la maison est privée de toute alimentation en eau, ce que ne conteste pas l'appelante, qui explique que lors des travaux de rénovation du réseau d'eau de sa propriété elle a délibérément refusé de procéder au raccordement de l'alimentation en eau de ladite maison, au motif qu'elle avait initialement été réalisée de façon totalement illégale par la SARL Saint-Florent du Cap ; que le caractère « manifestement illicite » de ce trouble, tel qu'il doit être caractérisé par le Juge des référés, ne dépend pas de la licéité du comportement du propriétaire de la maison, nul n'étant admis à se faire justice soi-même ; mais, qu'en l'absence de toute preuve que la maison était habitée au moment où la coupure d'eau a été réalisée, et que par conséquent une personne a été privée subitement, sur la base d'une décision unilatérale, d'un élément essentiel à la vie courante, il n'est pas établi que la SARL Saint-Florent du Cap subisse un trouble manifestement illicite, justifiant l'intervention du juge des référés ; qu'à cet égard la seule privation, évoquée dans les écritures de l'intimée, de la possibilité d'occuper le logement, et alors que la propriétaire est une SARL dont le siège social se trouve à Meudon, est insuffisante ; qu'en conséquence, la décision déférée sera infirmée, la cour dira que le juge des référés était incompétent pour statuer ;
1°) ALORS QUE l'illicéité manifeste du trouble que le juge des référés a mission de faire cesser ne dépend pas de sa gravité ; qu'en déduisant l'absence de trouble manifestement illicite résultant des agissements de l'ASL qui avait brutalement privé d'alimentation en eau la maison appartenant à la société Saint-Florent du Cap de ce que ce bâtiment n'était pas habité « au moment où la coupure d'eau a été réalisée » et que personne n'avait été « privé subitement » d'eau, la Cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant car étranger à l'illicéité du trouble et a violé l'article 809 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE constituent un trouble manifestement illicite les agissements par lesquels une personne porte atteinte à une situation de fait paisible dont profitait un tiers ; qu'en écartant l'existence d'un trouble manifestement illicite, bien qu'elle ait relevé que l'ASL avait brutalement coupé l'alimentation en eau de la maison appartenant à la société Saint-Florent du Cap, aux motifs que « la seule privation […] de la possibilité d'occuper le logement, […] alors que la propriétaire est une SARL dont le siège social se trouve à Meudon, est insuffisante » (arrêt, p. 4, dernier §, se poursuivant p. 5), la Cour d'appel a violé l'article 809 du Code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ; qu'en relevant, pour écarter l'existence d'un trouble subi par la société Saint-Florent du Cap en raison de la coupure de l'alimentation en eau de la maison lui appartenant à laquelle l'ASL avait procédé, que la société avait son siège à Meudon et qu'aucune personne n'habitait la maison au moment où la coupure avait été réalisée, quand la seule impossibilité d'occuper à tout moment cette maison que subissait son propriétaire suffisait à caractériser un trouble manifestement illicite, la Cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil.ECLI:FR:CCASS:2016:C300755
Sur le moyen unique :
Vu l'article 809 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 8 avril 2015), que la société Saint-Florent du Cap a acquis en 2011 de la société Les Trois Pointes une maison voisine du Domaine de Porticcio ; que, se plaignant de ce que l'alimentation en eau de cette maison avait été coupée en 2013 par l'Association syndicale des propriétaires du Domaine de Porticcio, la société Saint-Florent du Cap l'a assignée en référé, sur le fondement d'un trouble manifestement illicite, en rétablissement de ce branchement ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à référé, l'arrêt retient que la preuve n'est pas rapportée que la maison ait été habitée au moment où la coupure d'eau avait été réalisée et que, par conséquent, personne n'a été privé subitement, sur la base d'une décision unilatérale, d'un élément essentiel à la vie courante ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la coupure unilatérale de l'alimentation en eau d'une maison destinée à l'habitation constitue un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne l'Association syndicale des propriétaires du Domaine de Porticcio aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'Association syndicale des propriétaires du Domaine de Porticcio et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Saint-Florent du Cap ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Saint-Florent du Cap.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le Juge des référés était incompétent pour statuer sur les demandes de la société Saint-Florent du Cap ;
AUX MOTIFS QUE le juge des référés a à juste titre rappelé qu'aux termes de l'article 809 du Code de procédure civile le Président du Tribunal de grande instance peut toujours même en présence d'une contestation sérieuse prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'il ressort de la lecture des motifs de sa décision que celui-ci a entendu se fonder sur cet article, considérant à bon droit que l'examen du bien-fondé de la licéité de la construction et de l'alimentation en eau de la maison cadastrée numéro A2177 relevait de la compétence du juge du fond ; que la critique élevée par l'appelante, tenant à l'absence d'indication du fondement juridique de la décision, n'est donc pas fondée ; que dans ce cadre juridique, le Juge des référés avait à caractériser le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, comme le soutient l'ASL, aucun « dommage imminent » n'est à craindre puisque la coupure d'eau est d'ores et déjà réalisée ; que l'existence d'un trouble est indéniable au vu du constat d'huissier du novembre 2013, qui établit que la maison est privée de toute alimentation en eau, ce que ne conteste pas l'appelante, qui explique que lors des travaux de rénovation du réseau d'eau de sa propriété elle a délibérément refusé de procéder au raccordement de l'alimentation en eau de ladite maison, au motif qu'elle avait initialement été réalisée de façon totalement illégale par la SARL Saint-Florent du Cap ; que le caractère « manifestement illicite » de ce trouble, tel qu'il doit être caractérisé par le Juge des référés, ne dépend pas de la licéité du comportement du propriétaire de la maison, nul n'étant admis à se faire justice soi-même ; mais, qu'en l'absence de toute preuve que la maison était habitée au moment où la coupure d'eau a été réalisée, et que par conséquent une personne a été privée subitement, sur la base d'une décision unilatérale, d'un élément essentiel à la vie courante, il n'est pas établi que la SARL Saint-Florent du Cap subisse un trouble manifestement illicite, justifiant l'intervention du juge des référés ; qu'à cet égard la seule privation, évoquée dans les écritures de l'intimée, de la possibilité d'occuper le logement, et alors que la propriétaire est une SARL dont le siège social se trouve à Meudon, est insuffisante ; qu'en conséquence, la décision déférée sera infirmée, la cour dira que le juge des référés était incompétent pour statuer ;
1°) ALORS QUE l'illicéité manifeste du trouble que le juge des référés a mission de faire cesser ne dépend pas de sa gravité ; qu'en déduisant l'absence de trouble manifestement illicite résultant des agissements de l'ASL qui avait brutalement privé d'alimentation en eau la maison appartenant à la société Saint-Florent du Cap de ce que ce bâtiment n'était pas habité « au moment où la coupure d'eau a été réalisée » et que personne n'avait été « privé subitement » d'eau, la Cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant car étranger à l'illicéité du trouble et a violé l'article 809 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE constituent un trouble manifestement illicite les agissements par lesquels une personne porte atteinte à une situation de fait paisible dont profitait un tiers ; qu'en écartant l'existence d'un trouble manifestement illicite, bien qu'elle ait relevé que l'ASL avait brutalement coupé l'alimentation en eau de la maison appartenant à la société Saint-Florent du Cap, aux motifs que « la seule privation […] de la possibilité d'occuper le logement, […] alors que la propriétaire est une SARL dont le siège social se trouve à Meudon, est insuffisante » (arrêt, p. 4, dernier §, se poursuivant p. 5), la Cour d'appel a violé l'article 809 du Code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ; qu'en relevant, pour écarter l'existence d'un trouble subi par la société Saint-Florent du Cap en raison de la coupure de l'alimentation en eau de la maison lui appartenant à laquelle l'ASL avait procédé, que la société avait son siège à Meudon et qu'aucune personne n'habitait la maison au moment où la coupure avait été réalisée, quand la seule impossibilité d'occuper à tout moment cette maison que subissait son propriétaire suffisait à caractériser un trouble manifestement illicite, la Cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil.