Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 22 juin 2016, 15-18.742, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Françoise X... et M. Philippe X... (les consorts X...), ont formé tierce opposition au jugement du 10 janvier 2007 accordant l'exequatur en France à un jugement rendu le 11 juillet 2006 par le tribunal d'Eseka (Cameroun) prononçant l'adoption de Mmes Ida Y... et Gaëlle Z... par Jean-Louis X..., décédé depuis ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que Mmes Y... et Z... font grief à l'arrêt de dire recevable la tierce opposition formée par les consorts X... ;

Attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, les appréciations souveraines par lesquelles la cour d'appel a estimé que les consorts X... justifiaient d'un intérêt pour exercer une tierce opposition ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 34 f) de l'Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun ;

Attendu que, pour rétracter le jugement d'exequatur du 10 janvier 2007 et dire que le jugement camerounais d'adoption de Mmes Y... et Z... ne peut être reconnu en France, l'arrêt, après avoir confronté les actes d'état civil des adoptées versés dans l'instance en adoption et dans l'instance en exequatur, retient qu'est contraire à l'ordre public l'adoption d'enfants dont l'état civil ne peut être établi avec certitude ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la révision au fond est interdite au juge de l'exequatur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rétracte le jugement du 10 janvier 2007 et dit que le jugement rendu par le tribunal de d'Eseka (Cameroun) le 11 juillet 2006 ne peut être reconnu en France, l'arrêt rendu le 6 mai 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et Mme X... ; les condamne à payer à Mme Y... et à Mme Z... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mmes Y... et Z....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit recevable la tierce-opposition de Mme Françoise X... et de M. Philippe X...,

AUX MOTIFS QU'en l'espèce, les appelants respectivement fils et épouse alors non divorcée de l'adoptant, tous deux ni parties, ni représentés au jugement d'adoption justifient d'un intérêt à agir qui rend recevable leur action dès lors que l'adoption litigieuse est susceptible de compromettre la vie familiale ;

1°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que les consorts X... n'ont pas fait valoir que l'adoption litigieuse était susceptible de compromettre la vie familiale, pas plus que Mmes Y... et Z... ; qu'en retenant la recevabilité de la tierce-opposition sur ce motif, sans soulever les observations des parties, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code civil ;

2°) ALORS QUE, subsidiairement, le risque de compromettre une vie familiale inexistante ne peut caractériser un intérêt né et actuel ; que M. X... était décédé au moment de la tierce-opposition et n'avait plus de relation, au moment de l'adoption, avec son fils pas plus qu'avec son épouse dont il était séparé et était en train de divorcer ; qu'en retenant que les consorts X... justifiaient d'un intérêt à agir dès lors que l'adoption litigieuse était susceptible de compromettre une vie familiale pourtant inexistante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583 du Code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE, subsidiairement, lorsqu'il prononce une adoption, le juge français doit examiner si l'adoption est de nature à compromettre la vie familiale dans le cas où l'adoptant a des descendants ; qu'en retenant que Mme X... avait intérêt à agir dès lors que l'adoption litigieuse est susceptible de compromettre la vie familiale, quand cette condition ne s'applique qu'aux descendants, la Cour d'appel a violé les articles 353, 361 du Code civil et 583 du Code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE, subsidiairement, en retenant que le fils de M. X... avait intérêt à agir dès lors que l'adoption litigieuse est susceptible de compromettre la vie familiale, sans rechercher si l'absence totale de liens de M. X... avec son fils unique, et en toute hypothèse son ex-épouse, n'écartait pas toute possibilité de compromettre une vie familiale inexistante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté le jugement du 10 janvier 2007 conférant force exécutoire au jugement camerounais et dit que celui-ci ne peut être reconnu en France,

AUX MOTIFS QUE l'article 34 de l'accord de coopération en matière de justice signé à Yaoundé le 21 février 1974 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République unie du Cameroun ne prévoit la reconnaissance de plein droit des décisions contentieuses ou gracieuses rendues par une juridiction siégeant en France ou au Cameroun, sur le territoire de l'autre Etat qu'autant qu'elles ne contiennent « rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat » ; qu'en l'espèce, les consorts X... versent aux débats une copie de l'acte de naissance n° 2432/ 93, dressé le 10 mai 1993 par l'officier d'état civil de New Bell (Cameroun) qui énonce qu'est née à Douala le 3 mai 1993 Y... Nkada Ida Tatiana de A...et de B... Alice ; que le jugement d'adoption porte que l'adoptée désignée sous le nom Ida Tatiana Y... est née le 3 mai 1995 à Zoétélé (Cameroun) tandis que l'autre adoptée, Gaëlle Z..., sa soeur pour être née prétendument de la même mère est indiquée comme étant née le 28 avril 1993 à Zoétélé (Cameroun) ; qu'il résulte de la confrontation de ces actes, que l'état civil des adoptées est incertain tant ce qui concerne le lieu (Douala ou Zoétélé) que la date de naissance de Y... Ida Tatiana (3 mai 1993 ou 3 mai 1995) étant relevé à cet égard que ne pouvant être née de la même mère que Gaëlle Z... à quelques jours d'intervalle, c'est précisément pour faire disparaître cette impossibilité que dans le jugement d'adoption et dans les actes subséquents, Y... Ida Tatiana a été mentionnée comme étant née deux ans plus tard ; que par ailleurs, le nom patronymique de Y... Ida Tatiana est incertain, celle-ci étant portée comme se nommant Y... Nkada prénommée Ida Tatiana dans l'acte n° 2432/ 93 tandis que le jugement d'adoption la désigne sous le nom de Y... Ida prénommée Tatiana et qu'elle même se désigne dans les actes de procédure (acte de constitution et conclusions) comme se nommant Y... prénommée Ida Tatiana ; que dans ces conditions, le jugement qui a prononcé l'adoption d'enfants dont l'état civil ne peut être établi avec certitude ne peut être reconnu en France en ce qu'il heurte l'ordre public français ;

1°) ALORS QUE le juge français ne peut, sous couvert de l'ordre public international français, réviser au fond le jugement étranger qui lui est soumis pour exequatur ; qu'en l'espèce, il ressort des motifs même du jugement camerounais que l'état civil des enfants, tel qu'il est retenu par la décision, est attesté par les copies certifiées conformes des actes de naissance n° 495/ 93 du 6 septembre 1993 et n° 209/ 95 du 7 décembre 1995 du centre d'état civil de Zoétélé-ville, dont copies ont été versées au dossier de la procédure ; qu'en décidant que le jugement camerounais ayant prononcé l'adoption d'enfants dont l'état civil ne peut être établi avec certitude heurte l'ordre public français, la Cour d'appel, sous le prétexte de l'ordre public international, est revenue au fond sur la décision étrangère ; qu'en statuant ainsi elle a violé l'article 34 de la convention en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974, ensemble les principes relatifs à l'exequatur d'une décision étrangère ;

2°) ALORS QUE, subsidiairement, le jugement étranger qui, après avoir vérifié l'état civil des enfants soumis à l'adoption, prononce leur adoption n'est pas contraire à l'ordre public international français ; que la Cour d'appel en refusant l'exequatur au motif que le jugement camerounais ayant prononcé l'adoption d'enfants dont l'état civil ne peut être établi avec certitude heurte l'ordre public français, quand il appartenait au seul juge camerounais, qui y a procédé, de vérifier l'état civil de ces enfants, la Cour d'appel a violé l'article 34 de la convention en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974.

ECLI:FR:CCASS:2016:C100721
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