Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 juin 2016, 15-83.059, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Cédric X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 31 mars 2015, qui, pour extorsion aggravée, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 avril 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mmes Planchon, Zerbib, conseillers de la chambre, Mme Chauchis, conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Cordier ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire PICHON, les observations de la société civile professionnelle MATUCHANSKY, VEXLIARD et POUPOT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, et 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, violation des articles 312-1, alinéa 1er, 312-2, alinéa 1er, 312-2, 1°, 312-8, 312-13 et 312-14 du code pénal, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à faire entendre M. B...cité comme témoin par la défense, a déclaré M. X... coupable de faits d'extorsion avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas huit jours, l'a condamné à la peine de deux ans d'emprisonnement dont un an assorti du sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans, comprenant les obligations de travailler ou suivre une formation et s'abstenir d'entrer en relation avec la victime M. B... de quelque manière que ce soit et a ordonné le maintien en détention de l'intéressé ;

" aux motifs que, sur la demande d'audition du témoin cité devant la cour, M. X... fait valoir à l'appui de sa demande le droit au procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'il invoque cette disposition comme justifiant l'audition de M. B... en tant que témoin dès lors qu'il n'a jamais bénéficié d'une confrontation avec celui-ci qui a déposé plainte à son encontre et a varié dans ses déclarations tout au long de l'enquête ; qu'or, il est rappelé que le droit au procès équitable a été mis en oeuvre en première instance ; que les victimes, dont M. B..., ont été avisées de l'audience ainsi qu'il résulte de la procédure de police et la possibilité d'une confrontation a ainsi déjà été organisée ; que ces victimes n'ont pas comparu en première instance et cela est conforme à leur droit ; qu'en outre, il n'y a pas d'obligation à procéder à la confrontation entre un prévenu et celui qui a dénoncé l'infraction en cause ; qu'il doit, en outre, être remarqué que la plainte de M. B... n'est pas le seul élément d'où résulte la mise en cause de M. X... ; que la déposition de Mme C...constitue en effet un témoignage indirect en ce que M. B... lui a fait le récit des violences qu'il avait subies et en raison desquelles il avait amené ses agresseurs au domicile afin qu'ils y prennent des objets ; que Mme C...a personnellement constaté l'état de choc du jeune homme à la suite des faits et sa crainte, dans les jours suivants, que ses agresseurs reviennent ; que, par conséquent, il n'y a pas lieu de faire entendre M. B... en tant que témoin, de même qu'il n'y pas lieu au renvoi de l'affaire pour faire entendre ledit témoin ; que, sur la culpabilité, il est reproché au prévenu d'avoir obtenu par violence et contrainte la remise d'objets par M. B..., ce qui caractérise l'extorsion ; que M. X... n'a jamais contesté avoir passé la soirée du 28 au 29 novembre 2014 avec MM. D...et B..., M. E...les rejoignant en cours de soirée ; qu'il a en revanche démenti toute violence à l'encontre du plaignant et a souligné le manque de fiabilité de ses déclarations, toujours changeantes au fil de ses quatre auditions ; qu'il est rappelé en premier lieu que les blessures présentées par le plaignant ont été examinées par le médecin légiste et jugées compatibles avec ses déclarations ; qu'en deuxième lieu les prévenus ont tous déclaré qu'ils avaient M. B... en bas de son domicile après qu'il leur avait remis les sacs contenant divers objets mais les images de vidéo-surveillance ont confirmé la version du plaignant, le montrant rentrant chez lui à pied, le 29 novembre 2014, aux alentours de 4 heures ; que, contrairement aux allégations du prévenu, les différentes auditions de M. B... ne sont pas autant de versions de sa part en ce qui concerne les faits d'extorsion ; que l'évolution de leur contenu concerne particulièrement la première partie de la soirée du 28 novembre et tient à la progression de l'enquête qui a mis en évidence que plusieurs individus soupçonnés se livraient à des transactions illicites ; que M. B... qui le savait évidemment dès le moment de la plainte l'a tu et sa quatrième audition fournit l'explication à son attitude ; que, lors de cette dernière audition, M. B... confirme les termes de sa plainte hormis la durée du passage dans la cave du domicile E...; qu'il précise aussi le rôle majeur et dominant de celui-ci ; que les policiers lui font remarquer que M. D...a également un rôle important, puisque c'est une dette à son égard qui a causé le voyage vers Wasselonne et le retour difficile à Strasbourg, mais, là encore, M. B... évite le sujet des stupéfiants et réaffirme en même temps l'intervention limitée en violence de la part de MM. D...et X... ; que rien ne permet d'accorder du crédit à l'argument de M. X... selon lequel il est resté avec les deux autres pour protéger M. B... ; qu'en effet, il a lui-même reconnu à l'audience qu'il n'avait rencontré M. B... pour la première fois que deux jours avant et qu'en revanche, il fréquentait MM. E...et D...« parce que ce sont des potes » ; que M. B... n'a jamais désigné M. X... comme ayant tout fait pour le protéger ; que, par ailleurs, les déclarations de Mme F...montrent que le prévenu faisait alliance avec M. D...contre M. B... du fait de n'avoir pas trouvé le nommé G... ; que la déposition de Mme C...est également démonstrative en ce qu'elle décrit la torpeur et le traumatisme de M. B... dans les heures et les jours suivant les faits, lui confiant qu'il « craignait pour sa vie, qu'ils allaient revenir », dans son récit des faits à Mme C..., M. B... n'a pas fait exception concernant M. X... et sa peur persistante du retour de ses agresseurs montre qu'il n'avait aucune raison d'espérer le soutient de l'un d'eux ; qu'enfin c'est sur l'insistance de Mme C...qu'il dépose plainte ; que c'est encore en vain que M. X... déclare avoir accompagné ses deux comparses chez M. B... pour protéger encore celui-ci ; qu'en effet, il s'est servi dans ce domicile, selon ses propres termes comme s'il était chez lui, même si ce n'était que d'aliments ; qu'il n'est jamais intervenu pour faire cesser les faits, manifestant par son comportement qu'il était indiscutablement en coaction avec les deux autres ; que, si M. B... a donné ou laissé prendre des objets c'est parce qu'il avait auparavant subi des violences et se trouvait toujours sur la contrainte psychologique et dirigé par sa peur ; qu'en conséquence le jugement entrepris est confirmé en ce qui concerne la culpabilité ; que, sur la peine, à juste titre les premiers juges ont relevé que M. X... présentait lors de sa comparution un casier judiciaire sans mention de condamnation mais qu'en réalité il avait été condamné définitivement, le 10 octobre 2014, pour violences aggravées ; qu'il était donc pour le moins en réitération ; qu'en outre, il a comparu le 5 décembre 2014 détenu, suite à sa condamnation deux jours avant, déjà en comparution immédiate, pour des faits commis peu après ceux de l'espèce et alors qu'il se trouvait avec M. D...; que cette condamnation est également définitive ; que, dans ces condition, le prévenu n'était plus éligible au sursis simple, même partiellement, de sorte que la peine doit être réformée ; que la gravité des faits réside pour M. X... dans la réitération de violences quelques semaines après une condamnation à de l'emprisonnement ferme dont l'aménagement dépendait certes de la présentation d'un projet professionnel ou de formation, mais avant out de ce qu'il ne commette pas de nouveau délit ; que l'absence de remise en cause du prévenu à l'audience et sa référence à sa faible part du butin pour obtenir la clémence de la cour montrent qu'il n'a pas intégré la gravité de l'infraction ; que, dès lors, le quantum d'emprisonnement prononcé par les premiers juges doit être confirmé ; qu'en revanche, il y a lieu de l'assortir à hauteur d'une année d'un sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans, comprenant les obligations de travailler ou suivre une formation et de s'abstenir d'entrer en relation avec la victime M. B... de quelque manière que ce soit ; que la situation pénale de M. X..., détenu en exécution de deux autres peines, exclut d'envisager l'aménagement de l'emprisonnement confirmé par la cour de sorte qu'il y a lieu d'ordonner son maintien en détention ;

" 1°) alors qu'aux termes de l'article 6, § 3, d, de la Convention européenne des droits de l'homme, tout accusé a droit notamment à interroger ou faire interroger les témoins à charge ; qu'il en résulte que, sauf impossibilité, dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d'appel sont tenus, lorsqu'ils en sont légalement requis, d'ordonner l'audition contradictoire des témoins à charge qui n'ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu ; que ce droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge est substantiel quand les charges pesant sur la personne poursuivie sont exclusivement testimoniales et qu'une confrontation est demandée par la défense ; qu'en refusant, néanmoins, d'ordonner l'audition du témoin M. B..., non confronté avec le prévenu à un quelconque stade de la procédure et dont les déclarations avaient varié au long de cette procédure, la cour d'appel a privé M. X... d'un procès équitable en l'empêchant d'être confronté à celui qui l'avait mis en cause ;

" 2°) alors que le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge garanti par l'article 6, § 3, d, de la Convention européenne des droits de l'homme, comprend, pour une personne qui a toujours nié les faits, le droit d'être effectivement présentée audit témoin ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que le prévenu, qui a toujours nié les faits, n'a jamais été confronté avec son accusateur, M. B... ; qu'ainsi, en condamnant M. X... sur le fondement des seules accusations de M. B..., sans s'expliquer, ni justifier de la moindre impossibilité de procéder à l'audition contradictoire de ce témoin, essentielle aux droits de la défense, la seule constatation du droit des victimes à ne pas comparaître en première instance et de l'absence d'obligation à procéder à la confrontation entre un prévenu et celui qui a dénoncé l'infraction en cause, étant, à cet égard, insuffisante, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

" 3°) alors que sauf impossibilité dont il leur appartient de justifier les causes, les juges du fond sont tenus, lorsqu'ils en ont été légalement requis, d'ordonner l'audition contradictoire des témoins à charge et éventuellement leur confrontation avec le prévenu, si cela n'a été fait à aucun stade de la procédure ; qu'en refusant de faire droit à la demande d'audition du témoin M. B... devant la cour d'appel qui n'avait jamais été mis en présence effective de M. X... au motif que la plainte de M. B... n'était pas le seul élément d'où résultait la mise en cause du prévenu et que la déposition de Mme C...constituait un témoignage indirect en ce que M. B... lui avait fait le récit des violences qu'il avait subies et en raison desquelles il avait amené ses agresseurs au domicile afin qu'ils y prennent des objets cependant que Mme C..., qui n'avait jamais vu M. X..., n'avait fait que reprendre le récit que lui avait fait M. B... des faits dont il avait été prétendument victime, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à justifier le refus d'audition contradictoire de M. B..., n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Sur le moyen relevé d'office, pris de la violation de l'article 513, alinéa 2, du code de procédure pénale ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 513, alinéa 2, du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon ce texte, les témoins cités par le prévenu devant la cour d'appel sont entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 457 du code de procédure pénale, le ministère public pouvant s'y opposer s'ils l'ont déjà été devant le tribunal ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. B... a porté plainte auprès des services de police pour des faits d'extorsion précédée de violences et a mis en cause M. X...; que, jugé selon la procédure de comparution immédiate, M. X... a été déclaré coupable du chef susvisé ; que le prévenu et le ministère public ont interjeté appel ; que, devant la cour d'appel, l'avocat du prévenu a sollicité l'audition du plaignant, cité en qualité de témoin, au titre du droit au procès équitable, considérant que M. X... n'avait pas été confronté à M. B... dont les déclarations au cours de l'enquête avaient varié ; que le ministère public s'y est opposé compte tenu du risque de pression sur la victime ;

Attendu que, pour rejeter cette demande avant de déclarer le prévenu coupable du chef du délit reproché, l'arrêt énonce que le droit au procès équitable a été mis en oeuvre en première instance, que les victimes, dont M. B..., ont été avisées de l'audience, la possibilité d'une confrontation ayant ainsi déjà été organisée, que, conformément à leur droit, les victimes n'ont pas comparu en première instance et qu'il n'y a pas d'obligation à procéder à la confrontation entre un prévenu et celui qui a dénoncé l'infraction ; que les juges relèvent également que la plainte de M. B... n'est pas le seul élément d'où résulte la mise en cause du prévenu ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs qui, en ce qu'ils portent sur le caractère non exclusif des déclarations du témoin parmi les éléments à charge, sont inopérants à ce stade de la procédure, et alors que le témoin n'avait pas été entendu par le tribunal, la cour d'appel, qui n'a pas constaté de difficultés particulières rendant matériellement impossible cette audition, a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 31 mars 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier juin deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

ECLI:FR:CCASS:2016:CR02409
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