Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 18 mai 2016, 15-84.531, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Maxime X...,
- M. Alex Z...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 7e chambre, en date du 22 juin 2015, qui, pour refus d'obtempérer aggravé, les a condamnés à dix mois d'emprisonnement dont cinq mois avec sursis, à l'annulation de leur permis de conduire, 3 000 euros d'amende à l'encontre du premier et a ordonné une mesure de confiscation à l'encontre du second ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 22 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Pers, conseiller rapporteur, Mme Dreifuss-Netter, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller PERS, les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires ampliatif et personnels produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que MM Maxime X... et Alex Z... ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, du chef de refus d'obtempérer dans des circonstances exposant autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ; que les juges du premier degré ont déclaré les prévenus coupables de ce délit et les ont condamnés, notamment, à une peine d'emprisonnement partiellement assortie du sursis ; que MM. X..., Z... et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation du mémoire ampliatif proposé pour M. Z..., pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 233-1-1 du code de la route, 121-3 du code pénal, préliminaire, 593 du code de procédure pénale, insuffisance de motifs, violation de la loi ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. Z... coupable du délit de refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

" aux motifs que, le 14 septembre 2014 à 22 heures 30, les policiers de patrouille de Trappes, à bord de leur véhicule sérigraphié, étaient avertis de la présence de trois grosses cylindrées roulant à vive allure sur la route nationale 10 à hauteur de Coignieres (78), et se dirigeant vers la commune de Trappes (78) ; que les policiers, se postaient devant une station service BP à Trappes et constataient que trois véhicules, roulant à vive allure et se serrant de près, semblaient faire la course, un de type Mustang, une Audi R8 de couleur noire immatriculé ..., et une Toyota Celica, de couleur grise immatriculée ..., alors que de nombreux véhicules étaient présents sur la voie de circulation ; que les policiers s'engageaient derrière les véhicules et faisaient usage de leurs avertisseurs lumineux et sonores afin de procéder au contrôle ; que les conducteurs n'obtempéraient pas aux injonctions et continuaient leur course, et faisaient des slaloms entre les véhicules en circulation sans ralentir, au risque de créer un accident ; qu'au niveau des feux tricolores de la RN 10 à hauteur de l'hôtel " Pavillon bleu " les policiers constataient encore que les véhicules ralentissaient, gênés par les autres véhicules, puis ré-accéléraient afin de les distancer ; qu'ils identifiaient le premier véhicule comme une Mercedès mais la perdaient de vue ; que les policiers se retrouvaient derrière le véhicule Audi R8 et le véhicule Toyota Celica, le troisième véhicule se trouvant en tête ; qu'ils constataient que les véhicules franchissaient le feu rouge situé à la sortie Montigny-le-Bretonneux ; qu'ils remarquaient que le véhicule Toyota Celica coupait ses feux de croisement ; qu'une nouvelle fois actionnant les moyens sonores et lumineux et abaissant la plaque " police " les policiers finissaient cette fois par arrêter le véhicule et M. Z... était interpellé à 22 heures 45 ; que le véhicule Audi R8 immatriculé ...dont le conducteur semblait ne pas connaître les lieux, finissait par arrêter sa course ; que les policiers mettaient en joue les silhouettes qui se dessinaient à travers les vitres teintées du véhicule afin de les faire sortir, Le conducteur du véhicule ainsi que sa passagère descendaient ; que le conducteur de l'Audi était interpellé à 22 heures 40, il était identifié comme étant M. X... ; que la passagère était identifiée comme étant Mme Célia Z..., soeur de l'autre conducteur ; que MM. Z... et X... étaient tous deux placés en garde à vue à 23 heures ; que M. Z... déclarait qu'aux environs de 22 heures, il rentrait de Rambouillet avec M. X... ; que fan de voitures, ils avaient tous les deux accéléré afin de profiter de la puissance des véhicules ; qu'ils étaient ensuite sortis à niveau de Montigny-le-Bretonneux, et son ami M. X... avait été interpellé par les policiers ; que lui avait alors continué son chemin, puis déclarait s'être immédiatement arrêté lorsqu'il avait remarqué la présence des policiers derrière lui ; qu'il déclarait que le véhicule Toyota Celica lui appartenait ; qu'il l'avait acheté la semaine précédente ; qu'il déclarait aussi qu'il n'avait pas fait exprès d'éteindre les feux de son véhicule, les feux s'étaient éteints alors qu'il enclenchait le clignotant ; qu'il reconnaissait avoir conduit à 140 km/ h et que cela était dangereux, mais il déclarait qu'il s'était permis de le faire car il n'y avait pas beaucoup de monde sur la route, et qu'il avait toujours doublé les véhicules par la gauche ; qu'il affirmait encore qu'il n'avait pas vu les policiers sur la nationale 10 ; que M. X... était également interrogé ; qu'il déclarait que les trois véhicules ne faisaient pas la course sur la nationale 10, mais il reconnaissait qu'ils étaient trois véhicules à se suivre à vive allure ; qu'il confirmait qu'il y avait une Toyota Celica, une Mercedès SL63 AMG et son véhicule, l'Audi R8, qui appartenait à un de ses clients ; que M. X... déclarait qu'il roulait environ à 180km/ h ; qu'il reconnaissait que Mme Célia Z... lui avait indiqué qu'ils avaient doublé un véhicule de police, et admettait qu'il mettait en danger les usagers en slalomant entre les véhicules ; qu'il reconnaissait avoir vu le véhicule de police le " prendre en charge " avec le gyrophare et le deux tons, mais il ne s'était pas arrêté car il avait paniqué car ce n'était pas son véhicule, et il constatait que les deux autres véhicules ne s'arrêtaient pas ; qu'il ne se souvenait pas avoir franchi un feu rouge, mais ne le niait pas ; qu'il reconnaissait les infractions ; que les casiers judiciaires des deux mis en cause ne faisaient état d'aucune condamnation mais le relevé d'information intégral de M. X... révélait qu'il avait déjà plusieurs fois été verbalisé, notamment pour excès de vitesse ; que le parquet décidait de poursuites en comparution immédiate ; que MM. X... et Z... étaient ainsi déférés devant le tribunal correctionnel de Versailles le 15 septembre 2014, et que les énonciations des deux procès verbaux de police qui ont été dressés lors de la surveillance et de l'interpellation des conducteurs sont très précis en ce qui concerne les infractions relevées et ce vis-à-vis des deux conducteurs qui n'ont pas été arrêtés dans le même temps ; qu'il est constant que les policiers ont vu passer les trois véhicules qui roulaient à grande vitesse et les ont pris en chasse et n'ont pas quitté des yeux les véhicules de MM. X... et Z..., alors qu'ils ont perdu de vue le 3e véhicule ; que la mise en danger est bien caractérisée par le fait de rouler à une grande vitesse, en brûlant un feu rouge et en slalomant sur une route où se trouvaient d'autres conducteurs, exposant en l'espèce les policiers et les autres conducteurs à un risque de mort ou de blessures ; qu'en ce qui concerne le refus d'obtempérer, que reconnaît M. X... qu'il a fallu mettre en joue pour l'arrêter, et que conteste M. Z..., le fait de n'avoir pas obéi aux gestes non équivoques effectués par les policiers suffit à caractériser cette infraction, M. Z... ne s'étant effectivement arrêté que lors de la deuxième intervention des policiers, ayant refusé de s'arrêter lors des premiers signaux des policiers, ainsi que cela découle des énonciations précises et circonstanciées des procès verbaux ; qu'il y a donc lieu de confirmer la décision déférée sur la culpabilité ;

" 1°) alors que le principe de la présomption d'innocence impose à l'accusation de rapporter la preuve des éléments constitutifs de l'infraction et a pour corollaire que le doute doit profiter au prévenu ; que la caractérisation du délit de refus d'obtempérer suppose l'existence d'une sommation non équivoque de s'arrêter émanant d'un agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents et la connaissance certaine, par le conducteur, de l'ordre d'arrêt qui lui a été signifié ; qu'une sommation non équivoque implique la réalisation par le fonctionnaire ou l'agent des gestes non ambigus au niveau du véhicule ou à l'avant de celui-ci ; qu'en se bornant à affirmer qu'il ressortait des énonciations des procès-verbaux d'interpellation des prévenus que M. Z... avait refusé d'obéir aux gestes non équivoques effectués par les policiers lors d'une première sommation de s'arrêter et avait seulement obéi à la seconde sommation, lorsqu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que cette première sommation a été réalisée à l'arrière du véhicule du demandeur sans que les mentions des procès-verbaux de police, ne précisant pas le positionnement, lors de cette sommation, du véhicule de police par rapport à chacun des trois véhicules poursuivis, ne contredisent les déclarations du demandeur selon lesquelles il roulait devant le véhicule de M. X... et n'avait pas eu connaissance de la première sommation de s'arrêter effectuée par les policiers à raison de l'interposition du véhicule de celui-ci entre celui des policiers et le sien, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;

" 2°) alors que l'existence de circonstances exposant directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne saurait résulter du seul constat d'un excès de vitesse et de la présence d'automobilistes sur la route et requiert la caractérisation de circonstances particulières exposant directement autrui à un risque immédiat qu'en faisant siennes les constatations des procès-verbaux faisant état d'une vitesse élevée du véhicule du demandeur et de la présence d'autres automobilistes, sans relever, par ailleurs, aucune circonstance particulière de nature à établir que le comportement du demandeur, dont elle a constaté qu'il avait fait état d'une circulation fluide et de ce qu'il avait toujours doublé les véhicules présents sur la route par la gauche, aurait exposé ces automobilistes à un risque de mort ou de blessures graves, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article L. 233-1-1 du code de la route " ;

Sur les seconds moyens de cassation des mémoires personnels proposés par MM. X... et Z..., pris de la violation de l'article L. 233-1-1 du code de la route ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé, en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de refus d'obtempérer dans des circonstances exposant autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;

Mais sur le second moyen de cassation du mémoire ampliatif proposé pour M. Z..., pris de la violation des articles 5, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 233-1-1 du code de la route, 132-19, 132-24 du code pénal, 591 du code de procédure pénale, violation de la loi ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné M. Z... à un emprisonnement de dix mois dont cinq mois avec sursis, à la peine complémentaire d'annulation de son permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pour une durée d'un an et à la peine complémentaire de confiscation du véhicule Toyota, avec exécution provisoire ;

" aux motifs que la très grande gravité des faits, qui ont valu une comparution immédiate malgré l'absence de casier judiciaire des deux prévenus, a été justement appréciée par les premiers juges qui ont infligé à MM. X... et Z..., qui encouraient cinq ans d'emprisonnement, une peine partiellement assortie du sursis ainsi que des peines complémentaires prévues par l'article L. 233-1-1 du code de la route ; (…) ; qu'en ce qui concerne M. Z..., la confiscation du véhicule qui lui appartient était justifiée, le prévenu étant étudiant et sans ressources, situation de nature à permettre le prononcé d'une amende ; que, pour deux prévenus, il importe de prononcer l'annulation de leur permis de conduire compte tenu de leur grande dangerosité, et de leur légèreté et de leur interdire de repasser le permis pendant une durée d'un an, conformément aux énonciations du jugement entrepris qui sera entièrement confirmé sur les peines ;

" et aux motifs adoptés que les deux prévenus sont déclarés coupables de faits particulièrement graves et délibérés ayant mis en danger la sécurité routière, ils ne font guère preuve du sens des responsabilités et, malgré leur absence d'antécédents judiciaires et de bons renseignements de personnalité, le tribunal estime approprié, pour tenter d'éviter des récidives, de prononcer une peine d'emprisonnement partiellement sans sursis ;

" 1°) alors qu'en matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en se bornant à faire référence à la très grande gravité des faits pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs exempts de toute référence à la personnalité de l'auteur de l'infraction quand les premiers juges avaient relevé « les bons renseignements de personnalité » et l'absence d'antécédents judiciaires et n'a pas prononcé sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction, a violé les textes et principes susvisés ;

" 2°) alors que la peine d'emprisonnement sans sursis doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues par le code pénal ; qu'en se bornant à faire référence à la très grande gravité des faits pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur l'aménagement de la peine d'emprisonnement sans sursis, a violé les textes et principes susvisés ;

" 3°) alors que lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis ou ne faisant pas l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues par le code pénal, il doit spécialement motiver sa décision au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en se bornant à faire référence à la très grande gravité des faits pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme sans motiver sa décision au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du demandeur, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés " ;

Et sur les premiers moyens de cassation des mémoires personnels proposés par MM. X... et Z..., pris de la violation des articles 132-19-1, 132-25 à 132-28 du code pénal du code pénal ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 132-19 du code pénal ;

Attendu qu'il résulte de ce texte, que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que s'il décide de ne pas aménager la peine, le juge doit, en outre, motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ;

Attendu que, pour condamner MM. Z... et X... à la peine de dix mois d'emprisonnement dont cinq mois avec sursis, l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer ni sur le caractère inadapté de toute autre sanction ni sur l'aménagement de la peine sans sursis prononcée au regard de la personnalité des prévenus, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle
sera limitée aux peines, dès lors que les déclarations de culpabilité n'encourent pas la censure ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 22 juin 2015, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans
les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit mai deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

ECLI:FR:CCASS:2016:CR01970
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