Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 mai 2016, 15-12.360, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte sous seing privé des 7 et 11 juillet 2006, M. X..., notaire associé au sein de la société civile professionnelle Y... (la SCP), titulaire d'un office de notaire, a cédé ses parts sociales aux autres associés, sous la condition suspensive de l'acceptation de son retrait par le garde des sceaux ; qu'une clause de l'acte prévoyait que les comptes de la société seraient arrêtés de manière forfaitaire au 30 juin 2006 et qu'à compter de cette date, le cédant n'aurait « plus droit aux recettes, ni aux bénéfices, ou à tout autre actif quelconque de la société civile professionnelle » ; que, par arrêté du 20 août 2009, le garde des sceaux a pris acte du retrait de M. X... ; que ce dernier a assigné la SCP aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes correspondant à sa quote-part des bénéfices sociaux du 1er juillet 2006 jusqu'à la date de cet arrêté ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la SCP fait grief à l'arrêt de décider que la clause litigieuse, contraire à l'article 31 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967, est nulle et de nul effet, alors, selon le moyen :

1°/ que le droit pour un notaire de percevoir les rémunérations qui sont la contrepartie de ses apports en capital, jusqu'à la publication de l'arrêté du garde des sceaux constatant son retrait, ne s'applique pas dans l'hypothèse où le retrait procède d'une cession consensuelle de parts sociales par le notaire concerné ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 ;

2°/ qu'un notaire peut, dans une cession de ses parts sociales, renoncer à son droit à percevoir les rémunérations qui constituent la contrepartie de ses apports en capital jusqu'à la publication de l'arrêté du garde des sceaux constatant le retrait du notaire ; qu'en énonçant que les dispositions d'ordre public de l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 s'imposaient aux parties, de sorte que la clause litigieuse emportant renonciation de M. X... à toute rémunération après le 30 juin 2006 était nulle, quand, s'agissant d'un ordre public de protection, l'intéressé pouvait valablement renoncer à son droit dans l'acte de cession, la cour d'appel a violé l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 ;

Mais attendu que, selon l'article 1131 du code civil, l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet ; que la cessation de la participation d'un notaire à l'activité de la SCP dont il se retire ne peut constituer la contrepartie d'une privation de la rémunération afférente à ses apports en capital ; que l'arrêt constate que la clause de l'acte litigieux prive M. X... de tout bénéfice ou actif quelconque de la SCP ; qu'il en résulte qu'en l'absence de contrepartie, cette clause, qui énonce une obligation sans cause, est nulle ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ;

Attendu que l'arrêt rejette la demande de la SCP en paiement par M. X... de la somme de 5 824, 23 euros, au titre des cotisations sociales incombant à ce dernier ;

Qu'en statuant ainsi, sans énoncer aucun motif à l'appui de sa décision, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de paiement de la somme de 5 824, 23 euros au titre de cotisations sociales, l'arrêt rendu le 3 décembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la SCP Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé qu'une clause de répartition des bénéfices, applicable à une SCP de notaires (la SCP Y...) était contraire à l'article 31 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967, de l'avoir en conséquence déclarée nulle et de nul effet et d'avoir condamné la SCP à régler une somme de 512. 693, 48 € à un ancien associé (M. X...) ;

AUX MOTIFS QU'invité à s'expliquer sur l'application à la cause des dispositions de l'article 31 du décret du 2 octobre 1967, M. X... soutenait que ce texte était applicable ; que l'intimée soutenait pour sa part que le retrait est un acte unilatéral, de sorte que ce texte ne pouvait s'appliquer à la convention de cession de parts ; que l'article 31 énonce que lorsqu'un associé demande son retrait de la société en cédant la totalité de ses parts sociales, il est procédé conformément aux dispositions des articles 27 et 28 ; que l'acte passé le 7 juillet 2006, s'il portait bien cession par l'appelant de ses parts sociales à ses trois associés (avec certes faculté de substitution), entraînait nécessairement le retrait de M. X..., lequel ne conservait aucune part de capital ou d'intérêt (les statuts ne prévoyant d'ailleurs pas de parts d'intérêt), ce que corroborait au demeurant l'indication de la date de transfert de la propriété des parts cédées, soit celle de l'arrêté ministériel « prononçant la démission de Me Robert X... » (pièce 4 intimé page 9 in fine), ce qui était d'ailleurs conforme à l'article 31 du décret en cause ; que les dispositions de l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 étaient donc bien applicables en la cause et s'imposaient aux parties en raison de leur caractère d'ordre public qui s'attachait plus généralement aux traités de cession et en l'espèce aux conventions de cession de parts sociales d'une société titulaire d'un office notarial ; que l'article 31 énonce en son troisième alinéa que « l'associé titulaire de parts sociales perd à compter de la publication de l'arrêté constatant son retrait, les droits attachés à sa qualité d'associé, à l'exception toutefois des rémunérations afférentes à ses apports en capital » ; qu'il s'en déduisait a fortiori que l'associé conservait les mêmes droits relatifs à la rémunération de ses apports en capital dans le temps précédent l'intervention de l'arrêté du Garde des sceaux constatant son retrait de la SCP ; que la clause litigieuse emportant renonciation de l'appelant à toute rémunération ne pouvait contrevenir aux dispositions des articles 29 et 31 du décret du 2 octobre 1967 relatifs aux cessions de parts sociales de la SCP titulaire d'un office de notaire entre associés, dès lors que les parts cédées étaient la contrepartie d'apports en capital, soit la valeur du droit de présentation (voir statuts, p. 2 et 3) ; qu'il suivait de là, bien que M. X... se soit abstenu en dépit de son engagement de toute activité, que la clause le privant de tout droit aux recettes et bénéfices de l'office était nulle ; qu'il résultait de ce qui précédait que l'appelant se trouvait bien en droit de solliciter sa part des bénéfices réalisés par la SCP Y... et associés de 2006 jusqu'au 20 août 2009, date de l'arrêté de retrait de Me X..., rémunération minorée de moitié à compter de son sixième mois d'incapacité de travail, soit à compter du 1er mars 2007 ; que la SCP devait donc être condamnée à lui régler la somme totale de 512. 693, 48 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'exploit d'assignation ;

1°) ALORS QUE le droit pour un notaire de percevoir les rémunérations qui sont la contrepartie de ses apports en capital, jusqu'à la publication de l'arrêté du Garde des sceaux constatant son retrait, ne s'applique pas dans l'hypothèse où le retrait procède d'une cession consensuelle de parts sociales par le notaire concerné ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 ;

2°) ALORS QUE (subsidiairement) un notaire peut, dans une cession de ses parts sociales, renoncer à son droit à percevoir les rémunérations qui constituent la contrepartie de ses apports en capital jusqu'à la publication de l'arrêté du Garde des Sceaux constatant le retrait du notaire ; qu'en énonçant que les dispositions d'ordre public de l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 s'imposaient aux parties, de sorte que la clause litigieuse emportant renonciation de M. X... à toute rémunération après le 30 juin 2006 était nulle, quand, s'agissant d'un ordre public de protection, l'intéressé pouvait valablement renoncer à son droit dans l'acte de cession, la cour d'appel a violé l'article 31 du décret du 2 octobre 1967.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir réformé le jugement entrepris et d'avoir, en conséquence, débouté une SCP notariale (la SCP Y...) de sa demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 5. 824, 23 € qui lui était due par un ancien associé (M. X...) ;

ALORS QUE les juges doivent motiver leur décision ; qu'en réformant le jugement entrepris, en ce qu'il avait fait droit à la demande reconventionnelle de la SCP Y... en paiement de la somme de 5. 824, 23 € qui lui était due par M. X..., sans assortir sa décision d'aucun motif, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2016:C100504
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