Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 avril 2016, 15-86.802, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 15-86.802
- ECLI:FR:CCASS:2016:CR02141
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- M. Guérin (président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Statuant sur les pourvois formés par :
- Le procureur général près la cour d'appel de Poitiers,
- M. Louis X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la-dite cour d'appel, en date du 27 octobre 2015, qui, dans l'information suivie contre le second des chefs d'assassinat et destruction du bien d'autrui, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAUTHIER ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 11 janvier 2016, prescrivant l'examen immédiat des pourvois ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la découverte, le 28 février 2015 à Saujon (Charente-Maritime), des corps partiellement calcinés de Thierry Y...et Marie-Hélène Z..., son épouse, l'enquête a conduit au placement en garde à vue, le 6 mars 2015, de M. X..., compagnon de la fille des victimes, et, le 8 mars suivant, à l'issue d'un interrogatoire de première comparution au cours duquel il a été assisté d'un avocat et a accepté d'être interrogé, à sa mise en examen des chefs susvisés ; que, le 4 septembre 2015, M. X... a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de pièces de la procédure ;
En cet état :
I-Sur le pourvoi de M. X... ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour M. X..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 81, 116-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en annulation de l'interrogatoire de première comparution de M. X... et de tous les actes d'instruction postérieurs et sa demande tendant à ce que l'enregistrement de son interrogatoire soit visionné ;
" aux motifs que le simple emploi, oralement ou dans un acte, par le juge d'instruction, du mot « rocambolesque » pour qualifier le système de défense adopté par M. X... ne suffit pas à démontrer que le magistrat instructeur a fait preuve de partialité, qu'en évoquant devant le mis en examen l'incohérence de certaines de ses déclarations et en faisant état de ce que leur contenu était contredit par des constatations matérielles, ce qui était exact, il l'a au contraire mis en mesure de mieux faire valoir ses moyens de défense, qu'au surplus l'obligation faite au juge d'instruction d'instruire à charge et à décharge ne lui impose pas de poursuivre simultanément ces deux buts dans chacun de ses actes, que certains d'entre eux peuvent aussi avoir pour objectif exclusif de favoriser l'exercice des droits de la défense, qu'il en est ainsi de la vérification d'un alibi, que d'autres peuvent avoir pour objectif de confirmer le poids des charges qui pèsent sur la personne soupçonnée ; que M. X... était assisté d'un avocat lors de sa première comparution ; qu'il ressort du procès-verbal signé par le juge et le greffier que cet avocat a déclaré n'avoir aucune observation particulière à faire ; que les accusations formulées par le mis en examen à l'encontre du juge peuvent être considérées comme dilatoires ; qu'aucun indice sérieux n'est invoqué justifiant qu'il soit procédé à la lecture de l'enregistrement qui a été réalisé au cours de l'interrogatoire ; que, dès lors, les griefs de partialité dirigés contre le magistrat et les enquêteurs sont dénués de tout fondement et ne constituent que de simples allégations ;
" 1°) alors que le juge d'instruction doit être objectivement impartial ; que fait preuve d'une absence d'impartialité objective le juge d'instruction qui, dans sa saisine du juge des libertés et de la détention, affirme que la thèse du mis en examen est « rocambolesque », la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que le juge d'instruction doit instruire à charge et à décharge ; qu'en constatant que le juge d'instruction avait discrédité ab initio les explications proposées par le mis en examen, sans rechercher si cette prise de position n'avait amené le magistrat instructeur à ne pas instruire à décharge, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
" 3°) alors que l'article 116-1 du code de procédure pénale prévoit que l'enregistrement audiovisuel de l'interrogatoire ne peut être consulté qu'en cas de contestation sur la portée des déclarations recueillies ; qu'en se refusant à consulter l'enregistrement sans rechercher si cette démarche ne répondait pas à une contestation de la portée des déclarations recueillies, notamment, des conditions dans lesquelles elles l'ont été, le mis en examen ayant de surcroît refusé de signer le procès-verbal d'interrogatoire, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité de l'interrogatoire de première comparution et des actes subséquents tiré de la partialité alléguée du juge d'instruction, caractérisée, selon la requête, par l'emploi, dans l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention, de l'adjectif " rocambolesque " pour qualifier le système de défense de l'intéressé, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, dont il résulte que le juge d'instruction n'a pas méconnu l'exigence d'impartialité qui s'impose à lui en vertu des dispositions conventionnelles invoquées, l'arrêt n'encourt pas la censure ;
Qu'ainsi, le grief allégué doit être écarté ;
Sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu qu'ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, la demande de visionnage de l'enregistrement de l'interrogatoire de première comparution, à laquelle il est fait grief à l'arrêt de n'avoir pas répondu, n'a été formée qu'au soutien d'un moyen de nullité de cet interrogatoire, tiré de la manière dont les propos tenus auraient été retranscrits, des manifestations alléguées de partialité du juge au cours de cet acte et de la déloyauté prétendue des questions posées, moyen proposé pour la première fois dans le mémoire du 7 octobre 2015 déposé pour M. X... devant la chambre de l'instruction, soit postérieurement à l'expiration du délai de forclusion institué par l'article 173-1 du code de procédure pénale, lequel s'applique indistinctement à tout moyen de nullité présenté, par requête ou par mémoire, par une personne mise en examen ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour M. X..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 97, 99-3, 151, 152, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des règles relatives à la protection du secret professionnel ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en annulation de la saisie d'un courrier adressé par la personne mise en examen à son avocat, annexé à un procès-verbal d'extraction coté D346 ;
" aux motifs que dans l'acte incriminé, il est mentionné à propos du mis en examen : « ce dernier refuse son extraction, il indique avoir adressé un courrier en ce sens à son avocat, en date du 26 mai 2015, il nous remet un double de ce courrier » ; qu'il ressort de cette mention qui n'est contredite ni par des témoignages ni par un écrit que le document a été volontairement remis par M. X... aux militaires chargés de l'extraire ;
" 1°) alors que la saisie d'une correspondance échangée entre un avocat et son client est rigoureusement interdite ; qu'à tout le moins, elle ne peut être saisie et placée au dossier que dans la mesure où elle constituerait un indice de la participation de l'avocat à une infraction ; qu'en saisissant le courrier qui lui a été présenté par le mis en examen, les gendarmes ont excédé leurs pouvoirs et violé les règles relatives à la protection du secret professionnel ;
" 2°) alors qu'afin de considérer que le document litigieux aurait été remis volontairement aux autorités, il appartenait à la chambre de l'instruction de rechercher les circonstances de cette remise et d'exclure que celle-ci ait pu avoir un quelconque caractère coercitif ; qu'en se bornant à constater que le procès-verbal constatait la remise du courrier et qu'aucune preuve de ce que celle-ci aurait été contrainte n'était rapportée, sans procéder d'elle-même aux actes d'instruction nécessaires à la manifestation de la vérité, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" 3°) alors qu'à supposer même que la remise de la copie du courrier ait été volontaire, sa conservation par les gendarmes puis son placement au dossier de la procédure ne pouvaient intervenir qu'à la condition que ce document soit utile à la manifestation de la vérité ; qu'en ne recherchant pas si le document était utile à la manifestation de la vérité, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 4°) alors qu'en tout état de cause, la saisie de documents ou leur remise volontaire ou sur réquisition, et leur versement au dossier de la procédure, ne peuvent être réalisés par des policiers ou des gendarmes qu'en exécution d'une commission rogatoire régulièrement délivrée par le juge d'instruction ; qu'en ne recherchant pas si les militaires, ayant reçu l'ordre d'extraire la personne mise en examen, avaient été régulièrement commis pour procéder à des saisies de documents, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité tiré de la saisie irrégulière d'une correspondance entre un avocat et son client, qu'auraient effectuée les gendarmes chargés de procéder à l'extraction de la personne mise en examen, en annexant au procès-verbal de renseignement judiciaire qu'ils ont dressé, suite au refus opposé par celle-ci de quitter la maison d'arrêt, une copie d'une lettre que M. X... avait adressée à son avocat pour lui expliquer les raisons de ce refus, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a souverainement retenu que ce document avait été volontairement remis par M. X... et qui n'avait pas à procéder à une vérification qui ne lui était pas demandée, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ;
Qu'ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté ;
II-Sur le pourvoi du procureur général ;
Mais sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 63-3-1, 63-4, 63-4-1 et 63-4-2 du code de procédure pénale ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour annuler l'audition de M. X... au cours de sa garde à vue, le 6 mars 2015 à 18 heures 45, l'arrêt, après avoir rappelé que l'intéressé avait demandé à être assisté d'un avocat avec lequel il avait pu s'entretenir, énonce qu'aux termes du procès-verbal, qui ne fait pas état de la présence de l'avocat, la première déclaration de la personne entendue a été de rappeler qu'elle avait demandé la présence d'un conseil, ce qui sous-entend son absence ; que les juges ajoutent qu'aucun élément n'est produit qui contredise ces termes du procès-verbal et retiennent qu'aucune personne revêtue de la robe d'avocat n'apparaît au visionnage de l'enregistrement de l'audition, alors que le physique de l'avocat de la personne gardée à vue est inconnu d'eux ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier, au besoin en procédant à un supplément d'information, si la personne tierce dont elle avait constaté la présence lors de l'audition n'était pas, malgré l'absence de mention du procès-verbal à cet égard, l'avocat de la personne gardée à vue et, notamment, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la production des documents devant être joints à la demande de règlement de l'avocat commis d'office et énumérés à l'article 132-5 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique n'était pas de nature à lui permettre de statuer, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
I-Sur le pourvoi formé par M. X... ;
Le REJETTE ;
II-Sur le pourvoi formé par le procureur général ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 27 octobre 2015, mais en ses seules dispositions ayant prononcé l'annulation du procès-verbal de l'audition de M. X... en date du 6 mars 2015 à 18 heures 45 (D255), toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.