Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 mars 2016, 14-28.987, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 14-28.987
- ECLI:FR:CCASS:2016:SO00530
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- M. Mallard (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 janvier 2014), que M. X... a entretenu des relations contractuelles du 1er mars 2004 au 5 août 2009 avec les sociétés Slota, Vanyc, Micpol et Kitax (les sociétés) qui lui ont loué un véhicule équipé taxi ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale pour voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail et demander le paiement de diverses sommes ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen, qu'il y a contrat de travail dans le cas d'un contrat de location de taxi dans la mesure où l'accomplissement effectif du travail dans les conditions prévues par ledit contrat place le « locataire » dans un état de subordination à l'égard du loueur ; que tel est le cas lorsque sont mises à la charge du locataire d'importantes charges, fussent-elles contractuellement prévues ; qu'en écartant la requalification des divers contrats de location conclus pour de courtes durées entre M. X... et les sociétés Vanyc, Micpol, Slota et Kitax et prévoyant une faculté unilatérale de résiliation pour lesdites sociétés et une révision unilatérale du montant de la redevance, quand elle relevait que les conditions générales du contrat prévoyaient une faculté de résiliation sans indemnité en cas de dégradation du véhicule entraînant des réparations d'un montant supérieur à sa valeur sans obligation pour le loueur de mettre un nouveau véhicule à la disposition du locataire, la révision unilatérale de la redevance par le loueur, le versement d'une indemnité forfaitaire par le locataire en cas de vol ou de dégradation sur le véhicule, des conditions restrictives d'usage du véhicule et l'obligation d'entretenir le véhicule dans l'atelier de la société Slota, la cour d'appel, qui a refusé de voir dans ses clauses contractuelles la caractérisation d'un lien de subordination, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
Mais attendu que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail et que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;
Et attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve produits devant elle, la cour d'appel, qui a relevé que le chauffeur n'était pas tenu de répondre scrupuleusement du chiffre d'affaires réalisé et n'était pas soumis à des contrôles pour que soit fixée sa rémunération, qu'il pouvait utiliser le véhicule pour son usage privé, qu'il ne versait aux débats aucun élément portant sur les instructions, ordres voire sanctions exercées par les sociétés, qu'il avait usé à son bénéfice des stipulations contractuelles portant sur la résiliation des contrats et en a déduit que l'existence d'un lien de subordination entre M. X... et les sociétés n'était pas avéré, a, par ces motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que les parties n'ont pas été liées par un contrat de travail et, en conséquence, d'AVOIR débouté M. Pierre X... de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « il est constant que les parties ont conclu des contrats de location de véhicules équipés taxis destinés à lui permettre d'exercer sa profession ; en sa qualité de locataire, il s'est acquitté d'une redevance mensuelle à laquelle s'ajoutait des charges sociales ; la cour relève que ces charges sociales correspondent à la part ouvrière des cotisations sociales sur la base de 70% du plafond de la Sécurité sociale ; cette réglementation spécifique qui ne fait pas de l'intimé un salarié résulte de l'application d'un arrêté du Ministre du travail du 4 octobre 1976 qui précise qu'elle est applicable sans préjudice du statut de travailleur indépendant attaché à l'activité de Pierre X... ; les sociétés soulignent que les conditions de ces contrats ont été acceptées sans réserves et n'ont donné lieu à aucune contestation lors de la remise des attestations de versement des cotisations sociales ainsi stipulées ; en raison de son état de santé et de l'impossibilité de conduire qui en résultait, Pierre X... a légitimement cessé son activité et demandé la résiliation du contrat de location, dans le cadre civil classique de l'exception tirée de l'impossibilité d'accomplissement de ce même contrat de la part du locataire ; pour répondre sur la question centrale de l'existence d'un contrat de travail en l'occurrence, qui conditionne la compétence de la juridiction sociale, il est nécessaire d'examiner concrètement comment s'est déroulée la relation contractuelle découlant du contrat de location d'un véhicule à usage de taxi ; la cour constate, à ce stade, que ce contrat de location est spécialement régi par les règlements qui encadrent la profession de chauffeur de taxis , soit une ordonnance préfectorale du 8 avril 1980 (article 7) et un arrêté ministériel du 4 octobre 1976 ; il est constant que dans ce cadre contractuel, la redevance et les charges sociales réglementaires acquittées, le professionnel encaisse sa recette qui lui demeure intégralement acquise et constitue son chiffre d'affaires soumis à la fiscalité applicable à son activité indépendante ; si l'on raisonne en terme d'exclusion, il est certain que si le chauffeur était salarié, il répondrait scrupuleusement du chiffre d'affaires réalisé et serait soumis aux contrôles afférents pour que soit fixée sa rémunération, ce qui n'est absolument pas le cas ici ; la totale liberté dans l'exercice professionnel qui résulte pour le locataire de ce régime contractuel est renforcée par le fait que le véhicule équipé est remis au chauffeur sans restriction de son usage même privé ; dès lors, Pierre X... avait toute latitude quant à la manière d'exercer sa profession et la maîtrise des résultats économiques qui pouvaient en résulter ; force est de constater que Pierre X... ne verse aux débats aucun élément permettant de vérifier que des instructions, des ordres, voire les sanctions qui s'y attacheraient auraient été, à quelque moment que ce soit, mis en oeuvre par les sociétés appelantes à son égard ; il ne peut être, sur ce point, extrapolé au sujet de la simple application des dispositions contractuelles consensuellement acceptées par les parties et prétendre que la résiliation intervenue à l'initiative du locataire résulterait de la pression du loueur sur l'utilisateur professionnel alors que la cause en est l'état de santé de Pierre X... et qu'en tant que travailleur indépendant, il pouvait s'il le souhaitait, s'assurer pour une telle hypothèse ; il convient de préciser que les dispositions civiles (article 1713 du code civil notamment) ont, à l'évidence, vocation à s'appliquer dans ce contrat de location de véhicules équipés puisqu'il s'agit tout simplement d'un contrat de louage de choses autour duquel le droit positif a fait naître de multiples obligations réciproques qui s'imposent au cocontractants et peuvent s'appliquer ici aux véhicules à destination de taxis loués par des professionnels à cette fin ; ainsi, Pierre X... se trouvait lié, notamment, par des obligations d'entretien du véhicule, de jouissance personnelle de la chose louée en bon père de famille, de paiement des loyers au terme convenu, d' usage conforme du véhicule à peine de résiliation ou encore de réponse des dégradations, pertes et incendies sauf cause exonératoire ; l'application des dispositions du contrat liant les parties constituent ici un corpus de nature civile, celles-ci n'étant révélatrices d'aucune situation de subordination entre les parties ; malgré l'analyse générale qui vient d'être faite pour montrer le caractère civil des stipulations du contrat de location contesté et l'absence de lien de subordination au sens du droit du travail, le premier juge a considéré cependant que certaines clauses du contrat de location devait être considérées comme léonines - il s'agit encore d'une notion tirée du droit civil la justification de l'existence d'un lien de subordination, notion propre au droit du travail ; il est rappelé à ce sujet que la subordination de laquelle naît un contrat de travail, n'est pas une notion potentielle ou hypothétique résultant d'une stipulation contractuelle mais doit être ancrée dans la réalité même de la relation supposée de travail et appréciée par le juge concrètement au vu des circonstances spécifiques de cette relation ; les sociétés intimées ont également, à bon droit, mis en évidence les stipulations contractuelles dont a usé, à son bénéfice, Pierre X... telle la faculté de résiliation rapide de certains des contrats souscrits en raison de la brièveté du préavis qui, dans une telle hypothèse, lui a été favorable et n'a pas été mis en oeuvre par le loueur ; de même en ce qui concerne la notion de dépendance économique qui aurait résulté de stipulations contractuelles léonines sur l'évolution des tarifs de location dont on peut vérifier qu'elle a été inférieure à celle de l'indice INSEE ; la cour relève qu'en première instance, Pierre X... insiste sur le fait que sa réelle dépendance est celle de l'administration chargée de veiller à l'application des divers règlements qui organisent son activité et celle des autres chauffeurs sur Paris (bureau des taxis, commission de discipline), ce qui contribue de sa part à mettre à néant la notion de lien de subordination découlant du droit du travail ; le premier juge, se référant aux conditions générales du contrat de location (pièce n°8) en fait l'analyse pour caractériser un lien de subordination à travers le déséquilibre qu'elles manifesteraient entre les parties ; la cour estime que c'est à tort que l'article 3 de ces conditions générales a été considéré comme léonin en ce qu'il s'agit d'une clause qui laisse au loueur la possibilité d'apprécier le comportement du locataire en cas de sinistre dont le coût dépasse la valeur vénale du véhicule pour en effectuer le remplacement ou résilier le contrat ; il s'agit d'une stipulation négociable puisqu'elle prévoit que le loueur pourra ; elle n'est donc pas léonine mais surtout elle est le fruit de la liberté de contracter, l'objet en étant la location d'un véhicule et non le statut du locataire ; jamais Pierre X... n'a été concerné par cette clause ; la question de la restriction par les sociétés loueuses de la mise à disposition du véhicule loué pour un usage également privé ( article 4 conditions générales ) ne peut , en aucun cas, être considérée comme une entrave au libre choix des périodes de vacances par le locataire et n'est en aucune manière la preuve d'un lien de subordination, le chauffeur demeurant maître de ses horaires ainsi que de ses périodes de vacances, sans interférence de la location du véhicule ; le jugement déféré critique aussi une clause prévoyant le versement d'un forfait par le locataire pour les cas de vol, dégradation volontaire ou non du véhicule, d'accident où la responsabilité du locataire est engagée ; le premier juge voit en cela la disposition pour le loueur d'un pouvoir de sanction sur le locataire ; force est de constate que l'intimé ne donne aucun exemple de l'application de cette clause à la relation contractuelle, la cour estimant par ailleurs que cette clause ne peut accréditer la réalité d'un lien de subordination ; le premier juge voit aussi dans un article 7 c) des conditions générales, une directive donnée au locataire par le loueur en ce qu'il s'agit de préconiser un système de réparation des véhicules dans les ateliers du loueur, sans bourse délier pour le locataire, alors que des réparations effectuées dans un autre cadre resteraient à la charge de ce dernier ; il s'agit d'un type de stipulation classique des contrats de louage de chose qui constitue plutôt un bénéfice pour le locataire et une incitation à l'entretien contractuellement organisé du véhicule, la personne de Pierre X... étant, par ailleurs, libre de ses actes pour ce qui est de l'exercice de sa profession ; il en va de même du moyen, retenu en première instance, selon lequel le montant de la redevance était tel qu'il remettait en cause la liberté de Pierre X... quant à l'organisation de son travail ; ce moyen ne saurait prospérer car il est dépourvu de tout support objectif puisqu'il n'est pas demandé de comptes au locataire sur l'origine des fonds destinés à payer la redevance, sinon une exigence évidente de licéité, la notion de subordination en droit du travail ne s'analysant pas, a priori, en une privation de liberté mais en une obligation de respecter le pouvoir de direction de l'employeur et la discipline légitimement exigée au sein de l'entreprise de préférence dans le cadre d'un règlement intérieur, ce qui n'est pas en cause dans le rapport contractuel de droit civil loueur locataire qui avait pris place ici. ; à titre complémentaire, il convient de rappeler que nonobstant le présent contentieux prud'homal, l'appelant a vécu, jusqu'à la cessation du contrat de location litigieux, sous un statut social et fiscal de travailleur indépendant avec toutes les incidences fiscales (déduction des charges, récupération de la T. V.A., détaxe de carburant et usage privatif de la chose louée) et sociales (cotisations calculées sur la base de l'arrêté du 4 octobre 1976 et en application des dispositions de l'article L.311-3 du code de la sécurité sociale), le contrat de location ne faisant que rappeler la loi applicable sur ces plans. Les observations qui précèdent sont de nature à remettre en question l'existence même - sans parler du fondement juridique précédemment tranché - d'une perte de revenus sous le régime contractuel civil ici confirmé en comparaison d'un contrat de travail sollicité ; il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le premier juge a procédé à la requalification des contrats de location conclus entre les sociétés appelantes et Pierre X... en un contrat de travail, le jugement déféré devant être infirmé sur ce point comme en toutes ses autres dispositions qui auraient pu découler de cette requalification dont l'intimé sera purement et simplement débouté » (cf. arrêt p.3-6) ;
ALORS QU' il y a contrat de travail dans le cas d'un contrat de location de taxi dans la mesure où l'accomplissement effectif du travail dans les conditions prévues par ledit contrat place le « locataire » dans un état de subordination à l'égard du loueur ; que tel est le cas lorsque sont mises à la charge du locataire d'importantes charges, fussent-elles contractuellement prévues ; qu'en écartant la requalification des divers contrats de location conclus pour de courtes durées entre M. X... et les sociétés Vanyc, Micpol, Slota et Kitax et prévoyant une faculté unilatérale de résiliation pour lesdites sociétés et une révision unilatérale du montant de la redevance, quand elle relevait que les conditions générales du contrat prévoyaient une faculté de résiliation sans indemnité en cas de dégradation du véhicule entraînant des réparations d'un montant supérieur à sa valeur sans obligation pour le loueur de mettre un nouveau véhicule à la disposition du locataire, la révision unilatérale de la redevance par le loueur, le versement d'une indemnité forfaitaire par le locataire en cas de vol ou de dégradation sur le véhicule, des conditions restrictives d'usage du véhicule et l'obligation d'entretenir le véhicule dans l'atelier de la société Slota, la cour d'appel, qui a refusé de voir dans ses clauses contractuelles la caractérisation d'un lien de subordination, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 1221-1 du code du travail.