Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 mars 2016, 14-18.334, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation des faits et des éléments de preuve par la cour d'appel, dont elle a pu déduire que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la salariée avait droit à être indemnisée de la perte de chance d'utiliser les droits acquis au titre du droit individuel à la formation et de bénéficier des informations relatives à la portabilité de la prévoyance ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Eag coiffure shampoo aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Eag coiffure shampoo ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Eag coiffure shampoo


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société E.A.G. à payer à Madame Amandine X... les sommes de 8.500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1.880 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 3.025 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés compris, 200 euros en réparation du dommage relatif au DIF et à la portabilité de la prévoyance et 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et ordonné le remboursement par la société E.A.G. à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées au salarié licencié à compter du jour de son licenciement dans la limite d'un mois, en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail ;

Aux motifs que, sur le bien-fondé de la prise d'acte, lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ; qu'il pèse sur le salarié la charge de la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur ; qu'en l'espèce, Madame Amandine X... justifie sa prise d'acte par quatre motifs : - le non-respect de la revalorisation du coefficient appliqué à sa rémunération, - le comportement outrancier du gérant de la société E.A.G., - l'atteinte à sa vie privée par l'instauration d'un système de surveillance à son insu et à la détention de la clé de son casier, - la communication tardive des documents légaux de la CPAM ; que Madame X... a été engagée le 6 septembre 2004 ; que son contrat de travail précise expressément qu'elle était titulaire du CAP ; que c'est sur cette base qu'au début de la relation contractuelle, elle a bénéficié du coefficient 110 de la convention collective afférente à son contrat de travail ; que l'obtention du diplôme susvisé par la salariée était explicitement reconnue, dans le cadre de son engagement ; qu'en fixant sa rémunération au coefficient 110 de la convention collective elle a été reconnue comme telle ; qu'elle aurait donc dû bénéficier du coefficient 120 (1.345 euros en 2008) après deux ans d'exercice de sa profession, soit au moins à compter de 2008, indépendamment de toute mention complémentaire ; que toutefois, l'examen des bulletins de paie de Madame Amandine X... fait apparaître que ce n'est qu'à compter de janvier 2010 qu'elle a atteint cet échelon, sans que l'employeur fasse valoir que sa rémunération globale avait atteint ce niveau ; que c'est ainsi que Madame Amandine X... a subi un manque à gagner pendant plusieurs mois ; que contrairement à ce que soutient l'employeur, une différence de 10 euros sur plusieurs mois n'est pas négligeable, eu égard au montant de la rémunération de Madame Amandine X... ; que le fait que la salariée n'a pas formé de revendication à ce titre ne saurait entrer en voie de considération ; qu'il appartenait en effet à l'employeur de respecter de lui-même les dispositions de la convention collective afférente au contrat de travail de la salariée ; que le 15 septembre 2010, Monsieur Y..., gérant de l'entreprise, a déclaré à deux salariées en parlant d'une lettre de l'appelante : « je me demande comment on peut élever des enfants dans le mensonge. Avoir un enfant en bas âge et bientôt en mettre un au monde et avoir comme vice la mythomanie, Mademoiselle X... a de la chance d'être enceinte, elle serait licenciée sur le champ » ; que ces propos, prononcés devant des collègues de Madame Amandine X..., en son absence, dépassent les limites de ce que peut se permettre un employeur en parlant de ses subordonnées ; qu'enfin, alors que son congé maternité débutait le 17 février 2011, le 9 février, Madame Amandine X... s'est vue contrainte d'adresser à son employeur un courrier recommandé lui signalant qu'elle était dans l'attente de son attestation d'indemnités journalières ; que la société E.A.G. ne s'est pas expliquée sur ce dysfonctionnement ; qu'outre les déclarations de l'employeur au sujet de l'appelante, les éléments susvisés, qui ont trait à la rémunération de la salariée, soit en cours de contrat de travail, soit à l'occasion de sa maternité, constituent de graves manquements aux obligations de l'employeur ; qu'ils justifient à eux seuls que Madame Amandine X... ait mis fin à son contrat de travail ; qu'il s'en suit que sa prise d'acte équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que nonobstant sa grossesse, Madame Amandine X... est fondée à réclamer une indemnité légale de préavis ; qu'en outre, il doit être fait droit à sa demande d'indemnité légale de licenciement ; que la Cour a les éléments suffisants compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée (de l'ordre de 1.345 euros par mois) de son âge (pour être née en 1985) de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, pour fixer le préjudice à la somme de 8.500 euros, en application de l'article 1235-3 du code du travail ; sur la perte de chance d'utiliser ses droits au titre du DIF et au titre de la portabilité de la prévoyance, que le salarié, dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qui n'est pas tenu d'exécuter un préavis, a droit à être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation et de bénéficier des informations relatives à la portabilité de la prévoyance ; que le préjudice nécessairement subi par la salariée sera réparé par l'allocation d'une somme de 200 euros ; sur la remise de documents, qu'il convient de condamner l'employeur à remettre à Madame Amandine X... un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et des bulletins de paie au titre des rémunérations de mai, juin et juillet 2011 conformes à la présente décision ; sur l'application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail en faveur du Pôle Emploi, que le salarié ayant plus de 2 ans d'ancienneté sic ; que la Cour constate que l'entreprise ne justifie pas ne pas occuper habituellement au moins onze salariés ; qu'il a été fait application de l'article L.1235-3 du code du travail ; qu'il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite d'un mois en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail ;

Alors, de première part, que le caractère suffisamment grave des manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles s'apprécie au regard des fautes commises par l'employeur, prises dans leur ensemble ; qu'en analysant, par réformation du jugement, la prise d'acte de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, au regard de certains seulement des griefs avancés par Madame X..., considérés isolément, la Cour d'appel a violé les articles L.1231-1 et L.1121-1 du code du travail ;

Alors, de deuxième part, que la prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur qu'en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci à ses obligations contractuelles empêchant la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, ayant relevé que les erreurs dans le calcul du salaire portait sur une faible somme (10 euros mensuellement) avaient été commises ponctuellement et constituaient des manquements anciens, puisque datant de plusieurs années, la Cour d'appel aurait dû rechercher si lesdits manquements, dont la salariée ne s'était jamais plainte et qui n'avaient nullement empêché la poursuite du contrat de travail et le changement d'échelons de Madame X..., n'étaient pas insuffisamment graves pour attacher à la prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en s'abstenant de le faire, pour se contenter d'indiquer qu'une erreur portant sur dix francs par mois n'était pas négligeable, la Cour d'appel a statué par une motivation inopérante, privant sa décision de base légale au regard des articles L.1231-1 et L.1121-1 du code du travail ;

Alors, de troisième part, que lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ; qu'il appartient au juge de vérifier la véracité des faits à l'origine de la rupture, le doute subsistant sur la réalité d'un fait ne pouvant, en toute hypothèse, profiter au salarié, dans la mesure où il en résulte que celui-ci n'est pas parvenu à établir pas les faits qu'il alléguait à l'encontre de son employeur comme cela lui incombait ; qu'en l'espèce, en se bornant à faire état des témoignages, tardivement versés aux débats en cause d'appel par Madame X..., de deux anciens salariés prétendaient relater, en des termes identiques, les propos que le gérant aurait tenu le 15 septembre 2010 sur le compte de la salariée, sans s'expliquer sur le fait que la réalité de tels propos n'était corroborée par aucun autre élément et était démentie par les attestations contraires produites par la société E.A.G., et sans rechercher s'il n'en résultait pas un doute quant à la réalité desdits faits, la Cour d'appel a privé sa décision au regard des articles L.1231-1 et L.1121-1 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil ;

Alors, de quatrième part, que tenus de motiver leur décision, les juges du fond ne peuvent procéder par voie de simple affirmation ; qu'en affirmant péremptoirement que constituait un manquement grave aux obligations de l'employeur le « dysfonctionnement » consistant en une communication tardive à la CPAM de documents concernant Madame X..., sans préciser d'où elle déduisait un tel « dysfonctionnement », la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors, de cinquième part que si le salarié, dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée, a droit à être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation, les juges doivent, avant que d'évaluer le quantum de son préjudice, s'attacher à rechercher quelle est sa situation exacte et s'assurer, en tout état de cause, de ce que le salarié a la possibilité d'exercer la portabilité ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel, qui s'est contentée de viser « le préjudice nécessairement subi par la salariée » sans procéder à ces recherches préalables, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.6323-1 et L.6323-17 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2016:SO00456
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