Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 1 mars 2016, 14-14.716, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 14-14.716
- ECLI:FR:CCASS:2016:CO00222
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- Mme Mouillard
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 642-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, rendu applicable, par l'article L. 631-22 du même code, au plan de cession arrêté à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;
Attendu que, sauf disposition contraire du jugement arrêtant le plan de cession, la cession judiciaire forcée du bail commercial en exécution de ce plan n'est pas soumise aux exigences de forme prévues par ce contrat ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 24 mars 2009 a arrêté au profit de la société CCV Beaumanoir, à laquelle s'est substituée la société Cafan, la cession des actifs de la société Nos Enfants aussi, incluant le bail commercial consenti à cette dernière par la société Vêtements Henry Mazoyer ; que la cession a été régularisée par un acte sous seing privé du 5 juin 2009 et signifiée au bailleur le 6 juillet suivant ; que faisant valoir que la cession avait été conclue sans respecter la forme authentique prévue par le contrat de bail en cas de cession, le bailleur a assigné le cessionnaire en résiliation et en expulsion ;
Attendu que pour prononcer la résiliation du bail, l'arrêt, après avoir constaté que la cession du fonds avait eu lieu par acte sous seing privé, contrairement aux clauses claires et précises du bail prévoyant que toute cession devait être reçue par acte authentique, retient que le non-respect de ces exigences de forme constitue une infraction aux clauses du bail qui présente un caractère de gravité suffisante pour conduire à la résiliation de celui-ci ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Vêtements Henry Mazoyer aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme globale de 3 000 euros aux sociétés Cafan et Beaumanoir ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Cafan et la société Beaumanoir
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé à compter du 5 juin 2009 la résiliation du bail liant les parties aux torts des sociétés CAFAN et CCV BEAUMANOIR, constaté que les sociétés CAFAN et CCV BEAUMANOIR sont occupantes sans droit ni titre des locaux loués depuis le 5 juin 2009, ordonné l'expulsion des sociétés CAFAN et CCV BEAUMANOIR des lieux loués situés 1 rue d'Antibes à Cannes et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la signification de la décision, ordonné le transport des meubles garnissant les lieux loués à l'endroit et sous la responsabilité de l'huissier chargé de l'expulsion, condamné les sociétés CAFAN et CCV BEAUMANOIR au paiement d'une indemnité d'occupation correspondant au montant du loyer et charges jusqu'à libération entière effective des lieux loués ;
AUX MOTIFS QUE par jugement du 24 décembre 2008 le tribunal de commerce de Nanterre, statuant sur déclaration de cessation des paiements, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à rencontre de la société NOS ENFANTS AUSSI et sur tous ses établissements secondaires dont celui de Cannes. Par jugement du 26 janvier 2009 le tribunal de commerce de Nanterre a autorisé la poursuite d'activité de la société NOS ENFANTS AUSSI. La société CCV BEAUMANOIR a déposé entre les mains de l'administrateur judiciaire une offre de reprise par voie de cession. Parmi les actifs compris dans l'offre de cession figurait le fonds de commerce de vente de prêt-à-porter « MORGAN » comprenant notamment le bail portant sur les locaux sis à Cannes, dans lesquels est exploité le fonds. La société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER a été convoquée le 27 février 2009 à l'audience du tribunal de commerce de Nanterre du 16 mars 2009. Par jugement du 24 mars 2009 le tribunal de commerce de Nanterre a ordonné :- la cession des actifs de la société NOS ENFANTS AUSSI à la société CCV BEAUMANOIR au prix global de 3 200 000 € payable au comptant à la signature des actes de cession selon les modalités définies dans l'offre et dans les compléments ultérieurs, en ce compris les indications et améliorations fournies à l'audience, autorisant sa substitution en faveur d'une société par actions simplifiées, existante ou à constituer dont le capital d'au moins 5 millions d'euros sera détenu à hauteur d'au moins 94 % par la société CCV BEAUMANOIR ou l'une de ses filiales. - en ce qui concerne la ventilation du prix pour la succursale de Cannes : 33 797,22 euros au titre des éléments incorporels 28 821,07 euros au titre des éléments corporels. Soit un total de 63 618,29 euros. -à la société CCV BEAUMANOIR de respecter les conditions et obligations des contrats dont la cession judiciaire est ordonnée par le présent jugement et ce dès la date d'entrée en jouissance, fixée au lendemain du prononcé du jugement. Le tribunal a ajouté que l'exploitation des actifs se fera sous l'entière responsabilité du cessionnaire à compter de la prise en jouissance et ce jusqu'à la signature des actes définitifs de transfert de propriété. Le jugement a été signifié à la SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER 31 mars 2009. Par lettre en date du 12 mai 2009, l'administrateur judiciaire a appelé la société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER à concourir à l'acte de cession pour le 5 juin 2009. Par acte sous-seing privé du 5 juin 2009 la société NOS ENFANTS AUSSI a procédé à la cession de ses actifs au profit de la société CAFAN laquelle s'est substituée à la société CCV BEAUMANOIR dans le cadre de l'acquisition. Cet acte sous-seing privé a été signifié le 6 juillet 2009 par la société CAFAN à la SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER. Il résulte des dispositions du bail initial en date du 21 décembre 2001 que la cession du bail par le preneur à son successeur dans son commerce ou entreprise ne supposait pas le consentement exprès et par écrit du bailleur. Cette cession est intervenue dans le cadre d'une cession globale lors d'une procédure en redressement et liquidation judiciaire à laquelle la société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER ne pouvait s'opposer tant sur le plan contractuel que judiciaire et légal. Il ne peut ainsi lui être reproché de ne pas s'être manifesté au cours de cette procédure ni de ne pas avoir exercé de voie de recours sur le jugement intervenu. Si le jugement qui arrête le plan de cession emporte cession des contrats il n'en demeure pas moins que cette cession doit s'accomplir dans le respect des conditions et obligations du contrat dont la cession est ordonnée ce qu'a rappelé tribunal de commerce de Nanterre dans son jugement du 24 mars 2009. Ces dispositions du jugement sont d'application immédiate et s'appliquent aux actes de cession concernés et non comme le prétendent les intimés uniquement pour les cessions de contrats ultérieures. En l'espèce il est acquis que la cession du fonds a eu lieu par acte sous-seing privé, contrairement aux clauses précises et extrêmement claires du bail du 21 décembre 2001 qui prévoyait que toute cession devait se faire par acte authentique du ministère du notaire du bailleur. Cette clause ne peut s'analyser comme une clause restrictive de cession qui ne pourrait s'appliquer dans le cas d'une cession globale d'actifs comme le soutiennent les intimés , la procédure collective ne pouvant avoir pour effet de mettre à néant le respect des formes prévues au contrat, ce que rappelle au demeurant le jugement du tribunal de commerce. La simple convocation adressée à la société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER de venir concourir à la signature de l'acte sous-seing privé de cession du 5 juin 2009 ne peut en elle-même suffire à justifier pour les intimés de leur respect des clauses du bail en terme de cession, aucun projet d'acte notarié n'ayant jamais par exemple été porté à la connaissance de la bailleresse. La cession du fonds de commerce par acte sous seing privé, hors respect des obligations prévues au contrat, en l'espèce l'établissement d'un acte authentique, constitue ainsi sans conteste une infraction aux clauses du bail. Cette infraction est immédiate et irréversible et ne peut faire l'objet d'aucune régularisation comme le demandent les intimées. Cette infraction présente un caractère de gravité suffisant pour conduire à la résiliation du bail la société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER se voyant privée du bénéfice d'un acte authentique et des prérogatives en matière de voie d'exécution qui l'accompagnent. Le fait pour la société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER de tenter légitimement de continuer de percevoir les loyers concernant les lieux loués occupés par les intimés , en vertu du jugement du Tribunal de Commerce de Nanterre , en émettant factures et commandement de payer, y compris postérieurement à l'assignation introductive de la présente instance , ne peut s'analyser en rien comme une acceptation tacite de la validité de la cession intervenue ni comme sa volonté de poursuivre le bail, étant précisé que le bail conclu prévoyait expressément qu'il ne pouvait être modifié que par un écrit bilatéral des contractants. La résiliation judiciaire pour infraction au bail que demande la SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER ne suppose pas de mise en demeure préalable. Il sera en conséquence fait droit sur l'ensemble de ces motifs à la demande de la société SARL VETEMENTS HENRY MAZOYER en résiliation de bail commercial. Cette résiliation sera prononcée à compter de la date de l'infraction commise, soit le 5 juin 2009, date de la passation de l'acte de cession sous-seing privé. Les sociétés intimées se trouvant occupantes sans droit ni titre des lieux, leur expulsion sera ordonnée sous les formes prévues dans le dispositif du présent arrêt. Une indemnité d'occupation correspondant au montant du loyer et des charges sera mise à la charge de la société CAFAN et de la société CCV BEAUMANOIR jusqu'à libération complète des lieux ;
1/ ALORS QUE la transmission des actifs d'une société, incluant le droit au bail dont elle est titulaire, à des sociétés qui se substituent à elle, ne constitue pas une cession de bail et les conditions contractuelles posées à une telle cession ne sont pas applicables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'à la suite du plan de cession prononcé par jugement du 24 mars 2009, les actifs de la société NOS ENFANTS AUSSI, incluant le droit au bail commercial conclu avec la société VETEMENTS HENRY MAZOYER, avaient été transmis à la société BEAUMANOIR, puis à la société CAFAN (arrêt, p. 2) ; qu'en prononçant la résiliation du contrat de bail pour non-respect de la forme authentique prévue dans le contrat en cas de cession de bail, après avoir constaté l'existence d'une transmission des actifs de la société NOS ENFANTS AUSSI incluant le droit au bail, laquelle était exclusive d'une cession du contrat de bail, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1134 du code civil ;
2/ ALORS, à titre subsidiaire, QUE le jugement qui arrête le plan emporte cession des contrats de location déclarés nécessaires par le tribunal au maintien de l'activité, privant d'effet la clause contractuelle stipulant que la cession est subordonnée à la conclusion d'un acte authentique ; qu'en décidant que le non-respect de la clause du contrat de bail, qui prévoyait la cession du contrat par acte authentique, devait entraîner la résolution du bail, la cour d'appel a violé l'article L. 642-7 du code de commerce ;
3/ ALORS, à titre subsidiaire, QUE les actes positifs d'un cocontractant manifestant son accord à la cession faite sans respect de la forme contractuellement prévue emporte renonciation à demander la résolution du contrat pour ce motif ; qu'en l'espèce, la société VETEMENTS HENRY MAZOYER avait manifesté son accord à le cession du contrat de bail faite sous-seing privé en envoyant des factures d'appel de loyers, en procédant à la reddition des comptes de charges, tant à l'égard de la société NOS ENFANTS ainsi qu'à l'égard de la société CAFAN elle-même, et en faisant délivrer un commandement d'avoir à payer un complément de dépôt de garantie ; qu'en refusant de retenir que la société VETEMENTS HENRY MAZOYER avait renoncé à demander la résiliation du contrat au motif que sa cession n'avait pas été faite par acte authentique, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
4/ ALORS, en tout état de cause, QUE dans un contrat synallagmatique à exécution successive, tel le bail, la résiliation judiciaire n'opère pas pour le temps où le contrat a été exécuté ; qu'en prononçant la résiliation du contrat à compter de l'infraction commise, soit le 5 juin 2009, quand il était constant qu'au jour où elle statuait, le bail était toujours en cours d'exécution, la cour d'appel a violé les articles 1184 et 1741 du code civil.