Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 17 février 2016, 14-86.970, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 14-86.970
- ECLI:FR:CCASS:2016:CR00090
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle sans renvoi
- Président
- M. Guérin (président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Aviva vie, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 5-13 chambre, en date du 2 octobre 2014, qui, dans la procédure suivie contre M. Thierry X... et M. Patrick Y... des chefs d'escroqueries et de faux, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 janvier 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire PICHON, les observations de la société civile professionnelle GADIOU et CHEVALLIER, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ et de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1154, 1351 et 1384, alinéa 5, du code civil, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris ayant déclaré la société Aviva vie civilement responsable des agissements de MM. Thierry X... et Patrick Y... à l'encontre de Mme Z... pour les sommes de 69 000 euros et 10 000, infirmé ce jugement en ce qu'il a débouté Mme Z... de sa demande dirigée contre la société Aviva vie en sa qualité de civilement responsable au titre du versement de 23 000 euros, intervenu le 1er décembre 2005, en tant que de besoin, déclaré la société Aviva vie responsable des condamnés à ce titre et, y ajoutant, dit qu'il sera fait droit à la demande de Mme Z... sur le fondement de l'article 1154 du code civil ;
"aux motifs que les premiers juges ont fait droit aux demandes de Mme Z... au titre de son préjudice matériel à hauteur de 92 000 euros et de 10 000 euros à titre de préjudice moral ; qu'ils ont retenu que les sommes réclamées au titre du préjudice matériel correspondaient à deux versements, l'un de 69 000 euros au titre d'un contrat « sélection international », du 1er juillet 2004 et l'autre de 23 000 euros, en date du 1er décembre 2005 sur la base d'un bulletin de reversement établi pour l'occasion, sommes détournées par les condamnés ; ils ont déclaré la société Aviva vie, civilement responsable, pour la première somme, en prenant en compte l'âge de la partie civile, sans compétence particulière et ayant une confiance absolue en M. Y..., mais, l'ont écartée pour la seconde versée postérieurement au départ de M. Y... de la société Aviva vie ; que Mme Z... sollicite l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle a écarté la qualité de civilement responsable de la société Aviva vie, pour la seconde somme, celle là s'étant fautivement abstenue d'empêcher M. Y... de continuer à nuire en ne lui retirant pas sa carte professionnelle et en n'informant pas ses clients de son licenciement ; que la société Aviva vie, quant à elle conteste sa qualité de civilement responsable ; que sur le premier point, il ne peut être fait grief à la société Aviva vie d'avoir négligé de réclamer à M. Y... les moyens mis à sa disposition dans le cadre de l'exercice de son travail salarié, ainsi, qu'il résulte des mises en demeure dont il est justifié à la procédure ; que, c'est à tort que les premiers juges ont débouté Mme Z... de sa demande formulée à l'encontre de la société Aviva vie, au titre du versement de 23 000 euros, comme intervenu, le 1er décembre 2005, soit postérieurement, au licenciement de M. Y..., mais ce sans que celle-ci, à laquelle des vrais contrats Aviva étaient présentés, ait été informée de ce que, M. Y..., tout récemment licencié, n'avait plus qualité pour lui faire souscrire le second contrat ; qu'en outre, il sera fait droit à la demande de Mme Z... d'application de l'article 1154 du code civil ;
"1°) alors que la cour d'appel ne pouvait, sans violer les textes visés, déclarer la société Aviva vie civilement responsable de MM. X... et Y... au titre d'un versement de 23 000 euros intervenu le 1er décembre 2005, soit postérieurement au licenciement de ces derniers ;
"2°) alors qu'au surplus, la cour d'appel a statué par un motif inopérant à justifier de la qualité de civilement responsable de la société Aviva vie en déclarant que, Mme Z... n'avait pas été informée de ce que M. Y... avait été tout récemment licenciée et n'avait plus qualité pour lui faire souscrire le contrat du 1er décembre 2005 ;
"3°) alors que la cour d'appel a constaté que MM. X... et Y... avaient été poursuivis pour avoir, le premier, trompé les époux Z... pour les déterminer à remettre des fonds en utilisant des faux contrats rédigés par M. Y..., le second, pour avoir établi des faux contrats sous la marque Aviva vie et au préjudice de la société Aviva vie et des époux Z..., ainsi, qu'avoir trompé les époux Z... pour les amener à remettre des fonds en utilisant des faux contrats rédigés par M. Y... ; qu'en énonçant, en toute hypothèse, que des vrais contrats AVIVA avaient été présentés le 1er décembre 2005, à Mme Z..., la cour d'appel s'est contredite et a statué au-delà des limites de la prévention ;
"4°) alors qu'en déclarant la société Aviva vie, civilement responsable des agissements de MM. X... et Y..., à l'encontre de Mme Z..., pour les sommes de 69 000 euros et 10 000, sans s'en expliquer ni répondre aux conclusions par lesquels la société Aviva vie faisait valoir que Mme Z..., compte tenu des nombreuses anomalies relatives au contrat « sélection internationale », n'avait pu croire légitimement dans les pouvoirs du mandataire, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
"5°) alors qu'à supposer même que, la cour d'appel ait à cet égard adopté les motifs du jugement entrepris, selon lesquels les « anomalies constatées lors des souscriptions les demandes d'adhésion étant incomplètes » ne pouvaient exonérer la société Aviva vie de sa responsabilité pour les versements effectués avant le départ de M. Y..., car ces anomalies étaient « fort compréhensibles s'agissant de contrats souscrits par des personnes âgées (Mme Z... est née en 1933) sans compétence particulière en la matière et faisant une confiance ancienne à M. Y...", la cour d'appel n'aurait pas répondu aux conclusions d'appel de la société Aviva vie invoquant d'autres anomalies que celles tenant à l'incomplétude des demandes d'adhésions, et, par suite, pas justifié la croyance légitime de Mme Z... dans le fait que MM. Y... et X... agissaient dans le cadre de leurs fonctions ;
6°) alors que la cour d'appel a constaté que le jugement entrepris était définitif sur l'action publique et l'action civile à l'encontre des condamnés ; qu'en faisant néanmoins droit à la demande d'application de l'article 1154 du code civil de Mme Z..., en statuant sur l'action civile de cette dernière envers la société Aviva vie, déclarée civilement responsable des agissements de MM. X... et Y... à l'encontre de Mme Z..., la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1384, alinéa 5, du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris ayant déclaré la société Aviva vie civilement responsable des agissements de MM. X... et Y..., à l'encontre de M. Pierre A... ;
"aux motifs que le commettant ne saurait s'exonérer de sa responsabilité qu'à la triple condition que le préposé ait agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; que s'agissant de M. A..., si les deux dernières conditions sont réunies, telle n'est pas le cas de la première dès lors que lors des versements les condamnés étaient préposés de la société Aviva vie, le second versement ayant eu lieu avant le licenciement de M. Y... ; que la partie civile, en lien de longue date avec M. X... qui était le représentant de la société Aviva vie auprès d'elle, était fondée à croire qu'il traitait avec le préposé de Aviva en cette qualité, le seul fait que le plaignant ait pu avoir des doutes sur la licéité des placements proposés ne permettant pas d'écarter la responsabilité de l'employeur, faute par ce dernier d'établir que le client était particulièrement avisé en matière de placement financier, et aurait nécessairement dû avoir l'attention attirée par les anomalies des conditions dans lesquelles il contractait, alors même que celles-ci procédaient précisément du stratagème mis en place pour le tromper ;
"1°) alors qu'en se bornant, à énoncer que les préposés avaient agi dans le cadre de leurs fonctions pour la seule raison que les versements litigieux avaient été effectués quand MM. X... et Y... étaient encore préposés de la société Aviva vie, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
"2°) alors qu'en affirmant que le fait que M. A... ait pu avoir des doutes sur la licéité des placements proposés ne permettaient pas d'écarter la responsabilité de l'employeur, quand de tels doutes interdisaient à ce dernier de croire légitimement que les préposés agissaient dans le cadre de leurs fonctions, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par jugement du 8 novembre 2012, MM. Y... et X... ont été définitivement condamnés, le premier, des chefs de faux et escroqueries, le second, du chef d'escroqueries, pour avoir, sur la période de 2003 à 2006, alors qu'ils étaient les préposés de la société Aviva vie, puis postérieurement à leur licenciement intervenu respectivement les 27 octobre et 8 janvier 2005, fait souscrire à des personnes âgées, dont Mme Z... et M. A..., clients de longue date, des contrats de placement apocryphes au nom d'Aviva vie, afin d'obtenir la remise de chèques, déposés pour la plupart sur le compte de tiers, puis décaissés en espèces, les victimes se voyant remettre de faux relevés de situation de compte et bénéficier de virements censés représenter des revenus trimestriels ; que les premiers juges ont retenu la responsabilité civile de la société Aviva vie du fait de ses préposés à l'égard des parties civiles, intégralement pour M. A..., auquel des dommages et intérêts fixés à la somme de 95 684 euros ont été accordés, et partiellement pour Mme Z..., à hauteur de la somme de 79 000 euros, soit 69 000 euros au titre d'un versement intervenu dans le cadre d'un faux contrat de placement signé le 1er juillet 2004 et 10 000 euros en réparation du préjudice moral, sur son préjudice global fixé à 102 000 euros, la prise en compte d'un versement de 23 000 euros effectué le 1er décembre 2005 postérieurement au licenciement de M. Y... étant écartée ; que la société Aviva vie et Mme Z..., à l'encontre des dispositions civiles du jugement concernant MM. Y... et X... et leur employeur, ont interjeté appel ;
Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, et sur le second moyen :
Attendu que, pour confirmer le jugement et déclarer la demanderesse civilement responsable du fait de ses préposés à l'égard de M. A... et, antérieurement à leur licenciement, de Mme Z..., l'arrêt retient que le commettant ne saurait s'exonérer de sa responsabilité qu'à la triple condition que le préposé ait agi hors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; que les juges énoncent que M. A..., en lien professionnel de longue date avec M. X..., sans être particulièrement avisé en matière de placement financier, était fondé à croire qu'il traitait avec le préposé de la société Aviva vie en cette qualité, peu important qu'il ait pu avoir des doutes sur la licéité des placements financiers proposés, les anomalies affectant les conditions de la souscription procédant du stratagème mis en place en vue de le tromper ; qu'ils ajoutent, par des motifs propres et adoptés, concernant les détournements opérés au préjudice de Mme Z... avant le licenciement de M. Y..., que les anomalies affectant la demande d'adhésion ne sont pas de nature à exonérer la commettante de sa responsabilité civile, compte tenu de l'âge de la victime, sans compétence particulière et faisant une confiance ancienne à M. Y... ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, d'où il résulte qu'il n'est pas établi que MM. Y... et X... ont, avant leur licenciement, commis, hors de leurs fonctions, les faits dont ils ont été déclarés coupables, les victimes ayant légitimement pu croire qu'elles avaient traité avec eux en qualité de préposés de la société Aviva vie, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les griefs, dont la sixième branche du premier moyen manque en fait, doivent être écartés ;
Mais sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Vu l'article 1384, alinéa 5, du code civil ;
Attendu que, selon ce texte, le commettant est responsable du dommage causé par son préposé dans l'exercice de son emploi ;
Attendu que, pour infirmer partiellement le jugement et déclarer la demanderesse civilement responsable du fait de ses préposés également en ce qui concerne le détournement de la somme de 23 000 euros versée par Mme Z..., l'arrêt relève que celle-ci, à laquelle des vrais contrats Aviva vie ont été présentés, n'avait pas été informée que M. Y..., récemment licencié, n'avait plus qualité pour lui faire souscrire, le 1er décembre 2005, le second contrat ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la souscription par Mme Z... du bulletin de reversement de la somme de 23 000 euros a été effectuée à une date où le lien de préposition entre MM. Y... et X... et la société Aviva vie avait cessé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 2 octobre 2014, en ses seules dispositions ayant déclaré la société Aviva vie civilement responsable de MM. Y... et X... à l'égard de Mme Z... au titre du détournement de la somme de 23 000 euros intervenu le 1er décembre 2005, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT qu'à l'égard de Mme Z..., la société Aviva vie est civilement responsable de MM. Y... et X... à hauteur de la somme de 79 000 euros ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept février deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.