Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 28 janvier 2016, 14-26.418, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 octobre 2014), que M. X..., propriétaire d'un logement donné à bail à M. et Mme Y..., leur a délivré congé afin de reprise prenant effet le 14 novembre 2011 ; que, les preneurs bénéficiant de la disposition prévue à l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989, M. X... leur a adressé cinq offres de relogement entre le 26 octobre et le 14 novembre 2011 ; que, M. et Mme Y... s'étant maintenus dans les lieux au-delà de la date d'expiration du bail, il les a assignés le 17 novembre 2011 en expulsion ; que ceux-ci ont contesté la validité des congés ;

Attendu que, pour déclarer nuls les congés délivrés par M. X... le 1er avril 2011, l'arrêt retient, concernant l'offre de relogement faite le 14 novembre 2011, que, s'agissant du délai dans lequel le bailleur doit formuler les offres, si l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 n'oblige pas le bailleur à présenter au locataire protégé une offre de relogement en même temps qu'il lui délivre le congé et s'il peut présenter l'offre pendant toute la période du préavis, encore faut-il qu'il la présente dans un délai raisonnable permettant au locataire de procéder aux recherches ou vérifications nécessaires et qu'en adressant une offre le dernier jour du préavis à des locataires âgés et présentant des problèmes de santé sérieux, le bailleur n'a pas respecté les exigences légales ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la date à laquelle le bailleur avait eu connaissance des revenus des preneurs ne justifiait pas de prendre en considération l'offre de relogement présentée le dernier jour du préavis, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;



PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré nuls les congés signifiés à M. et Mme M Y... et débouté M. X... de ses demandes d'expulsion, de fixation d'une indemnité d'occupation et de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 7 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne M. et Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum M. et Mme Y... à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour M. X...

IL EST FAIT GRIEF A L'ARRÊT ATTAQUE d'avoir déclaré nul les congés signifiés par Monsieur X... à Monsieur et Madame Y... à effet au 14 novembre 2011, d'avoir concomitamment débouté Monsieur X... de sa demande en validation de congés ainsi que de ses demandes connexes d'expulsion, de fixation d'une indemnité d'occupation et de paiement de dommages intérêts ;

AUX MOTIFS QU' aux termes de l'article 15 III de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-dix ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance, sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soient offert dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948, soit dans le même arrondissement ou les arrondissements limitrophes à l'arrondissement où se trouve le bien occupé si celui-ci est situé dans une commune divisée en arrondissements ; Que s'agissant du délai dans lequel le bailleur doit formuler les offres, si l'article 15 III de la loi du 6 juillet 1989 n'oblige pas le bailleur à présenter au locataire protégé une offre de relogement en même temps qu'il lui délivre le congé et s'il peut présenter l'offre pendant toute la période de préavis, encore faut-il qu'il la présente dans un délai raisonnable permettant au locataire de procéder aux recherches ou vérifications nécessaires ; Qu' en adressant une offre le dernier jour du préavis à des locataires âgés et présentant des problèmes de santé sérieux, le bailleur, en l'occurrence, n'a pas respecté les exigences légales ; Qu' il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qui concerne cet appartement situé au 9 rue Stendhal à Paris 20ème ;

Que seules deux offres respectent les critères légaux en matière de délai et de zone géographique : celles concernant l'appartement sis 103 boulevard Poniatowski à Paris 12ème et celui situé 13 avenue Jean-Jaurès à Joinville le Pont ; Qu' il convient d'examiner si elles correspondent aux autres exigences légales ; Que s'agissant des besoins des locataires cette notion ne peut être interprétée de façon abstraite et exige du bailleur qu'il soit informé ou s'informe de leur situation matérielle et personnelle exacte ; Qu' en créant cette catégorie spécifique de locataires protégés le législateur n'a pas souhaité que le bailleur se plie à leurs convenances personnelles mais qu'il propose des offres de logement adaptées, le premier des besoins à prendre en compte étant, compte tenu de l'âge, la santé et le respect des exigences médicales ; Qu' en l'espèce, M. Y... présente des troubles psychiques et physiques importants et anciens ; Que s'ils ne peuvent impliquer un maintien permanent dans les lieux, ils imposent que les offres soient conformes à des capacités d'adaptation limitées et à des possibilités de déplacement mesurée ;

Qu' il apparaît que l'appartement sis 103 boulevard Poniatowki à Paris ne dispose que d'une seule chambre alors que les époux Y..., en raison de leur grand âge et de leur état de santé, dorment dans des chambres séparées ;

Que, quant à l'appartement de Joinville le Pont, en dehors de la question de la salle de bains qui aurait pu faire l'objet d'un aménagement, il apparaît qu'il n'y a dans les environs immédiats aucun commerce de proximité, les commerces les plus proches étant situés à environ 1 kilomètre ;

Que dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré nuls et de nul effet les congés signifiés par Monsieur X... à Monsieur et Madame Y... à effet au 14 novembre 2011 et débouté Monsieur X... de sa demande en validation de congés ainsi que de ses demandes connexes d'expulsion, de fixation d'une indemnité d'occupation et de paiement de dommages intérêts et de rejeter ses demandes en réparation du préjudice subi du fait de l'inexécution délibérée de leurs obligations contractuelles par Monsieur et Madame Y... et pour attitude déloyale et abusive ;

ALORS d'une part QUE l'article 15 III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 n'obligeant pas le bailleur à présenter au locataire protégé une offre de relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 en même temps qu'il lui délivre le congé, il peut la présenter pendant toute la période de préavis ; Que si le bailleur doit présenter cette offre dans un délai raisonnable permettant au locataire de procéder aux recherches ou vérifications nécessaires, encore faut-il que le locataire l'ait mis en mesure lui-même de présenter l'offre de relogement dans un délai raisonnable le plus tôt possible dans la procédure du congé, voir dès le début ; Que pour rejeter la troisième offre de relogement signifiée le 14 novembre 2011 pour la même date, soit le dernier jour du préavis, la Cour a retenu qu'elle a été adressée à des locataires âgés et présentant des problèmes de santé sérieux ; Qu' en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée par Monsieur X..., si l'information reçue de ses locataires qu'ils bénéficiaient de l'offre de relogement près de deux semaines avant l'expiration du délai, après que le congé avait été délivré près de 7 mois auparavant le 1er avril 2011 et que les locataires avaient eu de nombreuses occasions pour porter à sa connaissance leur éligibilité au bénéfice de la loi du 6 juillet 1989, ne l'avait pas empêché de présenter dans un temps raisonnable cette cinquième offre de relogement, de sorte qu'elle demeurait valablement formée, la Cour a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ; que par ailleurs cette offre avait été valablement formée dans le cadre du délai légal expirant le 14 novembre à minuit, qu'elle laissait 8 jours pleins aux locataires pour se décider, qu'elle correspondait parfaitement à leurs besoins, et que la Cour, en refusant d'examiner cette offre pour apprécier sa conformité à la loi a privé sa décision de base légale ;

ALORS d'autre part QUE la prohibition des arrêts de règlements entraîne celle d'ériger l'interprétation d'un texte en norme abstraite applicable à tous les litiges ; Qu ' interrogé sur le point de savoir si les offres de relogement faites par Monsieur X... satisfaisaient aux besoins des époux Y..., au sens de l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 obligeant le bailleur donnant congé à tout locataire protégé au sens du texte à lui proposer un logement correspondant « à ses besoins et à ses possibilités », le juge devait se limiter à vérifier in concreto si les dites offres de relogement satisfaisaient aux besoins des époux Y... ; Qu'en posant néanmoins la règle aux termes de laquelle « le législateur n'a pas souhaité que le bailleur se plie (aux) convenances personnelles (des locataires) mais qu'il propose des offres de logement adaptées, le premier des besoins à prendre en compte étant, compte tenu de l'âge, la santé et le respect des exigences médicales », le juge a édicté un règlement préalable et général valant pour tout locataire protégé, sans se borner à rechercher in concreto quels étaient les besoins des seuls époux Y... ; Qu'en statuant ainsi par voie de disposition générale, la cour d'appel a violé, ensemble, la loi des 16 et 24 août 1790, l'article 5 du Code civil et l'article 15-III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;

ALORS enfin QU'aux termes de l'article 15-III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, le bailleur doit proposer au locataire protégé un « logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités » ; Que l'offre de relogement ne peut être adaptée aux besoins du locataire que si le bailleur en a été au préalable informé, dans un délai suffisant, voir dès le début de la procédure de congé, et que les locataires ne peuvent choisir de garder le mutisme par stratégie juridique pour surprendre le propriétaire et l'empêcher de le mettre en situation de présenter des offres satisfaisantes, d'autant plus que la réalité du marché fait qu'à Paris et dans les communes correspondant au critère géographique de la loi, la recherche de telles offres pour des locataires très âgés est d'une très grand difficulté ; Que pour déclarer inadaptées les deux offres faites le 26 octobre 2011, la cour a considéré qu'elles n'étaient pas conformes aux « capacités d'adaptation limitées et aux possibilités de déplacement mesurées » des locataires ; Qu' en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée par Monsieur X... si, les époux Y... ne lui ayant jamais fait connaître avant la date d'effet du congé leurs besoins, n'ayant répondu à aucune des offres de relogement proposées et n'ayant jamais fait connaître les motifs de leur refus des dites offres qu'à l'occasion de la procédure engagée, quand le bailleur ne pouvait plus former de nouvelles propositions de relogement, le bailleur, faute d'avoir été informé par les locataires de leurs besoins spécifiques, n'avait pas été dans l'incapacité de leur proposer un plus grand nombre de relogements adaptés, la cour a privé, derechef, sa décision de base légale au regard de l'article 15-III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ; Que la loi, comme le démontre les débats parlementaires, n'a pas entendu permettre que les besoins soient appréciés à l'infini, de façon arbitraire, alors que de surcroît, ils n'ont jamais été explicités à aucun par les locataires pendant la procédure de congé.

ECLI:FR:CCASS:2016:C300151
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