Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 5 janvier 2016, 14-15.700, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 2007, la société EMAF, représentée par son gérant, M. X..., et la société Assurtis (le franchiseur) ont conclu un contrat de franchise portant sur la distribution de contrats d'assurance et de crédits à la consommation au sein d'un réseau exploité sous l'enseigne Assurtis, dans la zone de Bourg en Bresse ; qu'en 2008, le contrat a été transféré au profit de la société ECM, dont M. X... est également gérant ; qu'en 2010, la société ECM et M. X... se sont prévalus d'un vice du consentement et ont assigné le franchiseur en nullité, puis en résiliation, à ses torts exclusifs, du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée contre le franchiseur au titre de manquements précontractuels, l'arrêt retient que si aucune présentation de l'état du marché local et de ses perspectives n'a été remise à M. X..., les fonctions d'agent général d'assurance exercées par celui-ci dans la région de Bourg-en-Bresse depuis près de vingt ans lui permettaient d'avoir une bonne connaissance du marché local ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'expérience du franchisé, acquise dans le seul secteur de l'assurance, était suffisante pour lui permettre d'apprécier l'état du marché local d'un concept novateur alliant crédit et assurance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par M. X... et la société ECM au titre des manquements précontractuels et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 février 2014 (RG n°10/24823), entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Assurtis aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... et à la société ECM la somme globale de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. X... et la société ECM

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande de dommages-intérêts formée au titre des manquements précontractuels et du dol du franchiseur par Monsieur Christian X... et la société ECM à l'encontre de la société ASSURTIS ;

Aux motifs que « le transfert du contrat de franchise par un avenant signé le 18 mars 2008 par la société EMAF, représentée par son gérant Monsieur X..., la société ASSURTIS, la société ECM représentée par Monsieur X..., n'a pas été précédée de la remise d'un document d'information ; que la société ECM peut invoquer les manquements de la société ASSURTIS à son obligation d'information précontractuelle avant la signature de l'avenant ; que le document d'information précontractuelle adressé le 20 mars 2007 ne comportait pas la présentation du marché local et ses perspectives de développement qui sont obligatoires selon les termes de l'article R. 330-1 du Code de commerce ; qu'en effet, l'information donnée par la remise d'un carte de la région de Bourg en Bresse avec quelques chiffres sur la population des communes avoisinantes, le tout d'un caractère extrêmement succinct, n'est pas celle que l'article R. 330-1 du Code de commerce demande au franchiseur de fournir ; que toutefois Monsieur X... a exercé des fonctions d'agent général d'assurance dans la région de Bourg en Bresse depuis près de vingt années et a ainsi une bonne connaissance du marché local ; que par ailleurs, il doit toutefois être relevé que le contrat de franchise précisait dans son article 4.2 que le franchisé "déclare avoir effectué sous sa propre responsabilité une étude de marché, et le cas échéant, une étude d'implantation dans la zone de recherche. Le franchisé assume la responsabilité de son étude d'implantation, de son étude de faisabilité et du choix de son point de vente s'il n'en dispose pas déjà d'un" ; qu'il incombait donc à Monsieur X... de faire une étude de marché et qu'il ne peut imputer la responsabilité de sa carence au franchiseur ; que Monsieur X... savait que le concept avait un caractère "innovant" et n'avait pas fait l'objet d'une exploitation préalable avant la création du réseau que ni des termes de la loi ni de la norme AFNOR Z 20 000 imposent au franchiseur ; que pour autant Monsieur X... avait été informé de ce que le concept était issu du savoir-faire conjugué des sociétés APRIL et MEDIATIS et de ce que l'adhésion au réseau lui permettait de bénéficier de l'accès à une gamme de produits d'assurance et de crédits réservés aux seuls membres du réseau, d'opérations de marketing montées spécialement pour les membres du réseau, d'outils informatiques spécifiques, de techniques de vente, le tout largement éprouvé tant par MEDIATIS que par APRIL dans leur domaine respectif ; qu'il pouvait tout particulièrement se renseigner auprès des autres membres du réseau ayant exploité le concept sur l'année 2006 et sur une partie de l'année 2007 ; qu'il est soutenu que le compte d'exploitation prévisionnel a été en réalité établi par ASSURTIS sur la base de chiffres irréalistes, ce qui a conduit Monsieur X... à faire une erreur sur la rentabilité du projet ; (...) qu'enfin, les objectifs visés dans le contrat doivent être considérés comme tels et non comme des prévisions ; que rien ne permet par conséquent de justifier que Monsieur X... a été conduit à apprécier d'une façon erronée par le fait de la société ASSURTIS la rentabilité de l'exploitation projetée ; (...) que Monsieur X... ne justifie d'un quelconque manquement de la société ASSURTIS au titre de l'information précontractuelle ayant vicié son consentement et sera débouté de sa demande ; que pour les mêmes motifs, la demande faite en raison des mêmes faits par la société ECM, représentée lors de la signature de l'avenant par son gérant, doit être rejetée, non fondée» ;

Alors que, de première part, le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'il est constant que le concept ASSURTIS reposait sur la distribution conjointe et inédite de contrats d'assurance et de crédits à la consommation, et plus particulièrement le regroupement de crédits ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que la société ASSURTIS n'a pas commis de manquements précontractuels en fournissant à Monsieur X... et à la société ECM le 20 mars 2007 un document d'information précontractuelle « ne comportant pas de présentation du marché local et de ses perspectives de développement qui sont pourtant obligatoires selon les termes de l'article R. 330-1 du Code de commerce », et en ne fournissant de surcroît aucun document d'information précontractuelle préalablement à la conclusion de l'avenant au contrat de franchise signé le 18 mars 2008, que Monsieur X..., qui a été agent général d'assurance dans la région de Bourg en Bresse depuis près de vingt années, avait une bonne connaissance du marché local, sans rechercher, alors même que Monsieur X... soulignait dans ses écritures d'appel, sans être contredit, qu'il n'avait aucune expérience dans le domaine du crédit, s'il n'était pas indispensable à ce dernier de disposer d'informations sur le marché local du crédit, et en particulier du regroupement de crédits à la consommation, afin qu'il puisse s'engager dans les liens de la franchise avec la société ASSURTIS en pleine connaissance de cause, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 et R.330-1 du Code de commerce ;

Alors que, de deuxième part, le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; que la bonne connaissance du marché local par le franchisé n'affranchit pas le franchiseur de son obligation dès lors qu'il est seul à détenir des informations sur le potentiel de rentabilité et de compétitivité de son concept et de ses produits au plan local ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de Monsieur X... et de la société ECM, que le non-respect par la société ASSURTIS des exigences légales relatives à la fourniture d'une présentation du marché local (contrat de franchise initial) et à la fourniture d'un document d'information précontractuelle (avenant du 18 mars 2008) était en l'espèce indifférent au motif que Monsieur X... aurait eu une bonne connaissance du marché local en raison de sa qualité d'agent général d'assurance depuis près de vingt ans dans la région de Bour en Bresse, alors qu'il appartenait en toute hypothèse à la société ASSURTIS de fournir une présentation du marché local à la lumière de la spécificité de son concept et de ses produits, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;

Alors que, de troisième part, le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; que la bonne connaissance du marché local du franchisé n'affranchit pas le franchiseur de son obligation dès lors qu'il est seul à détenir des informations sur le potentiel de rentabilité et de compétitivité de son concept et de ses produits au plan local ; qu'en se bornant à énoncer par des motifs inopérants que Monsieur X... avait une bonne connaissance du marché local pour avoir été agent général d'assurance dans la région de Bourg en Bresse et que le concept proposé par la société ASSURTIS présentait un caractère innovant, sans rechercher si la société ASSURTIS n'était pas en mesure de fournir à ses franchisés, et à Monsieur X... et à la société ECM en particulier, des informations sur le taux d'emprise, au moins potentiel, de son concept et de ses produits au plan local, et ce alors même qu'elle constatait que le contrat de franchise de la société ECM avait été signé près de trois ans après le début d'exploitation du concept, et que ce concept était issu d'un savoirfaire conjugué, ce dont il résultait que la société ASSURTIS était pleinement capable de remettre à Monsieur X... une présentation du marché local intégrant le taux d'emprise, au moins potentiel, de son concept et de ses produits sur le territoire contractuel concédé au franchisé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;

Alors que, de quatrième part, le franchiseur doit remettre à l'autre partie un document des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause ; qu'il doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en retenant que Monsieur X... et la société ECM ne justifient pas d'un quelconque manquement de la société ASSURTIS au titre de l'information précontractuelle ayant vicié son consentement, tout en constatant, d'une part, que le document d'information précontractuelle adressé avant la conclusion du contrat de franchise "ne comportait pas la présentation du marché local et ses perspectives de développement pourtant obligatoires selon les termes de l'article R. 330-1 du Code de commerce", "l'information donnée par la remise d'un carte de la région de Bourg en Bresse avec quelques chiffres sur la population des communes avoisinantes, le tout d'un caractère extrêmement succinct, n'étant pas celle que ce texte demande au franchiseur de fournir", et, d'autre part, que "le transfert du contrat de franchise par un avenant signé le 18 mars 2008 n'avait pas été précédée de la remise d'un document d'information précontractuel" si bien que "la société ECM peut invoquer les manquements de la société ASSURTIS à son obligation d'information précontractuelle avant la signature de l'avenant", la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ;

Alors que, de cinquième part, on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ; que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en jugeant qu'il incombait à Monsieur X..., alors simple candidat à la franchise ASSURTIS, de faire une étude de marché au motif qu'une stipulation du contrat de franchise prévoyait que le franchisé "déclare avoir effectué sous sa propre responsabilité une étude de marché, et le cas échéant, une étude d'implantation dans la zone de recherche" et qu'il "assume la responsabilité de son étude d'implantation, de son étude de faisabilité et du choix de son point de vente s'il n'en dispose pas déjà d'un", alors que le franchiseur ne pouvait mettre à la charge de Monsieur X... l'obligation d'ordre public lui imposant de communiquer au candidat à la franchise un état du marché local et de ses perspectives de développement, la Cour d'appel, qui a fait prévaloir une stipulation contractuelle sur des dispositions légales d'ordre public mettant à la charge exclusive du franchiseur la réalisation d'un état du marché local, a violé l'article 6 du Code civil, ensemble les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;

Alors que, de sixième part, il appartient au franchiseur de transmettre au franchisé un savoir-faire effectif ayant fait l'objet d'une expérimentation préalable ; qu'en énonçant, pour écarter tout manquement précontractuel de la part de la société ASSURTIS, que l'exploitation préalable du concept n'est pas une obligation à la charge du franchiseur avant la création du réseau, alors qu'il incombe au franchiseur de communiquer à ses franchisés un savoir-faire éprouvé, nécessaire pour que le contrat de franchise puisse conférer un avantage concurrentiel aux franchisés, la Cour d'appel a violé les articles 1108, 1131 et 1134 du Code civil ;

Alors que, de septième part, les juges du fond doivent analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en énonçant péremptoirement que Monsieur X... savait que le concept avait un caractère "innovant" et n'avait pas fait l'objet d'une exploitation préalable avant la création du réseau, ce sans analyser, fût-ce sommairement, les documents sur lesquels elle fondait son appréciation alors que Monsieur X... soutenait dans ses écritures d'appel, offres de preuve à l'appui, qu'il n'avait jamais été informé de l'absence d'expérimentation du savoir-faire et du concept ASSURTIS mais simplement de son caractère innovant, la Cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ;

Alors que, de huitième part, le franchiseur doit fournir au franchisé des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; qu'en énonçant, pour écarter toute responsabilité de la société ASSURTIS au titre de la transmission d'information non sincères et déloyales, que les objectifs exposés par le franchiseur dans le contrat de franchise devaient être considérés comme tels et non comme des prévisions, la Cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à établir que la société ASSURTIS n'avait pas sciemment transmis des chiffres exagérément optimistes sur la rentabilité de son réseau et de son concept de nature à exercer une influence sur le consentement du franchisé, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 du Code de commerce et 1382 du Code civil.

ECLI:FR:CCASS:2016:CO00008
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