Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 décembre 2015, 14-22.944, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 14-22.944
- ECLI:FR:CCASS:2015:C101467
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- Mme Batut (président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris,16 mai 2014), que, par contrat du 12 janvier 1989, Gilles X..., réalisateur du film adapté d'une oeuvre de Georges Y... et intitulé « Le sang à la tête », dont les dialogues ont été écrits par Michel Z... et la musique composée par Maurice A..., a cédé ses droits de représentation cinématographique par télédiffusion et édition vidéographique, jusqu'au 1er janvier 2004, à la société Editions René Chateau (la société) ; que les consorts B..., ayants droit de Gilles X..., ayant refusé de renouveler le contrat, celle-ci les a assignés pour voir juger abusif leur refus, sur le fondement de l'article L. 122-9 du code de la propriété intellectuelle, et, subsidiairement, pour voir trancher, en application de l'article L. 113-3, alinéa 3, du même code, le différend les opposant aux ayants droit de Michel Z... qui sollicitaient qu'elle poursuive l'exploitation du film ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à obtenir l'autorisation de reprendre l'exploitation du film « Le sang à la tête » à compter de la date de sa signification, alors, selon le moyen, qu'en cas de désaccord des coauteurs dans l'exercice de leurs droits sur l'oeuvre de collaboration, il appartient à la juridiction civile de trancher le litige et de déterminer les modalités d'exercice des droits des coauteurs ; qu'en déboutant la société de sa demande tendant à se voir autoriser à exploiter le film « Le sang à la tête », en retenant qu'y faisaient obstacle tant le fait qu'elle avait poursuivi, au-delà de son terme et sans l'autorisation des ayants droit de Gilles X..., le contrat de cession des droits de représentation et d'édition vidéographique consenti par ce dernier le 2 janvier 1989, que l'absence de consultation entreprise à leur égard par les consorts Z... avant de signer, le 22 juin 2000, un contrat de cession de leurs propres droits de représentation et d'édition vidéographique, quand elle constatait que les consorts B..., ayants droit de Gilles X..., et les consorts Z..., ayants droit de Michel Z..., étaient en désaccord et d'édition vidéographique sur cette oeuvre de collaboration au profit de la société, la cour d'appel qui constatait les désaccords des coauteurs a refusé de déterminer les modalités pratiques d'exercice de leurs droits ; qu'ainsi, elle a violé l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société avait commis des actes de contrefaçon, à compter du 1er janvier 2004, en poursuivant l'exploitation du film sans avoir sollicité l'accord des consorts B..., et que ceux-ci ne souhaitaient plus, dès lors, avoir de relations contractuelles avec elle, la cour d'appel a pu retenir que la société ne pouvait être autorisée à reprendre l'exploitation du film ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, lesdites prétentions étant fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que, dans ses conclusions d'appel, la société indiquait, au soutien de sa demande fondée sur l'article L. 122-9 du code de propriété intellectuelle, tendant à se voir autoriser à exploiter le film « Le sang à la tête », qu'elle persistait à considérer que le refus opposé par les consorts B... constituait un abus notoire dans l'usage des droits d'exploitation qu'ils tenaient de Gilles X... sur ladite oeuvre de collaboration ; qu'en retenant que la société ne poursuivait plus, comme en première instance, sur le fondement d'un tel abus notoire, l'autorisation d'exploiter ce film, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions d'appel en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté, sans dénaturation, que la société invoquait, dans ses écritures, le bénéfice des dispositions de l'article L. 122-9 du code de la propriété intellectuelle relatives aux différends survenant entre représentants de l'auteur décédé, et non plus celles afférentes à l'abus notoire dans le non-usage des droits d'exploitation ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Editions René Chateau aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Editions René Chateau ; la condamne à verser aux consorts B... la somme globale de 3 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Editions René Chateau.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la société EDITIONS RENE CHATEAU tendant à obtenir l'autorisation de reprendre l'exploitation du film « Le sang à la tête » à compter de la date de sa signification dans les conditions du projet de contrat de renouvellement des droits d'auteur proposé le 23 avril 2008 sauf en ce qu'il prévoit la rétroactivité de la cession à la date du 1er janvier 2004 ;
AUX MOTIFS QUE « sur les conditions de mise en oeuvre de l'article L. 113-3 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle : le recours à justice pour trancher un différend opposant les coauteurs que prévoit cet alinéa 3 "en cas de désaccord" n'est que supplétif ; qu'il renvoie à la règle de l'unanimité posée en son alinéa 2 de laquelle il résulte que les droits de l'un des coauteurs ne peuvent être cédés sans l'accord des autres, ce qui suppose que pour se prévaloir d'un désaccord il est nécessaire de démontrer qu'un accord a été recherché avant de saisir le tribunal d'un différend ; que les consorts B... sont, par conséquent, fondés à prétendre que cet article L 113-3 alinéa 3 n'a pas vocation à trouver application s'il est démontré, ainsi qu'ils entendent en administrer la preuve, que la société Editions René Chateau a poursuivi l'exploitation de l'oeuvre sans leur autorisation, passé le terme contractuel, et à opposer, par ailleurs, aux consorts Z..., qui ne peuvent utilement se prévaloir du droit commun de l'indivision en présence de cette règle de l'unanimité, la circonstance qu'en signant, le 22 juin 2000, un nouveau contrat de cession de leurs droits d'exploitation reconduisant les droits de la société Editions René Chateau, ils se devaient de prendre au préalable la précaution de les consulter ; (¿) que le fait qu'elle déclare avoir cessé toute exploitation à compter de 2008, ce que tendent à contredire les pièces versées aux débats par les intimés (pièces 28, 59, 61 à 64) ou que, dans le dernier état de la procédure, elle demande à être autorisée à exploiter l'oeuvre à compter de la décision à intervenir ne permet pas de passer outre aux conditions d'application de l'article L 113-3 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'à juste titre, par conséquent, le tribunal a considéré qu'à compter du 1er janvier 2004, la société Editions René Chateau a commis des actes de contrefaçon ; qu'il s'en déduit que les conditions d'application de l'article L 113-3 alinéa 3 qu'elle invoque ne sont pas satisfaites ; (...) que, de la même façon qu'il appartenait à la société René Chateau de solliciter des ayants-droit de Gilles X... la signature d'un nouveau contrat lui permettant, à compter du 1er janvier 2004, de poursuivre l'exploitation de l'oeuvre, il appartenait aux ayants-droit de Jacques Z..., coauteur d'une oeuvre de collaboration, de se rapprocher des ayants-droit des autres coauteurs afin de les informer de leur dessein de céder leurs droits d'exploitation à cette même société postérieurement à l'échéance contractuelle et de les mettre à même d'exprimer leur volonté, avec faculté de mettre en oeuvre l'article L 113-3 alinéa 3 sus-repris en cas de désaccord » ;
ALORS QU' en cas de désaccord des coauteurs dans l'exercice de leurs droits sur l'oeuvre de collaboration, il appartient à la juridiction civile de trancher le litige et de déterminer les modalités d'exercice des droits des coauteurs ; qu'en déboutant la société EDITIONS RENE CHATEAU de sa demande tendant à se voir autoriser à exploiter le film « Le sang à la tête », en retenant qu'y faisaient obstacle tant le fait qu'elle avait poursuivi, au-delà de son terme et sans l'autorisation des ayants-droit de Gilles X..., le contrat de cession des droits de représentation et d'édition vidéographique consenti par ce dernier le 2 janvier 1989, que l'absence de consultation entreprise à leur égard par les consorts Z... avant de signer, le 22 juin 2000, un contrat de cession de leurs propres droits de représentation et d'édition vidéographique, quand elle constatait que les consorts B..., ayants-droit de Gilles X..., et les consorts Z..., ayants-droit de Michel Z..., étaient en désaccord relativement à la cession de leurs droits de représentation et d'édition vidéographique sur cette oeuvre de collaboration au profit de la société EDITIONS RENE CHATEAU, la cour d'appel qui constatait les désaccords des coauteurs a refusé de déterminer les modalités pratiques d'exercice de leurs droits ; qu'ainsi elle a violé l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la société EDITIONS RENE CHATEAU tendant à obtenir l'autorisation de reprendre l'exploitation du film « Le sang à la tête » à compter de la date de sa signification dans les conditions du projet de contrat de renouvellement des droits d'auteur proposé le 23 avril 2008 sauf en ce qu'il prévoit la rétroactivité de la cession à la date du 1er janvier 2004 ;
AUX MOTIFS QUE « sur le recours aux dispositions de l'article L 122-9 du code de la propriété intellectuelle pour trancher le différend ; qu'aux termes de cet article, également invoqué par l'appelante : "En cas d'abus notoire dans l'usage ou le non-usage des droits d'exploitation de la part des représentants de l'auteur décédé visés à l'article L 121-2, le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée ; qu'il en est de même s'il y a conflit entre lesdits représentants, s'il n'y a pas d'ayant-droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence ; que le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la culture." ; que, précisant qu'elle ne poursuit plus, comme en première instance, l'application du premier membre de l'alinéa 1er requérant la démonstration d'un abus notoire, mais celle de son second membre "il en est de même (...)" renvoyant seulement aux pouvoirs du tribunal et non à la nécessaire démonstration d'un abus notoire, elle s'estime recevable à soumettre au juge un conflit opposant différents représentants des auteurs d'une oeuvre et ajoute qu'il doit être tenu compte, pour trancher le différend, des conséquences d'un refus sur le rayonnement de l'oeuvre, de la volonté de l'auteur, des droits et de la volonté contraire exprimée par les ayants-droit directs des deux autres coauteurs ainsi que des droits qu'elle-même tient du producteur d'origine ; mais que c'est par une argumentation inopérante que l'appelante soutient, en mettant en exergue le fait que le code de la propriété intellectuelle visent les droits "de l'auteur" mais trouve cependant application en cas de pluralité d'auteurs, que cet article a vocation à indifféremment s'appliquer, qu'il existe un auteur unique ou plusieurs auteurs ; qu'en effet, la lettre de ce texte ne vise que les "conflits entre lesdits représentants (de l'auteur décédé, selon le premier membre de l'alinéa 1er )" ; que, par ailleurs, il existe un texte propre à régler un différend surgissant entre les coauteurs (ou leurs ayants-droit) d'une oeuvre de collaboration sur son exploitation, à savoir l'article L 113-3 du code de la propriété intellectuelle dont il a été dit précédemment qu'il ne pouvait être appliqué au cas d'espèce non pas parce que litige opposait les ayants-droit de coauteurs d'une oeuvre de collaboration mais parce que la saisine du tribunal a été précédée de faits de contrefaçon et que la preuve de diligences permettant aux autres coauteurs d'exprimer leur volonté n'a pas été rapportée ; qu'il peut, surabondamment, être observé qu'admettre une solution inverse reviendrait à faire litière des conditions d'application de l'article L 113-3 précité spécialement dédié à l'oeuvre de collaboration ; qu'il en résulte que, par motifs substitués, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de règlement du différend outre les demandes subséquemment formées, sur ce second fondement » ;
ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, lesdites prétentions étant fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que, dans ses conclusions d'appel, la société EDITIONS RENE CHATEAU indiquait, au soutien de sa demande fondée sur l'article L. 122-9 du code de propriété intellectuelle, tendant à se voir autoriser à exploiter le film « Le sang à la tête », qu'elle persistait à considérer que le refus opposé par les consorts B... constituait un abus notoire dans l'usage des droits d'exploitation qu'ils tenaient de Gilles X... sur ladite oeuvre de collaboration (conclusions d'appel de la société EDITIONS RENE CHATEAU, p. 12 pénultième §) ; qu'en retenant que la société EDITIONS RENE CHATEAU ne poursuivait plus, comme en première instance, sur le fondement d'un tel abus notoire, l'autorisation d'exploiter ce film, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions d'appel en violation de l'article 4 du code de procédure civile.