Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 17 novembre 2015, 14-18.673, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 8 mars 2011, pourvoi n° 10-10. 798), que M. X... a ouvert le 7 janvier 2003, un compte titres associé au compte de dépôt n° 00277615010 dont il était titulaire auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur (la Caisse) et souscrit à la convention de service en ligne avec option titres et bourse proposée par la Caisse ; qu'après avoir été résiliée par la Caisse une première fois le 16 octobre 2003, en raison du solde débiteur apparu sur le compte n° 00277615010, cette convention a été rétablie, par avenant du 22 janvier 2004, et associée à un nouveau compte de dépôt à vue ouvert sous le n° 43525993275, puis définitivement résiliée, le 27 juillet 2004, la connexion internet de M. X... étant supprimée le même jour ; que ce dernier a recherché la responsabilité de la Caisse ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter partiellement sa demande tendant à voir constater que la Caisse avait manqué à ses obligations d'évaluation, d'information et de contrôle et de limiter la condamnation de la Caisse à la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts au titre de la perte de chance d'éviter les risques encourus alors, selon le moyen :

1°/ que la banque qui, à l'occasion de l'ouverture d'un compte titres, a manqué à son obligation de mise en garde, ne peut se prévaloir des pertes subies par le client à l'occasion des opérations réalisées sur ce compte pour, à l'occasion de l'ouverture ultérieure d'un compte de dépôt lié au compte titres, se prétendre dispensée d'une telle obligation de mise en garde pour l'avenir ; que pour juger qu'à l'occasion de l'ouverture du compte de dépôt à vue le 22 janvier 2004, la Caisse n'était pas tenue d'une obligation de mise en garde, la cour d'appel a considéré que M. X..., en raison du nombre des opérations effectuées depuis le 10 janvier 2003, et des pertes générées par ces opérations, était devenu un opérateur averti ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait par ailleurs jugé que la Caisse avait manqué à son obligation de mise en garde, d'évaluation et d'information lors de l'ouverture du compte titres le 10 janvier 2003, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les articles 1147 du code civil et L. 533-4 du code monétaire et financier, en sa rédaction applicable en l'espèce ;

2°/ que l'opérateur non averti, qui n'a pas bénéficié des informations, conseils et mises en garde du prestataire de services d'investissements, ne peut être considéré comme ayant acquis une connaissance approfondie des marchés financiers du seul fait des opérations, quelle que soit leur nombre, effectuées sur ces marchés, dès lors que ces opérations ont conduit à des pertes ; que la cour d'appel a considéré que M. X..., opérateur non averti le 10 janvier 2003, était devenu un opérateur averti au 22 janvier 2004 dès lors qu'il avait, entre ces deux dates, effectué de nombreuses opérations d'achats et de reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant s'étaient accrus à partir d'avril 2003 et avaient porté sur des warrants à partir d'octobre 2003 ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle relevait par ailleurs que ces opérations avaient occasionné des pertes régulières, ce dont il résultait que M. X..., qui n'avait jamais bénéficié d'informations, de conseils ni de mises en garde de la banque, n'était pas un opérateur averti, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

3°/ que le respect de l'obligation de mise en garde du banquier s'apprécie au jour de la souscription, par le client, du contrat litigieux ; pour juger qu'à l'occasion de l'ouverture du compte de dépôt à vue le 22 janvier 2004, la Caisse n'était pas tenue à une obligation de mise en garde, la cour d'appel a considéré la compétence de M. X... était notamment attestée par le contenu de ses correspondances des 12 décembre 2003 et 9 août 2004, révélant une connaissance approfondie du fonctionnement des ces produits ; que pour juger que M. X... était un opérateur averti, la cour d'appel s'est fondée, au moins partiellement, sur un document postérieur de plusieurs mois à la souscription du contrat litigieux ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

4°/ qu'est averti l'opérateur qui dispose d'une connaissance approfondie du marché, des instruments financiers et services d'investissements sur lesquels il intervient ; que pour juger que M. X... était, lors de la souscription du compte de dépôt du 22 janvier 2004, un opérateur averti, la cour d'appel a considéré que M. X... avait effectué, depuis le 10 janvier 2003, de nombreuses opérations d'achats et de reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant s'étaient accrus à partir d'avril 2003 et avaient porté sur des warrants à partir d'octobre 2003, et que ces opérations avaient occasionné des pertes régulières ; que la cour d'appel a encore constaté que M. X... avait demandé à bénéficier d'un service de règlement différé lui permettant d'acheter ou de vendre à découvert ; qu'en déduisant ces motifs que M. X... était un opérateur averti contre les risques d'opérations spéculatives effectués sur des warrants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

5°/ que pour apprécier la perte de chance subie par M. X..., la cour d'appel a considéré que les choix qu'il avait effectués en 2003 doivent s'analyser au vu de ceux effectués en 2004, tandis qu'il était devenu un client averti ; que la cassation du chef de l'arrêt qui a jugé que M. X... était un client averti à compter du 22 janvier 2004 emportera par voie de conséquence celle du chef de l'arrêt ayant apprécié la perte de chance au vu de l'attitude de M. X... et fondé sur le caractère averti de ce dernier, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que, si la Caisse ne démontre pas qu'au 7 janvier 2003, date de l'ouverture du compte titres, M. X..., pâtissier de profession, était un client averti maîtrisant les opérations spéculatives sur les marchés à terme et les risques encourus, il est cependant établi que dès le 10 janvier 2003, il a effectué de nombreuses opérations d'achats et reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant se sont accrus à partir d'avril 2003, que ces opérations se sont soldées à plusieurs reprises en 2003 par une position débitrice du compte espèces, l'obligeant à des apports de fonds non négligeables, et qu'il a poursuivi en toute connaissance des risques encourus les opérations d'achat et de revente sur le marché boursier, privilégiant, à partir d'octobre 2003, les produits spéculatifs que sont les warrants ; qu'il relève encore que, sensibilisé aux conséquences des opérations effectuées par la lettre de la Caisse du 16 octobre 2003 lui annonçant la résiliation sous huitaine de la convention de service en ligne en raison du non-respect des conditions d'utilisation, il les a poursuivies, demandant même, les 3 novembre et 12 décembre 2003, à passer ses ordres en différant leur règlement pour profiter d'un effet de levier à la hausse et à la baisse ; qu'il relève enfin que sa compétence est attestée par le contenu de sa correspondance du 12 décembre 2003, révélant une connaissance approfondie du fonctionnement de ces produits ; que de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs critiqués par la troisième branche, la cour d'appel a pu déduire qu'au 22 janvier 2004, lors de l'ouverture du compte de dépôt à vue, M. X... était devenu un opérateur averti, prévenu contre les risques encourus à l'occasion d'opérations spéculatives effectuées sur les warrants ;

Attendu, en second lieu, que le rejet des quatre premières branches rend sans objet la cinquième, en ce qu'elle demande la cassation par voie de conséquence du chef de la décision qui a jugé que M. X... était un client averti à compter du 22 janvier 2004 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais, sur le second moyen :

Sur sa recevabilité, contestée par la défense :

Attendu que, dans ses conclusions, M. X... avait soutenu que le préjudice qu'il avait subi du fait du manquement de la Caisse à son obligation de bloquer les ordres passés à découvert consistait en la perte de son capital investi depuis le 7 janvier 2003 ; que le moyen n'est ni contraire, ni nouveau ;

Et sur le moyen :

Vu les articles 1147 du code civil, L. 533-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable, et 10 de la décision n° 99-07 du Conseil des marchés financiers, devenu l'article 321-62 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

Attendu que le prestataire habilité qui fournit les services de réception et transmission d'ordres via internet doit, lorsqu'il tient lui-même le compte d'espèces et d'instruments financiers de son client, disposer d'un système automatisé de vérification du compte qui, en cas d'insuffisance des provisions et des couvertures, assure le blocage de l'entrée de l'ordre ;

Attendu que, pour condamner la Caisse à payer à M. X... les sommes de 13 031, 93 euros et 18 085, 42 euros en réparation du préjudice dû au manquement par la Caisse à son obligation de bloquer les ordres passés à découvert, l'arrêt retient que ce préjudice consiste en la perte de la chance d'obtenir le blocage de ces ordres ;

Qu'en statuant ainsi, alors que si le système automatisé avait fonctionné, l'entrée des ordres aurait été bloquée, de sorte qu'en l'absence d'aléa, le préjudice ne pouvait consister en la seule perte de la chance d'obtenir ce blocage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur à payer à M. X... les sommes de 13 031, 93 euros et de 18 085, 42 euros au titre de la perte de chance d'obtenir le blocage des ordres passés à découvert, l'arrêt rendu le 12 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir partiellement débouté M. X... de sa demande tendant à voir constater que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Côte d'Azur avait manqué à ses obligations d'évaluation, d'information et de contrôle et de l'avoir partiellement débouté de sa demande en paiement de la somme de 197. 617, 87 ¿ à titre de dommages et intérêts en conséquences des pertes subies et d'avoir limité la condamnation de la CRCAM PCA à lui payer la somme de 10. 000 euros au titre de la perte de chance d'éviter les risques encourus ;

AUX MOTIFS QUE Monsieur X... soutient que la Banque a manqué à ses obligations contractuelles à son égard lors de l'ouverture du compte titres le 7 janvier 2003, alors qu'il n'était pas un investisseur averti et demande la réparation du préjudice subi depuis le 7 janvier 2003 ; que si jusqu'alors il n'incriminait pas les opérations effectuées sur le compte titres ouvert en janvier 2003, il est recevable sur renvoi de cassation à invoquer de nouveaux moyens au soutien de son action en responsabilité de la Banque ; que la Banque, prestataire de service d'investissement, est tenue de s'enquérir de la situation financière d'un client et d'une obligation d'information adaptée en fonction de l'évaluation des compétences du client ; qu'elle est tenue d'une obligation de mise en garde envers d'un opérateur non averti ; que la Banque, sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne démontre pas qu'au 7 janvier 2003, date de l'ouverture du compte titres, Monsieur X..., pâtissier de profession, était un client averti maîtrisant les opérations spéculatives sur les marchés à terme et les risques encourus ; qu'elle ne justifie pas avoir procédé lors de l'ouverture du compte à l'évaluation de la compétence de Monsieur X... dans ces domaines, ni ne lui avoir fourni une information adaptée en fonction de cette évaluation ; que la clause dactylographiée figurant à l'avenant de la convention CAEL signé le 7 janvier 2003 aux termes de laquelle le client déclarait connaître l'article 3-3-5 du Règlement général du Conseil des Marchés financiers ainsi que maîtriser les risques liés aux opérations envisagées, de même que l'article III du contrat d'ouverture du compte Titres relatif au fonctionnement de ce compte et ceux décrivant par ailleurs les différents marchés, attirant l'attention des investisseurs sur les risques et le caractère spéculatif de certains types de valeurs mobilières dont les warrants, ne constituent pas la délivrance par la Banque de l'information adaptée en fonction l'évaluation de la compétence de Monsieur X..., information qui lui incombait tant en vertu de l'article 1147 du code civil que de l'article L. 533-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable ; qu'en conséquence Monsieur X... est fondé à soutenir que la Banque a failli à son obligation de mise en garde, d'évaluation et d'information à son égard lors de l'ouverture du compte titre en janvier 2003 ; qu'en ce qui concerne l'ouverture du compte de dépôt à vue le 22 janvier 2004, à la date du 22 janvier 2004 il est constant que Monsieur X... avait effectué depuis le 10 janvier 2003 de nombreuses opérations d'achats de reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant se sont accrus à partir d'avril 2003 ; que ces opérations se sont soldées à plusieurs reprises en 2003 par une position débitrice du compte espèces, obligeant Monsieur X... à des apports de fonds non négligeables (93. 077 euros le 26 juin 2003 et 38. 482, 46 euros un mois plus tard par virement du solde d'un plan épargne clôturé), lui permettant de combler le découvert de son compte espèces et a poursuivi en toute connaissance des risques encourus les opérations d'achat et de revente sur le marché boursier, privilégiant à partir d'octobre 2003 les produits spéculatifs que sont les warrants ; que sensibilisé sur les conséquences des opérations effectuées par le courrier de la Banque du 16 octobre 2003 lui annonçant la résiliation sous huitaine de la convention CAEL en raison du non respect des conditions d'utilisation, il a les a poursuivies, demandant par courriers des 3 novembre et 12 décembre 2003 à passer ses ordres en SRD, ce qui lui aurait permis de reporter le règlement ou la livraison de certains titres à la fin du mois boursier et d'acheter ou de vendre à découvert un titre en différant son règlement et de profiter d'un effet de levier à la hausse et à la baisse ; que dans le courrier du 12 décembre 2003 il se plaignait d'un incident sur le serveur survenu le 27 novembre l'ayant empêché de vendre ses warrants et d'une perte financière de 1. 000 euros en étant résultée ; que l'ensemble de ces éléments démontre qu'au 22 janvier 2004, lors de l'ouverture du compte de dépôt à vue, il était devenu un opérateur averti prévenu contre les risques encourus à l'occasion d'opérations spéculatives effectuées sur les warrants ; que sa compétence est par ailleurs attestée par le contenu de ses correspondances des 12 décembre 2003 et 9 août 2004 révélant une connaissance approfondie du fonctionnement de ces produits ; que le 22 janvier 2004 il a ainsi signé en toute connaissance de cause l'avenant à la convention CAEL aux termes duquel il déclarait connaître l'article 3-3-5 du Règlement général du Conseil des Marchés Financiers et maîtriser les risques liés aux opérations envisagées ; qu'il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être imputée à la Banque s'agissant de l'ouverture et du fonctionnement du compte de dépôt à vue en 2004 ; le préjudice résultant des manquements commis par la Banque à son obligation de mise en garde, d'évaluation et d'information è con égard lors de l'ouverture et du fonctionnement du compte titre en janvier 2003 ne consiste qu'en une perte de chance pour Monsieur X... d'éviter les risques encourus, y compris les achats de warrants démarrés en octobre 2003 ; que cette perte de chance doit être appréciée au regard des choix effectués tout au long de l'année 2004 par Monsieur X..., qui bien que sensibilisé sur les conséquences des opérations effectuées l'année 2003 ayant amené la Banque à vouloir résilier la convention CAEL en octobre 2003 et l'ayant obligé à combler le solde débiteur de son compte, a décidé en toute connaissance de cause de poursuivre l'achat et la revente essentiellement de warrants dont il connaissait le caractère spéculatif, décision s'étant concrétisée par l'ouverture du compte de dépôt à vue et de la convention CAEL dont la résiliation avait été envisagée par la Banque ; qu'elle sera aussi évaluée à la lumière de l'option choisie dans sa demande au titre de la perte de chance d'optimiser le capital investi depuis le 7 janvier 2003, de la calculer depuis janvier 2003 sur la rentabilité mensuelle " objective " des warrants qu'il fixe à 5 %, ce choix des warrants comme terme de valorisation établissant son intention de privilégier dès 2003 des produits spéculatifs attractifs par leur potentiel de rentabilité, mais risqués ; que la perte de chance minime ainsi mesurée sera évaluée à la somme de 10. 000 euros ;

1°/ ALORS QUE la banque qui, à l'occasion de l'ouverture d'un compte titres, a manqué à son obligation de mise en garde, ne peut se prévaloir des pertes subies par le client à l'occasion des opérations réalisées sur ce compte pour, à l'occasion de l'ouverture ultérieure d'un compte de dépôt lié au compte titres, se prétendre dispensée d'une telle obligation de mise en garde pour l'avenir ; que pour juger qu'à l'occasion de l'ouverture du compte de dépôt à vue le 22 janvier 2004, le Crédit Agricole n'était pas tenu d'une obligation de mise en garde, la cour d'appel a considéré que M. X..., en raison du nombre des opérations effectuées depuis le 10 janvier 2003, et des pertes générées par ces opérations, était devenu un opérateur averti ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait par ailleurs jugé que le Crédit Agricole avait manqué à son obligation de mise en garde, d'évaluation et d'information lors de l'ouverture du compte titres le 10 janvier 2003, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les articles 1147 du code civil et L. 533-4 du code monétaire et financier, en sa rédaction applicable en l'espèce ;

2°/ ALORS QUE l'opérateur non averti, qui n'a pas bénéficié des informations, conseils et mises en garde du prestataire de services d'investissements, ne peut être considéré comme ayant acquis une connaissance approfondie des marchés financiers du seul fait des opérations, quelle que soit leur nombre, effectuées sur ces marchés, dès lors que ces opérations ont conduit à des pertes ; que la cour d'appel a considéré que M. X..., opérateur non averti le 10 janvier 2003, était devenu un opérateur averti au 22 janvier 2004 dès lors qu'il avait, entre ces deux dates, effectué de nombreuses opérations d'achats et de reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant s'étaient accrus à partir d'avril 2003 et avaient porté sur des warrants à partir d'octobre 2003 ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle relevait par ailleurs que ces opérations avaient occasionné des pertes régulières, ce dont il résultait que M. X..., qui n'avait jamais bénéficié d'informations, de conseils ni de mises en garde de la banque, n'était pas un opérateur averti, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

3°/ ALORS QUE le respect de l'obligation de mise en garde du banquier s'apprécie au jour de la souscription, par le client, du contrat litigieux ; pour juger qu'à l'occasion de l'ouverture du compte de dépôt à vue le 22 janvier 2004, le Crédit Agricole n'était pas tenu à une obligation de mise en garde, la cour d'appel a considéré la compétence de M. X... était notamment attestée par le contenu de ses correspondances des 12 décembre 2003 et 9 août 2004, révélant une connaissance approfondie du fonctionnement des ces produits ; que pour juger que M. X... était un opérateur averti, la cour d'appel s'est fondée, au moins partiellement, sur un document postérieur de plusieurs mois à la souscription du contrat litigieux ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

4°/ ALORS QU'en toute hypothèse, est averti l'opérateur qui dispose d'une connaissance approfondie du marché, des instruments financiers et services d'investissements sur lesquels il intervient ; que pour juger que M. X... était, lors de la souscription du compte de dépôt du 22 janvier 2004, un opérateur averti, la cour d'appel a considéré que M. X... avait effectué, depuis le 10 janvier 2003, de nombreuses opérations d'achats et de reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant s'étaient accrus à partir d'avril 2003 et avaient porté sur des warrants à partir d'octobre 2003, et que ces opérations avaient occasionné des pertes régulières ; que la cour d'appel a encore constaté que M. X... avait demandé à bénéficier d'un service de règlement différé lui permettant d'acheter ou de vendre à découvert ; qu'en déduisant ces motifs que M. X... était un opérateur averti contre les risques d'opérations spéculatives effectués sur des warrants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

5°/ ALORS QUE pour apprécier la perte de chance subie par l'exposant, la cour d'appel a considéré que les choix qu'il avait effectués en 2003 doivent s'analyser au vu de ceux effectués en 2004, tandis qu'il était devenu un client averti ; que la cassation du chef de l'arrêt qui a jugé que M. X... était un client averti à compter du 22 janvier 2004 emportera par voie de conséquence celle du chef de l'arrêt ayant apprécié la perte de chance au vu de l'attitude de M. X... et fondé sur le caractère averti de ce dernier, en application de l'article 624 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation de la CRCAM PCA à payer à M. X... les sommes de 13. 031, 93 euros et de 18. 085, 42 euros au titre de la perte de chance d'obtenir le blocage des ordres passés à découvert ;

AUX MOTIFS QUE ; (...) que le préjudice résultant du manquement de la banque à son obligation de bloquer les ordres passés à découvert consiste en la perte de chance d'obtenir le blocage desdits ordres ; qu'il correspond, d'une part, en la position débitrice du compte de dépôt à vue d'un montant de 13. 031, 93 euros (...) ; que d'autre part, M. X... n'aurait pas supporté de frais de courtage sur les ordres bloqués puisque non passés ;

ALORS QUE le prestataire de services d'investissement est tenu d'exercer son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, au mieux des intérêts de ses clients et de l'intégrité du marché, ainsi que de se conformer à toutes les réglementations applicables à l'exercice de son activité de manière à promouvoir au mieux les intérêts de son client et l'intégrité du marché ; que le prestataire habilité qui fournit les services de réception et transmission d'ordres via internet doit, lorsqu'il tient lui-même le compte d'espèces et d'instruments financiers de son client, disposer d'un système automatisé de vérification du compte et qu'en cas d'insuffisance des provisions et des couvertures, le système doit assurer le blocage de l'entrée de l'ordre ; que le prestataire de services d'investissement doit répondre des conséquences dommageables de l'inexécution de ces obligations ; que la réparation du préjudice doit être intégrale et correspondre aux pertes subies par le client en conséquence des ordres que le prestataire s'est fautivement abstenu de bloquer ; que la cour d'appel a constaté que le Crédit Agricole avait commis une faute en manquant de bloquer les ordres passés à découvert par M. X... par voie électronique ; que le préjudice résultant de cette faute correspondait, outre aux frais de courtage sur les ordres litigieux, à l'intégralité des pertes occasionnées par les ordres litigieux, lesquels auraient dû être bloqués ; qu'en limitant la réparation du préjudice à la perte d'une chance d'obtenir le blocage des ordres litigieux, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, L. 533-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable et 10 de la décision n° 99-07 du Conseil des marchés financiers, devenu l'article 321-62 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.

ECLI:FR:CCASS:2015:CO00985
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