Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 13 octobre 2015, 14-13.972, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 novembre 2013), que Mme X..., épouse Y... (Mme X...) a, par acte notarié du 14 mars 2003, fait donation à ses deux filles de la nue-propriété de sa maison d'habitation, en s'en réservant l'usufruit ; qu'après sa liquidation judiciaire, prononcée le 21 octobre suivant, le liquidateur l'a assignée en inopposabilité de la donation sur le fondement de l'article 1167 du code civil ;

Attendu que Mmes X...et Aurélia Y... font grief à l'arrêt de faire droit à cette demande alors, selon le moyen :

1°/ que l'insolvabilité du débiteur ayant conclu un acte argué de fraude s'apprécie au regard de l'ensemble de son patrimoine ; qu'en appréciant la solvabilité de Mme X... au regard des seules créances dont elle était titulaire et des seules dettes dont elle était redevable dans l'exercice de son activité commerciale, sans tenir compte des actifs dont elle disposait en dehors de celle-ci et notamment de la valeur de la maison d'habitation qu'elle entendait vendre au profit de la procédure collective et de l'important portefeuille de valeurs mobilières dont elle disposait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;

2°/ que la solvabilité du débiteur doit être appréciée en tenant compte de l'étendue de l'appauvrissement consécutif à l'acte argué de fraude ; qu'en se bornant à faire état de l'importance des dettes professionnelles de Mme X... pour déclarer inopposable la donation de la nue-propriété de sa maison d'habitation à ses deux filles sans en apprécier la valeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;

3°/ que ne commet pas de fraude le débiteur qui consent une libéralité à sa famille sans avoir conscience du préjudice qu'il est susceptible de causer au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité ; qu'en affirmant que Mme X... ne pouvait qu'être consciente de ce qu'elle n'était pas en mesure, au moment où elle avait consenti la donation à ses filles de la nue-propriété de la maison lui appartenant et qu'elle habitait s'en réservant l'usufruit de faire face aux dettes professionnelles dont elle était redevable et de ce que cette donation faisait disparaître du patrimoine sur lequel pouvaient s'exercer les poursuites de ses créanciers l'essentiel de sa valeur sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si Mme X..., alors gravement malade et à la tête d'un patrimoine important, n'avait pas simplement entendu gratifier par avance ses filles du soutien affectif qu'elles lui apportaient tout en les faisant bénéficier d'un allègement des droits d'enregistrements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'à la date de la donation litigieuse, Mme X... ne réglait plus de nombreuses dettes professionnelles depuis plus d'une année, l'arrêt retient que cette dernière, qui suivait nécessairement l'état de sa comptabilité et l'évolution de ses comptes bancaires et s'était vu délivrer des avis de mise en recouvrement de ses dettes fiscales, ne pouvait qu'être consciente de ce qu'elle n'était pas en mesure, au moment où elle a consenti la donation à ses filles, de faire face à ses dettes, et de ce que cette donation faisait disparaître l'essentiel du patrimoine sur lequel pouvaient s'exercer les poursuites de ses créanciers ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à tenir compte de la valeur de l'immeuble donné, ni des simples affirmations, non assorties d'offres de preuve, de la débitrice sur l'existence du portefeuille de valeurs mobilières dont elle prétendait disposer, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mmes X..., épouse Y... et Aurélia Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à la Selarl TCA, en sa qualité de liquidateur de Mme X..., épouse Y... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour Mmes X..., épouse Y..., et Aurélia Y...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré inopposable à Maître Françoise Z..., en ses qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de Madame Suzanne Y..., la donation faite par celle-ci à ses filles, Madame Karine Y... et Madame Aurélia Y..., contenue à l'acte authentique reçu le 14 mars 2003 par Maître Serge A..., notaire à Plouer-sur-Rance ;

AUX MOTIFS QUE la fixation au 16 octobre 2003 de la date de cessation des paiements, qui correspond au constat de ce qu'à cette date Madame Suzanne Y... était dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, n'empêche pas de rechercher si, au moment où celle-ci a fait donation de sa maison à ses filles, elle n'était pas en état d'insolvabilité, qui est plus généralement l'état de celui qui ne peut payer ce qu'il doit ; qu'il ressort des pièces produites qu'au 14 mars 2003, date de la donation litigieuse, l'état d'insolvabilité de Madame Suzanne Y... était caractérisé et qu'il était le résultat non d'une situation purement conjoncturelle, mais d'une évolution durable de la situation économique de son entrepris qui a conduit à sa liquidation judiciaire au mois d'octobre suivant ; qu'ainsi la société Emeraude a déclaré le 19 novembre 2003 une créance de loyers commerciaux d'un montant de 25. 156, 02 ¿ au titre de factures émises très régulièrement depuis le début de l'année 1997, créance admise à ce montant par décision du juge commissaire ; que le Trésor public a quant à lui fait état de mise en recouvrement pour un total restant dû de 2. 172, 55 ¿ au titre d'impôt sur le revenu, taxes foncière et d'habitation pour les années 2001 et 2002 ; qu'une créance de 2. 477, 00 ¿ a également été mise en recouvrement par l'administration fiscale au titre d'une taxation d'office de TVA non acquittée à la date d'exigibilité pour la période de mars 2002 à février 2003 ; que le solde du compte bancaire professionnel de Madame Suzanne Y... au Crédit agricole était débiteur de 13. 141, 28 ¿ au 31 décembre 2002, de 15. 463, 13 au 28 février 2003, de 16. 826, 48 euros au 31 mars 2003 ; que le solde de son compte bancaire professionnel à la BPO était débiteur de 21. 849, 86 ¿ au 30 septembre 2002, de 22. 804, 88 ¿ au 23 décembre 2002, 23. 659, 75 ¿ au 23 janvier 2003, de 23. 570, 49 ¿ au 24 février 2003, de 24. 516, 65 ¿ au 20 mars 2003 ; qu'il en ressort encore que Madame Suzanne Y... ne réglait plus intégralement ses cotisations à la Caisse régionale des artisans et commerçants en fin d'année 2002 et début d'année 2003, non plus qu'au titre de l'assurance vieillesse obligatoire au cours des années 2001 et 2002 ou à l'Urssaf au premier trimestre 2003 ; qu'il est vrai que Madame Suzanne Y... a été victime des agissements d'une cliente, depuis plusieurs années, faisait dans sa boutique des achats de vêtements dans des quantités très importantes et représentant jusqu'à 30 % de son chiffre d'affaires sans en payer intégralement le prix, que la cliente a, le 25 février 2003, remis un chèque en règlement de ses dettes d'un montant de 24. 308, 71 ¿ qui s'est avéré falsifié et qui a été rejeté le 14 mars suivant, ce pourquoi cette dernière a été condamnée le 2 juin 2006 par le tribunal correctionnel de Dinan à une peine d'emprisonnement avec sursis, mais aussi à payer la somme de 24. 308, 71 ¿ à Maître Z..., partie civile ès qualités ; que pour autant, ces circonstances, qui peuvent l'expliquer partiellement, ne contredisent pas le constat d'insolvabilité qui précède ; qu'il doit être considéré que Madame Suzanne Y..., qui suivait nécessairement l'état de sa comptabilité et l'évolution de ses comptes bancaires, qui s'était vue délivrer des avis de mise en recouvrement des dettes fiscales, ne pouvait qu'être consciente, les certificats médicaux qu'elle produit n'établissant pas le contraire, de ce qu'elle n'était pas en mesure, au moment où elle a consenti la donation à ses filles de la nue-propriété de la maison lui appartenant et qu'elle habitait, s'en réservant l'usufruit, de faire face aux dettes sus mentionnées, et de ce que cette donation faisait disparaître du patrimoine sur lequel pouvaient s'exercer les poursuites de ses créanciers, l'essentiel de sa valeur ; qu'ainsi, et sans qu'il soit nécessaire d'établir une intention de sa part de nuire à ses créanciers, est suffisamment établie la fraude fondant l'action paulienne conduite par le représentant de ceux-ci ;

1°) ALORS QUE l'insolvabilité du débiteur ayant conclu un acte argué de fraude s'apprécie au regard de l'ensemble de son patrimoine ; qu'en appréciant la solvabilité de Mme Y... au regard des seules créances dont elle était titulaire et des seules dettes dont elle était redevable dans l'exercice de son activité commerciale, sans tenir compte des actifs dont elle disposait en dehors de celle-ci et notamment de la valeur de la maison d'habitation qu'elle entendait vendre au profit de la procédure collective et de l'important portefeuille de valeurs mobilières dont elle disposait, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;

2°) ALORS QUE la solvabilité du débiteur doit être appréciée en tenant compte de l'étendue de l'appauvrissement consécutif à l'acte argué de fraude ; qu'en se bornant à faire état de l'importance des dettes professionnelles de Mme Y... pour déclarer inopposable la donation de la nue-propriété de sa maison d'habitation à ses deux filles sans en apprécier la valeur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, ne commet pas de fraude le débiteur qui consent une libéralité à sa famille sans avoir conscience du préjudice qu'il est susceptible de causer au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité ; qu'en affirmant que Mme Y... ne pouvait qu'être consciente de ce qu'elle n'était pas en mesure, au moment où elle avait consenti la donation à ses filles de la nue-propriété de la maison lui appartenant et qu'elle habitait s'en réservant l'usufruit de faire face aux dettes professionnelles dont elle était redevable et de ce que cette donation faisait disparaître du patrimoine sur lequel pouvaient s'exercer les poursuites de ses créanciers l'essentiel de sa valeur sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si Mme Y..., alors gravement malade et à la tête d'un patrimoine important, n'avait pas simplement entendu gratifier par avance ses filles du soutien affectif qu'elles lui apportaient tout en les faisant bénéficier d'un allègement des droits d'enregistrements, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:CO00883
Retourner en haut de la page