Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 2 juillet 2015, 14-18.351, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que le 10 juillet 2005, M. Jean-Claude X... a été victime d'une agression commise par son frère, M. Aldo X..., qui a été déclaré coupable de violences volontaires ; que par jugement du 6 avril 2010, un tribunal correctionnel a fixé à une certaine somme le préjudice de M. Jean-Claude X... ; que le 22 janvier 2010, M. Jean-Claude X... a saisi d'une demande d'indemnisation de son préjudice une commission d'indemnisation des victimes d'infraction (la commission), qui, par décision du 5 septembre 2011, lui a alloué la somme de 24 697 euros ; que par arrêt du 9 septembre 2011, une cour d'appel a infirmé le jugement du 6 avril 2010 et a fixé à 38 750 euros le montant de l'indemnisation de M. X... ; que par acte enregistré le 5 octobre 2011, M. X... a saisi la commission d'une demande d'indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 706-8 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de M. X... et de le condamner à payer certaines sommes, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque la juridiction statuant sur les intérêts civils a alloué des dommages-intérêts d'un montant supérieur à l'indemnité accordée par la commission, la victime ne peut formuler une nouvelle demande en complément d'indemnité qu'à la condition de n'avoir pu se prévaloir de la décision statuant sur les intérêts civils avant que la décision de la commission d'indemnisation initialement saisie ne devienne définitive ; qu'en jugeant recevable la demande d'indemnité complémentaire de M. X..., lorsque, ainsi que le faisait valoir le FGTI, l'arrêt statuant sur les intérêts civils avait été rendu le 9 septembre 2011, soit à une date à laquelle la décision de la commission initialement saisie, rendue le 5 septembre 2011, n'était pas définitive, de sorte que la victime pouvait encore se prévaloir de la somme allouée par l'arrêt civil dans le cadre d'un appel, la cour d'appel a violé l'article 706-8 du code de procédure pénale ;

2°/ que la victime n'est pas recevable à saisir la commission d'une demande en complément d'indemnisation lorsqu'à la date de cette demande, la décision initiale de la commission est encore susceptible d'appel ; que dans ce cas, seule la voie de l'appel contre la décision initiale de la commission lui est ouverte ; qu'ainsi, en jugeant recevable la demande en complément d'indemnisation enregistrée le 5 octobre 2011 au secrétariat de la commission, soit à une date à laquelle la décision initiale de cette commission, en date du 5 septembre 2011, était encore nécessairement susceptible d'appel, la cour d'appel a violé l'article 706-8 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'il résulte du tampon apposé par le secrétariat de la commission que la requête en complément d'indemnité a été enregistrée le 5 octobre 2011 ; qu'en retenant, dans ses motifs que la requête était en date du 5 septembre 2011, et dans sa relation des faits, qu'elle était en date du 5 novembre 2011, la cour d'appel a dénaturé ce document en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 706-8 du code de procédure pénale que lorsque la juridiction statuant sur les intérêts civils a alloué des dommages-intérêts d'un montant supérieur à l'indemnité accordée par la commission, la victime peut demander un complément d'indemnité si cette décision est postérieure à celle de la commission, que cette dernière soit irrévocable ou non ;

Et attendu que le moyen, en sa troisième branche, dénonce une erreur matérielle pouvant être réparée selon la procédure prévue à l'article 462 du code de procédure civile, qui ne peut donner lieu à ouverture à cassation ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;



Et sur le troisième moyen :

Attendu que le FGTI fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. X... la somme de 10 000 euros au titre de complément de l'incidence professionnelle, alors, selon le moyen, que la commission qui alloue à la victime une indemnité sur le fondement de l'article 706-8 du code de procédure pénale, doit énoncer les éléments qu'elle n'a pas pris en compte dans sa première décision et qui justifient qu'elle revienne sur le montant de l'indemnisation qu'elle a initialement accordée ; qu'au cas présent, pour allouer une indemnité complémentaire de 10 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel s'est fondée, comme la décision initiale de la commission, sur le rapport de M. Y... pour conclure à la difficulté pour la victime, d'une part, d'exercer toute activité nécessitant une station debout prolongée ou des déplacements itératifs et, d'autre part, de trouver un nouvel emploi en cas de perte de son emploi ; qu'en se déterminant par de tels motifs, sans préciser les éléments nouveaux qui justifiaient selon elle, l'allocation d'une indemnité complémentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Mais attendu que l'article 706-8 du code de procédure pénale ne subordonne pas l'allocation d'une indemnité complémentaire à la preuve d'éléments nouveaux autres qu'une décision d'une juridiction civile ou répressive allouant des dommages-intérêts supérieurs à ceux accordés précédemment par la commission ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le quatrième moyen :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que pour allouer à M. X... une certaine somme au titre du préjudice d'agrément, l'arrêt énonce qu'il est certain que M. X... ne pratiquait pas de sport comme licencié ou même de manière régulière ; que cependant, les séquelles de ses blessures lui rendent quasiment impossible l'exercice d'activités simples et habituelles que ce soit de nature sportive, d'entretien ou culturelles, sans ressentir des difficultés notamment du fait d'une station debout pénible et la survenance de crampes ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice d'agrément est celui qui résulte d'un trouble spécifique lié à l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

Et sur le cinquième moyen :

Vu les articles 706-4, 706-9 et R. 50-24 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que la commission alloue des indemnités aux victimes, qui sont versées par le FGTI ; qu'il n'appartient pas à la commission ou à la cour d'appel de condamner le FGTI à verser ces indemnités ;

Attendu que l'arrêt condamne le FGTI à payer à M. X... des indemnités ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le FGTI ne pouvait qu'être tenu au versement des indemnités ainsi fixées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné le FGTI à payer à M. X... la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'agrément et a condamné à paiement le FGTI, l'arrêt rendu le 23 janvier 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille quinze.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir statué comme il l'a fait après débats en audience publique et d'avoir éte prononcé par mise à disposition publique au greffe ;

Alors que aux termes du dernier aliéna de l'article 706-7 du code de procédure pénale, les débats devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil ; qu'en application de l'article 433 du code de procédure pénale, ce qui est prévu en première instance concernant le caractère public ou non des débats doit être observé en cause d'appel ; qu'en rendant sa décision publiquement, après des débats tenus en audience publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la demande de M. X... et d'avoir condamné le Fonds de garantie à lui payer les sommes de 10 000 euros au titre de complément de l'incidence professionnelle et 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

Aux motifs que « l'article 706-5 du code de procédure pénale prévoit un délai d'un an après que la juridiction répressive ait statué, pour demander une indemnité devant la CIVI ; que le relevé de forclusion est prévu en cas d'impossibilité pour la victime qui n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans le délai requis ou si elle a subi une aggravation de son préjudice ou tout autre motif légitime ; qu'en saisissant la CIVI le 5/09/2011 d'un complément d'indemnité, alors que la décision répressive n'a été rendue en appel que le 9/09/2011, Monsieur Jean-Claude X... se situe dans le délai tel que prévu par les dispositions sus énoncées ; que le non exercice d'une voie de recours encore ouverte contre la décision de la CIVI dans le délai imparti, ne ferme pas pour la victime, la possibilité d'une nouvelle saisine, sous réserve d'en justifier le bien fondé, ce conformément à l'article 706-8 du même code ; que dès lors, la saisine sera déclarée recevable et le jugement déféré infirmé à cet égard » ;


Alors, d'une part, que lorsque la juridiction statuant sur les intérêts civils a alloué des dommages-intérêts d'un montant supérieur à l'indemnité accordée par la commission, la victime ne peut formuler une nouvelle demande en complément d'indemnité qu'à la condition de n'avoir pu se prévaloir de la décision statuant sur les intérêts civils avant que la décision de la commission d'indemnisation initialement saisie ne devienne définitive ; qu'en jugeant recevable la demande d'indemnité complémentaire de M. X..., lorsque, ainsi que le faisait valoir le Fonds de garantie (conclusions du Fonds de garantie, spé. p. 4, § 4 s. et p. 6, § 1 s.), l'arrêt statuant sur les intérêts civils avait été rendu le 9 septembre 2011, soit à une date à laquelle la décision de la commission initialement saisie, rendue le 5 septembre 2011, n'était pas définitive, de sorte que la victime pouvait encore se prévaloir de la somme allouée par l'arrêt civil dans le cadre d'un appel, la cour d'appel a violé l'article 706-8 du code de procédure pénale ;

Alors, d'autre part, que la victime n'est pas recevable à saisir la commission d'indemnisation d'une demande en complément d'indemnisation lorsqu'à la date de cette demande, la décision initiale de la commission d'indemnisation est encore susceptible d'appel ; que dans ce cas, seule la voie de l'appel contre la décision initiale de la commission d'indemnisation lui est ouverte ; qu'ainsi, en jugeant recevable la demande en complément d'indemnisation enregistrée le 5 octobre 2011 au secrétariat de la commission d'indemnisation, soit à une date à laquelle la décision initiale de cette commission, en date du 5 septembre 2011, était encore nécessairement susceptible d'appel, la cour d'appel a violé l'article 706-8 du code de procédure pénale ;

Alors, enfin, qu'il résulte du tampon apposé par le secrétariat de la commission d'indemnisation que la requête en complément d'indemnité a été enregistrée le 5 octobre 2011 ; qu'en retenant, dans ses motifs que la requête était en date du 5 septembre 2011, et dans sa relation des faits, qu'elle était en date du 5 novembre 2011, la cour d'appel a dénaturé ce document en violation de l'article 4 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (TOUJOURS SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le Fonds de garantie à payer à M. X... la somme de 10 000 euros au titre de complément de l'incidence professionnelle ;

Aux motifs que « les éléments médicaux produits, et plus particulièrement l'expertise pratiquée par le Docteur Y..., relève que la blessure par balle à la cuisse, s'est accompagnée d'une complication évolutive sous forme de thrombose proximale du membre inférieur droit avec embolie pulmonaire ; qu'il a retenu une insuffisance veineuse du membre inférieur droit avec persistance d'un oedème nécessitant le port d'une contention élastique, ainsi que de se soumettre à un traitement anti coagulant permanent sous contrôle biologique régulier et a chiffré un déficit fonctionnel permanent de 10 % ; que les séquelles entraînent selon ses conclusions, une incidence professionnelle résultant dans la difficulté d'exercer toute profession nécessitant la station debout prolongée ou encore des déplacements itératifs ; qu'à cet égard, la motivation pertinente des juges d'appel correctionnel sera reprise, en ce que, titulaire d'un CAP d'hôtellerie, Monsieur Jean-Claude X... subit un préjudice professionnel, bien que demandeur d'emploi au moment des faits et gérant d'un café à ce jour, lequel justifie la prise en compte effective de la gêne qu'il subira quotidiennement dans l'exercice de sa profession ou en cas de perte d'emploi, de la difficulté accrue de trouver en emploi dans ces conditions ; que dès lors la demande d'indemnité complémentaire est justifiée dans son principe et sera allouée dans la limite de 10000 euros sollicités » ;

Alors, d'une part, que la commission d'indemnisation qui alloue à la victime une indemnité sur le fondement de l'article 706-8 du code de procédure pénale, doit énoncer les éléments qu'elle n'a pas pris en compte dans sa première décision et qui justifient qu'elle revienne sur le montant de l'indemnisation qu'elle a initialement accordée ; qu'au cas présent, pour allouer une indemnité complémentaire de 10 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel s'est fondée, comme la décision initiale de la commission d'indemnisation, d'une part, sur le rapport du Dr Y... pour conclure à la difficulté pour la victime, d'une part, d'exercer toute activité nécessitant une station debout prolongée ou des déplacements itératifs et, d'autre part, de trouver un nouvel emploi en cas de perte de son emploi ; qu'en se déterminant par de tels motifs, sans préciser les éléments nouveaux qui justifiaient selon elle, l'allocation d'une indemnité complémentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (TOUJOURS SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le Fonds de garantie à payer à M. X... la somme de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

Aux motifs que « il est certain que Monsieur Jean-Claude X... ne pratiquait pas de sport comme licencié ou même de manière régulière ; que cependant, les séquelles de ses blessures rendent pour lui quasiment impossible l'exercice d'activités simples et habituelles que ce soit de nature sportive, d'entretien ou culturelles, sans ressentir des difficultés notamment du fait d'une station debout pénible et la survenance de crampes ; que le raisonnement des juges d'appel correctionnel sera là encore retenu comme fondé, ainsi que la somme de 5000 euros qui lui a été allouée à ce titre » ;

Alors que la réparation d'un poste de préjudice d'agrément temporaire, distincte de celle du poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire, ne peut viser qu'à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisir ; qu'en retenant, pour allouer à M. X... la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, que les séquelles qu'il conserve de son agression rendent difficiles l'exercice d'activités simples et habituelles que ce soit de nature sportive, d'entretien ou culturelles, après avoir pourtant relevé que M. X... ne justifiait pas de la pratique d'une activité spécifique, la cour d'appel a violé les articles 706-3 et 706-8 du code de procédure pénale et le principe de réparation intégrale.

SUR LE CINQUIEME MOYEN DE CASSATION (PLUS SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le Fonds de garantie à payer à M. X... les sommes de 10 000 euros au titre de complément de l'incidence professionnelle et 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

Alors qu'aux termes de l'article 706-4 du code de procédure pénale la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales se borne à allouer l'indemnité revenant à la victime ; que les sommes ainsi allouées sont ensuite réglées par le Fonds de garantie dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision en application des articles 706-9, dernier alinéa, et R. 50-24 du code de procédure pénale ; qu'ainsi, il n'appartient pas à la commission d'indemnisation de condamner le Fonds de garantie à payer l'indemnité allouée à la victime ; qu'en condamnant néanmoins le Fonds de garantie à payer à M. X... les sommes qu'elle lui a allouées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.ECLI:FR:CCASS:2015:C201143
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