Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 10 juin 2015, 14-20.790, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Philippe X..., né le 20 septembre 1992 de Mme Y..., a été inscrit à l'état civil comme étant le fils de M. Auguste X..., son époux ; que le 24 juin 2010, Mme Y..., divorcée depuis 2006, s'est remariée avec Claude Z... ; qu'elle a, le 10 novembre 2011, saisi le ministère public afin qu'il agisse en contestation de la paternité de M. X..., la possession d'état de Philippe X..., conforme à son titre de naissance, ayant duré plus de cinq ans ; qu'elle a joint à sa demande son consentement et celui de MM. X... en vue d'une expertise biologique ; que Claude Z... est décédé le 14 novembre 2011, après avoir attesté qu'il était le père biologique de Philippe X... et avoir donné son consentement à l'expertise ; que le procureur de la République a fait assigner MM. Philippe et Auguste X..., Mme Z...- Y... et les filles de Claude Z..., sur le fondement de l'article 333, alinéa 2, du code civil afin qu'un examen comparé de l'ADN de ces derniers soit ordonné ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient, d'une part, que, le ministère public ne rapportant la preuve ni d'indices tirés des actes eux-mêmes rendant invraisemblable la filiation, ni d'éléments pouvant caractériser une fraude, il ne peut être fait droit à sa demande sur le fondement de l'article 336 du code civil, d'autre part, que la contestation de la filiation concerne des intérêts privés familiaux et ne porte pas atteinte à l'ordre public, de sorte que le ministère public ne peut davantage agir sur le fondement des articles 422 et 423 du code de procédure civile ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de Mme Z...- Y... et de MM. Philippe et Auguste X..., qui faisaient valoir qu'un juste équilibre devait être ménagé, dans la mise en oeuvre de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entre le droit revendiqué par M. Philippe X... de voir établir sa filiation biologique et les intérêts de Mmes Z..., filles de Claude Z..., qui opposaient un refus à ce qu'il hérite de ce dernier, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mai 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne Mmes Nathalie et Audrey Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour Mme Z...- Y... et MM. Philippe et Auguste X...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'action en contestation de paternité recevable mais non fondée, déboutant les parties de leur demande d'un examen comparé de l'ADN ;

Aux motifs que, « En vertu des dispositions édictées par l'article 333 du code civil lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté. Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement.

En application de l'article 336 la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes euxmêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi.

Selon les articles 422 et 423 du code civil en dehors des cas spécifiés par loi où il agit d'office, le ministère publie peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci.

En l'espèce il est constant que Philippe X... âgé de 21 ans, bénéficie depuis la naissance d'une possession d'état d'enfant légitime conforme à sa filiation paternelle telle qu'établie par l'effet de la loi.

Dès lors, seul le ministère public qui n'est pas tenu par le respect de ce délai de prescription quinquennal est recevable à engager une action en contestation de paternité en application de l'article 333 du code civil.

L'action a été engagée par le ministère public suivant assignation du 19 mars 2013 dans le respect du délai de 10 ans prévu par l'article 321 du code civil à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 16 5 janvier 2009. Elle est donc recevable.

Le ministère public ne rapportant la preuve ni d'indices tirés des actes eux-mêmes rendant invraisemblable la filiation, ni d'éléments pouvant caractériser une fraude, il ne peut être fait droit à sa demande que si les faits qu'elle concerne touchent à l'ordre public.

Il résulte des éléments de l'espèce que la contestation de la filiation paternelle de Philippe X... touche à des intérêts privés familiaux et ne porte pas atteinte à l'ordre public.

En conséquence le Tribunal doit être approuvé en ce qu'il a rejeté la demande du ministère public comme mal fondée » ;

Et aux motifs des premiers juges, éventuellement adoptés que :

« L'action en contestation de paternité en mariage ayant été introduite le 19 mars 2013, les dispositions de l'ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005 et de la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 sont applicables ;

Aux termes de l'article 320 du code civil tant qu'elle n'est pas contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ;

En l'espèce il est constant que le titre de filiation paternelle est corroborée par une possession d'état conforme, répondant aux exigences des articles 311-1 et 311-2 du code civil, qui a duré plus de cinq ans après la naissance de Philippe X... ;

Dans ces conditions en application de l'article 333 alinéa 2 du code civil l'action en contestation de paternité est réservée au ministère public mais demeure soumise au délai de prescription décennale prévu par l'article 321 du code civil ;

Selon ce texte ce délai a pour point de départ la naissance de l'enfant, s'agissant d'une filiation établie par l'effet de la loi ;

L'article 312 susvisé prévoit qu'à l'égard de l'enfant, la prescription est suspendue pendant sa minorité ;

Cependant l'action réservée au ministère public en vertu de l'article 333 alinéa 2 du code civil, lorsque l'enfant est né en mariage, a été instituée par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 (la loi ancienne ne visait que le cas de l'enfant né hors mariage) de sorte qu'en vertu de l'article 2222 du code civil, la prescription décennale n'a commencé à courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder le délai de trente ans prévu par la loi antérieure expirant au mois de septembre 2022 ;

L'action engagée par le ministère public sur le fondement de l'article 333 du code civil, suivant assignation délivrée les 11, 12, 13 et 19 mars 2013 soit dans le délai de dix ans après l'entrée en vigueur de ce texte de loi, est donc recevable ;

Ceci étant les conditions de la mise en oeuvre par le ministère public, de l'action en contestation sont restrictives. L'article 336 du code civil qui s'applique à la filiation en mariage ou hors mariage et vise la paternité ou la maternité, stipule en effet que " la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable, ou en cas de fraude à la loi. "

Il appartient au Parquet demandeur de prouver l'une ou l'autre de ces hypothèses, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors que l'acte de naissance de Philippe X... rend parfaitement vraisemblable sa filiation à l'égard du mari de la mère et qu'aucune fraude à la loi n'est alléguée ni a fortiori justifiée, de sorte que la demande du ministère public tendant à ce que soit ordonnée avant dire droit une expertise biologique des défendeurs, n'est pas fondée et sera en conséquence rejetée » (jugement, pp. 3-4) ;

Alors que, le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, Madame Z...- Y... et Messieurs Philippe et Auguste X... faisaient régulièrement valoir dans leurs écritures d'appel que le droit de connaitre son ascendant, comme composante de la vie privée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, devait prévaloir sur les textes du code civil limitant les possibilités de remise en cause d'une filiation légitime corroborée par une possession d'état (conclusions, p. 6 et s.) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, de nature à écarter l'application stricte de l'article 336 du code civil, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100681
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