Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 mai 2015, 14-11.001, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 13 décembre 2013), que M. X... a été engagé en qualité de comptable par le cabinet Glaudet le 1er juin 1968, que son contrat s'est poursuivi lors du rachat de ce cabinet par la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable-Fiducial-, que le 18 juillet 2007 il était mis à la retraite après une ancienneté de 39 ans, et dispensé de l'exécution de son préavis ; que le 30 mai 2011, la société Fiducial a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Fiducial fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1°/ qu'ayant constaté qu'à la suite de son départ à la retraite, M. Christian X..., ancien comptable salarié de la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable, avait positivement démarché sa clientèle pour le suivre dans son nouvel emploi, la cour d'appel, en jugeant que M. X... n'avait pas engagé sa responsabilité quasi délictuelle, a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que l'inexécution du préavis n'a pas pour conséquence d'avancer la date à laquelle le contrat prend fin, et que l'obligation de loyauté qui découle du contrat de travail se poursuit pendant cette période, même si le salarié est dispensé de l'effectuer ; qu'en jugeant que le salarié, dispensé d'exécuter son préavis, était libéré de toute obligation de non-concurrence à l'égard de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble les articles L. 1222-1 et L. 1234-4 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, qui a constaté que le salarié n'était plus soumis à la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail et qu'il avait été dispensé d'effectuer son préavis, a décidé à bon droit que l'intéressé pouvait ainsi, pendant la durée du délai-congé non effectué, entrer au service d'une entreprise concurrente ;

Attendu, ensuite, qu'elle a relevé que l'employeur n'était pas plus fondé, pour pallier l'échec d'une action en concurrence déloyale, à faire état, sur un fondement contractuel cette fois, d'une quelconque déloyauté du salarié, ne pouvant pas plus invoquer l'obligation de respect de clientèle dont faisait état la lettre de mise à la retraite s'analysant en une clause de non-concurrence radicalement nulle à défaut de contrepartie financière ;

Attendu enfin qu'ayant retenu, par motifs adoptés, qu'aucune preuve de quelque nature que ce soit n'avait été apportée par la société Fiducial, d'acte de concurrence déloyale et que, par motifs propres, l'allégation selon laquelle le salarié aurait lui-même établi les lettres par lesquelles les clients quittaient la société Fiducial n'était étayée par aucun élément, la cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuves qui lui était soumis, a pu débouter l'employeur de sa demande au titre de la concurrence déloyale ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le second moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la Fiduciaire nationale d'expertise comptable

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société Fiduciaire Nationale d'Expertise Comptable de sa demande de condamnation de Monsieur Christian X... au paiement de la somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Aux motifs propres que, pour soutenir qu'il y a eu concurrence déloyale de Christian X..., la SA FIDUCIAL fait état du départ de 43 clients, suite à la mise à la retraite de ce dernier, dont le constat de l'huissier qu'elle a fait dresser ne retrouve au demeurant que 29 sur le fichier de la société AUFICOM pour le compte de laquelle Christian X... n'a travaillé qu'à compter du 17 décembre 2007 alors qu'il était à la retraite depuis le 1er août ; qu'alors que la clientèle d'un cabinet d'expertise comptable n'est pas captive comme l'ont justement rappelé les premiers juges, cette même clientèle étant parfaitement libre de choisir le cabinet auquel elle entend confier ces travaux, la SA FIDUCIAL se doit de rapporter la preuve de ce que le départ de ses clients est consécutif à des actes effectifs de concurrence déloyale commis par Christian X..., qui ne peuvent résulter du seul souhait de clients connaissant son départ de FIDUCIAL de continuer à voir leur dossier suivi par lui qu'ils connaissent pour certains depuis plusieurs années voire dizaines d'années, ce qui explique l'apparition des noms de quatre anciens clients sur son logiciel ou la connaissance de la couleur orange du dossier du client Tisserand ; qu'à cet égard, l'allégation selon laquelle Christian X... aurait lui-même établi les lettres par lesquels les clients quittaient FIDUCIAL n'est étayée par aucun élément ; que par ailleurs, le départ des clients de FIDUCIAL s'explique tout autant par le mécontentement de ces derniers à son égard ainsi que l'avait relevé la cour dans son arrêt du 27 mai 2010 et qui résulte des déclarations Y..., Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F... et G..., ce dernier précisant de surcroît qu'il est parti pour un cabinet autre que celui mis en cause par l'appelante ; que par ailleurs, alors que cette dernière dispensait Christian X... de l'exécution de son préavis, ce qui fait que ce dernier retrouvait sa liberté le 1er août 2007, et le déliait de la clause de non-concurrence qu'il pouvait se voir imposer pendant trois années pour n'avoir pas à en assumer la contrepartie financière, la SA FIDUCIAL n'est pas plus fondée, pour pallier à l'échec d'une action en concurrence déloyale, à faire état, sur un fondement contractuel cette fois, d'une quelconque déloyauté de Christian X..., ne pouvant pas plus invoquer l'obligation de respect de clientèle dont fait état la lettre de mise à la retraite s'analysant tout autant en une clause de non-concurrence radicalement nulle à défaut de contrepartie financière ; qu'ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SA FIDUCIAL de l'intégralité de ses demandes ; et aux motifs réputés adoptés que Christian X... a informé FIDUCIAL en 2007 qu'il pouvait bénéficier d'une retraite à taux plein sans pour autant faire valoir ce droit par écrit ; que FIDUCIAL, en application de l'article L 122-14-13 du code du travail, décide de la mise à la retraite de Christian X... qui n'a pas fait connaître sa volonté de partir à la retraite d'une façon non équivoque ; que même si Christian X... était cosignataire de l'invitation, datée du 4 juillet 2007, pour l'invitation du 18 juillet 2007 à un cocktail pour sa mise à la retraite et l'inauguration des nouveaux locaux de l'agence FIDUCIAL à Argenton-sur-Creuse, cela ne signifiait pas sa mise à la retraite immédiate à compter de ce 18 juillet 2007 ; que si FIDUCIAL décidait de la mise à la retraite de Christian X..., cela ne pouvait pas le contraindre à toute cessation d'activité de sa part ; que FIDUCIAL, persuadé de cette cessation d'activité de la part de Christian X..., lève la clause de non-concurrence et de non-réinstallation dès le 18 juillet 2007, ce qui lui évite tout paiement de contrepartie financière ; qu'à compter du 18 juillet 2007 et au plus tard le 31 octobre 2007, fin de son préavis, Christian X... est dégagé de toute obligation vis-à-vis de FIDUCIAL ; que, consciente de sa méprise et à la suite de départs d'un certain nombre de ses clients, FIDUCIAL dépose une plainte au pénal pour abus de confiance à l'encontre de Christian X... et pour recel d'abus de confiance à l'encontre de la société AUFICOM, que FIDUCIAL fait délivrer également des sommations interprétatives à certains de ses clients qui avaient fait le choix de quitter le Cabinet ; qu'aucun fait répréhensible ne pouvant être reproché tant à Christian X... qu'à la société AUFICOM, le tribunal correctionnel de Châteauroux décide de la relaxe pure et simple suivant jugement en date du 25 novembre 2009 ; que par arrêt sur intérêts civils en date du 27 mai 2010, la cour d'appel a confirmé la décision du juge de première instance, aucun détournement de clientèle ne pouvant être reproché à Christian X... ; que FIDUCIAL a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt, pourvoi rejeté par la Cour suprême suivant arrêt en date du 9 mars 2011 ; que FIDUCIAL saisit, en dernier lieu, le conseil de prud'hommes de céans pour un prétendu détournement de clientèle constitutif d'acte de concurrence déloyale ; que seul un client a mentionné un abus de confiance à l'encontre de Christian X... ; que les clients avaient le libre choix de quitter FIDUCIAL, qui mettait en place une nouvelle organisation et suivre Christian X..., avec lequel ils entretenaient de bonnes relations depuis de nombreuses années, et qui avait rejoint le cabinet AUFICOM de Châteauroux ; qu'aucun élément nouveau n'a été tenté ou documents fournis dans le dossier déposé devant notre conseil par la demanderesse, concernant la concurrence déloyale de Christian X... ou de son obligation de loyauté vis-à-vis de son ex-employeur ; qu'aucune preuve de quelque nature que ce soit n'a été apportée par FIDUCIAL devant le conseil de prud'hommes de céans à l'encontre de Christian X... en complément du dossier examiné par les juridictions sollicitées précédemment ;

alors qu'ayant constaté qu'à la suite de son départ à la retraite, Monsieur Christian X..., ancien comptable salarié de la Société Fiduciaire Nationale d'Expertise Comptable, avait positivement démarché sa clientèle pour le suivre dans son nouvel emploi, la cour d'appel, en jugeant que M. X... n'avait pas engagé sa responsabilité quasi délictuelle, a violé l'article 1382 du code civil ;

alors au demeurant que l'inexécution du préavis n'a pas pour conséquence d'avancer la date à laquelle le contrat prend fin, et que l'obligation de loyauté qui découle du contrat de travail se poursuit pendant cette période, même si le salarié est dispensé de l'effectuer ; qu'en jugeant que le salarié, dispensé d'exécuter son préavis, était libéré de toute obligation de non-concurrence à l'égard de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble les articles L 1222-1 et L 1234-4 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Société Fiduciaire Nationale d'Expertise Comptable à payer à Monsieur Christian X... la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Aux motifs que la présente procédure, engagée par la SA FIDUCIAL après qu'elle ait été déboutée d'une précédente procédure en dommages-intérêts à l'encontre de son ancien salarié porté jusque devant la Cour de cassation, pour obtenir à son encontre le même montant de 150 000 €, correspondant à trois fois le montant de l'indemnité de départ à la retraite perçu par celui-ci, et tout aussi infondée, est manifestement abusive, et cause à Christian X... un incontestable préjudice moral qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts ;

alors que les juges qui condamnent à des dommages-intérêts une partie envers l'autre ne peuvent se borner à affirmer que la procédure est abusive sans caractériser la faute ; qu'en condamnant l'ancien employeur victime d'un détournement de clientèle à indemniser le préjudice moral causé à l'ancien salarié par son action devant les juridictions du travail, après qu'une initiative pénale sur le terrain de l'abus de confiance se soit achevée par une décision de relaxe, sans dire en quoi la succession de ces deux actions aux fondements différents aurait eu un caractère abusif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00755
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