Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 mai 2015, 13-88.124, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- Le Bureau central français des sociétés d'assurance contre les accidents automobiles,
- La société Europcar Autovermietung,

parties intervenantes,


contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 17 octobre 2013, qui, dans la procédure suivie contre M. Hakan X...du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 24 mars 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Pers, conseiller rapporteur, M. Fossier, Mmes Mirguet, Schneider, Farrenq Nési, M. Bellenger, conseillers de la chambre, Mme Guého, conseiller référendaire ;

Avocat général : Mme Caby ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller PERS, les observations de Me FOUSSARD, de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, THOUVENIN et COUDRAY et de la société civile professionnelle GASCHIGNARD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et les mémoires en défense produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 27 mai 2006, Annelyse D...a trouvé la mort dans un accident de la circulation impliquant les véhicules conduits par M. E..., son époux, dont elle était passagère et par M. X...; que le 15 janvier 2007 le tribunal correctionnel a déclaré M. X...coupable d'homicide involontaire et, sur les intérêts civils, opéré un partage de responsabilité entre les conducteurs, à hauteur de trois quarts pour M. X...et d'un quart pour M. E... ; que cette décision est définitive ;

En cet état ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles préliminaire, 2, 3, 6 et 388-1 du code de procédure pénale, des règles gouvernant l'autorité de la chose jugée, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les intérêts civils, a décidé que M. Vincent E..., Mme Sandrine E..., épouse F..., Mme Liliane G..., épouse D..., M. Rodolphe D..., Mme Liliane D..., épouse H..., Mme Lydia D..., épouse I..., M. Alfred D...pouvaient prétendre à la réparation intégrale de leur préjudice et fixé en conséquence les dommages-intérêts alloués ;

" aux motifs que le Bureau central français et la société Europcar soutiennent que l'arrêt définitif rendu le 24 avril 2008 par cette cour d'appel qui a opéré un partage de responsabilité à hauteur de trois quarts pour M. Hakan X...et pour M. Benoît E... s'impose à l'ensemble des parties à la procédure et notamment à M. Benoît E... et aux parties civiles si bien que leur obligation à réparation des dommages subis par les ayants droit de Mme E... ne saurait excéder 75 % ; que les consorts E..., J..., Rodolphe et Liliane D...soutiennent que ce partage de responsabilité ne leur est pas opposable dans la mesure où Mme E..., simple passagère du véhicule et victime directe de l'accident aurait eu droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice aucune faute inexcusable ou intentionnelle ne pouvant lui être reprochée, que le partage de responsabilité décidé est donc inopérant sur la liquidation des préjudices subis par les parties civiles ; qu'ils estiment que le premier juge a méconnu le sens et la portée de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 en décidant de limiter à concurrence de un quart le droit à indemnisation de M. Benoît E... alors que celui-ci agissant en qualité d'ayant droit de son épouse, passagère, décédée au cours de l'accident peut prétendre à la réparation complète de son préjudice ; que les consorts Lydia et Alfred D..., soeur et frère de la défunte, font valoir qu'Annelise E..., passagère du véhicule conduit par son mari était une victime protégée au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, que dès lors la faute commise par le conducteur du véhicule n'aurait pu lui être opposée, de sorte que si elle n'était pas décédée elle aurait obtenu réparation intégrale de son préjudice ; qu'Annelise E..., passagère, aurait eu droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice si elle avait survécu à l'accident de la circulation du 27 mai 2006, en application de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, aucune faute inexcusable, cause exclusive de l'accident ne pouvant lui être imputée ; que dès lors, ses ayants droit, parties civiles à la procédure, y compris son mari M. Benoît E..., conducteur du véhicule, ne peuvent se voir opposer le partage de responsabilité institué entre celui-ci et M. Hakan X..., que le jugement entrepris doit, par suite, être partiellement infirmé sur ce point ;

" 1°) alors qu'à l'occasion des poursuites pénales, les consorts E... s'étaient constitués parties civiles et avait invité le juge correctionnel, statuant sur l'action civile, à déclarer M. X...seul et entièrement responsable des conséquences de l'accident du 27 mai 2006 ; que statuant sur cette demande, le tribunal correctionnel, sur la base d'énoncés figurant dans les motifs de sa décision, a décidé, dans son dispositif, " partage les responsabilités à hauteur de trois quarts pour M. X...et à hauteur de un quart pour M. Benoît E... " ; que ce chef a été confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 24 avril 2008 ; qu'en décidant néanmoins de réparer l'intégralité du préjudice subi par les consorts E..., les juges du fond ont violé les textes susvisés et les règles gouvernant l'autorité de la chose jugée ;

" 2°) alors qu'à supposer que les règles de fond aient pu justifier par impossible à l'égard des consorts E... une réparation intégrale, cette circonstance était inopérante dès lors que le principe du droit à réparation et son étendue avaient été irrévocablement fixés par le jugement du 15 janvier 2007 et l'arrêt du 24 avril 2008 ; qu'à cet égard également, l'arrêt a été rendu en violation des textes susvisés et des règles gouvernant l'autorité de la chose jugée " ;

Attendu que, pour indemniser en totalité le préjudice subi du fait de la mort d'Annelyse D...par Vincent E..., Mme Sandrine E..., épouse F..., Mme Liliane K..., épouse D..., M. Rodolphe D..., Mme Liliane D..., épouse H..., Mme Lydia D..., épouse I...et M. Alfred D..., l'arrêt attaqué énonce, qu'en application de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, la passagère aurait eu droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice si elle avait survécu, aucune faute inexcusable, cause exclusive de l'accident, ne pouvant lui être imputée, que ces parties civiles ne peuvent se voir opposer le partage de responsabilité opéré entre son mari, conducteur, et le prévenu ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors qu'en application de l'article 6 de la loi du 5 juillet 1985, le préjudice du tiers, victime par ricochet, du fait des dommages causés à la victime directe doit être intégralement réparé si aucune limitation ou exclusion n'est applicable à la réparation des dommages subis par celle-ci, la cour d'appel a justifié sa décision sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 15 janvier 2007 ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles préliminaire, 2, 3, 6 et 388-1 du code de procédure pénale, des règles gouvernant l'autorité de la chose jugée, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que M. Benoît E..., conducteur de l'un des véhicules impliqués, pouvait obtenir la réparation de l'intégralité de son préjudice et statuer en conséquence sur ses demandes de dommages-intérêts ;

" aux motifs que le Bureau central français et la société Europcar soutiennent que l'arrêt définitif rendu le 24 avril 2008 par cette cour d'appel qui a opéré un partage de responsabilité à hauteur de trois quarts pour M. Hakan X...et pour M. Benoît E... s'impose à l'ensemble des parties à la procédure et notamment à M. Benoît E... et aux parties civiles si bien que leur obligation à réparation des dommages subis par les ayants droit de Mme E... ne saurait excéder 75 % ; que les consorts E..., J..., Rodolphe et Liliane D...soutiennent que ce partage de responsabilité ne leur est pas opposable dans la mesure où Mme E..., simple passagère du véhicule et victime directe de l'accident aurait eu droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice aucune faute inexcusable ou intentionnelle ne pouvant lui être reprochée, que le partage de responsabilité décidé est donc inopérant sur la liquidation des préjudices subis par les parties civiles ; qu'ils estiment que le premier juge a méconnu le sens et la portée de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 en décidant de limiter à concurrence de un quart le droit à indemnisation de M. Benoît E... alors que celui-ci agissant en qualité d'ayant droit de son épouse, passagère, décédée au cours de l'accident peut prétendre à la réparation complète de son préjudice ; que les consorts Lydia et Alfred D..., soeur et frère de la défunte, font valoir qu'Annelise E..., passagère du véhicule conduit par son mari était une victime protégée au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, que dès lors la faute commise par le conducteur du véhicule n'aurait pu lui être opposée, de sorte que si elle n'était pas décédée elle aurait obtenu réparation intégrale de son préjudice ; qu'Annelise E..., passagère, aurait eu droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice si elle avait survécu à l'accident de la circulation du 27 mai 2006, en application de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, aucune faute inexcusable, cause exclusive de l'accident ne pouvant lui être imputée ; que dès lors, ses ayants droit, parties civiles à la procédure, y compris son mari M. Benoît E..., conducteur du véhicule, ne peuvent se voir opposer le partage de responsabilité institué entre celui-ci et M. X..., que le jugement entrepris doit, par suite, être partiellement infirmé sur ce point ;

" 1°) alors qu'à l'occasion des poursuites pénales, M. Benoît E... agissant en son nom personnel s'était constitué partie civile et avait invité le juge correctionnel, statuant sur l'action civile, à déclarer M. X...seul et entièrement responsable des conséquences de l'accident du 27 mai 2006 ; que statuant sur cette demande, le tribunal correctionnel, sur la base d'énoncés figurant dans les motifs de sa décision, a décidé, dans son dispositif, " partage les responsabilités à hauteur de trois quarts pour M. X...et à hauteur de un quart pour M. Benoît E... " ; que ce chef a été confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 24 avril 2008 ; qu'en décidant néanmoins de réparer l'intégralité du préjudice subi par M. Benoît E..., les juges du fond ont violé les textes susvisés et les règles gouvernant l'autorité de la chose jugée ;

" 2°) alors qu'à supposer que les règles de fond aient pu justifier par impossible à l'égard de M. Benoît E... une réparation intégrale, cette circonstance était inopérante dès lors que le principe du droit à réparation et son étendue avaient été irrévocablement fixés par le jugement du 15 janvier 2007 et l'arrêt du 24 avril 2008 ; qu'à cet égard également, l'arrêt a été rendu en violation des textes susvisés et des règles gouvernant l'autorité de la chose jugée " ;

Vu les articles 4 et 6 de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu que, selon ces textes, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, directement ou par ricochet, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ;

Attendu que, pour accorder à M. E..., conducteur, l'indemnisation intégrale du préjudice subi par lui du fait de la mort de son épouse, sa passagère, dans l'accident en cause, l'arrêt attaqué retient que celui-ci ne peut se voir opposer le partage de responsabilité institué entre lui et l'autre conducteur dès lors que la passagère aurait eu droit, en application de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, à l'indemnisation intégrale de son préjudice si elle avait survécu à l'accident, aucune faute ne pouvant lui être imputée ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'était opposable à M. E..., en vertu du jugement définitif précité, une faute de nature à limiter l'indemnisation de l'ensemble des préjudices qu'il a subis, directement ou par ricochet, la cour d'appel a méconnu les textes et le principe susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar en date du 17 octobre 2013, mais en ses seules dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice de M. Benoît E..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq mai deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

ECLI:FR:CCASS:2015:CR01889
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