Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 avril 2015, 14-18.653, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 2143-3 du code du travail interprété à la lumière des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que les contrats de travail des salariés de la société Canon France Sud-Est et de la société Océ France ont été transférés à la société Canon France à la suite de la fusion-absorption de ces deux sociétés par la société Canon France respectivement les 1er juillet 2012 et 1er juin 2013 ; que, le 19 mars 2014, le syndicat CFDT métallurgie du Nord et de l'Est de Seine (le syndicat) a désigné Mme X... et M. Y..., qui avaient obtenu dans leur société d'origine plus de 10 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles, en qualité de délégués syndicaux au sein de la société Canon France ; que cette dernière a contesté leur désignation ;

Attendu que pour faire droit à cette contestation, le tribunal d'instance énonce que le syndicat ayant présenté des candidats au premier tour des élections professionnelles dans l'entreprise d'accueil et ces candidats ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, le choix prioritaire imposé par l'alinéa 1er de l'article L. 2143-3 du code du travail ne privait pas le syndicat de son droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le code du travail et que, par conséquent, les salariés en cause ne remplissent pas les conditions prévues par l'article L. 2143-3 du code du travail pour être désignés en qualité de délégué syndical ;

Attendu, cependant, qu'en vertu des dispositions de l'article L. 2143-3 du code du travail, chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement de cinquante salariés ou plus, qui constitue une section syndicale, est en droit de désigner un délégué syndical ; que l'obligation de choisir ce délégué en priorité parmi les candidats qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles n'a pas pour objet ou pour effet de priver cette organisation syndicale du droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le code du travail ou les accords collectifs dès lors qu'elle a présenté des candidats à ces élections dans le périmètre de désignation ;

Qu'en statuant comme il l'a fait, alors qu'il n'était pas contesté que le syndicat avait présenté des candidats lors des dernières élections au sein de la société Canon France et, par suite, était fondé, pour désigner des représentants syndicaux, à se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail, interprété à la lumière des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, peu important l'existence au sein de l'entreprise d'accueil de candidats présentés par le syndicat ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 26 mai 2014, entre les parties, par le tribunal d'instance de Courbevoie ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Puteaux ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Canon France à payer à Mme X..., M. Y... et au syndicat CFDT métallurgie du Nord et l'Est de Seine la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze avril deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour Mme X..., M. Y... et le syndicat CFDT métallurgie du Nord et l'Est de Seine (SYMNES)

Le moyen reproche au jugement attaqué d'AVOIR annulé les désignations de Madame Chrystèle X... et de Monsieur Patrick Y... en qualité de délégués syndicaux au sein de la société Canon France ;

AUX MOTIFS QUE, sur les conditions de l'article L. 2143-3 du code du travail : l'article L. 2143-3 du code du travail dispose que chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement d'au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l'article L. 2143-12 un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l'employeur ; le deuxième alinéa de cet article précise que si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ; en vertu de l'article L. 2143-10, en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur telle que mentionnée à l'article L. 1224-1, le mandat du délégué syndical ou du délégué syndical central subsiste lorsque l'entreprise qui fait l'objet de la modification conserve son autonomie juridique ; en vertu de l'article 6 de la directive 2001/23 du 12 mars 2001, si l'entreprise absorbée perd son autonomie, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleurs transférés, qui étaient représentés avant le transfert continuent à être convenablement représentés durant la période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation des représentants des travailleurs ; en l'espèce, le transfert ne portant pas sur une entité susceptible d'emporter maintien des mandats représentatifs en cours, les salariés ne pouvaient se prévaloir du score qu'ils avaient obtenu dans leur entreprise d'origine pour être désignés délégué syndical au sein de la société absorbante ; le deuxième alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail doit être interprété à la lumière des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2011 et par conséquent l'obligation de choisir ce délégué en priorité parmi les candidats qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de priver cette organisation syndicale du droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le code du travail ou les accords collectifs dès lors qu'elle a présenté des candidats à ces élections dans le périmètre de désignation ; en l'espèce, il convient d'observer que le syndicat CFDT ayant présenté des candidats au premier tour des élections professionnelles et ces candidats ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, le choix prioritaire imposé par l'alinéa 1 de l'article L. 2143-3 ne privait pas le syndicat CFDT de son droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le code du travail ; par conséquent Mme X... et M. Y... ne remplissent pas les conditions prévues par l'article L. 2143-3 du code du travail pour être désignés en qualité de délégué syndical ;

ALORS QU'afin de permettre aux salariés transférés d'être « convenablement représentés durant la période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la représentation des travailleurs », le syndicat qui remplit lui-même les conditions prévues par le premier alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail est en droit, conformément aux dispositions de l'alinéa 2 l'article L. 2143-3 du code du travail, interprété à la lumière des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/ CE du Conseil du 12 mars 2001, de désigner, en qualité de délégués syndicaux, des salariés transférés qui sont ses adhérents et ont été candidats lors des élections qui ont eu lieu dans leur entreprise d'origine, peu important que d'autres salariés de l'entreprise absorbante aient eux-mêmes recueilli au moins 10 % des suffrages lors des élections qui avaient eu lieu dans la société absorbante ; que le tribunal qui a annulé la désignation des salariés transférés en retenant que des candidats du syndicat CFDT avaient recueilli au moins 10 % des suffrages lors des élections qui avaient eu lieu dans la société absorbante pouvaient être désignés, le tribunal a violé l'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 du code du travail, interprété à la lumière des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/ CE du Conseil du 12 mars 2001 ;

Et AUX MOTIFS QUE, sur le principe d'égalité entre les syndicats : un engagement unilatéral de l'employeur ne peut avoir pour effet de modifier l'obligation légale faite aux organisations syndicales représentatives de choisir en priorité le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix au premier tour des dernières élections professionnelles, s'agissant d'une règle d'ordre public absolu ; par conséquent un syndicat, s'il est en droit de contester l'avantage accordé par l'employeur à un autre syndicat en violation d'une règle d'ordre public, ne peut en revanche revendiquer à son profit le bénéfice de cet avantage illégal ; en l'espèce, l'absence de contestation par l'employeur de désignations de délégués syndicaux effectués par d'autres organisations syndicales représentatives de salariés qui se prévalaient du score électoral obtenu lors des élections intervenues dans une des sociétés absorbées, n'autorise pas le syndicat SYMNES CFDT à se prévaloir de cette dérogation à une règle d'ordre public ; il convient donc d'annuler les désignations de Mme X... et M. Y... en qualité de délégué syndical au sein de la société Canon France ;

ALORS subsidiairement QUE le principe d'égalité, qui est de valeur constitutionnelle et que le juge doit appliquer, interdit à l'employeur de refuser la désignation d'un délégué syndical par un syndicat représentatif au motif que les conditions légales ne sont pas réunies dès lors qu'il a accepté la désignation dans les mêmes conditions d'un délégué syndical par un autre syndicat représentatif ; qu'en statuant comme il l'a fait, alors que l'employeur avait accepté la désignation, par d'autres syndicats, de délégués syndicaux qui ne remplissaient pas les conditions requises par l'article L. 2143-3 du code du travail, le tribunal a violé le principe d'égalité entre syndicats, l'article 6 du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946, les articles 1er, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 2143-3 du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00725
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