Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 mars 2015, 13-17.392, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Reçoit l'Aerospace Industries Association of America Inc., l'AeroSpace and Defence Industries Association of Europe et l'International Coordinating Council of Aerospace Industries Association en leur intervention à l'appui du pourvoi ;

Reçoit l'International Air Transport Association en son intervention à l'appui des prétentions de la société Armavia Airlines ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1, 17, 24 et 28 de la Convention, du 12 octobre 1929, pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international (dite Convention de Varsovie) ;

Attendu que l'appel en garantie du constructeur d'aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d'application de la Convention de Varsovie et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 2 mai 2006, un aéronef, exploité par la société Armavia Airlines (le transporteur aérien), en provenance d'Erevan (Arménie) et à destination de Sotchi (Russie), s'est abîmé en mer, causant la mort de tous les passagers et membres d'équipage ; qu'après avoir conclu un "protocole transactionnel" avec le transporteur aérien et son assureur, des ayants droit de victimes ont assigné la société Airbus (le constructeur de l'aéronef), devant une juridiction française, en indemnisation de leur préjudice, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ; que le constructeur de l'aéronef a appelé en garantie le transporteur aérien, devant la même juridiction, sur le fondement de l'article 333 du code de procédure civile ; que celui-ci a soulevé une exception d'incompétence sur le fondement de l'article 28 de la Convention de Varsovie ;

Attendu que, pour retenir l'application de ce texte, l'arrêt relève que ni l'article 24 ni l'article 28 de la Convention de Varsovie ne font de distinction selon le titre auquel le transporteur aérien se trouve assigné, ni selon la personne qui recherche la responsabilité du transporteur ; qu'il en déduit que les dispositions de la Convention doivent régir toute action contre le transporteur, quelles que soient les personnes qui mettent en cause cette responsabilité et le titre auquel elles prétendent agir ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les conclusions et pièces notifiées par la société Airbus le 3 décembre 2012, l'arrêt rendu le 12 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;

Condamne la société Armavia Airlines aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Airbus la somme de 3 000 euros, rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour la société Airbus

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le tribunal de grande instance de Toulouse incompétent territorialement pour connaître de l'appel en garantie de la société Airbus à l'encontre de la compagnie Armavia Airlines et d'AVOIR, en conséquence, renvoyé la société Airbus à mieux se pourvoir ;

AUX MOTIFS QUE aux termes des dispositions de l'article 1er de la convention de Varsovie, celle-ci s'applique à tout transport international de personnes, bagages ou marchandises, effectué par aéronef, le transport international étant celui dans lequel le point de départ et le point de destination sont situés sur le territoire de deux hautes parties contractantes ; que tel est le cas en l'espèce, ce point n'étant pas discuté par les parties ; que dès lors et en application de l'article 28 de la convention l'action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d'une des hautes parties contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination ; que compte tenu de ces critères le tribunal de grande instance de Toulouse est incompétent ; que pour prétendre que cette convention n'est pas applicable et pour conclure à la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse la SAS Airbus indique que l'action dont la juridiction est saisie ne répond pas à la définition de l'article 24 de la convention ; que celui-ci dispose :
1. Dans les cas prévus aux articles 18 et 19 toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la convention
2. Dans les cas prévus à l'article 17 s'appliquent également les dispositions de l'alinéa précédent, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d'agir et de leurs droits respectifs ;
que l'article 17 énonce que le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de mort subie par un voyageur lorsque l'accident qui a causé le dommage s'est produit à bord de l'aéronef ; qu'il en ressort que pour que la convention soit applicable, l'action intentée doit répondre à la définition visée à l'article 24-1 ; qu'en l'espèce des ayants droit des victimes ont fait assigner la SAS Airbus, constructeur, devant le tribunal de grande instance de Toulouse pour voir juger qu'elle a engagé sa responsabilité au titre de la mise en circulation d'un produit défectueux ayant entraîné l'accident et la voir condamner à indemniser intégralement les proches des victimes ayant péri dans le crash en leur qualité de victimes par ricochet ; que la SAS Airbus a appelé en garantie la Compagnie Armavia Airlines pour la voir condamner à la relever et garantir de toute. condamnation qui serait prononcée à son encontre au profit des demandeurs faisant valoir que l'avion a fonctionné normalement et que l'accident est dû à de graves manquements aux procédures de vol ; qu'elle estime que dès lors, toute indemnisation complémentaire éventuelle des demandeurs doit être versée par le transporteur aérien ; que certes il n'existe pas de contrat de transport entre les ayant droits des victimes et la SAS Airbus ni entre cette dernière et la Compagnie Armavia Airlines ; que cependant, contrairement à ce que la SAS Airbus prétend, elle n'exerce pas un droit d'action personnel à l'encontre de la Compagnie Armavia Airlines puisque son recours en garantie vise à engager la responsabilité de la Compagnie Armavia Airlines, transporteur aérien, pour les dommages causés aux passagers ; qu'or ni l'article 24 ni l'article 28 ne font de distinction selon le titre auquel le transporteur aérien se trouve assigné ni selon la personne qui recherche la responsabilité du transporteur ; qu'il y a lieu dès lors de considérer que les dispositions de la convention doivent régir toute action contre le transporteur, quelles que soient les personnes qui mettent en cause cette responsabilité et le titre auquel elles prétendent agir ; que l'article 28 énonce une règle de compétence directe ayant un caractère impératif ; qu'en exigeant de manière exclusive que l'action contre le transporteur aérien soit portée devant certains tribunaux la convention de Varsovie écarte nécessairement qu'une autre juridiction puisse être saisie ; qu'en outre l'emploi du verbe "devoir" dans cet article exclut nécessairement qu'une autre juridiction que celles limitativement énumérées dans cet article puisse être saisie ; qu'enfin l'objet de la convention de Varsovie (pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international) était notamment de formuler une règle internationale uniforme en matière de compétence juridictionnelle ; que dès lors toute prorogation de compétence va à l'encontre de cet objet et l'article 333 du code de procédure civile qui fait obligation au tiers mis en cause de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, ne saurait s'appliquer ; que dans ces conditions la décision entreprise sera confirmée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aux termes de l'article 28 de la convention internationale de Varsovie, en date du 12 octobre 1929, applicable lors de l'accident au transport aérien international de personnes ou de marchandises, à laquelle ont adhéré la France, I'Arménie et la Russie, « l'action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d'une des Hautes Parties Contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination » ; que le texte ne limite pas la compétence territoriale qu'il détermine à la seule action en responsabilité contractuelle du client à l'encontre du transporteur ; que cette limitation ne peut se déduire du fait qu'aux termes de l'article 1 de la convention, l'objet de cette dernière soit le contrat de transport international de personnes ou de marchandises, puisque ce contrat de transport peut donner lieu à l'application de régimes de responsabilité distincts ; que la généralité de la compétence est au contraire confirmée par l'article 24 de la convention qui prévoit expressément que les règles conventionnelles s'appliquent en matière de dommages aux biens à « toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit », et en matière de dommages aux personnes, « sans préjudice de la détermination des personnes qui ont droit d'agir et de leurs droits respectifs » ; que cette dernière détermination commande le régime de responsabilité applicable ; que c'est précisément le cas de l'espèce, puisque la qualité de tiers au contrat de transport, de la société Airbus ne met à sa disposition pour agir à l'encontre de la compagnie Armavia que le fondement de la responsabilité extra-contractuelle de celle-ci ; que l'article 333 du code de procédure civile, en ce qu'il ne permet pas au tiers appelé en intervention, de décliner la compétence de la juridiction saisie de la demande principale, n'est pas applicable dans l'ordre juridique international, dès lors que l'article 24 de la convention de Varsovie en indiquant que l'action en responsabilité « ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la présente Convention » confère à la règle de compétence territoriale qu'elle institue un caractère exclusif, ayant pour effet de rendre inapplicable la règle de droit interne sur ce point ; que le tribunal de Toulouse ne fait pas partie des juridictions auxquelles l'article 28 de la convention donne compétence pour connaître de l'action à l'encontre de la compagnie Armavia ; que ces dernières étant situées à l'étranger, notamment en Arménie et en Russie, il y lieu, en application de l'article 96 du code de procédure civile, de faire droit à l'exception d'incompétence territoriale internationale et de renvoyer la société Airbus à mieux se pourvoir ;

1°) ALORS QUE le demandeur en garantie simple, qui n'invoque pas le paiement effectué au profit du demandeur principal, exerce un droit personnel à l'encontre de l'appelé en garantie ; qu'en retenant que la société Airbus n'exerçait pas un droit personnel contre la compagnie Armavia Airlines, la cour d'appel a violé les articles 334 et 335 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU 'en tout état de cause, l'appel en garantie du constructeur d'aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d'application de la convention de Varsovie ; qu'en jugeant le contraire pour dire que le tribunal de grande instance de Toulouse n'était pas compétent pour connaître de l'appel en garantie exercé par la société Airbus contre la compagnie Armavia Airlines, la cour d'appel a violé les articles 1, 17, 24 et 28 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international ensemble l'article 333 du code de procédure civile ;

3°) ALORS subsidiairement QUE l'appel en garantie du constructeur d'aéronefs contre le transporteur aérien pour les éventuelles condamnations à réparer les dommages des ayants droit des membres d'équipage ne peut être soumis à la Convention de Varsovie ; qu'en déclarant le tribunal de grande instance de Toulouse incompétent pour connaître de l'appel en garantie de la société Airbus contre la compagnie Armavia Airlines sans rechercher si ce tribunal n'était pas à tout le moins compétent pour statuer sur l'appel en garantie des condamnations qui seraient prononcées contre la société Airbus au profit des ayants droit des membres de l'équipage de l'avion accidenté la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 17, 24 et 28 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international ensemble l'article 333 du code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2015:C100327
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