Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 février 2015, 13-25.667, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société CFG patrimoine conseils, que sur le pourvoi incident relevé par M. X... ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société CFG patrimoine conseils (la société CFG) a conclu avec M. X... un contrat d'agence commerciale et avec la société Act patrimoine (la société Act) un mandat d'intérêt commun que ceux-ci ont rompus ; que, prétendant que sa démission était imputable la société CFG, M. X... l'a assignée en paiement d'une indemnité de cessation de contrat ; que la société CFG a demandé reconventionnellement réparation des préjudices résultant de la violation par M. X... de son obligation de loyauté et de la clause de non-concurrence stipulée dans son contrat ainsi que d'actes de concurrence déloyale commis par la société Act, qu'elle a assignée en intervention forcée ;

Sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire qu'il a manqué à ses obligations contractuelles pour la période antérieure au 1er janvier 2011, date effective de sa démission, alors, selon le moyen, que chaque client demeure libre de changer de conseil patrimonial et que le seul fait d'un tel changement ne saurait permettre d'engager la responsabilité de l'agent commercial ; que la cour d'appel, pour retenir la responsabilité de M. X..., a fait sienne la démonstration de la société CFG consistant à prendre en considération l'intégralité des transferts de clientèle intervenus avant la rupture de son contrat, quand elle reconnaissait elle-même qu'il « n'est pas démontré que ce transfert résulte de la seule volonté de M. X... » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 134-1 du code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que M. X..., qui avait l'obligation, pendant l'exécution du contrat, de ne pas représenter de produits susceptibles de concurrencer ceux qui en faisaient l'objet, avait perçu de la société Act, concurrente de la société CFG, des commissions d'un montant non contesté de 128 973 euros au titre de son activité auprès d'anciens clients de la mandante qui lui avaient transféré leurs contrats, la cour d'appel, qui a fait ressortir que M. X..., en ne respectant pas l'obligation ainsi mise à sa charge, avait manqué à son devoir de loyauté, a pu en déduire qu'il avait engagé sa responsabilité à l'égard de la société CFG ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi principal, ni sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :

Vu l'article L. 134-14 du code de commerce ;

Attendu que pour annuler la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de M. X... et rejeter la demande de la société CFG en réparation du préjudice résultant de sa violation par celui-ci, l'arrêt relève que si l'interdiction faite à l'agent de représenter des produits identiques à ceux désignés au contrat dont il assurait la vente pour le compte de la mandante, dans le secteur qui lui était attribué, pendant une durée de vingt-quatre mois à compter de la cessation effective du contrat, est limitée dans le temps et l'espace, elle ne comporte pas de contrepartie financière ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la validité d'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat d'agence commerciale n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière au profit de l'agent, la cour d'appel a violé le texte susvisé

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi incident ;



Et sur le pourvoi principal :

Met hors de cause, sur sa demande, la société Act patrimone ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare nulle et de nul effet la clause de non-concurrence stipulée au contrat d'agence commerciale de M. X... et rejette la demande indemnitaire de la société CFG patrimoine conseils pour violation de cette clause par M. X... à compter de la cessation effective du contrat le 1er janvier 2011, l'arrêt rendu le 27 août 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la société CFG patrimoine conseils la somme de 3 000 euros, et condamne celle-ci à payer à la société Act patrimoine la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour la société CFG patrimoine conseils

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nulle et de nul effet la clause de non-concurrence stipulée dans un contrat d'agence commerciale et, en conséquence, d'avoir rejeté toute réparation du préjudice subi par le mandant (la société CFG, l'exposante) en raison de la violation de ladite clause par le mandataire (M. X...) à compter du 1er janvier 2011, date de cessation du contrat ;

AUX MOTIFS QU'il résultait de l'article 11 (12) du contrat d'agent commercial intervenu entre les parties qu'à sa cessation pour quelque cause que ce fût l'agent s'interdisait expressément d'assurer la représentation en qualité d'agent commercial ou à tout autre titre auprès de sociétés ou de conseil vendant des produits identiques à ceux définis à l'article 3 dont il assurait la vente pour le compte du mandant, cette interdiction étant limitée au secteur défini à l'article 4 pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la cessation effective du contrat d'agent ; que si cette clause était limitée dans le temps et dans l'espace, elle ne comportait pas pour autant de contrepartie financière, de sorte que, dans ces conditions, elle ne permettait pas à M. X... d'exercer une activité rémunératrice dans un secteur géographique qui avait toujours été le sien depuis de très nombreuses années et qu'en conséquence, afin de respecter le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, il convenait de déclarer nulle et de nul effet la clause de non-concurrence insérée dans le contrat litigieux (arrêt attaqué, p. 6, 6ème attendu, et p. 7, 1er attendu) ;

ALORS QUE, dans un contrat d'agent commercial, la validité d'une clause de non-concurrence conforme aux exigences légales de durée, de champ d'application et de secteur géographique n'est pas subordonnée au versement d'une contrepartie financière au profit du mandataire ; qu'en retenant en l'espèce que la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat d'agent commercial, limitée dans le temps et dans l'espace, était nulle du fait qu'elle ne comportait pas de contre-partie financière, la cour d'appel a violé l'article L. 134-12 du code de commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté un mandant commercial (la société CFG, l'exposante) de ses demandes tendant à voir le mandataire (la société ACT PATRIMOINE) condamné à l'indemniser au titre de divers actes fautifs de concurrence ;

AUX MOTIFS QUE la société ACT PATRIMOINE et la société CFG avaient été liées par un contrat d'agence commerciale à compter du 1er décembre 2005 jusqu'au 1er décembre 2006, date à laquelle il y avait été mis fin à l'initiative du mandataire ; qu'une lettre du 1er décembre 2005 constatait l'engagement de celui-ci, « en cas de rupture, à cesser d'intervenir auprès des clients historiques du cabinet CFG et avec lesquels (il aurait) été amené à travailler durant l'exécution du contrat et ce sans aucune contrepartie » ; que si cet engagement n'avait pas fait ensuite l'objet d'un avenant au contrat, il n'avait pas été remis en cause par la société ACT PATRIMOINE qui avait résilié le contrat le 21 septembre 2006 avec effet au 1er décembre 2006 tout en précisant à la société CFG qu'elle s'engageait à cesser d'intervenir auprès du client historique de celle-ci, M. et Mme Y..., au terme de la mission qui lui avait été confiée durant l'exécution du contrat ; que cet engagement, non limité dans le temps et dans l'espace, ne pouvait caractériser l'existence d'une clause de non-concurrence, que de surcroît il ne visait que le cas de clients dits historiques de la société CFG avec lesquels la société ACT PATRIMOINE aurait été amenée à travailler entre le 1er décembre 2005 et le 1er décembre 2006 ; que la société CFG n'avait pas contesté les conséquences de la rupture du contrat pendant les cinq années qui avaient suivi, pas plus qu'elle ne démontrait l'intervention de la société ACT PATRIMOINE auprès de clients autres que les époux Y... mentionnés dans la lettre de rupture ; qu'en conséquence la société CFG ne pouvait se prévaloir à l'encontre de cette dernière d'actes de concurrence déloyale (arrêt attaqué, p. 5, 5ème attendu, et p. 6, 1er et 2ème al.) ;

ALORS QUE, à propos des « fautes commises par la Société ACT PATRIMOINE », l'exposante faisait valoir (v. ses concl. récapitulatives signifiées le 6 novembre 2012, p. 31, § 3.1, prod.) que celle-ci avait «poursuivi une activité concurrente (¿) en 2006 alors qu'elle était liée à (elle) par un contrat d'agent commercial en date du 1er décembre 2005 », par lequel le mandataire s'interdisait « toute activité se rapportant » à celle de son mandant, qu'en effet la société ACT PATRIMOINE avait versé « des commissions d'intervention » à l'agent commercial de l'exposante « à hauteur de 7.111 euros », ce qui impliquait « qu'elle-même » poursuivait ladite « activité concurrente » ; qu'en examinant la seule période ayant suivi la rupture du contrat, tout en délaissant les écritures déterminantes dont il résultait que, antérieurement à cette rupture, le mandataire avait manqué à ses obligations contractuelles, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

Moyens annexés au pourvoi incident par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur Jean-Luc X... de ses demandes indemnitaires relatives à la rupture de son contrat d'agent commercial de la société CFG Patrimoine ;

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « contrairement à ce que soutient Monsieur X... la société CFG dispose de la possibilité d'intervenir auprès de la clientèle dès lors que l'agent doit respecter les directives de son mandant et que Monsieur X... exerce son activité pour le compte de la société, tous les documents contractuels à destination de la clientèle étant à l'en-tête de la société et que la lettre circulaire en date du 1er septembre 2010 rappelle à l'attention de chaque client le nom du conseiller tout en leur rappelant que la société et ses collaborateurs sont à leur entière disposition pour les accompagner et apporter le meilleur équilibre à leur patrimoine ; que cette lettre ne constitue en aucune façon une intervention de la société de nature à restreindre ou empêcher l'exercice normal de l'activité du mandataire ; qu'au surplus Monsieur X... ne rapporte pas la preuve que la société CFG serait intervenue auprès de clients pour tenter de mettre Monsieur X... en difficulté, l'intervention notamment de la société CFG auprès de Mme Z... n'étant pas à cet égard significative ; qu'au surplus Monsieur X... ne démontre pas une baisse du montant de ses commissions qui serait en relation directe avec ces interventions ;

¿ ;

Attendu en conséquence que Monsieur X... ne rapporte pas la preuve des faits qu'il invoque au soutien de sa démission et que dans ces conditions en l'absence de faits imputables à son mandant justifiant la rupture de son contrat d'agent commercial il convient de retenir, au même titre que les premiers juges, que la lettre de Monsieur X... en date du 29 septembre 2010 est une démission qui le prive de tout droit à indemnisation ; qu'il convient en conséquence de confirmer sur ce point le jugement déféré » ;

ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; que pour retenir l'absence de fait imputable au mandant justifiant la rupture du contrat d'agent commercial, l'arrêt se borne à énoncer que « la lettre circulaire en date du 1er septembre 2010 rappelle à l'attention de chaque client le nom du conseiller tout en leur rappelant que la société et ses collaborateurs sont à leur entière disposition pour les accompagner et apporter le meilleur équilibre à leur patrimoine » (arrêt, p. 5, 1er §) ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Monsieur X... évoquant « des courriers de la société Générali, adressés à des clients de Monsieur Jean-Luc X..., sur lesquels son nom figurait en qualité de conseiller, puis a disparu (pièces n° 27 et 28) » (conclusions d'appel de l'exposant, p. 8, dernier §), la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Monsieur Jean-Luc X... a manqué à ses obligations contractuelles pour la période antérieure au 1er janvier 2011, date effective de sa démission ;

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « il résulte du contrat d'agent commercial intervenu entre les parties que pendant l'exécution de son contrat, c'est-à-dire en l'espèce jusqu'au 1er janvier 2011, date d'effet de sa démission, Monsieur X... ne pouvait prendre de carte susceptible de concurrencer directement ou indirectement le mandant et qu'il ne pouvait par ailleurs accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l'objet du contrat ;

Attendu qu'il est établi et au demeurant non sérieusement discuté que les clients de Monsieur X..., donc de CFG, ont transféré leurs contrats auprès de la société Act Patrimoine au cours de l'année 2006 et jusqu'au 30 juin 2010 ; que s'il n'est pas démontré que ce transfert résulte de la seule volonté de Monsieur X... il s'avère néanmoins que la société Act Patrimoine a rémunéré personnellement Monsieur X... en lui versant des commissions pour un montant global de 128.973 euros, montant qui n'est pas contesté ; qu'ainsi il est démontré qu'en contravention avec ses obligations contractuelles Monsieur X... a accepté la représentation de produits concurrençant directement ceux de la société CFG ;

¿ ;

Attendu qu'il n'en demeure pas moins que la société CFG a subi un préjudice en raison des agissements de Monsieur X... en cours d'exécution de son contrat d'agent commercial et qu'il résulte des documents comptables versés aux débats et plus particulièrement de ceux obtenus après autorisation judiciaire que le total des commissions que la société aurait dû percevoir s'élève à 174.662 euros ce qui représente une perte de marge brute estimée à 36.618 euros (page 37 de ses conclusions) ; que compte tenu des conséquences de l'attitude de Monsieur X... à l'égard de son mandant et de la perte de confiance qui en est résultée avec la clientèle, la cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer le préjudice de la société CFG à la somme de 50.000 euros et sans qu'il y ait lieu de recourir à une mesure d'expertise, le jugement déféré étant sur ce point infirmé » ;

ALORS en premier lieu QUE chaque client demeure libre de changer de conseil patrimonial et que le seul fait d'un tel changement ne saurait permettre d'engager la responsabilité de l'agent commercial ; que la cour d'appel, pour retenir la responsabilité de Monsieur X..., a fait sienne la démonstration de la société CFG consistant à prendre en considération l'intégralité des transferts de clientèle intervenus avant la rupture de son contrat, quand elle reconnaissait elle-même qu'il « n'est pas démontré que ce transfert résulte de la seule volonté de Monsieur X... » (arrêt, p. 7, § 2) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 134-1 du Code de commerce ;

ALORS en second lieu QUE tout jugement doit être motivé ; que pour fixer le montant du préjudice subit par la société CFG ¿ hors le manque à gagner lié aux transferts de clientèle estimé à 34.618 euros ¿, l'arrêt se borne a énoncer que « compte tenu des conséquences de l'attitude de Monsieur X... à l'égard de son mandant et de la perte de confiance qui en est résultée avec la clientèle, la cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer le préjudice de la société CFG à la somme de 50.000 euros et sans qu'il y ait lieu de recourir à une mesure d'expertise » (arrêt, p. 7, § 2) ; qu'en statuant ainsi, sans fournir aucune indication, ni quant aux modalités de ladite évaluation, ni quant aux éléments probatoires sur lesquels elle fonde une telle affirmation, la cour d'appel ne permet pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

ECLI:FR:CCASS:2015:CO00152
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