Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 février 2015, 13-26.414, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 13-26.414
- ECLI:FR:CCASS:2015:CO00126
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- Mme Mouillard
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon les arrêts attaqués (Bourges, 28 février et 12 septembre 2013), que, la société Seco Tools France ayant mis fin au contrat de distribution exclusive qui la liait à la société Dorise, celle-ci l'a assignée en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Seco Tools France fait grief à l'arrêt du 28 février 2013 de la déclarer responsable de la rupture brutale de la relation commerciale la liant à la société Dorise alors, selon le moyen, que le préavis devant assortir la rupture d'une relation commerciale établie n'impose pas le maintien de relations commerciales aux mêmes conditions que celles existant antérieurement, lesquelles peuvent être modifiées pour tenir compte d'éventuels manquements de l'autre partie à ses obligations ; que dans ses conclusions, la société Seco Tools France faisait valoir que le déclin de l'implication commerciale de la société Dorise et son désengagement de la charte de distribution Seco justifiait le retrait, pendant la durée du préavis, de l'exclusivité qui lui avait été jusque-là accordée ; qu'en jugeant qu' « en mettant fin prématurément à l'exclusivité territoriale dont bénéficiait la société Dorise, la société Seco Tools France a rompu de manière brutale et abusive sa relation commerciale avec cette société », sans rechercher, comme elle y était invitée, si le comportement de la société Dorise ne justifiait pas le retrait de son exclusivité par la société Seco Tools France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Mais attendu que, sauf circonstances particulières, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ; qu'après avoir constaté que la société Seco Tools France avait elle-même estimé que la société Dorise avait droit à un préavis, ce qui excluait l'existence de manquements graves de la part de celle-ci, l'arrêt retient que les fautes qui lui sont reprochées dans la commercialisation des produits fabriqués par son fournisseur, à les supposer établies, ne sauraient justifier la fin prématurée de l'exclusivité territoriale dont elle bénéficiait et que le délai de préavis de douze mois accordé par la lettre de rupture du 22 janvier 2009 a été privé de son intérêt par la décision concomitante de retrait de l'exclusivité territoriale avec effet immédiat pour l'un des départements et à effet différé au 22 juillet 2009 pour les autres, plaçant la société Dorise dans l'impossibilité de mettre à profit le préavis pour se réorganiser ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a pu estimer que la rupture avait été brutale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le deuxième moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur les troisième et quatrième moyens, réunis :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ;
Attendu qu'après avoir retenu que la rupture avait été brutale, l'arrêt du 12 septembre 2013 alloue à la société Dorise une somme de 1 350 euros pour des frais de modification de la « base éditoriale » et une autre de 12 000 euros pour des frais de déplacement et de formation de salariés occasionnés par la recherche de nouveaux fournisseurs ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'insuffisance de préavis avait été de nature à engendrer ces préjudices, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 28 février 2013 ;
Et sur le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 12 septembre 2013 :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Seco Tools France à payer à la société Dorise les sommes de 1 350 euros et 12 000 euros en réparation de ses préjudices au titre de la modification de la « base éditoriale » et des frais de déplacement et de formation, l'arrêt rendu le 12 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Seco Tools France
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif du 28 février 2013 attaqué d'AVOIR déclaré la société Seco Tools France responsable de la rupture brutale et injustifiée de la relation commerciale la liant à la société Dorise ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L.442-6 I 5° du code de commerce : « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : ... 5°) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale du préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure » ; que ce texte n'a pas pour objet de sanctionner la rupture des relations commerciales, laquelle demeure toujours possible quels qu'en soient les motifs, mais seulement d'indemniser une rupture décidée unilatéralement sans respecter un délai de préavis en rapport avec l'importance et l'ancienneté des relations antérieures ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces mises aux débats que pendant plus de 30 ans, la société Somac puis prenant sa suite la société Dorise ont eu des relations commerciales établies, continues et importantes avec la société Seco Tools France, comportant une exclusivité territoriale de distribution des matériels coupants Seco Tools France sur les départements 72, 53, 49, 44 et nord Vendée 85 ; que ces relations étaient particulièrement étroites, la société Seco Tools France allant jusqu'à dispenser régulièrement des actions de formations techniques et commerciales pour le personnel de la société Somac puis de la société Dorise, la dernière en date ayant été assurée du 07 au 09 octobre 2008, soit peu de temps avant la décision de rupture des relations commerciales ; que si, comme justement considéré par le premier juge, les douze mois de prévenance accordés par la société Seco Tools France aux termes de sa lettre du 22 janvier 2009 sont suffisants au regard de la nature et la durée de cette relation, force est de constater que ce délai de préavis a été profondément purgé de son intérêt par les décisions, notifiées par même courrier, de retrait de l'exclusivité territoriale de distribution dès le 22 juillet 2009 5 pour 4 des 5 départements (72, 53, 44 et 85) et à effet immédiat pour le département 49 ; qu'il en est notamment résulté que très rapidement, (à compter des 23 juillet et 27 août 2009), les clients de la société Dorise sur les territoires susvisés ont été démarchés par courriers d'entreprises concurrentes (agence Guilman-Aubert pour le 44, agence Tampleu¬Spriet pour le 72, agence Bellion-Tampleu-Cappe pour le 53 et agence Garbay-Lancier pour le 49), se présentant comme les nouveaux distributeurs officiels de Seco Tools France sur les zones considérées, sans bénéfice du délai d'un an qui aurait été suffisant pour permettre à la société Dorise de se réorganiser ; que pour justifier ce retrait d'exclusivité par anticipation, la société Seco Tools France impute à la société Dorise des fautes de commercialisation, à savoir principalement : une stratégie commerciale inadaptée, un abandon du département 37, une diminution du personnel mis à disposition, une fermeture de l'agence du département 49, un projet de fermeture de l'agence du département 44, une dégradation de la qualité de la prestation ; que cependant, outre que la quasi totalité des écrits produits par la société Seco Tools France au soutien de ses allégations sont rédigés postérieurement à la notification de la rupture ce qui affaiblit à l'évidence leur crédibilité et que les courriers rédigés antérieurement (soit les courriers des 23 mars 2005, 28 janvier 2007, 28 novembre 2008 et 18 décembre 2008) n'ont valeur que de simples mises au point insuffisants à justifier d'une impossibilité de continuer normalement les relations jusqu'au terme fixé par le préavis, force est de constater que la société Seco Tools France a elle-même estimé que la société Dorise avait droit à un préavis, ce qui exclut l'existence de manquements graves, lesquels auraient été sanctionnés par une résiliation sans préavis ; qu'il y a donc lieu de considérer qu'en mettant fin prématurément à l'exclusivité territoriale dont bénéficiait la société Dorise, la société Seco Tools France a rompu de manière brutale et abusive sa relation commerciale avec cette société ;
ALORS QUE le préavis devant assortir la rupture d'une relation commerciale établie n'impose pas le maintien de relations commerciales aux mêmes conditions que celles existant antérieurement, lesquelles peuvent être modifiées pour tenir compte d'éventuels manquements de l'autre partie à ses obligations ; que dans ses conclusions, la société Seco Tools France faisait valoir que le déclin de l'implication commerciale de la société Dorise et son désengagement de la charte de distribution Seco justifiait le retrait, pendant la durée du préavis, de l'exclusivité qui lui avait été jusque-là accordée ; qu'en jugeant qu' « en mettant fin prématurément à l'exclusivité territoriale dont bénéficiait la société Dorise, la société Seco Tools France a rompu de manière brutale et abusive sa relation commerciale avec cette société », sans rechercher, comme elle y était invitée, si le comportement de la société Dorise ne justifiait pas le retrait de son exclusivité par la société Seco Tools France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt du 12 septembre 2013 attaqué d'AVOIR condamné la SAS Seco Tools France à payer à la SAS Dorise la somme de 200.000 euros au titre de la perte de marge ;
AUX MOTIFS QUE le préjudice du distributeur subi à raison de l'insuffisance du préavis occasionnant une perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires peut être évalué en prenant en considération la marge brute escomptée durant cette période ; que le 22 janvier 2009 la société intimée a notifié son intention de mettre fin à ses relations contractuelles avec la S.A.S. Dorise mais la première a retiré à cette dernière l'exclusivité de la distribution de ses produits dès le 22 janvier 2009 sur le département du Maine et Loire (49) puis dès le 22 juillet 2009 pour les départements de Loire Atlantique (44) ,de la Mayenne (53) ,de la Sarthe (72) et du nord de la Vendée (85), étant précisé que cette exclusivité avait été conférée pour les départements 37, 44, 49, 53, 72 et nord 85 et que le département d'Indre et Loire (37) n'était plus démarché par la société appelante, ce qui a vidé le préavis accordé de tout effet à compter du 22 juillet 2009 ; qu'en conséquence le délai de prévenance de douze mois retenu par la Cour dans son précédent arrêt du 28 février 2013 doit courir à compter du 22 juillet 2009, l'indemnisation des six premiers mois de 2009 lors desquels l'exclusivité a été partiellement limitée sera faite par ailleurs ; qu'il ressort des éléments produits que le chiffre d'affaires réalisé en 2008 par la SAS Dorise avec la SAS Seco Tool France est de 1.785.000 euros, soit avec un taux de marge de 22,66 %, un montant de 433.810 euros ; qu'en 2009 le chiffre d'affaires de la société appelante avec son ancien cocontractant s'est élevé à 1.054.397 euros, soit avec une nouvelle marge voisine (22,14 %), un montant de 233.443 euros ; que la rupture des relations contractuelles a occasionné une perte de chance de réaliser cette même marge sur le chiffre d'affaires pour les mois suivants cette rupture, étant précisé qu'il n'est pas discuté que l'activité économique a été moindre à partir de 2009 dans ce domaine, si bien que pour les six premiers mois de l'année 2009, où l'exclusivité a été en grande partie maintenue, le préjudice de la SAS Dorise doit être évalué à la somme de 10.000 euros et que celui relatif à la durée du préavis retenue par la Cour mais non effectif en raison de la suppression totale de l'exclusivité à celle de 190.000 euros ;
ALORS QU'en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le délai de prévenance commence à courir du jour où l'auteur de la rupture a manifesté son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures ; qu'en retenant, pour évaluer le préjudice subi par la société Dorise, que « le délai de prévenance de douze mois retenus par la Cour dans son précédent arrêt du 28 février 2013 doit courir à compter du 22 juillet 2009 », tout en constatant que « le 22 janvier 2009 la société intimée Seco Tool France a notifié son intention de mettre fin à ses relations contractuelles avec la SAS Dorise », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire au premier moyen)
Il est fait grief à l'arrêt du 12 septembre 2013 attaqué d'AVOIR condamné la SAS Seco Tools France à payer à la SAS Dorise la somme de 1.350 euros pour la modification de la base éditoriale ;
AUX MOTIFS QUE la modification de la base éditoriale pour réaliser des catalogues a dû être réalisée aux frais de la SAS Dorise par la SARL Hastone pour le prix de 1350 euros hors-taxes ;
ALORS QUE seuls sont indemnisables, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ; qu'en condamnant la société Seco Tools France à indemniser la société Dorise au titre de la modification de la base éditoriale, préjudice qui était la conséquence de la rupture de la relation et non de sa brutalité, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
QUATRE MOYEN DE CASSATION (subsidiaire au premier moyen)
Il est fait grief à l'arrêt du 12 septembre 2013 attaqué d'AVOIR condamné la SAS Seco Tools France à payer à la SAS Dorise la somme de 12.000 euros pour les frais de déplacement et de formation ;
AUX MOTIFS QUE la recherche de nouveaux fournisseurs a nécessairement occasionné des frais (déplacements de salariés et formation de ceux-ci aux produits des nouveaux fournisseurs) à la société appelante, dont la Cour fixe l'indemnisation à la somme de 12.000 euros ;
ALORS QUE seuls sont indemnisables, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ; qu'en condamnant la société Seco Tools France à indemniser la société Dorise au titre des frais de déplacement et de formation occasionnés par la recherche de nouveaux fournisseurs, préjudices qui étaient la conséquence de la rupture de la relation et non de sa brutalité, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.