Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 décembre 2014, 13-16.701, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 30 juin 1977 par la société Fayolle, aux droits de laquelle se trouve la société Arsa, M. X... a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail en invoquant divers manquements de l'employeur ; que le médecin du travail a, le 14 janvier 2008, déclaré le salarié inapte à tout poste ; qu'il a été licencié le 16 avril 2008 pour inaptitude ;

Sur le troisième moyen, lequel est préalable :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que sous le couvert d'un grief non fondé de violation des articles 1134 et 1184 du code civil, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation par la cour d'appel des éléments de fait dont elle a pu déduire l'absence de manquements suffisamment graves de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 1226-2 du code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes relatives au licenciement, l'arrêt retient que l'employeur a, lorsque celui-là a repris le travail le 21 août 2007, aménagé son poste afin de tenir compte du mi-temps thérapeutique préconisé par le médecin du travail, que la société intimée, qui ne fait pas partie d'un groupe, est une petite entité économique n'employant que quelques salariés et qu'aucun reclassement n'était possible dès lors que le médecin du travail a, le 14 janvier 2008, déclaré M. X... inapte à tout poste dans l'entreprise ;

Qu'en statuant ainsi, par référence inopérante à la situation antérieure à l'avis et alors que l'avis d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise délivré par le médecin du travail ne dispense pas l'employeur, quelle que soit la position prise alors par le salarié, de rechercher les possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. X... de ses demandes relatives au licenciement et aux conséquences pécuniaires de ce licenciement, l'arrêt rendu le 28 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne la société Arsa aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Arsa et condamne celle-ci à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté M. X... de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et de ses demandes indemnitaires subséquentes ;

AUX MOTIFS QU'à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, M. X... fait aussi valoir : le défaut de reprise du paiement du salaire par l'employeur à l'issue du délai d'un mois suivant l'avis d'inaptitude et le non-paiement de la majoration due pour les heures supplémentaires effectuées entre la trente-cinquième et la trente-neuvième heures hebdomadaires de travail ; que sur ces deux points, la société reconnaît la matérialité des faits en expliquant qu'ils procèdent d'erreurs d'appréciation ou de traitement ; que s'agissant de la reprise du paiement du salaire après la délivrance de l'avis d'inaptitude par le médecin du travail, elle est intervenue avec quinze jours de retard seulement, sur simple réclamation du salarié ; qu'en ce qui concerne le défaut de paiement de la majoration de salaire due pour les heures supplémentaires, que la société appelante fait justement remarquer que l'intimé n'a jamais formulé la moindre demande à cet égard avant de saisir le Conseil de prud'hommes ; que la société admet devoir à ce titre à M. X... la somme de 4. 507 € outre les congés payés y afférents au titre des cinq années précédant la saisine de la juridiction du premier degré, ce qui ne représente qu'une somme minime pour chacune des années considérées ; que si ces manquements sont assurément fautifs, ils ne sont pas, contrairement à ce qu'a estimé le Conseil de prud'hommes, d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur ;

ALORS QUE le fait pour l'employeur de ne pas payer les salaires dus au salarié constitue un manquement grave à ses obligations ; qu'il en est notamment ainsi lorsqu'il ne lui paie pas des heures supplémentaires sur plusieurs années et qu'il le laisse sans salaire pendant deux mois et demi malgré son obligation de reprise du paiement des salaires après la constatation de son inaptitude dans un délai maximum d'un mois ; que l'absence d'une demande préalable en paiement de ses heures supplémentaires de la part du salarié ne lui interdit pas d'invoquer ces manquements à l'appui de sa demande de résiliation quand bien même ceux-ci proviendraient d'une méconnaissance par l'employeur des textes de loi ; qu'en décidant au contraire que les manquements n'étaient pas suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, la Cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR jugé que le licenciement de M. X... avait une cause réelle et sérieuse et de l'avoir en conséquence débouté de ses demandes subséquentes ;

AUX MOTIFS QUE l'entreprise d'imprimerie exploitée par la société intimée est une petite entité économique n'employant que quelques salariés ; qu'elle ne fait pas partie d'un groupe ; qu'aucun reclassement n'était possible dès lors que le médecin du travail a déclaré Gérard X... inapte à tout poste dans l'entreprise ; que le licenciement pour inaptitude était donc justifié ;

ALORS QUE l'avis du médecin du travail ne dispense pas l'employeur, qui seul connaît les possibilités d'aménagements des postes de son entreprise, de rechercher un reclassement pour le salarié déclaré inapte à tout poste de travail dans l'entreprise ; qu'en décidant que l'avis d'inaptitude prononcé par le médecin du travail établissait l'impossibilité de reclassement dans l'entreprise, quand celui-ci pouvait être mis en oeuvre par mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, dont la possibilité était seule connue de l'employeur, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1226-2 et L. 4624-1 du Code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté monsieur X... de ses demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, notamment en raison du harcèlement moral dont il a été victime ;

AUX MOTIFS, entièrement approuvés, des premiers juges QU'au titre des manquements imputés à l'employeur monsieur Gérard X... fait état d'agissements répétés de harcèlement moral et en particulier des pressions et brimades, une mise en placard, un retrait de ses attributions de chef d'atelier et une sanction injustifiée. A l'issue d'un arrêt de travail pour maladie du 21 mars au 15 juillet 2007, monsieur Gérard X... avait été déclaré « apte à la reprise du travail au poste de chef d'atelier avec éviction des efforts de manutention supérieure à 10 kg dans le cadre d'un travail à mi-temps thérapeutique à l'issue de ses congés » (avis du 16 juillet sa pièce 5) ; Compte tenu de congés payés du 16 juillet au vendredi 3 août, puis d'un nouvel arrêt maladie du lundi 6 août au 20 août, le salarié a travaillé effectivement à mi-temps thérapeutique du 21 août au 29 octobre 2007, date à laquelle il a été déclaré « inapte temporaire » bénéficiant d'un nouvel arrêt de travail qui s'est poursuivi jusqu'au 13 janvier 2008. Le salarié a ensuite fait l'objet le 14 janvier 2008 d'un avis d'inaptitude au terme d'une seule visite du médecin du travail visant le « danger immédiat ». Il ressort des correspondances échangées entre les parties que l'absence maladie initiale du salarié avait été « programmée » et madame Y..., comptable, avait été amenée à prendre en charge l'organisation du travail dans l'atelier (lettre du 11 décembre de la société : pièce 21 du salarié, courrier du 12 janvier 2008 du salarié, sa pièce 24, et attestation de madame Y..., pièce 38 de la société). Il n'est pas contesté que dans le cadre du mi-temps, monsieur Gérard X... travaillait du lundi au jeudi de 14 heures à 18 heures, et le vendredi de 13 heures à 17 heures (pièces 21 et 24 du salarié). Les fonctions de chef d'atelier comportent des tâches « administratives » avec les relations clients, devis, établissement des plannings de travail, gestion des commandes mais aussi des tâches de production : coupe au massicot, pliage, assemblage, encartage, rainage, réglage et chargements des machines (attestations de mesdames Z... et A... : pièce s 6 et 10 du salarié), et enfin du fait du statut de cadre de ce poste, l'encadrement et le contrôle des salariés chargés de la production au sein de l'atelier. Dans la mesure où la production s'organise chaque jour le fait que le salarié, absent le matin, ne soit plus amené à établir des plannings ou gérer des commandes se comprend parfaitement, car on ne pourrait lui imposer de faire en une demi-journée la charge de travail prévue sur la journée. Le salarié n'allègue pas et a fortiori ne justifie pas avoir été privé de ses fonctions d'encadrement des agents de production et, dans le cadre de la fonction de production qui était déjà la sienne, monsieur Gérard X... ne démontre pas la violation des restrictions posées par le médecin du travail, à savoir le port de charges de plus de 10 kg étant rappelé que le médecin du travail n'a jamais proscrit des gestes répétés de manutention de charges de moins de 10 kilogrammes. Dès lors, le salarié ne peut faire état d'une « mise au placard » ou d'un « retrait de ses tâches », ni même d'une rétrogradation puisque c'est pour tenir compte du mi-temps thérapeutique qu'une nouvelle organisation respectant l'avis d'aptitude a été mise en place. Monsieur Gérard X... explique avoir fait l'objet d'une sanction « injustifiée » s'agissant de la « mise en garde professionnelle » qui lui a été notifiée le 9 octobre 2007 (sa pièce 12). La société ARSA fait état d'un « manque de vigilance dans l'exécution du travail et de la non vérification des procédures de contrôle de la chaîne de production dans la production du dossier SVI-PUBLICEP le 2 octobre 2007 ainsi que pour des brochures à rainer pour le client ART PUB ». D'une part, ce courrier ne constitue pas une sanction mais une simple mise en garde, d'autre part il appartenait bien à monsieur Gérard X..., chef d'atelier, de s'assurer de la qualité de la production. Or le salarié a reconnu dans son courrier du 7 novembre 2007 (sa pièce 14) la matérialité des griefs et de ce fait le reproche de « manque de vigilance » apparaît fondé et justifié. S'agissant de la « dégradation du climat social » aucun fait prévis n'est rapporté et les commentaires du médecin du travail apparaissent subjectifs et empreints d'un a priori en faveur du salarié, notamment dans la mesure où le 16 juillet 2007, et alors même que monsieur Gérard X... est absent de l'entreprise depuis le 21 mars, le docteur B... écrit au médecin traitant du salarié que « les conditions de reprise sont délicates : l'employeur envisagerait un changement de poste avec une charge physique incompatible, avec une réorganisation en cours dans l'entreprise ». Par la suite, lorsque monsieur Gérard X... écrira le 8 octobre 2007 au médecin du travail « d'après le personnel des sociétés Arsa et Fayolle plusieurs personnes seraient en dépression, dont une emmenée par les pompiers », (sa pièce 15), le docteur B... va se contenter de se faire l'écho des doléances du salarié en reprenant les déclarations de ce dernier (pièce 16 du jugement du Conseil de prud'hommes affaire Marques pièce 6, pièce 59 du salarié). Or le médecin du travail ne s'est jamais rendu sur place et les témoignages circonstanciés et concordants des collègues de travail de monsieur Gérard X... font apparaître un comportement d'opposition de l'intéressé (attestation de mesdames C..., D... et F..., pièces 36 et 39 de la société) et des propos racistes de ce dernier (attestations de monsieur E... et de Madame Y..., pièces 35 et 38 de la société). Monsieur Gérard X... évoque des pressions de l'employeur pour le faire revenir sur son lieu de travail les 6, 7 et 8 août 2007, alors qu'il était en arrêt maladie ; là encore, à l'exception des propres écrits du salarié, aucun élément objectif ne vient étayer cette allégation et l'employeur s'est immédiatement inscrit en faux contre de telles déclarations (lettre du 11 décembre 2007, pièce 21 du salarié). En tout état de cause, il ressort de l'expertise médicale du 3 janvier 2008 communiquée par le salarié (sa pièce 53) que la dégradation de l'état de santé est en lien avec une lombosciatalgie diagnostiquée en 1990, et ce n'est que le 23 novembre 2006 - alors que le salarié est en arrêt de travail depuis le 29 octobre 2007 - qu'il est fait état pour la première fois d'« un traumatisme psychologique. En conséquence, monsieur Gérard X... n'établit pas de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral et ce grief sera écarté.

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE le Conseil de prud'hommes a justement écarté ces griefs qui ne correspondent à aucune réalité démontrée, étant rappelé qu'en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la charge de la preuve pèse sur le salarié ;

1- ALORS QU'en matière de harcèlement moral, la charge de la preuve ne pèse pas uniquement sur le salarié, un tel harcèlement fût-il invoqué à l'appui d'une demande de résiliation judiciaire ; que la Cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;

2- ALORS QUE le harcèlement moral peut résulter de l'ensemble d'une série de faits qui, chacun pris séparément peut paraître justifié, mais dont l'accumulation constitue la manifestation par l'employeur de l'abus de son pouvoir hiérarchique ; qu'en s'abstenant de vérifier si la conjonction d'une part d'un empressement excessif de l'employeur à respecter les consignes du médecin du travail en confinant monsieur X... dans des tâches d'exécution très éloignées de ses fonctions de chef d'atelier et de ses responsabilités, ensuite d'un retard de paiement des salaires (heures supplémentaires, absence de reprise immédiate de paiement du salaire après le second avis d'inaptitude, refus de payer certaines primes), enfin d'une soudaine accumulation de reproches et de mise en garde à propos du travail effectué, concernant un salarié présent depuis plus de 30 ans dans l'entreprise sans avoir encouru le moindre grief, ne laissaient pas au moins présumer l'existence d'un harcèlement moral, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et 1152-1 du Code du travail ;

3- ALORS plus précisément QUE s'agissant du contenu des responsabilités afférentes au poste de monsieur X..., l'avis du médecin du travail préconisant une reprise à mi-temps thérapeutique avec éviction des efforts de manutention supérieure à 10 kilos n'entraînait aucune impossibilité pour monsieur X... de gérer les tâches administratives de l'atelier, notamment établir des plannings ou gérer des commandes ; qu'il résulte des propres constatations des juges du fond que ces responsabilités ont été complètement ôtées à monsieur X..., celui-ci ne conservant que la gestion de l'encadrement des agents de production ; qu'en énonçant que le salarié ne pouvait faire état d'une mise au placard ou d'un retrait de ses tâches, la Cour d'appel a statué par motifs contradictoires et violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

4- ALORS QU'elle a ce faisant également privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et 1152-1 du Code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO02303
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