Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 novembre 2014, 13-17.729, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 mars 2013), que M. X... a été engagé, à compter du 2 janvier 1990, en qualité d'aide conducteur par la société Les Travaux du midi aux droits de laquelle se trouve la société Chaillan ; qu'à la suite d'un incident avec son supérieur hiérarchique survenu le 30 septembre 2009, M. X... a été placé en arrêt de travail pour cause de maladie du 13 octobre au 15 décembre 2009 ; que le 3 juin 2010, ce dernier a mis fin à son contrat de travail ; qu'il a saisi, le 23 juillet 2010, la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification de cette rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de la rupture et en indemnisation du préjudice subi du fait du harcèlement moral

Sur le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur, qui est préalable :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat et une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors, selon le moyen :

1°/ que ne saurait être condamné à des dommages-intérêts pour harcèlement moral l'employeur qui prend les mesures nécessaires pour y mettre un terme, dès qu'il en a connaissance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'employeur avait remédié à la situation de harcèlement dès qu'il en avait été informé ; qu'en condamnant néanmoins l'employeur à des dommages et intérêts, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 4121-1 du code du travail ;

2°/ qu'en cas de harcèlement moral imputable à l'employeur, celui-ci manque à son obligation de sécurité de résultat ; qu'il en résulte le cas échéant une seule et même faute, les faits de harcèlement induisant un manquement à l'obligation précitée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu un harcèlement moral de la part du supérieur hiérarchique du salarié et a alloué à ce dernier 12 000 euros de dommages-intérêts à ce titre ; qu'en octroyant encore 8 000 euros de dommages-intérêts au salarié au titre du manquement à l'obligation de sécurité résultant des mêmes faits de harcèlement commis, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil ;

3°) qu'un même préjudice ne peut être réparé deux fois ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a octroyé au salarié 12 000 euros de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral subi par le salarié au vu des certificats médicaux produits et de la durée de la situation de harcèlement ; qu'en lui accordant, en outre, 8 000 euros de dommages-intérêts au titre du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité résultant des mêmes faits de harcèlement commis, au vu des certificats médicaux et de la durée des faits de harcèlement, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice, en violation des articles 1147 et 1149 du code civil ;

Mais attendu que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ;

Et attendu que la cour d'appel a alloué des sommes distinctes correspondant au préjudice résultant d'une part de l'absence de prévention par l'employeur des faits de harcèlement et d'autre part des conséquences du harcèlement effectivement subi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la rupture de son contrat de travail résulte de sa démission et de le débouter de toutes ses demandes au titre de ladite rupture, alors, selon le moyen, que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission ; que des faits de harcèlement commis à une période antérieure à la rupture du contrat et ayant engagé la responsabilité de l'employeur en raison du manquement à son obligation de sécurité sont nécessairement de nature à rendre équivoque la démission du salarié et justifient que la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant en l'espèce que la démission du salarié n'est pas équivoque, pour le débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail, quand il ressortait pourtant de ses propres constatations que celui-ci avait subi un harcèlement moral ayant engagé la responsabilité de l'employeur, peu important que ce dernier y ait rapidement mis fin et que les faits de harcèlement soient intervenus six mois avant la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant rappelé les termes de la lettre de démission, qui ne comportait aucune réserve, et constaté, d'une part, que les faits de harcèlement s'étaient produits plus de six mois avant la rupture, d'autre part, que l'employeur y avait rapidement mis fin, la cour d'appel a pu décider que la démission du salarié n'était pas équivoque ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille quatorze.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. X..., demandeur au pourvoi principal

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que la rupture du contrat de travail de M. X... résulte de sa démission et d'avoir en conséquence débouté celui-ci de toutes ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;

Aux motifs que « Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.

Les faits de harcèlement s'étant produits plus de 6 mois avant la rupture du contrat, alors que l'employeur y a rapidement mis fin, il n'est pas possible de considérer qu'ils rendent la démission équivoque.

Par ailleurs, après sa mutation consécutive aux faits de harcèlement qu'il a subi, le salarié n'a reproché à son employeur aucun manquement grave à ses obligations.

Contrairement à ce qu'il soutient, Patrick X... n'établit aucune rétrogradation consécutive à sa mutation, qu'il a acceptée, caractérisée par la perte d'une partie de ses responsabilités, étant relevé, en outre, qu'il n'a émis aucune doléance sur ce point au cours de la relation de travail.

Ni la mise en congé de Patrick X... durant son préavis, ni la lettre de son conseil du 15 juillet 2010 adressée à son employeur, ne caractérisent de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, de nature à rendre celle-ci équivoque.

De même, la saisine du Conseil de prud'hommes, plus d'un mois après la démission, ne peut valoir rétractation de celle-ci.

En conséquence, comme l'ont décidé les premiers juges, il doit être jugé que Patrick X... a exprimé sa volonté claire et non équivoque de démissionner, pour des raisons qui lui appartiennent.

Il sera donc débouté de l'ensemble de ses prétentions, afférentes à la prise d'acte. » ;

Alors que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission ; que des faits de harcèlement commis à une période antérieure à la rupture du contrat et ayant engagé la responsabilité de l'employeur en raison du manquement à son obligation de sécurité sont nécessairement de nature à rendre équivoque la démission du salarié et justifient que la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant en l'espèce que la démission du salarié n'est pas équivoque, pour le débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail, quand il ressortait pourtant de ses propres constatations que celui-ci avait subi un harcèlement moral ayant engagé la responsabilité de l'employeur, peu important que ce dernier y ait rapidement mis fin et que les faits de harcèlement soient intervenus six mois avant la rupture du contrat de travail, la Cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail.


Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Chaillan, demanderesse au pourvoi incident

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement entrepris et d'AVOIR condamné la société CHAILLAN à payer à M. X... 8 000 euros de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat, et 12 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Sur le harcèlement moral. Il ressort de l'article L. 1152 ¿ 1 du code du travail qu'un salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Patrick X... établit, par les notes qui lui ont été adressées par son supérieur hiérarchique Michel Y..., par les attestations précises concordantes A..., Z..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., par la plainte de Georges Z... et son audition par la gendarmerie de CADENET, par les certificats médicaux notamment des docteurs H... et I... qu'il produit, qu'un conflit l'a opposé à Michel Y..., qu'au cours de la relation de travail ce dernier s'est adressé à lui à plusieurs reprises de manière agressive, que ce conflit a culminé lors d'une réunion de chantier du 30 septembre 2009, qu'au cours de cette réunion Michel Y... est entré dans une fureur incontrôlable donnant un coup de pied dans une chaise et traitant Patrick X... de « mongolien et de connard », ce en présence d'autres salariés, que cette attitude et cet incident ont eu des répercussions sur son état de santé, alors que l'employeur reconnaît dans ses écrits, avoir organisé une réunion dite « d'apaisement » au cours de laquelle Michel Y... a présenté ses excuses, avoir mis en place une cellule visant à prévenir les risques psychosociaux et avoir procédé à la mutation du salarié, afin de lui éviter tout contact avec Michel Y..., ce qui constitue un véritable aveu des difficultés dénoncées par le salarié. Il est donc ainsi suffisamment établi des faits précis et répétés, laissant supposer un harcèlement moral, que l'employeur ne justifie par aucun fait objectif étranger à tout harcèlement, l'incompétence de Patrick X... telle qu'alléguée, ne pouvant justifier un tel comportement, excédant largement les prérogatives d'un supérieur hiérarchique. Eu égard au préjudice subi par Patrick X... tel qu'il résulte des documents médicaux fournis et à la durée de la situation de harcèlement, à laquelle l'employeur a rapidement remédié dès qu'il en a été informé, il lui sera alloué la somme de 12 000 € de dommages intérêts. Sur le manquement à l'obligation de sécurité résultats. L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, et manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur son lieu de travail d'agissements de harcèlement moral exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ses agissements. Au vu de ce qui précède, il est patent que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité, quand bien même il a pris des mesures rapidement et organisé l'éloignement de Patrick X..., pour le soustraire au harcèlement moral. De ce chef, au vu des certificats médicaux produits, il sera alloué à Patrick X... la somme de 8000 €. »

1. ALORS QUE ne saurait être condamné à des dommages et intérêts pour harcèlement moral l'employeur qui prend les mesures nécessaires pour y mettre un terme, dès qu'il en a connaissance ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a relevé que l'employeur avait remédié à la situation de harcèlement dès qu'il en avait été informé ; qu'en condamnation néanmoins l'employeur à des dommages et intérêts, la Cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 4121-1 du Code du travail ;

2. ALORS QU'en cas de harcèlement moral imputable à l'employeur, celui-ci manque à son obligation de sécurité de résultat ; qu'il en résulte le cas échéant une seule et même faute, les faits de harcèlement induisant un manquement à l'obligation précitée ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a retenu un harcèlement moral de la part du supérieur hiérarchique du salarié et a alloué à ce dernier 12 000 € de dommages intérêts à ce titre ; qu'en octroyant encore 8 000 € de dommages intérêts au salarié au titre du manquement à l'obligation de sécurité résultant des mêmes faits de harcèlement commis, la Cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil.

3. ALORS QU'un même préjudice ne peut être réparé deux fois ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a octroyé au salarié 12 000 € de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral subi par le salarié au vu des certificats médicaux produits et de la durée de la situation de harcèlement ; qu'en lui accordant, en outre, 8 000 ¿ de dommages et intérêts au titre du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité résultant des mêmes faits de harcèlement commis, au vu des certificats médicaux et de la durée des faits de harcèlement, la Cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice, en violation des articles 1147 et 1149 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO02049
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