Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 novembre 2014, 13-87.353, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Philippe X...,
- Mme Michèle Y...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 24 octobre 2013, qui, infirmant, sur les seuls appels des parties civiles, l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, les a renvoyés devant le tribunal correctionnel sous les préventions, le premier, d'abus de confiance aggravé, la seconde de recel ;


La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 octobre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Bayet, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller BAYET, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SASSOUST ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires et les observations complémentaires produits ;

Vu l'article 574 du code de procédure pénale ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour M. Philippe X..., pris de la violation des articles 121-3, 314-1, 314-2 2° et 31 4-10 du code pénal, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit qu'il existe des charges suffisantes contre M. X... d'avoir commis, sur le territoire national et depuis temps non prescrit, le délit d'abus de confiance aggravé au préjudice des époux Z... et de Mme Marie-Claude A..., épouse B...;

" aux motifs que les appelants ont remis au couple X...-Y...des fonds destinés à être placés, peu important que ce soit en France ou à l'étranger, et peu important au regard des faits en cause que ces placements aient eu ou non pour finalité de se soustraire à des obligations fiscales ; que M. X... a reconnu avoir servi d'intermédiaire auprès de M. C...; que les déclarations des protagonistes tendent à montrer que Mme Y..., qui a d'ailleurs fini par l'admettre au moins partiellement, n'a pu ignorer qu'une partie des fonds, et notamment ceux des époux Z... et de Mme A..., a transité par son compte bancaire sur lequel ni M. C...ni M. X... ni personne d'autre n'avait procuration de sorte que c'est nécessairement elle qui a endossé les chèques et qui a donné ensuite les ordres de virement sur d'autres comptes ; que, si les conventions de placement n'ont pas été établies de manière orthodoxe, certains écrits, et en particulier des reconnaissances de dette, permettent d'en retenir l'existence, ce qui n'est d'ailleurs pas fondamentalement contesté ; que les remises de fonds litigieuses semblent donc avoir été faites à titre précaire auprès de M. X... et/ ou de Mme D...qui ne pouvaient disposer des fonds et qui étaient tenus d'en faire un usage déterminé, à savoir de les placer sur le marché boursier pour les faire fructifier et, à défaut, de les restituer ou de les représenter en capital augmenté, le cas échéant, des dividendes ou intérêts annoncés ; qu'il apparaît que les fonds, quand ils n'ont pas servi à rembourser un système de cavalerie des « clients » mécontents, ont finalement été en très grande partie dilapidés, soit par le couple X.../ D..., soit par M. C...et son entourage ; qu'en permettant que des sommes détournées de leur finalité annoncée transitent sur son compte et en bénéficiant par sa communauté de vie avec M. X... des fonds récoltés au titre des commissions perçues, Mme D...paraît avoir sciemment recelé des fonds provenant des abus de confiance reprochés à son compagnon ; que l'opacité même du circuit par lequel des sommes importantes transitaient, passant, de manière très informelle et sans précaution particulière, de compte de particulier à compte de particulier dans un contexte amical ou familial, est significative du manque de sérieux et du caractère possiblement frauduleux des opérations auxquelles ont participé M. X... et Mme D...; que, dans le cas contraire, les sommes remises auraient plus vraisemblablement été déposées directement et avec une traçabilité certaine sur des comptes ad hoc ouvertes auprès de professionnels déclarés ou d'institutions de la banque et de la finance ; que M. X... a reconnu que les fonds versés à lui ou à sa compagne devaient être dispatchés selon les instructions de M. E...vers certains comptes de particuliers qu'il ne connaissait pas, ce qui confirme le peu de sérieux et de rigueur des opérations auxquelles il apparaît avoir activement prêté son concours ; qu'il ne peut être valablement soutenu que M. X... n'avait pas d'intérêt dans ces opérations puisqu'il a lui-même admis qu'il percevait une commission de 10 % sur les placements fructueux, ce qui lui procurait annuellement environ 40 000 euros ; que le fait qu'il ait agi à visage découvert et directement au contact des investisseurs n'est pas de nature à l'exonérer ipso facto de toute responsabilité pas plus que le fait de s'être fait berner par M. C...comme il le prétend, étant toutefois relevé qu'il n'apparaît pas avoir déposé plainte contre lui à ce sujet ; que le fait que Mme F...n'ait pas été poursuivie alors qu'elle aurait agi de la même manière que Mme D...en mettant son compte à la disposition de son conjoint est indifférent, les situations individuelles ne devant pas être comparées du point de vue de l'examen des indices ou des charges, et n'est pas non plus de nature à exonérer cette dernière ; que le formatage de l'ordinateur de M. X... peu avant son interpellation laisse penser qu'il a voulu dissimuler des données intéressant la présente affaire et les courriers que Mme D...a échangés avec son entourage (et repris dans le mémoire déposé dans les intérêts des époux Z...) sont tout aussi évocateurs d'une intention frauduleuse ; que le fait d'avoir clôturé tardivement son compte ouvert à la Banque populaire de Nice n'est pas, contrairement à ce qu'elle soutient, particulièrement significatif de la bonne foi de Mme D...; qu'au contraire, il peut être interprété comme une volonté, alors que les récriminations commençaient à se faire nombreuses et virulentes, de se ménager par avance une preuve de sa bonne foi après avoir accepté pendant de longs mois de procéder à des dépôts et virements non justifiés de sommes importantes ; qu'il résulte de ces éléments non exhaustifs des charges suffisantes contre M. X... d'avoir commis le délit d'abus de confiance aggravé qui lui est reproché et contre Mme Y... d'avoir recelé des sommes provenant de ce délit ;

" 1°) alors qu'une chambre de l'instruction, qui constate l'existence de charges suffisantes contre un prévenu d'avoir commis une infraction doit constater l'existence de tous les éléments constitutifs de cette infraction ; qu'en jugeant, par les motifs visés ci-dessus, qu'il existe des charges suffisantes contre M. X... d'avoir commis le délit d'abus de confiance aggravé au préjudice des époux Z... et de Mme Marie-Claude A..., épouse B..., sans constater que M. X..., qui le contestait, avait connaissance de ce que M. E..., auquel il a remis les sommes d'argent confiées par les époux Z... et Mme A...pour effectuer des placements financiers, détournait ces montants de cette affectation, la chambre de l'instruction n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3 et 314-1 du code pénal ;

" 2°) alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier sa décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; qu'en jugeant qu'il existe des charges suffisantes contre M. X... d'avoir commis le délit d'abus de confiance aggravé sans répondre à ses conclusions selon lesquelles il ignorait que M. E..., auquel il remettait, comme intermédiaire financier, les fonds de ses clients afin de les placer sur les marchés financiers, détournait les fonds remis, la chambre de l'instruction n'a justifié légalement sa décision " ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Mme Michèle Y..., pris de la violation des articles 121-3, 314-1, 314-2 2°, 314-10, 321-1, 321-3, 321-4, 321-5, 321-9 et 321-10 du code pénal et des articles 459, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit qu'il existe des charges suffisantes contre Mme Michèle Y..., épouse D..., d'avoir, sur le territoire national et depuis temps non prescrit, sciemment recelé au préjudice des époux Z... et de Mme Marie-Claude A..., épouse B..., des fonds provenant des abus de confiance aggravés reprochés à M. X... ;

" aux motifs que les appelants ont remis au couple X...-Y...des fonds destinés à être placés, peu important que ce soit en France ou à l'étranger, et peu important au regard des faits en cause que ces placements aient eu ou non pour finalité de se soustraire à des obligations fiscales ; que M. X... a reconnu avoir servi d'intermédiaire auprès de M. C...; que les déclarations des protagonistes tendent à montrer que Mme Y..., qui a d'ailleurs fini par l'admettre au moins partiellement, n'a pu ignorer qu'une partie des fonds, et notamment ceux des époux Z... et de Mme A..., a transité par son compte bancaire sur lequel ni M. C...ni M. X... ni personne d'autre n'avait procuration de sorte que c'est nécessairement elle qui a endossé les chèques et qui a donné ensuite les ordres de virement sur d'autres comptes ; que, si les conventions de placement n'ont pas été établies de manière orthodoxe, certains écrits, et en particulier des reconnaissances de dette, permettent d'en retenir l'existence, ce qui n'est d'ailleurs pas fondamentalement contesté ; que les remises de fonds litigieuses semblent donc avoir été faites à titre précaire auprès de M. X... et/ ou de Mme D...qui ne pouvaient disposer des fonds et qui étaient tenus d'en faire un usage déterminé, à savoir de les placer sur le marché boursier pour les faire fructifier et, à défaut, de les restituer ou de les représenter en capital augmenté, le cas échéant, des dividendes ou intérêts annoncés ; qu'il apparaît que les fonds, quand ils n'ont pas servi à rembourser un système de cavalerie des « clients » mécontents, ont finalement été en très grande partie dilapidés, soit par le couple X.../ D..., soit par M. C...et son entourage ; qu'en permettant que des sommes détournées de leur finalité annoncée transitent sur son compte et en bénéficiant par sa communauté de vie avec M. X... des fonds récoltés au titre des commissions perçues, Mme D...paraît avoir sciemment recelé des fonds provenant des abus de confiance reprochés à son compagnon ; que l'opacité même du circuit par lequel des sommes importantes transitaient, passant, de manière très informelle et sans précaution particulière, de compte de particulier à compte de particulier dans un contexte amical ou familial, est significative du manque de sérieux et du caractère possiblement frauduleux des opérations auxquelles ont participé M. X... et Mme D...; que, dans le cas contraire, les sommes remises auraient plus vraisemblablement été déposées directement et avec une traçabilité certaine sur des comptes ad hoc ouvertes auprès de professionnels déclarés ou d'institutions de la banque et de la finance ; que M. X... a reconnu que les fonds versés à lui ou à sa compagne devaient être dispatchés selon les instructions de M. E...vers certains comptes de particuliers qu'il ne connaissait pas, ce qui confirme le peu de sérieux et de rigueur des opérations auxquelles il apparaît avoir activement prêté son concours ; qu'il ne peut être valablement soutenu que M. X... n'avait pas d'intérêt dans ces opérations puisqu'il a lui-même admis qu'il percevait une commission de 10 % sur les placements fructueux, ce qui lui procurait annuellement environ 40 000 euros ; que le fait qu'il ait agi à visage découvert et directement au contact des investisseurs n'est pas de nature à l'exonérer ipso facto de toute responsabilité pas plus que le fait de s'être fait berner par M. C...comme il le prétend, étant toutefois relevé qu'il n'apparaît pas avoir déposé plainte contre lui à ce sujet ; que le fait que Mme F...n'ait pas été poursuivie alors qu'elle aurait agi de la même manière que Mme D...en mettant son compte à la disposition de son conjoint est indifférent, les situations individuelles ne devant pas être comparées du point de vue de l'examen des indices ou des charges, et n'est pas non plus de nature à exonérer cette dernière ; que le formatage de l'ordinateur de M. X... peu avant son interpellation laisse penser qu'il a voulu dissimuler des données intéressant la présente affaire et les courriers que Mme D...a échangés avec son entourage (et repris dans le mémoire déposé dans les intérêts des époux Z...) sont tout aussi évocateurs d'une intention frauduleuse ; que le fait d'avoir clôturé tardivement son compte ouvert à la Banque populaire de Nice n'est pas, contrairement à ce qu'elle soutient, particulièrement significatif de la bonne foi de Mme D...; qu'au contraire, il peut être interprété comme une volonté, alors que les récriminations commençaient à se faire nombreuses et virulentes, de se ménager par avance une preuve de sa bonne foi après avoir accepté pendant de longs mois de procéder à des dépôts et virements non justifiés de sommes importantes ; qu'il résulte de ces éléments non exhaustifs des charges suffisantes contre M. X... d'avoir commis le délit d'abus de confiance aggravé qui lui est reproché et contre Mme Y... d'avoir recelé des sommes provenant de ce délit ;

" 1°) alors que le délit de recel implique que soit constatée l'infraction d'origine ; que la cassation à intervenir sur les moyens, du pourvoi introduit par M. X..., contestant la réunion des éléments constitutifs du délit d'abus de confiance aggravé imputé à M. X... entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de l'arrêt en ce qu'il a dit qu'il existait contre Mme Y... des charges suffisantes d'avoir commis un délit de recel d'abus de confiance aggravés ;

" 2°) alors que le recel suppose soit de dissimuler, de détenir ou de transmettre, ou soit de tirer profit, en connaissance de cause, d'une chose provenant d'un crime ou d'un délit ; qu'en retenant d'un côté que c'est « en permettant que des sommes détournées de leur finalité annoncée transitent sur son compte » que « Mme D...paraît avoir sciemment recelé des fonds provenant des abus de confiance reprochés à son compagnon », tout en relevant ¿ d'un autre côté que « Mme Y... (¿) n'a pas pu ignorer qu'une partie des fonds, et notamment ceux des époux Z... et de Mme A..., a transité par son compte bancaire sur lequel ni E...ni X... ni personne d'autre n'avait procuration de sorte que c'est nécessairement elle qui a endossé les chèques et qui a donné ensuite les ordres de virement sur d'autres comptes ; (¿) que les remises de fonds litigieuses semblent donc avoir été faites à titre précaire auprès de (¿) Mme D...qui ne pouv ait disposer des fonds et qui ét ait tenu e d'en faire un usage déterminé, à savoir de les placer sur le marché pour les faire fructifier et, à défaut, de les restituer ou de les représenter en capital augmenté, le cas échéant, des dividendes ou intérêts annoncés ; qu'il apparaît que les fonds, quand ils n'ont pas servi à rembourser par un système de cavalerie des « clients » mécontents, ont finalement été en très grande partie dilapidés, soit par le couple X.../ D..., soit par E...et son entourage » et donc que ce n'est qu'après avoir transité sur son compte bancaire que ces sommes ont été détournées de leur finalité, la chambre de l'instruction s'est contredite et n'a ainsi pas légalement justifié sa décision ;

" 3°) alors que constitue le recel le fait de bénéficier, en toute connaissance de cause, du produit d'un crime ou d'un délit ; qu'en se bornant à relever que Mme Y... a bénéficié « par sa communauté de vie avec M. X... des fonds récoltés au titre des commissions perçues » pour en déduire qu'elle « paraît avoir sciemment recelé des fonds provenant des abus de confiance reprochés à son compagnon », sans constater que Mme Y... avait conscience de ce que les commissions perçues par son concubin résultaient d'un détournement des fonds qui avaient été confiés à titre précaire à ce dernier, la chambre de l'instruction a privé de base légale sa décision au regard des articles 314-1 et 321-1 du code pénal " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les moyens se bornent à critiquer les énonciations de l'arrêt attaqué relatives aux charges que la chambre de l'instruction a retenues contre les prévenus et à la qualification qu'elle a donnée aux faits poursuivis ; que, ces énonciations ne présentant aucune disposition que le tribunal saisi de la poursuite n'aurait pas le pouvoir de modifier, les moyens sont irrecevables en application de l'article 574 susvisé ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf novembre deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

ECLI:FR:CCASS:2014:CR05855
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