Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 novembre 2014, 13-25.709 14-10.430, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Vu leur connexité, joint les pourvois n° B 14-10.430 et P 13-25.709 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 30 juin 2003, Mme X... est tombée dans une bouche d'égout, suite au basculement, sur son passage, d'une plaque posée sur un regard, propriété de la Société d'exploitation du réseau d'assainissement de la ville de Marseille (la société Seram), que, soignée à la clinique Vert Coteau (la clinique), elle a été victime d'une infection nosocomiale ; qu'elle a assigné en responsabilité la société Seram et son assureur, la société GAN eurocourtage aux droits de laquelle vient la société Allianz, qui ont appelé en garantie la clinique ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° P 13-25.709, relevée d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu l'article 613 du code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le délai de pourvoi en cassation ne court à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ;

Attendu que la clinique s'est pourvue en cassation le 31 octobre 2013 contre un arrêt rendu par défaut, susceptible d'opposition ;

D'où il suit que ce pourvoi n'est pas recevable ;

Sur le pourvoi n° B 14-10.430,

Sur le premier moyen :

Attendu que la clinique fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice subi par Mme X... au titre de ses pertes de gains professionnels futurs à la somme de 178 750 euros et son préjudice total à 259 460,93 euros, alors, selon le moyen, qu'elle avait souligné, dans ses conclusions d'appel, que l'expert judiciaire avait conclu que Mme X... était apte à reprendre son activité professionnelle antérieure dans les mêmes conditions, que Mme X... aurait pu se reconstituer une clientèle et qu'elle aurait parfaitement pu trouver une activité salariée alors qu'il est notoirement connu qu'il existe une pénurie d'infirmière dans les établissements de soins qu'ils soient publics ou bien privés ; qu'en allouant dès lors à Mme X... la somme de 178 750 euros au titre de sa perte de gains professionnels correspondant à la perte totale de ses revenus, sans répondre à ce moyen essentiel des conclusions des exposants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'interruption d'activité médicalement justifiée, pendant près d'un an, avait induit une perte de clientèle pour une infirmière libérale, d'autant que persistait une raideur du genou constituant une gêne pour monter et descendre des escaliers, l'arrêt a relevé que la consolidation était intervenue près de trois ans après la chute de Mme X..., alors âgée de cinquante-neuf ans ; que la cour d'appel en a souverainement déduit, sans être tenue de suivre les conclusions du rapport d'expertise auxquelles se référaient les écritures de la clinique, qu'une reconstitution d'activité était illusoire et que l'accident avait fait perdre à la victime les bénéfices moyens que Mme X... retirait de son activité professionnelle antérieure, pour la période comprise entre la consolidation et l'âge prévu pour son départ en retraite ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article L. 1142-1, I, du code de la santé publique ;

Attendu que, lorsqu'une faute ne peut être établie à l'encontre d'aucune des personnes responsables d'un même dommage, la contribution à la dette se fait entre elles à parts égales ;

Attendu qu'ayant déclaré responsables in solidum, la clinique, pour le dommage résultant de l'infection nosocomiale, et la société Seram, prise en qualité de gardienne de la plaque d'égout ayant provoqué la chute de Mme X..., l'arrêt condamne la première à garantir la seconde pour la majeure partie des sommes allouées à la victime, au motif que l'infection nosocomiale a causé l'essentiel du dommage ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° P 13-25.709 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Seram et la société GAN eurocourtage seraient relevées indemnes par la clinique du Vert Coteau de l'ensemble des condamnations prononcées au profit de la victime et par le tribunal au profit des tiers payeurs à hauteur de la somme globale de 246 460,93 euros, ainsi qu'à hauteur de 95 % pour les condamnations prononcées aux titres des frais irrépétibles et des dépens de première instance et d'appel, incluant les frais de référé et d'expertise, l'arrêt rendu le 3 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne la société Seram et la société Allianz aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Seram et la société Allianz à payer à la clinique du Vert Coteau la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits au pourvoi n° B 14-10.430 par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Clinique Vert coteau.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, après avoir fixé le préjudice subi par Madame X... au titre de ses pertes de gains professionnels futurs à la somme de 178.750 euros, fixé le préjudice global de Madame X... à la somme de 259.460,93 euros ;

AUX MOTIFS QUE le poste de préjudice perte de gains professionnels futurs est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable ; qu'au moment de l'accident, Mme X... était infirmière et percevait des bénéfices moyens de 30.000 euros par an selon ses propres dires, confirmés par ses déclarations fiscales pour les années 2001 à 2007 versées aux débats, qui sert de base à sa réclamation ; que la longue interruption d'activité médicalement justifiée puisqu'elle a duré près d'un an a nécessairement eu des incidences et induit une perte de clientèle d'autant que la raideur persistante du genou constituait une gêne à la montée et la descente des escaliers, fréquente dans cette profession et que la reconstitution d'un niveau d'activité était illusoire, notamment eu égard à son âge, ce qui l'a conduit à ne pas reprendre son activité, étant souligné que la consolidation n'est intervenue que deux ans après la 2ème intervention et près de trois ans après la chute ; que l'accident est ainsi à l'origine d'une perte certaine et chiffrable de gains professionnels pour l'avenir, sur la base de 30.000 euros par an jusqu'à 65 ans, âge prévu pour son départ à la retraite à taux plein, ce qui donne une indemnité de 178.750 euros (30.000 euros /12 x 71,5) pour la période de 71,5 mois de la consolidation du 17 mars 2006 au 27 février 2012 ; qu'il sera alloué à la victime la somme de 178.350,00 euros ;

ALORS QUE l'exposante avait souligné, dans ses conclusions d'appel que l'expert judiciaire avait conclu que Madame X... était apte à reprendre son activité professionnelle antérieure dans les mêmes conditions, que Madame X... aurait pu se reconstituer une clientèle et qu'elle « aurait parfaitement pu trouver une activité salariée alors qu'il est notoirement connu qu'il existe une pénurie d'infirmière dans les établissements de soins qu'ils soient publics ou bien privés » (conclusions p. 4, al. 8) ; qu'en allouant dès lors à Madame X... la somme de 178.750 euros au titre de sa perte de gains professionnels correspondant à la perte totale de ses revenus, sans répondre à ce moyen essentiel des conclusions des exposants, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la SARL SERAM et la SA GAN EUROCOURTAGE seraient relevés indemnes par la Clinique du Vert Coteau de l'ensemble des condamnations prononcées par la Cour d'appel au profit de la victime et par le Tribunal au profit des tiers payeurs à hauteur de la somme globale de 246.460,93 euros et d'AVOIR dit que la SERAM et la SA GAN EUROCOURTAGE seraient relevés indemnes par la Clinique du VERT COTEAU de la condamnation aux dépens d'appel et de première instance, ainsi que des condamnations prononcée par le Tribunal et la Cour d'appel au profit de Madame X..., par la Clinique du Vert Coteau à hauteur de 95% ;

AUX MOTIFS QUE « la Sarl SERAM est tenue vis à vis de Mme X... de réparer l'intégralité du dommage corporel subi en ce compris celui résultant de l'infection nosocomiale qui est une conséquence certaine du traumatisme initial car il trouve sa cause première dans les blessures occasionnées qui ont rendu nécessaires l'hospitalisation et l'intervention chirurgicale au cours de laquelle elle a été contractée » ;

ET QUE « la Sarl SERAM tenue à indemnisation intégrale du dommage vis à vis de Mme X... dispose, sur le fondement de l'article 1382 du code civil en l'absence de tout lien contractuel entre eux, d'une action récursoire à l'encontre de la Sa Clinique Vert Coteau qui est seule à l'origine de l'infection nosocomiale qui a accru les conséquences dommageables de la chute initiale

Cet établissement de soins ne discute pas avoir engagé sa responsabilité au titre de cette infection nosocomiale mais entend voir limiter les chefs de dommage qui lui sont imputables.

L'expert judiciaire a donné quelques indications permettant de définir la part du dommage global à laquelle a participé l'infection nosocomiale, il a écarté toute contribution au préjudice esthétique et aux deux mois supplémentaires d'ITT liés au seul traumatisme initial directement consécutif à la chute ; il a estimé sa quote-part à 10 mois au titre de l'incapacité temporaire totale, à 3/7 au titre des souffrances endurées, et l'a qualifiée de non prépondérante pour le déficit fonctionnel permanent.

La Sa Clinique du Vert Coteau doit, ainsi, supporter la charge finale de la réparation à hauteur de la somme totale de 246.460,93 à savoir :

- dépenses de santé actuelles : 29.710,93 euros qui, en raison de leur date, se rapportent exclusivement à l'hospitalisation de 2004

- perte de gains professionnels actuels : 25.000,00 euros

- perte de gains professionnels futurs : 178.750,00 euros comme liée à la durée de l'incapacité temporaire consécutive à la seule intervention de mars 2004

- déficit fonctionnel temporaire : 4.000,00 euros

- souffrances endurées : 7.000,00 euros

- déficit fonctionnel permanent : 2.000,00 ¿ » ;

1°) ALORS QUE le juge est tenu de préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en faisant droit comme elle l'a fait au recours de la société SERAM et de son assureur à l'encontre de la Clinique du Vert Coteau, sans préciser le fondement juridique de sa décision, la Cour d'appel a violé l'article 12 du Code de procédure civile ;

2°) ALORS QU', en toute hypothèse, lorsqu'une faute ne peut être établie à l'encontre d'aucune des personnes responsables d'un même dommage, la contribution à la dette se fait entre elles à parts égales ; qu'en mettant à la charge de la Clinique Vert Coteau l'intégralité des pertes de gains professionnels actuels et futurs et la somme de 2.000 euros sur 6.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, sans constater de faute à la charge de la clinique, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.

ECLI:FR:CCASS:2014:C101327
Retourner en haut de la page