Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 octobre 2014, 13-84.488, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 13-84.488
- ECLI:FR:CCASS:2014:CR05083
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- M. Guérin (président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Subrini et Cie, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 29 mai 2013, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de M. Richard X... des chefs de falsification de chèques, usage, complicité d'abus de confiance et de M. Michel Y...et Mme Karen Z...des chefs de falsification de chèques, usage, abus de confiance ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 septembre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAUTHIER ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 163-3, 1°, du code monétaire et financier, 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la cour d'appel a relaxé les prévenus des chefs d'abus de confiances et de falsification de chèque et débouté la SARL Subrini, partie civile, de ses demandes ;
" aux motifs que M. Michel Y...et Mme Karen Z...plaident leur relaxe, au motif que : compte tenu de l'imprécision des poursuites et de l'impossibilité pour le juge de se forger une conviction au terme d'un procès équitable, les prévenus ne disposent pas d'éléments suffisants pour comprendre les charges portées contre eux et ne peuvent en conséquence assurer convenablement leur défense ; que les faits de falsification de chèque sont prescrits, dès lors que le chèque sur le fondement duquel la plainte a été déposée en septembre 2008 a été établi en avril 2005, que les faits de d'abus de confiance sont prescrits, dès lors que M. A..., qui était le gérant de la SARL Subrini and co, ne pouvait ignorer l'existence de la pratique qu'il a dénoncée, et dont il était l'initiateur ; que les faits d'abus de confiance ne sont pas constitués, dès lors que le montant des chèques détournés n'est pas précis, et que l'élément moral, qui suppose une intention frauduleuse de s'approprier la chose d'autrui, n'est pas rapporté. M. Richard X... plaide sa relaxe au motif que le délit de falsification de chèques est prescrit et que le délit de complicité d'abus de confiance n'est pas démontré, M. X... n'ayant agi que sur ordre de son supérieur et n'ayant pas utilisé à des fins personnelles les chèques clients encaissés sur son compte ; que sur le moyen tiré de l'imprécision des poursuites : les trois prévenus sont poursuivis sur le fondement d'une ordonnance de renvoi du juge d'instruction, sur la base de l'enquête menée par la brigade de recherches d'Ajaccio, laquelle a pu établir que les prévenus avaient, entre 2004 et 2008, déposé un certain nombre de chèques bancaires de particuliers sur leur compte personnel ; que les prévenus ont pu débattre contradictoirement sur ce point, et sur le montant réel des sommes détournées, qu'ils ont chiffrées très précisément en deçà des montants arrêtés dans le procès verbal de synthèse partielle cote D 12, ainsi qu'exposé dans leurs écritures en défense ; qu'ils ont pu ainsi être avertis, tant de la qualification des différents délits qui leur étaient reprochés, et s'expliquer sur ces derniers, que sur le montant des sommes qu'il leur était reproché d'avoir détournées, de sorte qu'ils ne peuvent invoquer l'imprécision de la poursuite ; qu'ils n'ont d'ailleurs à aucun moment soulevé la nullité de l'ordonnance de renvoi ; que ce moyen ne sera donc pas retenu ; que sur le moyen tiré de la prescription du délit de falsification et usage de chèques Il est reproché aux trois prévenus d'avoir détourné des sommes versées par des clients de l'hôtel Eden Park sur leurs comptes personnels en endossant ces chèques et, pour certains, en les falsifiant ; qu'ainsi, pour Mme Karen Z..., il est établi que trente-cinq chèques, sur les huit-cent-vingts chèques déposés, ont porté des surcharges sur l'ordre, le nom de Mme Karen Z...étant porté au lieu et place de Eden Park ; que dès lors, les faits de falsification de chèques ne constituent qu'un des éléments constitutifs du délit d'abus de confiance. Il y a lieu en conséquence de relaxer les prévenus du délit de falsification et usage de chèques, sans qu'il y ait lieu à examiner le moyen tiré de la prescription ; 3. que sur l'abus de confiance et la complicité ; 3-1 que sur la prescription de ce délit, les prévenus soutiennent que la partie civile ne pouvait découvrir en 2008 des faits issus d'une pratique qu'elle avait elle-même initiée, et qu'ainsi le point de départ du délai de la prescription est nécessairement antérieur au 15 septembre 2005. En matière d'abus de confiance, le point de départ de la prescription est reporté au jour de son apparition dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, c'est-à-dire le jour de sa découverte ; qu'il résulte suffisamment de la chronologie de la procédure que les faits qualifiés d'abus de confiance ont été révélés, puis suivis de la mise en route de l'action publique, le 15 septembre 2008 ; que c'est donc à cette date officielle qu'il convient de se reporter pour fixer le point de départ de la prescription, laquelle n'était donc pas acquise ; 3-2 que sur les éléments constitutifs du délit d'abus de confiance ; que l'abus de confiance est le fait pour une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé. Les prévenus soutiennent en premier lieu que les faits sont insuffisamment caractérisés, les enquêteurs ayant pris en compte un montant total duquel il est nécessaire de déduire les chèques dont les tireurs ne sont pas des clients de l'hôtel ; que cependant, cet argument sera plus justement examiné lorsqu'il s'agira de chiffrer le cas échéant le préjudice invoqué par la partie civile ; qu'il n'est pas un obstacle à l'examen des éléments constitutifs de l'abus de confiance ; que l'élément matériel de l'infraction est constitué dès lors qu'il est établi et non contesté que les prévenus ont versé sur leurs comptes personnels des sommes provenant de chèques de clients de l'hôtel et qu'ils ont commis ce détournement avec une intention frauduleuse ; que dès lors, étant tenu pour acquis que les prévenus ne contestent pas la matérialité des détournements, il convient de rechercher si ceux-ci ont été commis pour un objectif autre que l'intérêt de la SARL Subrini, les prévenus étant employés à l'hôtel à des degrés de responsabilités divers, M. Y...étant directeur, Mme Z...réceptionniste et M. X... serveur et économe ; que les prévenus invoquent l'absence d'élément intentionnel au motif qu'ils n'ont agi que sur ordre de M. A..., et qu'ils ne se sont pas enrichis en pratiquant ainsi ; que l'intention frauduleuse suppose une conscience claire du détournement des sommes, et du caractère non régulier de ces pratiques ; qu'il n'est pas contesté par les prévenus qu'ils avaient conscience que cette pratique était illégale, ni qu'ils y ont pris une part active, Mme Z...indiquant par exemple aux clients le dysfonctionnement de l'appareil à cartes bancaires et demandant d'établir des chèques libellés sans ordre ; que l'intention frauduleuse suppose toutefois, non seulement la conscience de la réalité du détournement, mais aussi la recherche d'un objectif autre que celui qui était fixé à ces employés, en l'espèce l'intérêt de l'hôtel. A cet égard, les prévenus soutiennent qu'ils ont agi sur ordre du gérant, et que ces opérations avaient pour objet de permettre le règlement en espèces de personnels non déclarés et le financement de certains travaux. Ainsi, Mme Z...affirme avoir agi sur ordre de sa hiérarchie et a précisé que M. A...lui avait demandé, en présence de M. Y..., de déposer des chèques clients non libellés sur un compte personnel à son nom pour que l'hôtel puisse régler en espèces certains frais dont le paiement de personnels non déclarés et des travaux de réfection. M. Y...a confirmé ces déclarations ; que M. X... a indiqué qu'il avait agi ainsi sur ordre de M. Y...puis a rédigé une attestation selon laquelle ces opérations de dépôt étaient initiées par M. A..., enfin est revenu sur ces affirmations, précisant avoir rédigé ce document sous la pression de M. Y.... Cependant, les témoins de la rédaction de l'attestation, entendus, ont réfuté toute pression ; en outre, il y a lieu d'observer que Mme. Z..., tout en affirmant ne pas subir de pression de son patron, a continué d'être embauché par lui après cette affaire et a souligné combien le maintien de son emploi lui était économiquement nécessaire ; que toutefois, M. Y...a versé aux débats deux feuillets manuscrits écrits par M. A...relatifs aux prestations de M. B...pour des travaux de maçonnerie, ainsi que des cahiers de caisse répertoriant l'ensemble de la comptabilité qui, selon lui était tenue de façon occulte par l'établissement ; que ces documents étayent la thèse soutenue par les prévenus, laquelle est renforcée par les éléments permettant, malgré les dénégations de M. A...de dire que la société embauchait du personnel non déclaré ; qu'en effet, un procès verbal de Maître Buteau en date du 18 septembre 2008 permet de constater qu'aucun jardinier n'est déclaré, alors qu'il résulte de plusieurs attestations (M. Jacques C...employé en qualité de pianiste à l'hôtel, M. Yannick D...et Sandrine E..., clients, M. et Mme F..., clients, qu'y étaient embauchés un plongeur en cuisine et affecté au service des chambres, dénommé G..., de nationalité lithuanienne, et un jardinier-piscinier, dénommé H..., de nationalité tunisienne ; qu'il apparaît aussi à la lecture de deux attestations que ces employés ont été soustraits à un contrôle annoncé des gendarmes en juillet 2008 ; que le contrôle effectué en septembre 2009 par la P. A. F, qui a permis la reconduite à la frontière du nommé H..., conforte la réalité de cette situation ; que de même, Mme Z...a versé des chéquiers faisant apparaître une parfaite concordance entre les sommes notées aux talons des chèques et les sommes notées dans les cahiers de caisse susmentionnés, correspondant à diverses prestations effectuées pour le compte de l'hôtel ; que ces éléments sont à rapprocher des auditions de M. X... selon lequel M. A...ne pouvait ignorer l'emploi de personnels non déclarés, de Mme A...qui n'a pas contesté formellement cette pratique, et qui a elle-même rémunéré M. X... en partie avec des chèques clients après cette affaire ; qu'ils sont aussi à rapprocher des déclarations mêmes de M. A..., qui est convenu avoir procédé, envers son directeur, à des versements en partie en liquide, pour ses primes. La partie civile soutient en second lieu que Mme Z...et de M. Y...se sont personnellement enrichis à la faveur de ces opérations ; qu'or, il ne résulte, à l'examen de la situation patrimoniale de Mme Z..., comme de celle de M. Y..., aucun élément attestant d'un enrichissement : les enquêteurs ont constaté que Karen Z...ne possédait aucun bien immobilier, ni mobilier de valeur, son véhicule ayant été acquis au moyen d'un crédit ; que de même, il apparaît que M. Y...a acquis deux appartements au moyen d'un prêt, de même qu'un véhicule personnel ; que les achats de bijouterie ne permettent pas à eux seuls de caractériser la thèse d'un enrichissement personnel alors que M. Y...disposait d'un salaire confortable et n'avait pas de charges familiales particulières ; que concernant M. X..., sa situation patrimoniale précaire n'est pas contestée. Ainsi, en l'état de ces éléments, la réalité des détournements frauduleux n'est pas suffisamment démontrée, et un doute sérieux subsiste qui doit profiter aux prévenus ; qu'en conséquence, la cour retiendra les motifs adoptés par les premiers juges qui ont estimé que l'infraction d'abus de confiance était insuffisamment caractérisée ; 4. que sur l'action civile ; qu'il y a lieu de confirmer la décision qui a débouté la SARL Subrini de ses demandes en état de la relaxe des prévenus ;
" 1°) alors que le délit de falsification de chèque et l'abus de confiance protégeant deux intérêts distincts, soit l'authenticité de l'instrument de paiement pour l'un, et le consentement et la propriété de la victime pour l'autre, la cour d'appel, qui était saisie distinctement de ces deux infractions, lesquelles ne caractérisaient pas un cumul idéal, ne pouvait, sans violer les textes visés au moyen, juger que les faits de falsification de chèques ne constituent qu'un des éléments constitutifs du délit d'abus de confiance ;
" 2°) alors que l'affirmation de la mauvaise foi est nécessairement incluse dans la constatation du détournement ; qu'en jugeant que l'intention frauduleuse suppose non seulement la conscience de la réalité du détournement, mais aussi « la recherche d'un objectif autre que celui qui était fixé aux employés, soit l'intérêt de l'hôtel », lorsqu'elle constatait la matérialité du détournement et la consciences des employés de l'illégalité de cette pratique, la cour d'appel, qui a ajouté une condition non prévue par la loi, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
" 3°) alors qu'en relevant que l'élément matériel de l'infraction était constituée dès lors qu'il est établi et non contesté que les prévenus ont versé sur leurs comptes personnels des sommes provenant de chèques de clients de l'hôtel et qu'il sont commis ce détournement avec une intention frauduleuse, tout en jugeant que l'intention suppose la recherche d'un objectif autre que celui qui était fixé aux employés, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires ;
" 4°) alors qu'il n'est pas nécessaire que le détournement ait bénéficié personnellement à l'auteur de l'abus de confiance, le seul fait de disposer des fonds pour un usage autre que celui en vue duquel il les a reçus suffisant à caractériser l'infraction ; qu'en relevant néanmoins pour exclure l'abus de confiance reproché aux prévenus que ceux-ci ne se sont pas personnellement enrichis à la faveur de ces opérations, et que la situation précaire de M. X... n'est pas contestée, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de toute base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'entre 2004 et 2006, de nombreux chèques remis en paiement par des clients de l'établissement hôtelier exploité par la société Subrini ont été encaissés sur leurs comptes personnels par MM. X... et Y...et par Mme Karen Z..., salariés de cette société, qui en ont modifié certaines mentions, dont le nom des bénéficiaires ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu que, pour dire non établi le délit d'abus de confiance et débouter la partie civile de ses demandes de ce chef, les juges retiennent que le détournement n'est pas caractérisé, les salariés ayant agi sur les instructions du gérant de la société auquel ils ont remis en espèces le montant des chèques qu'ils ont encaissés ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction et qui répondent aux chefs péremptoires des conclusions, l'arrêt n'encourt pas la censure ;
Mais sur le moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour débouter la partie civile après avoir dit non établis les délits de falsification de chèques, les juges énoncent que les faits ainsi qualifiés " ne constituent qu'un des éléments constitutifs du délit d'abus de confiance " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que ces deux qualifications, ne présentant entre elles aucune incompatibilité et assurant la protection de valeurs sociales distinctes, sont susceptibles d'être appliquées concurremment, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 29 mai 2013, en ses seules dispositions ayant débouté la société Subrini et Cie de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant des faits poursuivis sous la qualification de falsification de chèques, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
ET pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix en Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux octobre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;