Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 24 septembre 2014, 13-20.695, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 13-20.695
- ECLI:FR:CCASS:2014:C101050
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- Mme Bignon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 avril 2013), qu'un juge aux affaires familiales a prononcé le divorce de M. X... et Mme Y... ; qu'il a été formé appel de ce jugement ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de prestation compensatoire alors, selon le moyen :
1°/ que la prestation compensatoire est destinée à compenser autant qu'il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ; que son principe et son montant s'apprécient au moment du divorce ; qu'en retenant en l'espèce, pour débouter Mme X... de sa demande de prestation compensatoire, que les époux avaient changé de régime matrimonial après vingt-cinq ans de mariage, substituant au régime de la communauté légale celui de la séparation de biens, qu'ils vivaient séparés depuis près de vingt ans et que la « disparité effective de revenus et de patrimoines » existant entre les époux ne résultait pas de la rupture du mariage mais de l'état de fait préexistant, lié aux choix opérés depuis plus de vingt ans par M. et Mme X..., que ce soit en changeant de régime matrimonial et en partageant la communauté ayant existé entre eux, ou dans le cadre de l'exercice de leurs activités professionnelles, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des circonstances antérieures au prononcé du divorce impropres à écarter le principe d'une prestation compensatoire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 270 et 271 du code civil ;
2°/ que la prestation compensatoire est destinée à compenser autant qu'il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ; que son principe et son montant s'apprécient au moment du divorce ; qu'en retenant, pour débouter Mme X... de sa demande de prestation compensatoire, que celle-ci n'avait jamais sollicité de fixation judiciaire de la contribution de son mari aux charges du mariage, pas plus qu'elle n'avait réclamé de pension alimentaire au titre du devoir de secours, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé derechef les articles 270 et 271 du code civil ;
Mais attendu que l'un des époux ne peut être tenu de verser à l'autre une prestation compensatoire que si la disparité dans leurs conditions de vie respectives est créée par la rupture du mariage ; qu'il peut être déduit des choix de vie effectués en commun par les époux durant l'union que la disparité constatée ne résulte pas de la rupture ; que c'est en se plaçant au jour où elle statuait que la cour d'appel, après avoir constaté que les époux étaient séparés de fait depuis vingt ans, qu'ils avaient changé de régime matrimonial pour adopter celui de la séparation de biens, liquidé la communauté ayant existé entre eux et poursuivi chacun de leur côté une activité de promotion immobilière, sans que l'épouse n'ait demandé de contribution aux charges du mariage depuis la séparation ni de pension alimentaire au titre du devoir de secours lors de l'audience de conciliation, a souverainement estimé que la disparité dans les conditions de vie respectives des parties ne résultait pas de la rupture du mariage ; qu'en ses deux premières branches, le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 266 du code civil ;
Attendu qu'ayant souverainement estimé que Mme Y... ne justifiait pas avoir subi, du fait de la dissolution du mariage, un préjudice d'une particulière gravité puisqu'elle n'invoquait que les conséquences du changement de régime matrimonial et de la dissolution de la communauté, survenus vingt ans avant la rupture, la cour d'appel en a déduit que sa demande devait être rejetée ; qu'en sa troisième branche, le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 24 février 2012 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de LORIENT en ce qu'il a débouté Mme Régine X... de ses demandes de prestation compensatoire et de dommages-intérêts pour les conséquences d'une particulière gravité, subies du fait de la dissolution du mariage.
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la prestation compensatoire : Cette prestation est destinée, selon l'article 270 du Code civil, à compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ; elle est fixée, conformément à l'article 271, selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. En cas d'appel général comme en l'espèce, la décision quant au divorce ne peut passer en force de chose jugée, sauf acquiescement ou désistement, avant le prononcé de l'arrêt ; c'est en conséquence à présent que s'apprécie la situation, mais en prenant en considération notamment le fait que si le divorce met ainsi fin à un mariage qui aura duré quarante six années, les époux vivent de fait séparément depuis plus de vingt ans. Alors qu'ils s'étaient mariés sous le régime conventionnel de la communauté réduite aux acquêts, Monsieur X... et Madame Y... ont décidé de changer de régime matrimonial pour adopter celui de la séparation de biens par contrat homologué le 11 juin 1991 ; Monsieur X... exerçait alors une activité de promoteur immobilier et Madame Y..., précédemment infirmière, travaillait comme salariée dans l'entreprise de son mari. Les époux, et ainsi Madame Y... qui était pour cela nécessairement assistée, en tous cas dans l'instance en homologation, ont par là volontairement consenti, en 1991, à la perspective d'une possible disparité de patrimoines découlant de l'abandon du régime de communauté au profit de la séparation de biens. Ils ont procédé le 7 août 1992 au partage de la communauté par acte reçu par Maître Martine Z..., notaire à Vannes, dont il ressort que l'actif partagé comprenait divers immeubles, parts de société et titres pour une évaluation totale de 4. 135. 000 F ou 630. 376, 68 €, et les droits de chacun des époux sur l'actif net étaient de 1. 722. 500 F ou 262. 593, 43 €. Madame Y... se voyait attribuer partie des immeubles et droits sociaux pour un total de 2. 850. 000 F ou 435. 479, 69 €, à charge d'acquitter sa part du passif et de payer à Monsieur X... une soulte de 1. 007. 500 F ou 153. 592, 38 €. Mais les époux, qui affirmaient à l'acte que celui-ci exprimait l'intégralité des évaluations, ont aussitôt établi une convention sous seing privé du même jour pour « corriger en tout ou partie les évaluations retenues comme base du partage notarié - fixer la valeur et la destination des biens communs non compris dans le partage notarié » et répartir entre eux les résultats provisionnels des opérations immobilières en cours. Cet acte était luimême annulé, précision faite cependant que les paiements déjà effectués au profit de Madame Y... ou de la société de celle-ci étaient définitivement acquis, par un protocole d'accord transactionnel signé par les époux le 20 octobre 1994, selon lequel notamment ceux-ci se faisaient attribution ou cession de parts sociales, Monsieur X... renonçait définitivement au règlement de la soulte prévue par l'acte de partage notarié en sa faveur et Madame Y... au solde créditeur des créances qu'elle détenait contre des sociétés dirigées par son époux, ce dernier s'engageait à verser à Madame Y... une somme mensuelle forfaitaire de 15. 000 F ou 2. 286, 74 €, pour contribution à l'entretien et à l'éducation de leurs deux enfants, alors âgés de vingt-trois et vingt-et-un ans, jusqu'au terme de leurs études. La totalité des valeurs transférées n'étant pas précisée à la convention, Monsieur X... soutient qu'au terme de ces différentes opérations, Madame Y... s'était vu doter de biens pour une valeur totale de 12. 085. 000 F ou 1. 842. 346, 30 €, quand lui-même avait reçu en partage un patrimoine évalué à 2. 338. 000 F ou 356. 425, 80 €. Madame Y... prétend quant à elle à la fois que certains des biens qui lui avaient été affectés étaient surestimés quand ceux qui étaient attribués à Monsieur X... étaient sous-évalués, et d'autre part et surtout que les parts sociales reçues par son mari portaient sur du patrimoine immobilier à forte croissance de valeur, ce qui n'était pas son cas. Mais elle ne démontre pas sa première affirmation, alors au surplus que la convention du 20 octobre 1994 mentionnait expressément qu'elle « constituait une transaction entre les époux au sens de l'article 2044 du Code civil relativement à la liquidation définitive de la communauté de biens ayant existé entre eux », et qu'elle ne contredit pas Monsieur X... lorsque ce dernier affirme dans ses dernières conclusions qu'elle était assistée d'un avocat pour sa rédaction ; quant à la deuxième, Monsieur X... est fondé à soutenir que chacun des époux a par la suite géré son lot comme il l'entendait, avec des stratégies commerciales, des prises de risques et des résultats éventuellement différents. Monsieur X..., aujourd'hui âgé de soixante-dix ans, est retraité mais poursuit par ailleurs son activité de promoteur ; il a déclaré au titre de ses revenus pour l'année 2011, dernier exercice plein connu, des pensions de retraite pour 55. 842 €, des salaires pour 130. 130 € et des revenus fonciers pour 38. 311 €, soit un total annuel de 224. 283 €, ou 18. 690, 25 € par mois. Madame Y..., âgée également de soixante-dix ans, se borne à faire état au titre de ses ressources de ses droits à la retraite de salariée ; mais elle s'était engagée en 1994 dans la même voie que son mari, et l'examen de son avis d'imposition sur les revenus de l'année 2011, dernier état global annuel justifié, fait apparaître, outre des pensions de retraite pour 19. 198 €, des revenus industriels et commerciaux de 9. 854 € et des revenus de capitaux mobiliers de 28. 711 €, ce qui paraît plus en adéquation avec un patrimoine évalué à 3. 933. 576 € dans ses dernières écritures, soit un total de revenus annuels de 57. 763 € ou 4. 813. 58 € par mois ; dans sa déclaration sur l'honneur du 31 août 2012, Madame Y... mentionnait un total de revenus annuels de 64. 002 €, soit 5. 333, 50 € par mois. La Cour observe à cet égard que, depuis la séparation de fait des époux intervenue en juillet 1992 selon leurs écritures concordantes sur ce point, Madame Y... n'a jamais sollicité de fixation judiciaire de la contribution de son mari aux charges du mariage, pas plus qu'elle n'a réclamé de pension alimentaire au titre du devoir de secours lors de sa comparution, assistée de son conseil, le 12 janvier 2010 devant le juge conciliateur. S'agissant des patrimoines respectifs des époux, Monsieur X... a déclaré au titre de l'imposition sur la fortune pour l'année 2012 un actif brut de 6. 579. 231 € ; mais il possède également à titre de biens professionnels exonérés la majorité du capital d'une société constituée avec ses deux fils pour détenir et gérer des participations dans différentes sociétés commerciales et civiles par lesquelles il exerce son activité de promotion immobilière, et ce pour une valeur de 8. 443. 000 € au 3 septembre 2012 selon son expert-comptable.
Madame Y... ne peut sérieusement prétendre y voir ajouter le patrimoine de la concubine de Monsieur X.... S'agissant d'elle-même, le patrimoine qu'elle se reconnaît à hauteur de 3. 933. 576 € comme dit précédemment se compose pour moitié environ de biens professionnel, pour l'autre, d'immeubles situés dans le golfe du Morbihan, à Carnac, et d'appartements à Nantes et à Vannes, qu'elle soutient n'être destinés qu'à la location pour étudiants et qu'elle ne pourrait exploiter actuellement en raison de leur état de vétusté. Il résulte de ce qui précède que si la disparité de revenus et de patrimoines entre les époux est effective, il y a lieu de considérer, comme l'a fait le juge aux affaires familiales, que celleci ne résulte pas de la rupture du mariage mais des choix librement opérés par eux depuis plus de vingt ans en changeant de régime matrimonial et en partageant la communauté ayant existé entre eux et dans le cadre de l'exercice de leurs activités professionnelles. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Madame Y... de sa demande de prestation compensatoire. Sur la demande de dommagesintérêts : la demande de dommages-intérêts formée par Madame Y... pour la première fois en cause d'appel est l'accessoire de la demande en divorce dont la Cour est saisie par l'effet dévolutif de l'appel général, et ainsi recevable. S'agissant de la demande fondée sur les dispositions de l'article 266 du Code civil, Madame Y... ne justifie pas en quoi elle subit, du fait de la dissolution du mariage, un préjudice d'une particulière gravité, puisque l'essentiel de son argumentation à cet égard repose sur les conséquences du changement de régime matrimonial et de la dissolution de la communauté à la suite desquels elle prétend avoir perdu le train de vie qu'elle avait auparavant et une chance d'accroître son patrimoine, ce à quoi la cour a déjà répondu plus haut à propos de la prestation compensatoire » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« il ressort de l'article 270 du Code civil que l'un des époux ne peut être tenu de verser à l'autre une prestation compensatoire que si la disparité dans leurs conditions de vie respectives est créée par la rupture du mariage. Tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors qu'après avoir adopté en 1991 le régime de la séparation de biens, les époux X... se sont séparés l'année suivante et ont liquidé deux ans plus tard l'ensemble de leurs intérêts patrimoniaux, puis poursuivi chacun de leur côté une activité de promotion immobilière, de sorte qu'indépendamment du caractère équitable ou non de la liquidation intervenue en 1994, il n'y a pas lieu de compenser la différence existant entre leurs situations financières actuelles. Madame Y... sera déboutée de sa demande de prestation compensatoire ».
ALORS QUE, D'UNE PART, la prestation compensatoire est destinée à compenser autant qu'il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ; que son principe et son montant s'apprécient au moment du divorce ; qu'en retenant en l'espèce, pour débouter Madame X... de sa demande de prestation compensatoire, que les époux avaient changé de régime matrimonial après vingt-cinq ans de mariage, substituant au régime de la communauté légale celui de la séparation de biens, qu'ils vivaient séparés depuis près de vingt ans et que la « disparité effective de revenus et de patrimoines » existant entre les époux ne résultait pas de la rupture du mariage mais de l'état de fait préexistant, lié au choix opérés depuis plus de vingt ans par Monsieur et Madame X..., que ce soit en changeant de régime matrimonial et en partageant la communauté ayant existé entre eux, ou dans le cadre de l'exercice de leurs activités professionnelles, la Cour d'appel, qui s'est fondée sur des circonstances antérieures au prononcé du divorce impropres à écarter le principe d'une prestation compensatoire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 270 et 271 du Code Civil ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, la prestation compensatoire est destinée à compenser autant qu'il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ; que son principe et son montant s'apprécient au moment du divorce ; qu'en retenant, pour débouter Madame X... de sa demande de prestation compensatoire, que celle-ci n'avait jamais sollicité de fixation judiciaire de la contribution de son mari aux charges du mariage, pas plus qu'elle n'avait réclamé de pension alimentaire au titre du devoir de secours, la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé derechef les articles 270 et 271 du Code civil ;
ALORS, ENFIN, QUE, des dommages-intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage lorsqu'il est défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal ; que Madame X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel (p. 34) que son époux l'avait délibérément trompée « en la persuadant qu'il était de l'intérêt de la famille de mettre fin à la communauté et d'adopter le régime de séparation de biens, ce qui fut fait en 1992 », puisqu'il « s'agissait là d'un stratagème de son époux, qui avait en réalité, depuis plusieurs mois voire plusieurs années, le projet de la quitter pour aller vivre avec sa maîtresse », que Monsieur X... avait donc pour objectif « de partager la communauté et de ne plus avoir aucun intérêt pécuniaire commun avec son épouse, de manière à pouvoir s'enrichir seul de son côté, sans que cela puisse profiter à son épouse », et que « si Monsieur X... n'avait pas manipulé son épouse pour obtenir le changement de régime matrimonial et l'adoption de la séparation de biens, l'intégralité du patrimoine appartenant à Monsieur X... serait aujourd'hui commun, et Madame X... aurait donc eu vocation à en recevoir la moitié, ce qui aurait représenté une fortune d'environ 20. 000. 000 euros » ; qu'en affirmant de façon générale que Madame X... ne justifiait pas en quoi elle subissait, du fait de la dissolution du mariage, un préjudice d'une particulière gravité, sans répondre au moyen déterminant soulevé par les conclusions d'appel de l'exposante, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.