Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 septembre 2014, 13-17.313, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu qu'ayant retenu à bon droit que le bail renouvelé, qui fait suite à un bail à long terme échu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 juillet 2006 est soumis au droit commun des baux de neuf ans et que la clause d'incessibilité du bail ne peut recevoir application dans ce nouveau bail, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande de cession formée par M. X... au profit de sa fille était recevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen du pourvoi principal :

Vu l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu selon les arrêts attaqués (Rouen, 23 février 2012 et 20 septembre 2012) que les consorts Y..., qui avaient consenti à M. X... un bail rural à long terme d'une durée de dix-huit ans, ont délivré congé à ce dernier sur le fondement de l'article L. 416-1 du code rural ; que M. X... a sollicité devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Bernay la nullité de ce congé et a formé une demande de cession du bail à sa fille, Mme Z..., et subsidiairement de renouvellement du bail portant sur une parcelle de subsistance ;

Attendu que pour autoriser la cession sous réserve d'obtention par Mme Z... ou par l'EARL A... de l'autorisation administrative d'exploiter, l'arrêt retient que M. X... démontre que sa fille remplit la condition de capacité, mais s'abstient de verser aux débats l'autorisation administrative d'exploiter de sa fille ou de l'EARL A... au sein de laquelle elle compte exploiter les terres litigieuses ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, au besoin d'office, si Mme Z... ou l'EARL A... était titulaire d'une autorisation d'exploiter, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

Et sur le pourvoi incident, ci-après annexé :

Vu l'article L. 411-64 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 416-1 du même code ;

Attendu que pour déclarer valable le congé l'arrêt retient que le bail à long terme s'étant renouvelé le 29 septembre 2010 et M. X... ayant atteint l'âge de la retraite le 11 mai 2009, les bailleresses étaient en droit de lui faire délivrer un congé pour ce motif, non soumis aux dispositions de l'article L. 411-64 du code rural et de la pêche relatif à l'exploitation de subsistance ;

Qu'en statuant ainsi alors que le bail renouvelé avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 juillet 2006 était soumis aux dispositions de droit commun des baux de neuf ans, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation de l'arrêt du 23 février 2012 entraîne par voie de conséquence celle de l'arrêt du 20 septembre 2012 qui en est la suite ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que la demande de cession de bail par M. X... au profit de sa fille, Mme Z..., a été déclarée recevable, les arrêts rendus les 23 février 2012 et 20 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; renvoie, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour les consorts Y..., demandeurs au pourvoi principal.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif du 23 février 2012 d'AVOIR déclaré recevable la demande de cession du bail par M. X... au profit de sa fille Stéphanie Z... et d'avoir autorisé cette cession sous réserve d'obtention par Mme Z... ou l'Earl A... de l'autorisation administrative d'exploiter ;

AUX MOTIFS QUE M. X... appelant incident expose que la clause d'incessibilité étant dérogatoire au statut du fermage son insertion dans un bail renouvelé ne peut être imposée aux parties, de sorte que le bail renouvelé est soumis au droit commun des baux de neuf ans ; que les consorts Y... font valoir en réponse que le bail à long terme du 25/06/1983 stipulait expressément que le preneur ne pouvait céder son bail à ses enfants ; que cette clause est licite en application de l'article L. 416-2 du code rural tant dans son ancienne version que dans sa version actuelle ; que cette clause conserve son efficacité dans le cadre des renouvellements successifs dès lors que les parties sont convenues de proroger les clauses du bail initial ; qu'en l'espèce les parties ont signé une convention de prorogation ; qu'il est constant que le bail initial conclu en 1983 interdisait au preneur de céder son bail à ses enfants et que par acte sous seing privé de prorogation du bail en date du 19/09/2001 les parties ont accepté une prorogation du bail de 18 ans qui prend fin le 29/09/2001, en conservant toutes ses clauses, charges, conditions et le montant du fermage ; que l'ancien article L. 416-1 al 3 du code rural applicable lors de la signature de l'acte authentique dispose que sauf convention contraire, les clauses et conditions du bail renouvelé pour neuf ans sont celles du bail précédent ; que toutefois à défaut d'accord amiable entre les parties, le tribunal paritaire fixe le prix et statue sur les clauses et conditions contestées du nouveau bail ; qu'il résulte néanmoins d'un arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 7/12/2011 que le bail renouvelé qui fait suite à un bail à long terme échu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13/07/2006, est soumis au droit commun des baux de neuf ans, et que la clause d'incessibilité du bail ne peut recevoir application au bail renouvelé d'une durée de neuf ans ; que la demande de cession du bail au profit de la fille du preneur Mme Stéphanie Z... est donc recevable ;

1) ALORS QUE l'ordonnance n°2006-870 du 13 juillet 2006 - qui soumet expressément les baux renouvelés à partir de baux à long terme au régime juridique de ces derniers, ainsi qu'aux mêmes charges et aux mêmes conditions - est applicable aux baux conclus ou renouvelés postérieurement à son entrée en vigueur ; qu'en l'espèce, il ressort des débats que les consorts Y... et M. X... ont conclu, le 5 juin 1983, un bail à long terme une durée de dix-huit années qui comportait une clause d'incessibilité, que le 19 septembre 2001, ce bail a été expressément prorogé aux mêmes charges et conditions que le bail d'origine pour une durée de neuf années et que ce bail a ensuite été tacitement renouvelé le 30 septembre 2010 ; qu'en affirmant que les dispositions issues de l'ordonnance du 13 juillet 2006 ne sont pas applicables au bail ainsi renouvelé qui liait les parties au jour de la demande d'autorisation de cession, pour refuser ensuite de faire produire effet à la clause d'incessibilité stipulée dans le bail du 5 juin 1983, la cour d'appel a violé l'article 16 de l'ordonnance du 13 juillet 2006, ensemble l'article L. 416-1 du code rural et de la pêche maritime ;

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE la clause d'incessibilité valablement stipulée dans le bail à long terme d'origine s'applique au bail prorogé lorsque les parties l'ont expressément stipulé dans la convention de prorogation ; que dans leurs conclusions d'appel, les consorts Y... faisaient valoir que par convention en date du 19 septembre 2001, les parties avaient prorogé le bail à long terme initial pour une période de neuf années aux mêmes charges et conditions pour en déduire que cette convention de prorogation permettait de préserver l'efficacité de la clause d'incessibilité (conclusions p. 4) ; que dès lors, en se contentant d'affirmer que le bail renouvelé qui fait suite à un bail à long terme échu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 juillet 2006, est soumis au droit commun des baux de neuf ans et que la clause d'incessibilité du bail ne peut recevoir application au bail renouvelé sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les parties n'avaient pas prévu de proroger le bail à long terme initial aux mêmes conditions de sorte que la clause d'incessibilité devait continuer à s'appliquer au bail prorogé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 416-1 et 416-2 du code rural et de la pêche maritime et de l'article 1134 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif du 23 février 2012 d'AVOIR autorisé la cession du bail par M. X... au profit de sa fille Stéphanie Z... sous réserve d'obtention par Mme Z... ou l'EARL A... de l'autorisation administrative d'exploiter ;

AUX MOTIFS QUE s'agissant des conditions de fond, M. X... démontre que celle-ci sa fille titulaire du diplôme du BTA, remplit la condition de capacité ; qu'en revanche il s'abstient de verser aux débats l'autorisation administrative d'exploiter de sa fille ou de l'EARL A... au sein de laquelle elle compte exploiter les terres litigieuses ; qu'il convient par conséquent réformant de ce chef le jugement critiqué, de dire que la cession ne sera autorisée que sous réserve d'obtention par Mme Z... de l'autorisation administrative d'exploiter ;

ALORS QUE les juges du fond ont l'obligation de rechercher, au besoin d'office, en se plaçant à la date de la cession projetée, si le cessionnaire du bail rural justifie avoir demandé une autorisation d'exploiter ; que pour autoriser la cession du bail, sous réserve d'obtention par Mme Z... de l'autorisation administrative d'exploiter, la Cour d'appel s'est contentée d'affirmer que M. X... démontre que sa fille titulaire du diplôme du BTA, remplit la condition de capacité ; qu'en statuant ainsi, sans avoir vérifié si Mme Z... avait déposé une demande d'autorisation d'exploiter avant la date de cession projetée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime.

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. X..., demandeur au pourvoi incident.

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré valable le congé délivré par les consorts Y... à M. X... le 24 mars 2010 pour le 29 novembre 2011,

AUX MOTIFS QU'« au soutien de leur appel Melles Y... exposent qu'elles ont fait délivrer congé au preneur né le 11/05/1949 sur le fondement de l'article L 416-1 du code rural ; que les dispositions de l'article L 411-64 al 1, 2 et 3 sur l'exploitation de subsistance ne sont pas applicables au bail à long terme et à ses renouvellements ; que le texte de l'article L 416-1 du code rural sur les baux à long terme ne conditionne pas la faculté pour le bailleur de refuser le renouvellement du bail à un preneur ayant atteint l'âge de la retraite, à une condition de superficie particulière ; qu'en effet il prévoit que les parties ne sont pas tenues de remplir les conditions énoncées à la section 8 du chapitre 1 du présent titre ; que par conséquent le congé est valable ; que l'intimé réplique que la Cour de cassation a appliqué la réglementation protectrice du preneur âgé qui met en valeur des parcelles de subsistance dans tous les cas et en fonction des intérêts en présence ; qu'il résulte des dispositions de l'article L 416-1 al. 3 du code rural sur le bail à long terme que "le bail renouvelé reste soumis aux dispositions du présent chapitre" et de l'al 4 que "lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, chacune des parties peut, par avis donné au moins dix-huit mois à l'avance, refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l'expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge, sans être tenu de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre 1 du présent titre" ; qu'en l'espèce le bail à long terme s'étant renouvelé le 29/09/2010, et M. X... ayant atteint l'âge de la retraite le 11/05/2009, les bailleresses étaient en droit de lui faire délivrer un congé pour ce motif, non soumis aux dispositions de l'article L 411-64 du code rural sur le congé donné à un preneur exploitant une exploitation de subsistance ; c'est pourquoi il y a lieu, réformant le jugement critiqué de valider le congé litigieux » (arrêt p. 4 et 5),

ALORS QUE, sous l'empire des dispositions de l'article L 416-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 13 juillet 2006, le bail renouvelé à la suite d'un bail à long terme est soumis aux seules dispositions de droit commun des baux de neuf ans, si bien que si la superficie mise en valeur par le preneur n'excède pas celle de l'exploitation de subsistance, le preneur peut s'opposer au congé qui lui refuse le renouvellement de son bail sur le fondement de son âge ; qu'en décidant que les consorts Y... étaient en droit de délivrer à M. X... un congé fondé sur l'âge, non soumis aux dispositions de l'article L 411-64 du code rural relatives au congé donné à un preneur exploitant une exploitation de subsistance, après avoir pourtant relevé que le bail à long terme litigieux s'était renouvelé en septembre 2001, ce dont il résultait que le bail ainsi renouvelé était soumis aux seules dispositions de droit commun des baux de neuf ans parmi lesquelles figure la possibilité pour le preneur de s'opposer au congé qui lui refuse le renouvellement de son bail sur le fondement de son âge, dès lors qu'il met en valeur une superficie n'excédant pas celle de l'exploitation de subsistance, la cour d'appel a violé les articles L 416-1 et L 411-64 du code rural et de la pêche maritime.

ECLI:FR:CCASS:2014:C300979
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