Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 juillet 2014, 13-15.892, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé, le 10 octobre 2005, par la société Lajil et Ghrab, qui exploite un commerce d'alimentation de détail, en qualité de vendeur ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale, le 22 juillet 2009, de diverses demandes à titre de rappels de salaire pour heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour non-respect du droit aux repos compensateurs, de dommages-intérêts pour non-respect du repos quotidien et du repos hebdomadaire, d'indemnité pour travail dissimulé ; qu'il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le 6 mars 2012 ; qu'ajoutant à ses demandes, il a sollicité qu'il soit jugé que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et demandé le paiement de sommes à titre d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident :
Vu l'article L. 1231-1 du code du travail ;
Attendu que pour dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d'une démission, rejeter les demandes du salarié de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnités de rupture, l'arrêt retient que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou abusif si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission, que la preuve des griefs et du bien-fondé de la rupture incombe au salarié, que par lettre recommandée avec avis de réception du 6 mars 2012, M. Adlen X... prenait acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société Lajil et Ghrab associés pour pressions et intimidations au travail, qu'il reprend ces griefs dans ses conclusions, qu'il ne présente aucun élément concret et probant en ce sens, que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit ainsi les effets d'une démission ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans la prise d'acte de la rupture, la cour d'appel qui n'a pas recherché si, comme il était soutenu par le salarié, le défaut de paiement des heures supplémentaires par l'employeur n'était pas un manquement d'une gravité suffisante pour justifier la prise d'acte, a privé sa décision de base légale ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande du salarié à titre d'indemnité pour travail dissimulé, la cour d'appel énonce que cette demande, qui est antérieure à la rupture du contrat de travail, doit être rejetée ;
Qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant alors qu'il résultait des conclusions postérieures à la prise d'acte que le salarié avait réitéré sa demande en paiement d'indemnité pour travail dissimulé, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le rejet de la demande à titre d'indemnité pour travail dissimulé, dit que la prise d'acte produisait les effets d'une démission, et rejeté les demandes d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
l'arrêt rendu le 13 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société Lajil et Ghrab associés aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour la société Lajil et Ghrab associés.

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué dit que M. X... avait droit au paiement de rappel de salaires et congés payés pour heures supplémentaires et dit que le salarié devait calculer ses demandes sur les bases de 25 heures supplémentaires par semaine et de 47 semaines de travail par an pour la période de novembre 2005 à janvier 2009.
AUX MOTIFS QUE sur les heures supplémentaires et les congés payés y afférents ; selon l'article L. 3171-4 du Code du travail en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; il résulte des dispositions de cet article que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; la SARL LAJIL et GRAB associés embauchait le 10 octobre 2005 par un contrat écrit à durée indéterminée M. X... en tant que vendeur en alimentation à un temps plein de 35 heures hebdomadaires ; aucun horaire de travail n'était stipulé ; M. X... soutient qu'il travaillait 78 heures par semaine, du mardi au dimanche inclus, chaque jour de 8 à 21 heures ; au soutien de son allégation il présente 17 attestations d'anciens salariés ou de clients du commerce, qui font état de sa présence constante dans le magasin ; 15 d'entre elles datent de janvier ou février 2009 donc de l'époque de la réclamation écrite ; le salarié présente un tableau des heures qu'il dit avoir passées au travail de novembre 2005 à janvier 2009, soit pendant 39 mois ; il fournit ainsi des éléments étayant sa demande ; la SARL présente 29 attestations desquelles il appert que le magasin était ouvert 7 jours sur 7 de 8 à 20 heures, soit 12 heures par jour et 84 semaine ; que toutes sont postérieures à la saisine du conseil de prud'hommes et donc à la période litigieuse ; il en ressort néanmoins que le magasin ouvrait ses portes à la clientèle 12 et non 13 heures par jour ; la SARL ne présente aucune élément établissant le nombre d'heures réellement travaillées par M. X... dans cette limite ; aucun des attestants de M. X... de fait état de ce qu'il ne pouvait ni observer la pause méridienne, ni bénéficier des temps de pause légaux ou conventionnels, ni prendre les congés payés annuels ; ces témoins n'attestent pas davantage que M. X... continuait à travailler dans le magasin après l'heure de fermeture ; sur ces bases la Cour retiendra que M. X... passait au travail 10 heures par jour, soit heures hebdomadaires à raison de 47 semaines par an ; le salarié a ainsi droit au paiement de 25 heures supplémentaire par semaine ; il convient d'inviter M. X... à calculer ses demandes sur ces bases et par conséquent de rouvrir les débats
ALORS QUE, nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que si l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; que ne constituent pas des éléments de nature à étayer sa demande, les seuls tableaux fournis par le salarié lui-même ainsi que les attestations circonstanciées qui datent de la période contentieuse ; qu'en affirmant que les éléments produits par le salarié étaient de nature à étayer sa demande quant il ne s'agissait en réalité que de preuves auto-constituées, la cour d'appel a violé les articles L. 3171-4 du Code du travail ainsi que 1315 du Code civil.
ALORS ENCORE QUE, les juges sont tenus par les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties ; que si les juges sont souverains dans l'appréciation des éléments produits par les parties, ils ne peuvent, sous couvert d'appréciation, écarter certains de ces éléments sans même les examiner ; que pour dire que le salarié pouvait prétendre au paiement de rappels d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, la Cour d'appel a retenu que l'employeur ne présentait aucun élément établissant le nombre d'heures réellement travaillées ; qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur produisait des éléments établissant que le salarié était soumis à l'horaire collectif défini par l'employeur et ainsi qu'un ensemble d'attestations établissant la réalité matérielle de l'horaire de travail du salarié, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile

QU'en tout cas, en n'examinant pas ces pièces, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3171-4 du Code du travail et 1134 du Code civil.
ALORS ENFIN QUE, les juges ne peuvent dénaturer les éléments de preuve qui leur sont soumis ; que si les juges sont souverains dans l'appréciation de ces éléments, ils ne peuvent, sous couvert d'appréciation, dénaturer les éléments produits par les parties ; que pour dire que le salarié pouvait prétendre au paiement de rappels d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, la Cour d'appel a retenu que les attestations produites par l'employeur étaient toutes postérieures à la période litigieuse ; qu'en statuant ainsi, alors que l'attestation de M. Y... attestait que le salarié avait travaillé 35 heures par semaine au cours de la période allant d'avril 2006 à décembre 2007, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil.

Moyens produits au pourvoi incident par la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat aux Conseils pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d'une démission, débouté M. Adlen X... de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de rupture et condamné ce dernier à payer à la société Lajil et Ghrab Associés la somme de 1.365 ¿ pour inexécution du préavis ;
AUX MOTIFS QUE lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou abusif si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ; que la preuve des griefs et du bien-fondé de la rupture incombe au salarié ; que par lettre recommandée avec avis de réception du 6 mars 2012, Adlen X... prenait acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la Sarl Lajil et Ghrab Associés pour pressions et intimidations au travail ; qu'il reprend ces griefs dans ses conclusions ; qu'il ne présente aucun élément concret et probant en ce sens ; que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit ainsi les effets d'une démission ; que par voie de conséquence Adlen X... succombera en ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement abusif et des indemnités de rupture ;
1) ALORS QUE lorsqu'un salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués le justifiaient ; qu'en l'espèce, à l'appui de sa demande tendant à ce que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié se prévalait, dans ses conclusions d'appel, du défaut de règlement des heures supplémentaires ; qu'en considérant, pourtant, que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'une démission, après avoir constaté que le salarié n'avait pas été réglé des heures supplémentaires effectuées, soit 25 heures supplémentaires par semaine à raison de 47 semaines de travail par an, pendant la période de novembre 2005 à janvier 2009, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l'article 1134 du code civil, ensemble l'article L. 1231-1 du code du travail ;
2) ALORS QU'en tout état de cause, le juge est tenu d'examiner les manquements invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans l'écrit par lequel il a pris acte de la rupture du contrat de travail ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. Adlen X... ne s'était pas borné à invoquer des pressions dont il était victime depuis sa saisine du conseil de prud'hommes, il se prévalait également des manquements de l'employeur relatifs à l'absence de paiement des heures supplémentaires ; qu'en se bornant à retenir que les griefs relatifs aux pressions et intimidations au travail n'étaient pas établis, pour considérer que la prise d'acte de la rupture du contrat produisait les effets d'une démission, sans tenir compte de l'absence de paiement des heures supplémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 1231-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'indemnité pour travail dissimulé, formée par M. Adlen X... ;
AUX MOTIFS QUE cette demande, qui est antérieure à la rupture du contrat de travail, doit être rejetée ;
ALORS QU'il est constant que le 6 mars 2012, M. Adlen X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail et que dans ses conclusions d'appel, postérieures à cette prise d'acte, il a réitéré sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé ; qu'en le déboutant pourtant de cette demande, au motif inopérant qu'elle était antérieure à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile, violant ainsi ledit article.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO01384
Retourner en haut de la page