Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 juillet 2014, 12-21.512, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué que par acte du 17 décembre 2007, la société X... (la société) exploitant un hôtel restaurant a cédé son fonds de commerce à la société Beauregard alors que le contrat de travail de M. Y..., engagé depuis le 7 février 2005 en qualité de serveur et valet de chambre, était suspendu à la suite d'un arrêt pour maladie ; que la société X... a procédé à sa dissolution anticipée, Mme X... étant nommée liquidateur amiable, la société Beauregard étant pour sa part placée en liquidation judiciaire, M. Z... étant nommé mandataire liquidateur ;

Sur le second moyen :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt d'avoir fait partiellement droit à sa demande présentée au titre des heures complémentaires et supplémentaires et congés payés afférents, alors, selon le moyen :

1°/ que si la preuve de la durée du travail n'incombe spécialement à aucune des parties au contrat de travail, dès lors que le salarié a produit devant le juge des éléments de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'employeur est tenu de fournir les documents nécessaires au décompte de la durée exacte du travail ; que la cour d'appel, qui a regardé les éléments produits par le salarié comme suffisamment probants pour établir l'existence d'un important volume d'heures supplémentaires mais qui n'a pas intégralement fait droit à sa demande de ce chef, cependant qu'était expressément constatée l'absence de production par l'employeur d'un enregistrement des heures de travail effectuées quotidiennement par le salarié « sur la semaine et sur le mois », n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ que saisie de conclusions par lesquelles le salarié faisait valoir, par renvoi à un tableau décomptant très précisément les heures supplémentaires effectuées, que son horaire de travail avait depuis l'origine inclus le service du petit déjeuner, la cour d'appel, qui, en l'absence constatée de tout enregistrement par l'employeur des heures effectuées quotidiennement par le salarié, a cependant retenu par une pure et simple affirmation que le salarié n'aurait pas été affecté au service du petit déjeuner avant le 1er janvier 2007, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve qui leur étaient soumis ; qu'il ne peut être accueilli ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article L. 1224-1 du code du travail ;

Attendu que le licenciement d'un salarié prononcé à l'occasion du transfert d'une entité économique autonome dont l'activité est poursuivie, est privé d'effet ; que le salarié peut, à son choix, demander au repreneur la poursuite du contrat de travail illégalement rompu ou demander à l'auteur du licenciement illégal la réparation du préjudice en résultant ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes présentées au titre de la rupture à l'encontre du cédant et du cessionnaire, l'arrêt retient d'une part que rien ne permet de retenir que la société a continué de se comporter comme l'employeur ni que l'envoi d'une somme correspondant à ce qu'elle estimait lui devoir caractérisait une rupture de la relation contractuelle et que d'autre part, il n'est pas indiqué que le salarié ait demandé à passer au service du cessionnaire, ni que celui-ci ait d'abord refusé le transfert du contrat de travail et qu'il se soit ensuite opposé à la reprise du contrat de travail du salarié ;

Qu'en statuant ainsi alors qu'il résultait de ses constatations que le cédant avait déclaré dans l'acte de vente du fonds qu'aucun contrat de travail n'était en cours, empêchant ainsi la poursuite du contrat avec le cessionnaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de toutes ses demandes au titre du licenciement, l'arrêt rendu le 25 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne M. Z..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat aux Conseils, pour M. Y....


PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR débouté monsieur Y..., salarié, de toutes ses demandes au titre du licenciement (dommages et intérêts, indemnité de préavis) ;
AUX MOTIFS QUE par contrat de travail à durée déterminée saisonnier du 7 février 2005, Pascal Y... avait été embauché en qualité de serveur et valet de chambre par la société X... qui exploitait un hôtel restaurant à Saint-Pierre de Chartreuse ; qu'un autre contrat de travail à durée déterminée saisonnier avait été conclu pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2005, puis la relation contractuelle s'était poursuivie sous le régime du contrat à durée indéterminée ; que Pascal Y... avait été en arrêt maladie du 22 juillet 2007 au 18 février 2009 ; qu'au cours de l'arrêt maladie, la société X... avait, par acte sous seing privé du 17 décembre 2007, cédé son fonds de commerce à la société Sh Beauregard et elle avait ensuite procédé à sa dissolution anticipée, madame X... étant nommée liquidateur amiable (arrêt, p. 2) ; que pendant l'arrêt maladie du salarié, une modification dans la situation juridique de l'employeur était intervenue, puisque la société X... avait cédé son fonds de commerce à la société Sh Beauregard ; que dans une telle situation, les dispositions d'ordre public de l'article L. 1224-1 du code du travail prévoyaient que les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistaient entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ; que rien, dans les pièces versées aux débats, ne permettait de retenir qu'après le 17 décembre 2007, date de la cession du fonds de commerce, la société X... avait continué de se comporter comme l'employeur de Pascal Y... ; qu'en l'absence de subsistance de sa relation contractuelle avec la société X..., Pascal Y... ne pouvait légitimement soutenir que l'envoi par la société X... au mois d'août 2008 d'un chèque de 3.219 € correspondant aux sommes qu'elle estimait lui devoir, caractérisait une rupture de la relation contractuelle ; que l'argumentation de Pascal Y... selon laquelle il avait été licencié par la société X... ne pouvait prospérer ; que Pascal Y... n'indiquait pas qu'à la fin de son arrêt maladie, il s'était présenté à l'hôtel Beauregard pour y reprendre son travail ; qu'il n'établissait par aucune pièce que la société Sh Beauregard avait dans un premier temps refusé le transfert du contrat de travail et qu'elle s'était ensuite opposée à la reprise de son travail ; que l'argumentation de Pascal Y... selon laquelle il avait été licencié par la société Sh Beauregard ne pouvait davantage prospérer ; que Pascal Y... serait débouté de toutes les demandes qu'il formait du chef d'un licenciement qui n'était pas intervenu (arrêt, p. 5) ; qu'il ressortait des pièces versées aux débats que selon l'acte de cession (page 7), la société Sh Beauregard avait acquis un fonds de commerce n'employant aucun salarié ; qu'il ne résultait d'aucun document que la société X... avait informé Pascal Y... de la cession du fonds de commerce et du transfert de son contrat de travail ; qu'elle avait d'ailleurs continué de recevoir les avis d'arrêt de travail qu'il lui envoyait (arrêt, p. 6, onzième à treizième alinéas) ;
ALORS, D'UNE PART, QU'il était expressément constaté que l'acte de cession de fonds de commerce conclu entre la société X..., cédant, et la société Sh Beauregard, cessionnaire, stipulait l'absence de tout emploi salarié, ce dont il résultait que le cédant et le cessionnaire avaient eu la volonté commune d'exclure, en violation des dispositions d'ordre public de la loi, la poursuite du contrat de travail du salarié avec le cessionnaire et que le salarié avait été licencié sans cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant néanmoins qu'aucun licenciement n'était intervenu, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en retenant qu'il n'aurait pas été établi qu'après le 17 décembre 2007, date de la cession du fonds de commerce, la société X... avait continué de se comporter comme l'employeur de monsieur Y..., cependant qu'il était constaté qu'elle avait continué de recevoir les avis d'arrêt de travail que celui-ci lui envoyait, sans exprimer à celui-ci qu'elle aurait cessé d'être son employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;
ALORS, ENFIN, QUE lorsque le contrat de travail est en cours au jour de la cession de l'entreprise, il appartient au nouvel employeur, s'il connaît l'existence d'un salarié, d'informer celui-ci du transfert de son contrat de travail et de lui demander de travailler dorénavant à son service ; que la cour d'appel, qui a exclu l'existence d'un licenciement imputable au cessionnaire du fonds de commerce de l'employeur, sans constater soit que ledit cessionnaire aurait informé le salarié du transfert de son contrat de travail, soit que le cessionnaire aurait ignoré l'existence du salarié, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, D'AVOIR limité à la somme de 39.916,97 €, outre 3.991,70 € au titre des congés payés afférents, la condamnation prononcée contre madame X..., en qualité de liquidateur amiable de la société X..., employeur, envers monsieur Y..., salarié, au titre des heures complémentaires et supplémentaires ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE la société X... n'avait pas respecté ses obligations ; qu'il n'y avait eu aucun enregistrement des heures effectuées quotidiennement, sur la semaine et le mois ; qu'il résultait des attestations produites aux débats et des éléments fournis par madame X..., que Pascal Y... avait effectué des heures supplémentaires, étant précisé que l'article 21 de la convention collective des hôtels, cafés, restaurants fixait la durée hebdomadaire du travail à 43 heures dans les établissements de 10 salariés au plus et qu'était considérée comme heure supplémentaire toute heure de présence sur les lieux de travail effectuée chaque semaine au-delà de cette durée ; que sur le nombre d'heures supplémentaires effectuées et au vu des éléments produits par les parties, il y avait lieu de distinguer deux périodes ; que du 7 février 2005 au 31 décembre 2006, il convenait de considérer que Pascal Y... commençait à travailler au bar vers 11 heures et terminait le soir à 22 heures, soit 11 heures par jour sur six jours, ou 66 heures par semaine, le planning fourni par Pascal Y... ne mentionnant aucunement la prise d'un second jour de congé ; qu'à compter du 1er janvier 2007 et du fait de l'absence plus importante d'Olivier X... et de Céline X..., Pascal Y... servait les petits déjeuners et travaillait de 8 heures à 22 heures, 14 heures par jour sur six jours soit 84 heures par semaine (jugement rendu le 22 août 2011, pp. 4 et 5) ; que Pascal Y... produisait plusieurs attestations de salariés de l'établissement et de connaissances qui indiquaient qu'il était initialement affecté au bar et au nettoyage des chambres et que ses horaires de travail avaient considérablement augmenté lorsqu'au début de l'année 2007, les époux X... avaient quitté Saint-Pierre de Chartreuse et avaient été de moins en moins présents à l'hôtel ; que Céline X... ne produisait aucun document pour contredire ces témoignages concordants selon lesquels Pascal Y..., qui s'était installé à l'hôtel, assumait de nombreuses tâches tout au long de la journée : petits déjeuners, mise en place du restaurant, nettoyage des chambres, animation de soirées, tenue du bar (Agnès A..., Sylvie B..., Christian C..., Martine D...) ; qu'en l'état de ces éléments, les premiers juges avaient exactement calculé les horaires de travail de Pascal Y... au cours de la période de présence des époux X... et au cours de la période qui avait suivi leur départ (arrêt, pp. 5 et 6) ;
ALORS, D'UNE PART, QUE si la preuve de la durée du travail n'incombe spécialement à aucune des parties au contrat de travail, dès lors que le salarié a produit devant le juge des éléments de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'employeur est tenu de fournir les documents nécessaires au décompte de la durée exacte du travail ; que la cour d'appel, qui a regardé les éléments produits par le salarié comme suffisamment probants pour établir l'existence d'un important volume d'heures supplémentaires mais qui n'a pas intégralement fait droit à sa demande de ce chef, cependant qu'était expressément constatée l'absence de production par l'employeur d'un enregistrement des heures de travail effectuées quotidiennement par le salarié « sur la semaine et sur le mois », n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE saisie de conclusions par lesquelles le salarié (p. 9) faisait valoir, par renvoi à un tableau décomptant très précisément les heures supplémentaires effectuées, que son horaire de travail avait depuis l'origine inclus le service du petit déjeuner, la cour d'appel, qui, en l'absence constatée de tout enregistrement par l'employeur des heures effectuées quotidiennement par le salarié, a cependant retenu par une pure et simple affirmation que le salarié n'aurait pas été affecté au service du petit déjeuner avant le 1er janvier 2007, a violé l'article 455 du code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO01365
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