Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 mai 2014, 12-35.009, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Paris, 22 octobre 2012), que la société Nestlé France applique les accords de classification issus de la convention collective dite Alliance 7 ; que les partenaires sociaux ont conclu le 4 novembre 2008 un nouvel accord de classification, qui a fait l'objet d'un arrêté d'extension le 29 avril 2009 ; que, conformément aux exigences de la convention Alliance 7, la société Nestlé France a consulté le comité central d'entreprise (CCE), après la mise en place en 2008 de comités paritaires au sein de chacun des établissements ; que, convoqué en réunion extraordinaire le 29 mars 2012 sur le projet de mise en oeuvre au 1er mai 2012 de la nouvelle grille de classification, le CCE a refusé que cette réunion se tienne tant que les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) des établissements de la société n'étaient pas consultés ; que le CCE de la société et les CHSCT des établissements de Boué, Challerange, Cergy, Dieppe, Force de vente de Noisiel, Itancourt et Pontarlier ont saisi la juridiction des référés le 24 avril 2012 ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen, qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Nestlé France fait grief à l'arrêt de lui ordonner de transmettre aux CHSCT, pour information et consultation, l'accord de classification en cause et de suspendre la procédure d'information-consultation du CCE jusqu'à transmission des avis des CHSCT, alors, selon le moyen :

1°/ que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; que constitue seul un projet d'aménagement important, celui qui est de nature à affecter directement les caractéristiques des postes de travail, l'environnement du poste, l'organisation et le contenu du travail ; que la mise en place d'une nouvelle classification qui prévoit le passage d'une classification selon une logique de poste et de coefficient, à une classification par emplois et profils d'emplois selon des niveaux et des échelons, ne constitue pas une décision d'aménagement important ; qu'en tenant pour nécessaire la consultation des CHSCT, la cour d'appel a violé l'article L. 4612-8 du code du travail ;

2°/ qu' un projet d'aménagement important au sens de l'article L. 4612-8 du code du travail, est celui qui est de nature à affecter directement les caractéristiques des postes de travail, l'environnement du poste, l'organisation et le contenu du travail ; que la société Nestlé France avait fait valoir que la mise en place de la nouvelle classification avait pour unique conséquence un changement de dénomination entérinant un unique changement sur le bulletin de paie de chaque salarié, changement consistant à faire succéder la mention de l'emploi, suivi d'un niveau et d'une qualification, à la mention d'un poste suivi d'un coefficient ; qu'en ne s'expliquant pas sur les modifications qui auraient directement affecté les conditions de travail des salariés après la mise en place de la nouvelle classification, quand les moyens développés par la société Nestlé France excluaient toute incidence sur les conditions de travail qui demeuraient identiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4612-8 du code du travail ;

3°/ qu'un projet d'aménagement important au sens de l'article L. 4612-8 du code du travail, est celui qui est de nature à affecter directement les caractéristiques des postes de travail, l'environnement du poste, l'organisation et le contenu du travail ; que la société Nestlé France avait observé que l'ajout d'un critère classant, à savoir, la responsabilité, avait eu pour seul objectif une évaluation des emplois et non des personnes, ajoutant que la classification mise en place n'était pas un outil d'évaluation du personnel et précisant que la nouvelle classification avait été élaborée en se fondant sur l'existant pour décrire les profils d'emploi, eux-mêmes décrits sur la base du contenu des postes effectivement ; que la cour d'appel a constaté que l'objectif de regroupement de postes au sein d'emplois ne signifiait pas fongibilité et interchangeabilité ; qu'en énonçant néanmoins, qu'en mettant en place un nouveau critère classant, de même qu'en regroupant un grand nombre de postes de travail au sein d'emplois, la convention Alliance 7 prévoyait de notables aménagements des conditions de travail des salariés affectés à ces postes sans s'expliquer sur les moyens développés par la société Nestlé France qui excluaient tout impact de la nouvelle classification sur les conditions de travail des salariés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que l'accord de classification a pour objectif de regrouper tous les postes de travail de même nature existant dans l'entreprise au sein d'emplois et de profils d'emplois, lesquels seront regroupés à leur tour en métiers, et relevé que la société Nestlé France s'inscrit dans une démarche de flexibilité des emplois et de définition de nouveaux métiers, un salarié n'étant plus affecté à un poste de travail, mais plus largement à un emploi comportant plusieurs postes de travail, la cour d'appel a pu en déduire que, s'agissant d'un projet important ayant des répercussions sur les conditions de travail des salariés, la demande de consultation des CHSCT était justifiée ; que le moyen, qui manque en fait dans ses deuxième et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Nestlé France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Nestlé France

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit recevables les demandes des Chsct et du Cce de la société Nestlé France tendant à voir ordonner la consultation des Chrsct sur le projet de classification des emplois et à voir constater le défaut de conformité du projet à l'accord de branche du 4 novembre 2008 ;

AUX MOTIFS QUE le juge des référés peut prescrire, même en présence d'une contestation sérieuse, les mesures qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en retenant que le défaut de respect d'une procédure d'information - consultation des Chsct et du Cce lorsque la loi l'impose est de nature à constituer un trouble manifestement illicite, le juge des référés de Meaux qui a déclaré recevables tant la demande des Chsct du fait de son absence de consultation préalable prévue par L.4612-8 du code du travail que celle du Cce habile à agir en justice pour faire respecter la procédure d'information - consultation des articles L.2323-6 et 27 du code du travail lorsqu'il ne dispose pas des avis émis préalablement par les Chsct, a fait une exacte application du droit à la présente cause ; qu'il importe peu, en effet, que le projet de classification des emplois, en cours de soumission au Cce, s'inscrive dans un processus obligatoire de transposition par les entreprises adhérentes de la convention collective de branche modifiée suivant l'accord susvisé de 2008 ;

ALORS QUE seule l'évidence du droit revendiqué, exclusive de toute analyse qualitative ou quantitative, permet de caractériser un trouble manifestement illicite ; que l'appréciation de la nécessité d'une consultation préalable d'un Chsct au sens de l'article L.4612-8 du code du travail, impose un examen au fond de l'importance et de la nature de la décision mise en oeuvre, laquelle doit consister en une décision d'aménagement emportant modification des conditions de santé et de sécurité ou des conditions de travail ; qu'une telle appréciation relève de la seule compétence des juges du fond ; qu'en statuant comme elle l'a fait et en déclarant recevables les demandes des Chsct et du Cce, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 809 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné à la société Nestlé France de transmettre aux Chsct, pour information et consultation, l'accord de classification en cause et d'avoir suspendu la procédure d'information - consultation du Cce jusqu'à transmission des avis des Chsct ;

AUX MOTIFS QU' en application de l'article L.4612-8 du code du travail, le Chsct est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; que constitue un « aménagement important » tout projet susceptible de transformer les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail des salariés dès lors qu'il peut avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière, leur rémunération ou que ses modalités et enjeux sont manifestement de nature à générer une pression psychologique entrainant des répercussions sur les conditions de travail ; que l'objet d'un accord de classification est la définition du cadre descriptif de la hiérarchie salariale, les droits et obligations d'un salarié, ainsi que sa carrière professionnelle, dépendant étroitement des règles retenues pour déterminer la qualification, les niveaux et le nombre de niveaux ; que l'entrée en vigueur d'un nouvel accord de classification est donc susceptible de modifier la qualification du salarié dès lors qu'il modifie la définition des qualifications ou les règles devant présider à leur attribution ; que lorsque la qualification dont bénéficie un salarié ne résulte pas du contrat de travail mais des dispositions d'un accord collectif en vigueur dans l'entreprise, la nouvelle classification résultant d'un avenant à cet accord régulièrement conclu lui est opposable et il ne peut se prévaloir d'une modification apportée à son contrat de travail ; que l'accord de classification Alliance 7, que la société Nestlé doit en l'espèce transposer, énonce, sous la forme d'un principe général, que « la classification des emplois est de nature à faciliter la mise en oeuvre d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) efficace » ; qu'il définit l'emploi comme « un ensemble d'un ou plusieurs postes de travail mobilisant des activités et des compétences de même nature suffisamment proches pour pouvoir être exercés par les mêmes personnes moyennant adaptation et formation » (article 1.3), ou comme la « situation de travail correspondant à un ou plusieurs postes de travail dans une structure (la notion d'emploi englobe celle de poste), mobilisant des activités et des compétences de même nature », tandis que le « poste de travail » est « l'ensemble des activités concrètes réalisées dans le cadre de procédures normées, affectées à un lieu précis de travail pour lequel sont mises à disposition les ressources nécessaires » et le « métier » un « domaine d'activité au sein d'une entreprise. Elle (sic) regroupe des emplois s'articulant autour des mêmes domaines de compétence, et entre lesquels des mobilités peuvent se faire de manière naturelle » (glossaire) ; que l'accord Alliance 7 prévoit de mettre en place un comité paritaire de classification présidé par la direction, dont les modalités de fonctionnement et la composition feront l'objet d'un accord entre les représentants des organisations syndicales et/ou les représentants du personnel et la direction de l'entreprise ; qu'il stipule que « le comité d'entreprise sera informé et consulté sur le positionnement des emplois avant la mise en place définitive de la grille de classification » ; qu'une annexe relative aux critères de classification ajoute aux anciens critères, un nouveau critère classant intitulé « responsabilité » défini, comme l' « influence de l'emploi sur le fonctionnement et le résultat de l'équipe, de l'entité ou de l'entreprise (¿) se mesurant par l'impact des décisions et actions sur l'activité et l'organisation de l'entreprise » et qu'il existe neuf degrés ; qu'il ressort de la seule lecture de l'accord en cause que l'objectif poursuivi et affiché par la société Nestlé - serait- ce par obligation de transposition d'un accord de branche - est bien de regrouper tous les postes de travail de même nature existant actuellement dans l'entreprise au sein d'emplois et de profils d'emplois, lesquels seront à leur tour regrouper en métiers ; que si cette ventilation ne signifie pas nécessairement que l'ensemble des postes de travail ainsi regroupés seront « fongibles et interchangeables » de droit, ainsi que le relève le premier juge, et ce d'autant que certains emplois, surtout lorsqu'ils sont qualifiés, ne comprennent qu'un seul type de poste, il suffit que l'objectif de la société soit de s'inscrire dans une logique de flexibilité des emplois et que la nouvelle classification la permette et permette d'aboutir à la définition de nouveaux métiers ; que les explications données dans « Flash info social » daté du 4 avril 2012 par la société Nestlé France pour qui « l'accord de classification Alliance 7 n'a pas vocation à impacter les postes de travail qui demeurent inchangés » ou encore « aucune mobilité n'est ou ne sera imposée en raison de cette nouvelle classification », constituent des engagements sans portée juridique dans la mesure où, en dernière analyse, c'est au juge, non à l'employeur, qu'il appartient de décider si la nouvelle classification résultant d'un accord régulièrement conclu sera opposable au salarié et l'empêchera de se prévaloir d'une modification apportée à son contrat de travail ; qu'en effet, le salarié ne sera plus exclusivement affecté à un poste de travail, mais plus largement à un emploi comportant plusieurs postes de travail dont la nouvelle classification lui aura permis de mieux connaître « les aires de mobilité et d'évolution accessibles » ; que, ce faisant, le projet a un nécessaire impact sur la santé, la sécurité et les conditions de travail ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'en mettant en place un nouveau critère classant, de même qu'en regroupant un grand nombre de postes de travail au sein d'emplois, la convention Alliance 7 prévoit de notables aménagements des conditions de travail des salariés affectés à ces postes ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'ordonner la suspension de la procédure tant que les Chsct n'auront pas été régulièrement consultés ni informés ; qu'il y a lieu d'ordonner à la société Nestlé France d'interrompre la procédure d'information - consultation du Cce jusqu'à transmission des avis des Chsct ;

1/ ALORS QUE le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; que constitue seul un projet d'aménagement important, celui qui est de nature à affecter directement les caractéristiques des postes de travail, l'environnement du poste, l'organisation et le contenu du travail ; que la mise en place d'une nouvelle classification qui prévoit le passage d'une classification selon une logique de poste et de coefficient, à une classification par emplois et profils d'emplois selon des niveaux et des échelons, ne constitue pas une décision d'aménagement important ; qu'en tenant pour nécessaire la consultation des Chsct, la cour d'appel a violé l'article L.4612-8 du code du travail ;

2/ ALORS QU' un projet d'aménagement important au sens de l'article L.4612-8 du code du travail, est celui qui est de nature à affecter directement les caractéristiques des postes de travail, l'environnement du poste, l'organisation et le contenu du travail ; que la société Nestlé France avait fait valoir que la mise en place de la nouvelle classification avait pour unique conséquence un changement de dénomination entérinant un unique changement sur le bulletin de paie de chaque salarié, changement consistant à faire succéder la mention de l'emploi, suivi d'un niveau et d'une qualification, à la mention d'un poste suivi d'un coefficient ; qu'en ne s'expliquant pas sur les modifications qui auraient directement affecté les conditions de travail des salariés après la mise en place de la nouvelle classification, quand les moyens développés par la société Nestlé France excluaient toute incidence sur les conditions de travail qui demeuraient identiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.4612-8 du code du travail ;

3/ ALORS QU' un projet d'aménagement important au sens de l'article L.4612-8 du code du travail, est celui qui est de nature à affecter directement les caractéristiques des postes de travail, l'environnement du poste, l'organisation et le contenu du travail ; que la société Nestlé France avait observé que l'ajout d'un critère classant, à savoir, la responsabilité, avait eu pour seul objectif une évaluation des emplois et non des personnes, ajoutant que la classification mise en place n'était pas un outil d'évaluation du personnel et précisant que la nouvelle classification avait été élaborée en se fondant sur l'existant pour décrire les profils d'emploi, eux-mêmes décrits sur la base du contenu des postes effectivement occupés (conclusions d'appel, page 33, et suivantes) ; que la cour d'appel a constaté que l'objectif de regroupement de postes au sein d'emplois ne signifiait pas fongibilité et interchangeabilité ; qu'en énonçant néanmoins, qu'en mettant en place un nouveau critère classant, de même qu'en regroupant un grand nombre de postes de travail au sein d'emplois, la convention Alliance 7 prévoyait de notables aménagements des conditions de travail des salariés affectés à ces postes sans s'expliquer sur les moyens développés par la société Nestlé France qui excluaient tout impact de la nouvelle classification sur les conditions de travail des salariés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2014:SO00895
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