Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 avril 2014, 12-19.573, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 12-19.573
- ECLI:FR:CCASS:2014:SO00688
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- M. Lacabarats
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a travaillé au service de la société Dechiron, aux droits de laquelle se trouve la société Vinci construction terrassement, en qualité de chef d'équipe à compter du 1er octobre 1996, puis en qualité d'assistant chef de chantier à compter du 1er août 2009 ; qu'il a été licencié pour faute grave par lettre du 22 septembre 2009, l'employeur lui reprochant ses refus successifs d'affectation sur deux chantiers d'autoroute, le premier en Gironde et le second dans les Pyrénées-Atlantiques ; que contestant le bien-fondé de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, troisième et quatrième branches :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à justifier l'admission du pourvoi ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement fondé sur une faute, alors, selon le moyen, que si l'affectation occasionnelle d'un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification de son contrat de travail, il n'en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l'intérêt de l'entreprise, qu'elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles, et que le salarié est informé dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l'affectation et de sa durée prévisible ; qu'en estimant que M. X... ne pouvait, sans commettre une faute grave, refuser de rejoindre l'affectation temporaire sur un autre chantier qui lui était imposée par l'employeur, sans constater qu'il avait été informé de la durée prévisible de sa nouvelle affectation et sans relever l'existence de circonstances exceptionnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le déplacement refusé par le salarié s'inscrivait dans le cadre habituel de son activité d'assistant chef de chantier, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que le salarié avait manqué à ses obligations contractuelles ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :
Vu les articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt retient que le refus du salarié de rejoindre le chantier sur lequel il avait été envoyé constituait un acte d'insubordination caractérisant un manquement grave de l'intéressé à ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien dans l'entreprise ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur les faits invoqués par le salarié qui faisait valoir que ses précédentes affectations étaient toutes dans l'est de la France et que la durée prévisible de la mutation ne lui avait pas été précisée, ni caractériser sa volonté délibérée de se soustraire à ses obligations contractuelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. X... repose sur une faute grave et déboute le salarié de ses demandes à titre tant d'indemnités compensatrices de préavis et de congés payés que d'indemnité de licenciement, l'arrêt rendu le 22 mars 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Vinci construction terrassement aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Vinci construction terrassement et condamne celle-ci à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement résultait d'une faute grave et d'avoir débouté M. X... de toutes ses demandes à l'encontre de la société Vinci Construction Terrassement ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'il appartient à l'employeur de la prouver ; qu'il n'est pas contesté que la société Vinci Construction Terrassement a, notamment, pour activité la réalisation d'ouvrages d'infrastructures linéaires, de lignes à grande vitesse, d'autoroutes, de routes¿ sur l'ensemble du territoire national ; que le 1er septembre 2009, Reynald X... a été informé qu'il était affecté, à compter du 9 septembre, sur un chantier situé en Gironde, ce qu'il a refusé le jour même ; que le 2 septembre lui fut proposée une autre affectation sur un chantier situé dans les Pyrénées-Atlantiques, qu'il refusera également ; qu'il ne peut être sérieusement discuté qu'il s'agissait pour l'employeur, spécialisé dans les travaux publics, de procéder à une affectation temporaire sur un chantier temporaire et non à une mutation, Reynald X... ayant, entre 1997 et 2009, été envoyé dix-neuf fois sur des chantiers situés sur l'ensemble du territoire national et l'hypothèse d'un déménagement n'ayant pas même été abordée dans le cadre des débats, que la validité ou non de la clause de mobilité, contenue dans le contrat de travail de Reynald X... est sans incidence sur le bien-fondé du licenciement ; qu'en effet, l'envoi de Reynald X..., dont la fonction d'assistant chef de chantier imposait, compte tenu de l'activité de l'entreprise, des déplacements fréquents, sur des chantiers situés en quelque lieu que ce soit sur le territoire national, ne constituait pas une modification de son contrat de travail mais une modification de ses conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur ; que son refus de rejoindre le chantier auquel il était affecté constituait un acte d'insubordination ; qu'aucun abus n'est reproché à l'employeur dans l'exercice, relatif aux affectations, de son pouvoir de direction, qu'il ne peut, non plus lui être reproché de ne pas avoir respecté un délai raisonnable de prévenance, dans la mesure où Reynald X... fut prévenu le 1er septembre, puis le 2 septembre 2009 de son affectation pour une prise de fonction le 9 septembre ; que par suite, ce refus de Reynald X... de rejoindre le chantier sur lequel il avait été envoyé, constitue un manquement grave à ses obligations résultant de son contrat de travail rendant impossible son maintien dans l'entreprise ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur l'éventuelle nullité de la clause de mobilité, par avenant signé le 15 juillet 2009, le contrat de M. X... comporte une clause de mobilité rédigée de la façon suivante : « La société se réserve la possibilité de vous muter et de vous faire travailler dans les autres établissements actuels (et/ou futurs) du groupe » ; que la société Vinci Construction Terrassement rappelle que ce n'est pas en l'application de cette clause qu'elle a sollicité de M. X... qu'il se rende en Gironde ou dans les Pyrénées-Atlantiques ; que la nature même des activités de l'entreprise exclut toute localisation du travail et fait obstacle à ce que le lieu du travail puisse être a priori considéré comme un élément du contrat de travail ; que la Cour de cassation relève en son arrêt du 10 juillet 1985, n° 84-42.160, que « ¿ la mobilité est de règle dans le secteur des travaux publics » ; que la société Vinci Construction Terrassement était en droit d'imposer à M. X... une mutation provisoire en raison de son statut de grands déplacés depuis le 15 juillet 1997 ; qu'en conséquence, le conseil rejette la demande de nullité de la clause de mobilité formulée par M. X... ; que par ailleurs, sur la rupture du contrat de travail de M. X..., la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que la lettre de licenciement énonce les griefs suivants : « En effet, ce refus d'accepter d'exécuter votre prestation de travail constaté à la fois par votre réponse écrite et par le maintien de votre position au cours de l'entretien du 17 septembre 2009 de ne vous rendre sur aucun des deux chantiers d'affectation qui vous ont été proposés constitue un comportement intolérable et ne permet pas votre maintien au sein de l'entreprise. En outre, cela constitue une violation manifeste de vos obligations contractuelles et du pouvoir de direction de l'entreprise » ; que M. X... ne conteste pas son refus mais son lieu d'affectation ; que le 1er septembre 2009, c'est-àdire le jour même où sa mutation temporaire sur le chantier de l'A65 en Gironde lui est notifié, M. X... refuse sans apporter aucune explication ; que le 2 septembre 2009, M. X... refuse une nouvelle affectation temporaire sur un chantier situé dans les Pyrénées-Atlantiques, là encore sans apporter aucune explication ; que son refus répété d'un changement dans les conditions de travail constitue un acte d'insubordination ; que ces faits ne sont pas contestés par M. X... ; que M. X... n'apporte pas la preuve d'une quelconque rupture fautive, sa demande ne saurait prospérer ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis d'une pièce versée aux débats ; qu'en énonçant que la société Vinci Construction Terrassement avait imposé à M. X..., les 1er et 2 septembre 2009, une affectation temporaire et non une mutation, de sorte que le débat sur la validité de la clause de mobilité était sans objet (arrêt attaqué, p. 3 § 9), puisque l'employeur n'avait fait que mettre en oeuvre son pouvoir de direction (arrêt attaqué, p. 3 § 10), cependant que les documents soumis à M. X... mentionnaient expressément que lui était proposée une « mutation » et non une « mission temporaire », ces documents ne fixant par ailleurs aucune durée pour la nouvelle affectation, de sorte que l'existence d'une mutation n'était pas douteuse, la cour d'appel a violé le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QUE si l'affectation occasionnelle d'un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification de son contrat de travail, il n'en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l'intérêt de l'entreprise, qu'elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles, et que le salarié est informé dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l'affectation et de sa durée prévisible ; qu'en estimant que M. X... ne pouvait, sans commettre une faute grave, refuser de rejoindre l'affectation temporaire sur un autre chantier qui lui était imposée par l'employeur (arrêt attaqué, p. 3 § 9 à 11), sans constater qu'il avait été informé de la durée prévisible de sa nouvelle affectation et sans relever l'existence de circonstances exceptionnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1232-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, et subsidiairement, QU' en l'absence de définition précise de sa zone géographique d'application, la clause de mobilité est nulle ; qu'en rejetant, par adoption des motifs du jugement entrepris, la demande de nullité de la clause de mobilité formulée par le salarié, tout en relevant, d'une part, que cette clause stipulait que « la société se réserve la possibilité de vous muter et de vous faire travailler dans les autres établissements actuels (et/ou futurs) du groupe » et, d'autre part, que l'employeur avait une activité sur l'ensemble du territoire national (cf. arrêt attaqué, p. 3 § 6 et motifs adoptés du jugement entrepris, p. 3 § 8), ce dont il résultait nécessairement que la clause litigieuse ne contenait aucune définition précise de sa zone géographique d'application et qu'elle était donc nulle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L.1232-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
ALORS, EN QUATRIEME LIEU, QUE le libre choix du domicile personnel et familial constitue l'un des attributs du droit au respect du domicile inscrit à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en droit du travail, l'atteinte portée à ce principe, même pour une durée limitée, doit être proportionnée au but recherché et doit être justifiée par la tâche à accomplir par le salarié ; que dans ses conclusions d'appel (p. 4 ), M. X... faisait valoir que la mutation qui lui était imposée, effective dans les huit jours, portait une atteinte injustifiée et excessive à ses droits ; qu'en laissant sans réponse ces conclusions pertinentes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, EN DERNIER LIEU, et encore plus subsidiairement, QUE si le refus par le salarié, dont le contrat de travail contient une clause de mobilité licite, d'une nouvelle affectation peut constituer un manquement à ses obligations contractuelles, ce manquement ne constitue le cas échéant une faute grave que s'il compromet la bonne marche de l'entreprise ; qu'en considérant que le refus par M. X... de rejoindre un chantier situé en Gironde ou dans les Pyrénées-Atlantiques, alors que le chantier sur lequel il travaillait se trouvait en Côte d'Or, était constitutif d'une faute grave, sans constater que le refus exprimé par le salarié avait compromis la bonne marche de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail.