Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 mars 2014, 12-18.518, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 12-18.518
- ECLI:FR:CCASS:2014:C100321
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- M. Gridel (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2012), que les sociétés Tod's Spa et Tod's France (les sociétés Tod's) estimant qu'un modèle de ballerines commercialisé par les sociétés François Pinet et Orphée Club reproduisait les caractéristiques d'un modèle dénommé « Dee Fibbietta » sur lequel la société Tod's Spa déclarait détenir des droits d'auteur, ont, après avoir fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon et de constat d'achat, assigné en contrefaçon et en concurrence déloyale les sociétés Pinet et Orphée Club ainsi que leur fournisseur, la société Santiago Pons Quintana ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Tod's font grief à l'arrêt d'annuler le procès-verbal de constat des 15 et 21 juillet 2008 réalisé sur le site internet de la société Etablissement Jef, alors, selon le moyen, que les huissiers de justice peuvent, à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, et notamment constater la possibilité, à partir d'un site Internet, d'acheter et de se faire livrer un produit, dès lors qu'ils s'identifient et font état de leur qualité d'huissier de justice auprès de l'exploitant du site Internet et s'abstiennent de toute manoeuvre déloyale ; qu'en retenant, au contraire, qu'en procédant à l'ouverture d'un compte client et à l'acquisition d'un produit, l'huissier instrumentaire aurait outrepassé les limites d'un simple constat, tout en constatant qu'il s'était identifié et avait mentionné sa qualité d'huissier de justice, la cour d'appel a violé l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 portant statut des huissiers de justice ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant relevé que l'huissier de justice s'était engagé activement dans une démarche matérialisée par l'ouverture d'un compte client et par l'acquisition du produit litigieux pour en obtenir la livraison et qu'il n'avait été satisfait à sa demande qu'à la faveur d'un traitement automatisé, en a exactement déduit qu'il ne s'était pas borné à des constatations purement matérielles et qu'il avait outrepassé les pouvoirs qu'il détenait du texte précité ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que les sociétés Tod's font grief à l'arrêt de retenir que le modèle de chaussures « Dee Fibbietta » ne peut bénéficier de la protection du droit d'auteur et, en conséquence, de les débouter de leurs demandes formées au titre de la contrefaçon, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en affirmant qu'« à s'en tenir aux écritures des sociétés Tod's », les caractéristiques de l'empiècement formant l'emboîtage du modèle Dee Fibbietta devraient être considérées comme relevant d'un « choix technique », cependant que, bien loin de soutenir que le choix de ce double empiècement serait dicté par des considérations techniques, les sociétés Tod's indiquaient, dans leurs conclusions d'appel, qu'elles avaient entendu accorder une prépondérance à cet empiècement arrière, partie délaissée des chausseurs, qu'ainsi, l'emboitage prenait une place considérable dans la physionomie générale de la chaussure, renversant les proportions habituelles que l'on retrouve sur les modèles de ballerines, et qu'il en résultait que cette caractéristique traduisait uniquement un parti pris esthétique et un choix arbitraire de Tod's et non un choix technique, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel des sociétés Tod's, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il appartient aux juges du fond de se livrer à une appréciation personnelle et concrète de l'originalité d'une oeuvre de l'esprit, en recherchant par eux-mêmes si les caractéristiques de celle-ci résultent d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en relevant que les sociétés Tod's auraient laissé entendre que la caractéristique relative à la présence d'un emboitage constitué de deux formes identiques superposées se distinguant par leur taille n'était pas au fondement de l'originalité de leur modèle, en soutenant que le modèle argué de contrefaçon, qui ne comporte pas deux pièces superposées de tailles différentes, constituait la contrefaçon du modèle Dee Fibbietta, sans rechercher elle-même si le choix d'une telle caractéristique ne traduisait pas un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ qu'une combinaison d'éléments banals ou fonctionnels peut, en elle-même, présenter un caractère original si une telle combinaison résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que chacun des éléments composant le modèle Dee Fibbietta n'était pas, en lui-même, protégeable, la cour d'appel a retenu « qu'il suit qu'à juste titre », le tribunal avait dénié toute originalité à ce modèle ; qu'en se bornant à déduire l'absence d'originalité du modèle Dee Fibbietta de l'absence de caractère protégeable des éléments qui le composent, sans justifier en quoi le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation serait dépourvu d'originalité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que constitue une oeuvre originale protégeable toute création témoignant d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en se fondant, pour dénier toute originalité au modèle Dee Fibbietta, sur le fait que « l'aspect d'ensemble » du modèle Santiago Pons Quintana de 1999, d'une part, et du modèle Dee Fibbietta, d'autre part, conférait à ces modèles une « physionomie semblable » et sur le fait que certaines des caractéristiques de ces deux modèles produisaient un « effet visuel » similaire, la cour d'appel a fait application d'un critère inopérant pour l'appréciation de l'originalité de la ballerine Dee Fibbietta et a ainsi violé l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que le modèle Santiago Pons Quintana qui avait été commercialisé avant la date à laquelle la société Tod's Spa faisait remonter les droits qu'elle revendique sur le modèle Dee Fibbietta, présentait la combinaison de l'essentiel des caractéristiques de ce dernier ; qu'elle a souverainement estimé que l'ajout de semelles à picots qui s'inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l'empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n'était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d'auteur ; que le moyen inopérant en ses première et quatrième branches pour s'attaquer à des motifs surabondants, manque en fait en ses autres branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que les sociétés Tod's font en outre reproche à la cour d'appel de les avoir déboutées de leurs demandes formées au titre de la concurrence déloyale, alors, selon le moyen :
1°/ que la cassation de l'arrêt à intervenir sur le fondement du premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a débouté les sociétés Tod's Spa et Tod's France de leur action en concurrence déloyale, et ce par application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en se bornant, pour écarter les demandes des sociétés Tod's Spa et Tod's France pour concurrence déloyale et parasitisme, à affirmer que « les seules ressemblances » entre le modèle Dee Fibbietta et le modèle incriminé tiendraient à une « communauté de genre », sans autre précision et notamment sans indiquer à quelles ressemblances elle faisait ainsi référence, ni en quoi celles-ci relèveraient d'une « communauté de genre » ni de quel « genre » il est question, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que l'exercice d'une action pour parasitisme ou concurrence parasitaire n'est pas subordonné à une absence de situation de concurrence entre les parties ; qu'en retenant, pour écarter l'action des sociétés Tod's Spa et Tod's France pour parasitisme, que les sociétés se trouvaient en situation de concurrence, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a rejeté la demande formée au titre d'une concurrence déloyale, après avoir examiné la qualité des ballerines incriminées, leur prix ainsi que les codes couleurs sous lesquels elles étaient présentées ;
Que, d'autre part, ayant souverainement estimé que la preuve de la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent, par reprise de savoir-faire, de notoriété ou des fruits d''investissements, n'était pas rapportée, la cour d ¿appel en a exactement déduit que la demande formée au titre du parasitisme n'était pas fondée ;
Que le moyen qui manque en fait en sa première branche dès lors que le premier moyen est rejeté, est mal fondé pour le surplus ;
Et attendu que par suite du rejet du pourvoi principal, le pouvoir incident éventuel est devenu sans objet ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi incident ;
Condamne les sociétés Tod's aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Tod's ; les condamne à verser aux sociétés François Pinet, Orphée Club et Etablissements Jef la somme globale de 3 000 euros et la même somme à la société Santiago Pons Quintana ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour les sociétés Tod's Spa et Tod's France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé le procès-verbal de constat des 15 et 21 juillet 2008 réalisé sur le site Internet de la société ETABLISSEMENTS JEF ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « formant appel incident, les sociétés Tod's critiquent le tribunal en ce qu'il a considéré que l'huissier instrumentaire avait outrepassé les limites d'un simple constat d'achat pour opérer une saisie-contrefaçon sans y être autorisé alors que, selon elles, tout huissier peut, sans autorisation de justice, réaliser des constatations et procéder à l'achat d'un bien sous la double réserve de s'être identifié, ce qu'il a fait en l'espèce, et de ne pas se heurter à un refus du propriétaire des lieux, ce qui n'est pas le cas puisque la société Etablissements Jef a accepté la vente et que le produit a été livré à l'huissier ; mais que l'huissier, procédant non point à des constatations matérielles mais à une démarche active matérialisée par l'ouverture d'un compte client et par une acquisition suivie d'un placement sous scellés, s'est contenté d'inscrire sa qualité d'huissier de justice dans la rubrique « complément d'adresse » alors qu'il disposait d'une rubrique « information complémentaire » (pièce 29) et qu'il n'a été satisfait à sa demande qu'à la faveur d'un traitement automatique des données ainsi fournies ; que le jugement qui a annulé ce procès-verbal de constat doit, par conséquent, être confirmé » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « les sociétés ETABLISSEMENTS JEF et SANTIAGO PONS QUINTANA font à juste titre observer, que l'huissier ne s'est pas contenté de procéder à la description du site de vente en ligne exploité par la société ETABLISSEMENTS JEF et du produit argué de contrefaçon, mais s'est livré à l'ouverture d'un compte client et à l'acquisition d'un modèle de chaussures qu'il a ensuite, dès réception, placé sous scellés le 21 juillet 2008, outrepassant ainsi les limites d'un constat d'achat pour opérer une saisie-contrefaçon sans y avoir été dûment autorisé selon les règles de l'article L 332-1 du Code de la Propriété Intellectuelle qui sont d'application stricte, le fait que l'huissier ait indiqué sa qualité dans la rubrique "complément d'adresse" étant inopérant ; qu'il suit que le procès-verbal de constat des 15 et 21 juillet 2008 réalisé sur le site Internet de la société ETABLISSEMENTS JEF doit être annulé » ;
ALORS QUE les huissiers de justice peuvent, à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, et notamment constater la possibilité, à partir d'un site Internet, d'acheter et de se faire livrer un produit, dès lors qu'ils s'identifient et font état de leur qualité d'huissier de justice auprès de l'exploitant du site Internet et s'abstiennent de toute manoeuvre déloyale ; qu'en retenant, au contraire, qu'en procédant à l'ouverture d'un compte client et à l'acquisition d'un produit, l'huissier instrumentaire aurait outrepassé les limites d'un simple constat, tout en constatant qu'il s'était identifié et avait mentionné sa qualité d'huissier de justice, la Cour d'appel a violé l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 portant statut des huissiers de justice.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le modèle de chaussures DEE FIBBIETTA créé par la société TOD'S SpA et commercialisé par la société TOD'S FRANCE ne peut bénéficier de la protection au titre des livres I et V du Code de la propriété intellectuelle et d'avoir, en conséquence, débouté la société TOD'S SpA de ses demandes formées au titre de la contrefaçon ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « par voie d'appel incident, les sociétés Tod's SPA et Tod's France soutiennent que leur modèle de ballerines, divulgué sous le nom de la société Tod's SPA depuis le 10 novembre 2006, est éligible à la protection par le droit d'auteur et en définissent l'originalité par la combinaison des éléments suivants :
(1) un empiècement composant l'empeigne comportant une lanière de serrage en cuir avec une fermeture rectangulaire sur le côté extérieur de la lanière, au niveau du coup de pied,
(2) un empiècement en cuir composant la tige de la chaussure dans un coloris différent de celui de l'empeigne,
(3) la bordure intérieure forme une coulisse à l'intérieur de laquelle passe un élastique, qui donne une forme froncée à la ballerine ; cette coulisse est délimitée par une double surpiqûre,
(4) une semelle comportant les picots Tod's, plus étroite au niveau de la voûte plantaire,
(5) deux empiècements superposés d'une forme identique mais se distinguant par leur taille, forment l'emboîtage de la chaussure ; ils sont délimités par une double surpiqûre,
(6) ces empiècements sont perforés en leur milieu afin de laisser ressortir une rangée de trois picots au-dessus d'une rangée de quatre picots ;
qu'elles font successivement valoir que la combinaison d'éléments connus peut constituer une oeuvre originale bénéficiant de la protection accordée par le droit d'auteur, seul devant être pris en considération le résultat final et qu'il appartient aux défendeurs à l'action, pour permettre d'exclure cette protection, de démontrer que la combinaison revendiquée ne porte pas l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'à tort le tribunal a retenu que le modèle 'Santiago Pons Quintana' qui aurait été divulgué en 1999 constituait une 'antériorité' pertinente tout en caractérisant les différences notables existant entre les deux modèles opposés ; que les autres modèles de chaussures que leur opposent les sociétés Santiago Pons Quintana et François Pinet sont, pour leur part, très différents de son modèle 'Dee Fibbietta', s'ils ne lui sont pas postérieurs ou d'une divulgation sans date certaine ; que l'argument selon lequel le modèle revendiqué ne répondrait qu'à un impératif fonctionnel dans une tendance de mode globale n'est ni démontré ni pertinent puisque ce modèle s'adresse à un consommateur non professionnel et que toutes ses caractéristiques - même les semelles et quand bien même elles exercent également une fonction - sont ornementales ; que ceci rappelé, si les ballerines sont exploitées de longue date dans le domaine de la maroquinerie, ainsi que le rappellent les défenderesses à l'action, le simple fait d'appartenir à un genre n'est pas, en soi, de nature à ruiner l'originalité du modèle ; qu'il en va différemment si les choix opérés par l'auteur pour composer l'oeuvre revendiquée et qui sont présentés comme la manifestation d'une activité créative et porteurs de son empreinte personnelle se retrouvent dans une oeuvre préexistante ; qu'à cet égard, le modèle « Santiago Pons Quintana » commercialisé en 1999 sous la référence 001947Z se caractérise par la combinaison des éléments suivants :
- un empiècement composant l'empeigne comportant une lanière de serrage en cuir avec une fermeture au niveau du coup de pied,
- un empiècement en cuir composant la tige de la chaussure dans un coloris différent de celui de l'empeigne,
- une bordure intérieure formant une coulisse à l'intérieur de laquelle passe un élastique, qui donne une forme froncée à la ballerine,
- une semelle plus étroite au niveau de la voûte plantaire,
- un empiècement formant l'emboîtage de la chaussure ;
que force est de considérer que les sociétés Santiago Pons Quintana, François Pinet, Orphée Club et Etablissements Jef soutiennent à juste titre que le modèle « Santiago Pons Quintana » adoptait déjà, en 1999, la combinaison de l'essentiel des caractéristiques du modèle « Dee Fibbietta » telles que revendiquées et que l'aspect d'ensemble produit par l'agencement de ces différents éléments confère aux modèles opposés une physionomie semblable ; que, sur les éléments mis en avant par les sociétés Tod's et s'agissant de l'empiècement formant l'emboîtage de la chaussure constitué de deux pièces superposées de tailles différents dans le modèle revendiqué, d'une seule pièce dans l'autre , cet ajout doit être considéré, à s'en tenir aux écritures des sociétés Tod's, comme un choix technique puisqu'elles précisent qu'elles ont voulu accorder une prépondérance à cet empiècement arrière, délaissé des chausseurs ; qu'il peut être relevé que les sociétés Tod's font par ailleurs valoir que le modèle « 5560 » contrefait leur modèle alors qu'il ne comporte pas deux pièces superposées de tailles différentes, laissant ainsi entendre que cette caractéristique n'est pas au fondement de l'originalité de leur modèle ; que, s'agissant du talon inexistant dans le modèle « Dee Fibbietta , il convient de relever, d'une part, que celui du modèle « Santiago Pons Quintana » est, comme dans la plupart des ballerines, quasi inexistant et que le resserrement observé au niveau de la voûte plantaire conduit d'autant plus à en réduire l'importance, de sorte que l'effet visuel est quasi similaire et, d'autre part, que les sociétés Tod's ne revendiquent pas le caractère plat de leur semelle ; que, s'agissant de la forme de l'empeigne arrondie et plus courte dans le modèle « Dee Fibbietta » , outre le fait que ces formes et ce positionnement ne figurent pas au rang des six éléments destinés à caractériser l'originalité du modèle revendiqué, ils n'altèrent pas l'effet visuel produit par les modèles opposés ; que, s'agissant des surpiqûres délimitant de manière apparente l'élastique dans le modèle revendiqué et absentes dans l'oeuvre opposée , il y a lieu d'observer que leur présence ne constituait pas une des caractéristiques revendiquées par les sociétés Tod's SPA en première instance et de considérer que, élément fonctionnel et procédé banal dans le domaine de la ballerine, son ajout n'est pas suffisant pour conférer à l'ensemble, dans la combinaison déjà divulguée, son originalité ; qu'enfin si la présence de picots sur les semelles du modèle de ballerines « Dee Fibbietta » ne peut être qualifiée de caractéristique contingente asservie à la fonction de semelle, il convient de prendre en considération les pièces versées par la société Santiago Pons Quintana qui démontre que la chaussure « Car Shoe » comportant des picots sur la semelle et le talon avec une pièce de cuir renforcé a été créé et breveté par Giani X... en 1963, que sa protection est expirée et que de nombreux intervenants du monde de la maroquinerie ont adapté de tels picots à leurs modèles de chaussures (pièces 2-3, 2-4, 7 et 10) ; qu'ainsi, l'ajout de semelles à picots qui s'inscrit dans une tendance de la mode est insuffisant pour rapporter la preuve d'un effort créatif particulier porteur de l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'il suit qu'à juste titre, le tribunal a considéré que la combinaison des caractéristiques revendiquées, en ce qu'elle reprenait des éléments connus dans une combinaison dont l'originalité n'est pas établie, ne témoignait pas d'un parti-pris esthétique traduisant une démarche créative portant l'empreinte personnelle de l'auteur des ballerines référencées « Dee Fibbietta » et ne permettait donc pas de la faire bénéficier de la protection instaurée par le Livre I du code de la propriété intellectuelle » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « les dispositions de l'article L. 112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle protègent par le droit d'auteur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales ; que selon l'article L. 112-2, 14° du même Code, sont considérées notamment comme oeuvres de l'esprit les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure ; qu'en l'espèce, le modèle dénommé DEE FIBBIETTA se caractérise selon les demanderesses comme étant un modèle de chaussures comportant :
- un empiècement composant l'empeigne, comportant une lanière de serrage en cuir avec une fermeture rectangulaire sur le côté extérieur de la lanière, au niveau du coup de pied,
- un empiècement en cuir composant la tige de la chaussure dans un coloris différent de l'empeigne,
- une semelle comportant les picots TOD'S, plus étroite au niveau de la voûte plantaire,
- la bordure intérieure forme une coulisse à l'intérieur de laquelle passe un élastique, qui donne une forme froncée à la ballerine,
- deux empiècements superposés d'une forme identique mais se distinguant par leur taille, forment l'emboîtage de la chaussure, ils sont délimités par une double surpiqûre ; ces empiècements sont perforés en leur milieu afin de laisser ressortir une rangée de trois picots au-dessus d'une rangée de quatre picots" ; que pour en contester l'originalité, les sociétés défenderesses font en substance valoir que le modèle revendiqué n'est pas le résultat d'une activité créatrice dès lors qu'il ne fait que reprendre les caractéristiques de modèles de chaussures de type ballerines commercialisées par la société SANTIAGO PONS QUINTANA dès 1999, et qu'il s'inscrit de surcroît dans un genre de chaussures qui existent depuis de nombreuses années ; qu'il résulte en effet de l'examen des pièces produites à l'appui de leur argumentation que des ballerines sont commercialisées depuis de nombreuses années et en particulier que la société SANTIAGO PONS QUINTANA commercialisait en 1999 sous la référence 001947Z de telles ballerines dénommées "salon bailarina" comportant un empiècement composant l'empeigne, une lanière de serrage en cuir avec une fermeture rectangulaire au niveau du coup de pied, un empiècement en cuir composant la tige de la chaussure dans un coloris différent de l'empeigne, une semelle plus étroite au niveau de la voûte plantaire, une bordure intérieure formant une coulisse à l'intérieur de laquelle passe un élastique, qui donne une forme froncée à la ballerine, et un empiècement formant l'emboîtage de la chaussure et délimité par une double surpiqûre ; que si les sociétés TOD'S SpA et TOD's France relèvent à juste titre qu'aucun des modèles opposés et principalement le modèle de la société SANTIAGO PONS QUINTANA susvisé ne reproduit l'ensemble des caractéristiques du modèle DEE FIBBIETTA qu'elle oppose et qu'aucun d'entre eux ne constitue donc une antériorité de toute pièce, il convient néanmoins de rappeler que la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, seule la preuve du caractère original étant exigée comme condition de l'octroi de la protection au titre du livre I du Code de la Propriété Intellectuelle ; qu'il appartient dès lors à celui qui se prévaut de ces dispositions de justifier, non pas de la nouveauté du modèle revendiqué, mais de ce que celui-ci présente une physionomie propre qui traduit un parti pris esthétique et reflète l'empreinte de la personnalité de son auteur ; or que les sociétés demanderesses, qui ne se livrent dans leurs écritures qu'à une analyse des antériorités produites en défense pour en conclure à l'existence de différences avec le modèle qu'elles revendiquent, ne font ainsi nullement la démonstration de ce que les chaussures DEE FIBBIETTA porteraient la marque de l'apport intellectuel de l'auteur et révéleraient son effort créatif ; qu'au contraire, il y a lieu de relever que le modèle DEE FIBBIETTA ne se différencie du modèle de la société SANTIAGO PONS QUINTANA que par l'absence de talon, l'ajout de picots et d'une pièce en cuir sur l'empiècement formant l'emboîtage de la chaussure ; que cependant il est établi que des semelles de chaussures à picots de caoutchouc qui remontent derrière la cheville, dénommées Car shoes, ont été créées en 1963 en Italie pour renforcer les chaussures des conducteurs d'automobiles ; que la simple transposition d'une telle semelle à une ballerine, la suppression du talon déjà de très petite hauteur et d'une pièce de cuir sur l'empiècement, banale et usuelle dans le domaine de la chaussure ne sont pas de nature à démontrer un effort de création permettant à l'auteur de la combinaison revendiquée une protection au titre du droit d'auteur ; qu'il suit que le modèle de chaussures DEE FIBBIETTA, qui reprend des éléments connus dans une combinaison dont l'originalité n'est pas établie, ne saurait bénéficier de la protection instaurée par le livre I du Code de la Propriété Intellectuelle » ;
ALORS, D'UNE PART, QU'en affirmant qu'« à s'en tenir aux écritures des sociétés TOD'S », les caractéristiques de l'empiècement formant l'emboîtage du modèle DEE FIBBIETTA devrait être considérée comme relevant d'un « choix technique », cependant que, bien loin de soutenir que le choix de ce double empiècement serait dicté par des considérations techniques, les sociétés TOD'S indiquaient, dans leurs conclusions d'appel (p. 21), qu'elles avaient entendu accorder une prépondérance à cet empiècement arrière, partie délaissée des chausseurs, qu'ainsi, l'emboitage prenait une place considérable dans la physionomie générale de la chaussure, renversant les proportions habituelles que l'on retrouve sur les modèles de ballerines, et qu'il en résultait que cette caractéristique traduisait uniquement un parti pris esthétique et un choix arbitraire de TOD'S et non un choix technique, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel des sociétés TOD'S, en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
ALORS D'AUTRE PART, QU'il appartient aux juges du fond de se livrer à une appréciation personnelle et concrète de l'originalité d'une oeuvre de l'esprit, en recherchant par eux-mêmes si les caractéristiques de celle-ci résultent d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en relevant que les sociétés TOD'S auraient laissé entendre que la caractéristique relative à la présence d'un emboitage constitué de deux formes identiques superposées se distinguant par leur taille n'était pas au fondement de l'originalité de leur modèle, en soutenant que le modèle argué de contrefaçon, qui ne comporte pas deux pièces superposées de tailles différentes, constituait la contrefaçon du modèle DEE FIBBIETTA, sans rechercher elle-même si le choix d'une telle caractéristique ne traduisait pas un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QU'une combinaison d'éléments banals ou fonctionnels peut, en elle-même, présenter un caractère original si une telle combinaison résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que chacun des éléments composant le modèle DEE FIBBIETTA n'était pas, en lui-même, protégeable, la Cour d'appel a retenu « qu'il suit qu'à juste titre », le tribunal avait dénié toute originalité à ce modèle ; qu'en se bornant à déduire l'absence d'originalité du modèle DEE FIBBIETTA de l'absence de caractère protégeable des éléments qui le composent, sans justifier en quoi le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation serait dépourvu d'originalité, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, ENFIN, QUE constitue une oeuvre originale protégeable toute création témoignant d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en se fondant, pour dénier toute originalité au modèle DEE FIBBIETTA, sur le fait que « l'aspect d'ensemble » du modèle SANTIAGO PONS QUINTANA de 1999, d'une part, et du modèle DEE FIBBIETTA, d'autre part, conférait à ces modèles une « physionomie semblable » et sur le fait que certaines des caractéristiques de ces deux modèles produisaient un « effet visuel » similaire, la Cour d'appel a fait application d'un critère inopérant pour l'appréciation de l'originalité de la ballerine DEE FIBBIETTA et a ainsi violé l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés TOD'S SpA et TOD'S FRANCE de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ainsi que de leurs demandes portant sur les mesures réparatrices subséquentes et d'avoir rejeté le surplus de leurs prétentions ;
AUX MOTIFS QUE « qu'il est constant qu'en l'absence, comme en l'espèce, de droits privatifs sur un modèle, le fait de commercialiser un produit qui en constitue l'imitation ou la reproduction, même servile, n'est pas, en soi, constitutif d'un acte de concurrence déloyale mais procède du principe de la liberté du commerce et de la libre concurrence ; que la pratique d'un prix inférieur, qui n'est en l'espèce ni vil ni dérisoire puisque les ballerines litigieuses étaient commercialisées dans une gamme de prix comprise entre 139 et 200 euros alors que le modèle 'Dee Fibbietta' l'était à 279 euros, procède de ce même principe ; qu'il n'est, de plus, nullement démontré que les ballerines commercialisées par les sociétés attraites en la cause aient été de qualité inférieure et que cela ait porté préjudice au modèle 'Dee Fibbietta' ; que le fait que les opérations de saisie-contrefaçon établissent que les ballerines litigieuses étaient commercialisées dans les codes de couleurs suivants : empeigne noire, boucle argent, tige blanche/ empeigne argent, boucle argent, tige grise/empeigne, boucle et tige argentées et que les sociétés Tod's prouvent, au moyen de quelques articles de presse (pièces 54 et 68), que certains de ses modèles ont pu adopter telle ou telle de ces couleurs ne suffit pas à démontrer, comme elles le prétendent, que les ballerines litigieuses ont été commercialisées dans un contraste de couleurs similaire au sien, d'autant que l'extrait de site internet qu'elles produisent elles-mêmes (pièce 58) met l'accent sur la diversité des coloris dans lesquels les ballerines Tod's sont présentées, indiquant : 'bicolore pour cultiver l'esprit chic au sommet, le modèle surfe avec élégance sur un heureux mariage de couleurs franches et contrastées, agrémenté d'une extrémité en cuir vernis. (...) Rouge, bleu, blanc, ocre ... tous les pieds à la pointe de la mode trouveront leur bonheur avec cette ballerine sexy à souhait. (...)' ; que dès lors que les seules ressemblances entre, d'une part, le modèle 'Dee Fibbietta', dont il n'est pas démontré autrement que par des preuves de simple commercialisation qu'il soit un produit-phare des collections des sociétés Tod's, et, d'autre part, le modèle en cuir tressé incriminé, qui comporte, notamment, un signe distinctif nettement visible, tiennent à une communauté de genre, elles ne permettent pas à l'appelante de se prévaloir - sans plus de démonstration d'un risque de confusion ou d'un détournement de clientèle qui en serait résulté ou encore d'un comportement illicite grâce auquel la société Santiago Pons Quintana aurait illicitement tiré profit de son savoir-faire (qui n'est pas, en tant que tel, protégeable), de sa notoriété (qui n'est que prétendue) ou d'investissements propres au modèle revendiqué - d'actes distincts de concurrence déloyale ; qu'enfin, les sociétés se trouvant en situation de concurrence, c'est sur ce terrain et non sur celui du parasitisme qu'il convient de se placer ; qu'il sera, de surcroît ajouté que ces deux griefs requièrent semblablement la démonstration d'une faute et qu'il a déjà été répondu au moyen tiré de la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent ; qu'il suit que le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux faits de concurrence déloyale et de parasitisme incriminés » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la cassation de l'arrêt à intervenir sur le fondement du premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a débouté les sociétés TOD'S SpA et TOD'S FRANCE de leur action en concurrence déloyale, et ce par application de l'article 624 du Code de procédure civile.
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en se bornant, pour écarter les demandes des sociétés TOD'S SpA et TOD'S FRANCE pour concurrence déloyale et parasitisme, à affirmer que « les seules ressemblances » entre le modèle DEE FIBBIETTA et le modèle incriminé tiendraient à une « communauté de genre », sans autre précision et notamment sans indiquer à quelles ressemblances elle faisait ainsi référence, ni en quoi celles-ci relèveraient d'une « communauté de genre » ni de quel « genre » il est question, la Cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS, ENFIN, QUE l'exercice d'une action pour parasitisme ou concurrence parasitaire n'est pas subordonné à une absence de situation de concurrence entre les parties ; qu'en retenant, pour écarter l'action des sociétés TOD'S SpA et TOD'S FRANCE pour parasitisme, que les sociétés se trouvaient en situation de concurrence, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.
Moyen produit AU POURVOI INCIDENT EVENTUEL par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour la société Santiago Pons Quintana.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, d'AVOIR rejeté les exceptions de nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 3 et 18 juin 2008 ;
AUX MOTIFS QU'il est constant que l'huissier instrumentaire a successivement mené ses opérations de saisie-contrefaçon dans le magasin de la société FRANÇOIS PINET, puis dans celui de la société ORPHEE CLUB avant de les poursuivre au siège social de chacune de ces deux sociétés ; que toutefois l'huissier n'a nullement clôturé ses opérations après chacune de ses diverses diligences et, comme le soutient l'appelante, épuisé, ce faisant, l'autorisation présidentielle qui lui avait été accordée, mais les a suspendues en précisant qu'il agissait en continuation ; que la simple lecture des procès-verbaux litigieux ("faisant suite...", "poursuivant mes diligences...", "reprenant mes diligences suite aux opérations...") permet de s'en convaincre (arrêt attaqué p. 6 al. 4 et 5) ;
ALORS QUE l'exécution par l'huissier de justice de ses constatations épuise la saisine qu'il tient de l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon et qu'il appartient à l'huissier qui entend ne pas clôturer ses opérations mais les prolonger dans d'autres lieux, de préciser dans le procès-verbal de saisie qu'il suspend ses opérations et d'expliquer les raisons de cette suspension ; que pour décider que, après avoir opéré des constatations dans les magasins des sociétés FRANÇOIS PINET et ORPHEE CLUB, l'huissier avait pu poursuivre ses investigations au siège de ces deux sociétés et dans un autre magasin de la société ORPHEE CLUB, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que l'huissier n'avait pas clôturé ses opérations après chacune de ces premières diligences mais avait agi en continuation comme le révélaient les expressions utilisées par l'huissier pour rendre compte de ses diligences aux sièges des deux sociétés et de l'autre magasin de la société ORPHEE CLUB ; qu'en statuant de la sorte sans constater que l'huissier avait précisé dans les procès-verbaux de saisie-contrefaçon qu'il suspendait ses opérations et expliqué les raisons de cette suspension, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 332-1 du Code de la Propriété Intellectuelle.