Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 décembre 2013, 12-27.964, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique pris en ses diverses branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 13 septembre 2012) rendu sur renvoi après cassation (Civ.1, 20 octobre 2011, n° V 10-24.323), que prétendant avoir prêté à Mme X... une certaine somme, M. Y... l'a assignée en remboursement ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme prêtée avec intérêts au taux légal, alors, selon le moyen :

1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que pour trancher le litige, la cour d'appel retient que « Mme X... qui revendique normalement sa liberté sentimentale pour elle-même ne saurait sans une désinvolture et un manque d'amour-propre qui ne peuvent manquer d'être relevés tenter de faire accroire l'existence d'un don », et encore qu'elle « revendique tout simplement un enrichissement sans cause, qui ne peut être admis » ; qu'en statuant ainsi, par des termes outranciers à l'égard de Mme X... et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que celui qui prétend avoir reçu une chose en don manuel bénéficie de la présomption attachée à la possession et n'a donc pas à faire la preuve de ce don par un écrit ; que Mme X... faisait valoir qu'elle avait reçu la somme de 152 300 euros, versée en trois chèques, à titre de don manuel ; qu'en jugeant qu'un tel don aurait dû « légalement » faire l'objet d'un « acte de donation écrit » et que faute pour Mme X... de rapporter la preuve d'un tel acte, elle ne pouvait « tenter de faire accroire l'existence d'un don », la cour d'appel a méconnu la présomption de libéralité dont bénéficiait Mme X... et violé, par fausse application, les articles 931 et 1341 du code civil, et par refus d'application les articles 2276 et 1315 du code civil ;

3°/ que le demandeur qui s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite n'en supporte pas moins la charge de prouver, par tous moyens, l'obligation dont il réclame l'exécution ; que pour condamner Mme X... à rembourser la somme de 152 300 euros que M. Y... prétendait lui avoir prêtée, la cour d'appel se borne à relever que celui-ci était dans l'impossibilité morale d'obtenir une preuve écrite du prêt accordé par lui et qu'il ne pouvait lui être reproché de n'avoir pas obtenu la signature des projets de reconnaissance de dette puisque son insistance aurait été inconvenante dans le contexte affectif de ladite aide financière ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'impossibilité morale d'obtenir un écrit ne le dispensait pas de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1348 du code civil ;

4°/ qu'est nulle toute convention ayant pour cause, pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté matrimoniale des parties ; qu'en décidant que devait recevoir effet la convention dont se prévalait M. Y... et qui aurait été telle, selon la cour, que le prêt se transformerait en apport si le projet de vie commune de M. Y... se concrétisait cependant que Mme X... devait rembourser les fonds remis si elle rompait sa relation avec M. Y..., de sorte que le remariage de celle-ci avec un tiers aurait légitimement déclenché la demande de remboursement, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil, ensemble les principes d'indisponibilité du corps humain et de liberté matrimoniale ;

Mais attendu d'abord que la cour d'appel n'a pas statué dans des termes incompatibles avec l'exigence d'impartialité dès lors qu'ils ne traduisent aucune animosité à l'égard de Mme X... ; qu'ensuite, si la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue, c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel, après examen des titres et circonstances de la cause, en a déduit l'existence d'un prêt, de sorte qu'elle n'a pas violé les règles de preuve; qu'enfin dans ses conclusions d'appel, Mme X... n'a pas invoqué la nullité de la convention au motif qu'elle portait atteinte à sa liberté matrimoniale ; que le moyen, nouveau en sa quatrième branche et mélangé de fait, comme tel irrecevable, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mme Marie-Paule X... à payer à M. Jean-Claude Y... la somme de 152.300 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2006,

AUX MOTIFS QUE force est de constater que M. Y..., qui avait été mentionné dans le compromis de vente de la maison de Saint-Germain-Les-Corbeil comme « une tierce personne qui apportera le financement nécessaire à la réalisation de la vente », démontre l'existence d'un prêt par l'établissement à sa requête, par le notaire choisi par lui, de deux projets de reconnaissance de dette qui ont été transmis le 20 mai 2005 à Mme X... mais auxquels « celle-ci n'a pas estimé utile de donner suite » ; qu'il ne peut être reproché à M. Y... d'avoir ensuite malgré le silence de Mme X..., à laquelle les projets de reconnaissance de dette avaient été remis « dans l'attente de ses observations », d'avoir néanmoins, du fait qu'il s'interdisait de manifester une insistance qu'il estimait inconvenante dans le contexte affectif de ladite aide financière, remis la somme litigieuse de 133.300 ¿ le 7 juin 2005 ; que conformément à l'invitation adressée par la Cour de cassation à la présente Cour de renvoi dans son arrêt du 20 octobre 2011, il convient d'admettre, pour expliquer l'absence de toute reconnaissance de dette ou de tout acte émanant de Mme X... et constituant un commencement de preuve par écrit du prêt allégué, l'impossibilité morale dans laquelle s'est trouvé M. Y..., d'insister pour obtenir une preuve écrite du prêt accordé par lui ; que Mme X... ne pouvait en effet ignorer le projet personnel de M. Y... en juin 2005, qui était de contribuer à un futur habitat commun, son prêt se transformant alors en apport par lui de la moitié du prix d'acquisition ; que peu importe, à ce titre, que Mme X..., refusant d'entreprendre une vie commune avec M. Y..., se soit ensuite installée seule dans son bien de Saint-Germain-Les-Corbeil sans que M. Y... lui réclame immédiatement le remboursement de son avance ; que l'intimé a en effet pu décider de surseoir au remboursement dans l'espoir de finir par la convaincre ; qu¿il apparaît évident sans qu'il puisse en être fait grief à l'intimé que le choix effectué par Mme X... de se rapprocher de son ancien concubin puis de l'épouser a constitué le facteur déclenchant de la réclamation du remboursement de la somme prêtée ; que Mme X... qui revendique normalement sa liberté sentimentale pour elle-même ne saurait sans une désinvolture et un manque d'amour-propre qui ne peuvent manquer d'être relevés tenter de faire accroire l'existence d'un don, au demeurant d'une somme importante, devant faire légalement l'objet d'un acte de donation écrit, de la part de son ancien ami, alors qu'elle sait très bien que si celui-ci avait connu l'orientation que prendrait finalement sa vie personnelle, il n'aurait pas même envisagé de lui prêter la somme litigieuse ; qu¿elle revendique ainsi tout simplement un enrichissement sans cause, qui ne peut être admis ; qu¿en conséquence, il ressort de l'ensemble des éléments et circonstances de la cause que M. Y..., qui espérait pouvoir faire de la propriété achetée par Mme X... une résidence commune, a bien entendu prêté à Mme X... la somme de 152.300 ¿, l'avance sous forme d'aide financière à une acquisition immobilière effectuée comptant au nom de l'appelante étant déjà une preuve de son attachement à son amie, au profit de laquelle M. Y..., alors en instance de divorce, transférait au moins provisoirement toutes ses liquidités personnelles ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT QUE l'article 893 du code civil dispose que la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne ; qu¿il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament ; que le don manuel est une donation entre vifs qui s'opère, sans acte notarié, par la remise matérielle de la chose donnée ; qu'il constitue un contrat qui n'existe que si cette remise est animée par une intention libérale ; que l'intention libérale suppose la conscience et la volonté de s'appauvrir au bénéfice du donataire sans contrepartie ; que M. Y... verse aux débats un projet notarial de reconnaissance de dette d'un montant de 152.311 euros adressé le 20 mai 2005 à Mme X..., somme destinée à l'acquisition d'une propriété sis à Saint-Germain-Les-Corbeil, ainsi qu'une lettre en date du 19 octobre 2006 que lui a adressée le notaire lui indiquant que Mme X... n'a pas donné suite au projet de reconnaissance de dette ; que Mme X... ne conteste pas que, au moins dans un premier temps, il s'agissait bien d'un prêt avec établissement d'une reconnaissance de dette devant notaire ; mais qu¿elle entend déduire l'intention libérale de M. Y... de ce qu'il aurait renoncé à la rédaction de cet acte ; qu¿elle admet ainsi qu'il était bien question de dette ; que le fait que M. Y... ait renoncé à la signature de la reconnaissance de dette ne signifie pas pour autant qu'il ait renoncé au remboursement des fonds ; que M. Y... produit deux lettres recommandées avec accusé de réception en date des 11 et 21 avril 2006 mettant Mme X... en demeure de lui rembourser les sommes ; qu¿il produit en outre une attestation de Mme Malika Z..., fille de Mme X..., qui déclare que les deux parties désiraient vivre ensemble et que sa mère lui avait fait part de son intention de restituer la part de M. Y... concernant l'acquisition de son bien immobilier ; que Mme X... produit une attestation de M. A... qui indique que M. Y... lui a confié avoir offert un voyage en Egypte à Mme X... et qu'il allait lui faire un beau cadeau en l'aidant à acheter un pavillon ; qu¿il ne ressort pas de ces éléments que M. Y... a agi dans une intention libérale, étant relevé qu'un prêt consenti sans intérêts constitue une aide ; qu¿en l'absence d'acte juridique impliquant dessaisissement irrévocable, il ne peut y avoir donation ; que M. Y... rapporte la preuve de ce qu'il a versé les sommes de 133.300 ¿, 9.000 ¿ et 10.000 ¿ à Mme X... par un chèque de banque et par deux chèques émis par la société Agence Sombin-Arpajon au sein de laquelle il possède un compte courant d'associé ; qu¿il y a lieu de condamner Mme X... à payer à M. Y... la somme totale de 152.300 ¿ avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2006, date de la mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, en application des dispositions de l'article 1153 du code civil ; qu'il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

1° ALORS QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que pour trancher le litige, la cour d'appel retient que « Mme X... qui revendique normalement sa liberté sentimentale pour elle-même ne saurait sans une désinvolture et un manque d'amour-propre qui ne peuvent manquer d'être relevés tenter de faire accroire l'existence d'un don », et encore qu'elle « revendique tout simplement un enrichissement sans cause, qui ne peut être admis » ; qu'en statuant ainsi, par des termes outranciers à l'égard de Mme X... et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'homme ;

2° ALORS QUE celui qui prétend avoir reçu une chose en don manuel bénéficie de la présomption attachée à la possession et n'a donc pas à faire la preuve de ce don par un écrit ; que Mme X... faisait valoir qu'elle avait reçu la somme de 152.300 ¿, versée en trois chèques, à titre de don manuel ; qu'en jugeant qu'un tel don aurait dû « légalement » faire l'objet d'un « acte de donation écrit » et que faute pour Mme X... de rapporter la preuve d'un tel acte, elle ne pouvait « tenter de faire accroire l'existence d'un don », la cour d'appel a méconnu la présomption de libéralité dont bénéficiait Mme X... et violé, par fausse application, les articles 931 et 1341 du code civil, et par refus d'application les articles 2276 et 1315 du code civil ;

3° ALORS QUE le demandeur qui s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite n'en supporte pas moins la charge de prouver, par tous moyens, l'obligation dont il réclame l'exécution ; que pour condamner Mme X... à rembourser la somme de 152.300 ¿ que M. Y... prétendait lui avoir prêtée, la cour d'appel se borne à relever que celui-ci était dans l'impossibilité morale d'obtenir une preuve écrite du prêt accordé par lui et qu'il ne pouvait lui être reproché de n'avoir pas obtenu la signature des projets de reconnaissance de dette puisque son insistance aurait été inconvenante dans le contexte affectif de ladite aide financière ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'impossibilité morale d'obtenir un écrit ne le dispensait pas de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1348 du code civil ;

4° ALORS, subsidiairement, QU est nulle toute convention ayant pour cause, pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté matrimoniale des parties ; qu'en décidant que devait recevoir effet la convention dont se prévalait M. Y... et qui aurait été telle, selon la cour, que le prêt se transformerait en apport si le projet de vie commune de M. Y... se concrétisait cependant que Mme X... devait rembourser les fonds remis si elle rompait sa relation avec M. Y..., de sorte que le remariage de celle-ci avec un tiers aurait légitimement déclenché la demande de remboursement, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil, ensemble les principes d'indisponibilité du corps humain et de liberté matrimoniale.

ECLI:FR:CCASS:2013:C101398
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